II. UNE PROPOSITION DE LOI QUI VA BIEN AU-DELÀ DE L'INTENTION D'ORIGINE SOUS PRÉTEXTE D'UNE SIMPLIFICATION ADMINISTRATIVE

Cette proposition de loi semble être née de la conjonction d'un souci sincère de répondre à des situations individuelles et d'une volonté de procéder à une simplification administrative qui permettrait à l'administration centrale du ministère de la justice de transférer partiellement la charge de la procédure de changement de nom aux communes.

Au coeur de son dispositif, l'article 2 autoriserait tout majeur à choisir son nom une fois dans sa vie de la même manière que les parents peuvent le faire pour leurs enfants depuis la réforme des règles de dévolution du nom de famille entrée en vigueur le 1 er janvier 2005 5 ( * ) . Le texte irait ainsi bien au-delà du souhait premier du collectif « Porte mon nom » qui entendait résoudre les difficultés rencontrées par certains parents pour adjoindre leur nom au nom de leurs enfants à titre d'usage (article 1 er ).

Cette modification ne répondrait qu'indirectement aux objectifs poursuivis par les auteurs du texte :

- « rétablir une égalité entre parents » ;

- apporter une réponse plus simple et rapide à certaines situations dans lesquelles le changement de nom apparaît comme une véritable délivrance au regard des relations familiales vécues.

En effet, d'une part, plus de 81 % des enfants qui sont nés en 2020 ont pris le nom de leur père ; cela semble résulter d'un choix des Français de continuer à transmettre le nom du père à leurs enfants.

D'autre part, cette idée, qui peut sembler logique et séduisante, est loin de faire l'unanimité auprès des juristes ou professionnels du droit interrogés par le rapporteur, qui lui ont fait part de leur incompréhension du choix de la procédure accélérée pour un texte aux répercussions multiples , tant du point de vue de la famille, que de l'organisation de l'état civil et des fichiers relevant du ministère de l'intérieur.

III. UN BOULEVERSEMENT MAJEUR AUX CONSÉQUENCES NON MAÎTRISÉES

En faisant du changement de nom un acte administratif banal, alors que c'est aujourd'hui quelque chose d'exceptionnel, le nom de famille restant soumis au principe d'immutabilité établi par la loi 6 ( * ) , la proposition apporterait des bouleversements qui risquent d'engendrer de nombreuses difficultés administratives sous couvert de simplification . Il semble que celles-ci n'aient pas toutes été envisagées ou, à tout le moins, sous-estimées.

Le sous-directeur des libertés publiques, entendu par le rapporteur, a exprimé des préoccupations sur les conséquences de la réforme proposée et la date d'entrée en vigueur envisagée - 1 er juillet 2022 - qui lui semble trop rapprochée pour préserver l'opérationnalité des interrogations des fichiers utilisés par le ministère de l'intérieur. Outre le nombre accru de demandes de titres (cartes nationales d'identité et passeports) auquel il aurait à faire face, le ministère de l'intérieur devrait en effet concevoir de nouveaux outils pour que l'identification des personnes dont les données font l'objet de traitements soit mise à jour en temps réel , tout en adaptant le cadre réglementaire nécessaire après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés . En effet, il ne dispose pas aujourd'hui de la possibilité, qu'a le ministère de la justice, de s'interconnecter avec le répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP) tenu par l'Institut national de la statistique et des études économiques et alimenté par les services des mairies qui doivent retransmettre au fil de l'eau les modifications apportées à l'état civil.

Les avocats, par la voix du Conseil national des barreaux, expriment également leurs craintes de difficultés à venir dans les rapports avec les administrations, « dont la capacité à traiter des modifications massives et spontanées d'état civil leur paraît très incertaine en l'absence d'un accompagnement par des dispositifs techniques de mise à jour globale et uniforme des données qui n'existent pas ». Certains évoquent le risque de fraude. Les huissiers souhaiteraient pouvoir interroger le fichier de l'état civil par voie électronique dès le stade de la signification, et non plus seulement de l'exécution 7 ( * ) .


* 5 Loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille, modifiée avant son entrée en vigueur par la loi n° 2003-516 du 18 juin 2003 relative à la dévolution du nom de famille.

* 6 Voir la notice relative au changement de nom établi par la section du sceau le 26 mars 2019 : https://www.justice.fr/sites/default/files/Notice%20changement%20de%20nom.pdf

* 7 Article L. 152-1 du code des procédures civiles d'exécution.

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