II. UN DÉVOIEMENT DU SENS ET DE L'OBJECTIF ASSIGNÉS AUX ALLOCATIONS FAMILIALES

A. UNE REMISE EN CAUSE DE L'UNIVERSALITÉ DES ALLOCATIONS FAMILIALES

Le principe d'universalité des allocations familiales, exprimé par la loi du 22 août 1946 qui étendit leur bénéfice aux personnes dans l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle et aux femmes seules ayant la charge d'enfants, répondait à l'objectif de redistribution horizontale et de soutien des familles à une époque où la politique familiale poursuivait une ambition nataliste. Cette universalité fut définitivement consacrée, à compter du 1 er janvier 1978, par la loi du 4 juillet 1975 qui supprima toute condition d'exercice d'une activité professionnelle pour l'ouverture du droit aux prestations familiales.

La modulation des allocations familiales selon les ressources du foyer n'a certes pas complétement abrogé cette universalité dans la mesure où toutes les familles éligibles continuent de percevoir des allocations familiales dès le deuxième enfant. Afin de tenir compte de cette réalité et de ne pas induire en erreur le débat public, la commission a adopté un amendement du rapporteur visant à intituler le texte : « proposition de loi tendant à renforcer l'universalité des allocations familiales ». Il demeure que la modulation a profondément altéré cette universalité.

Sous le régime de la modulation selon les ressources, le caractère universel des allocations familiales n'est plus que de façade tant le montant versé à certaines familles est devenu dérisoire.

En outre, la modulation des allocations familiales comporte le risque de saper l'acceptabilité de la politique familiale pour les familles concernées par la diminution du montant de la prestation . Ces dernières peuvent avoir le sentiment paradoxal de contribuer au financement d'une politique toujours universelle mais dont elles sont largement exclues.

La modulation des allocations familiales selon les revenus des ménages a pu également constituer un précédent risqué. Si ce principe de modulation venait à s'étendre à d'autres prestations jusqu'ici universelles, à l'instar des prestations d'assurance maladie, tout notre modèle de sécurité sociale serait remis en cause.

B. UNE PERTE DE SENS DES ALLOCATIONS FAMILIALES

Au-delà de la question de l'universalité, la réforme de 2014-2015 des allocations familiales a produit des effets délétères en ce qu'elle a brouillé les objectifs assignés à cette prestation. Les allocations familiales ont en effet été conçues pour porter l'ambition de redistribution horizontale de la politique familiale en accordant aux ménages une compensation financière du coût de l'éducation des enfants.

La variation du montant selon les ressources de la famille introduit une logique de redistribution verticale au sein des allocations familiales qui cessent dès lors de mettre en oeuvre un principe de solidarité horizontale. Cette substitution s'avère contestable dans la mesure où la quasi-exclusivité des autres prestations servies par la branche famille sont placées sous condition de ressources ou sont ciblées sur un public spécifique (complément familial, allocation de rentrée scolaire [ARS], prime à la naissance ou l'adoption, allocation de base de la prestation d'accueil du jeune enfant [PAJE] etc.). Elles permettent ainsi d'aider particulièrement les familles les plus vulnérables afin de relever cet enjeu important de la politique familiale. En outre, la modulation des allocations familiales est une mesure qui, en soi, ne comporte aucun bénéfice pour les familles les plus précaires.

En abandonnant la logique de solidarité horizontale au coeur des allocations familiales, la réforme de 2014-2015 a définitivement acté la transformation de la politique familiale en une seule politique de soutien aux familles à faibles revenus.

Page mise à jour le

Partager cette page