EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 2 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale, sur la mission « Régimes sociaux et de retraite » et le compte d'affectation spéciale « Pensions ».

Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure spéciale de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » . - La France dédie 13,6 % de son PIB au financement des retraites, ce qui représentait 345 milliards d'euros en 2021. C'est moins que l'Italie, qui y consacre 15,6 % de son PIB, mais plus que la plupart des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont l'Allemagne, la Belgique ou l'Espagne, pour lesquelles cette part est inférieure à 11 %.

L'équilibre actuel de notre système de retraites devrait se dégrader dès 2023 et jusqu'au milieu des années 2050, dans le meilleur des cas. Au regard de cette dégradation des comptes et si l'on s'accorde sur l'objectif d'éviter une baisse du niveau des pensions comme une hausse des prélèvements, la réforme semble indispensable. Celle-ci devrait se limiter à redéfinir les paramètres en jouant principalement sur deux critères, qui peuvent être combinés. En premier lieu, l'âge d'ouverture des droits pourrait passer de 62 à 65 ans d'ici à 2031, en suivant une progression de quatre mois par an. En second lieu, la majoration de la durée de cotisation inscrite par la réforme Touraine prévoit que, pour les personnes nées en 1973 ou après, la durée d'assurance requise pour obtenir une retraite sans décote augmente progressivement d'un trimestre tous les trois ans entre 2020 et 2035, pour atteindre 43 ans soit 172 trimestres.

Cependant, il convient de s'entendre au préalable sur la convention d'équilibre choisie. D'une part, il pourrait s'agir d'un effort de l'État constant en pourcentage du PIB, quel que soit le besoin du CAS « Pensions » et des régimes spéciaux déficitaires. D'autre part, un équilibre permanent des régimes permettrait à l'État de combler les besoins chaque année ; la convention actuellement retenue correspond à ce dispositif, dictant un âge moyen de départ à 64 ans dès 2030, porté à 66,5 ans d'ici à 2060, pour atteindre le retour à l'équilibre du système de retraite.

Néanmoins, l'augmentation de l'âge de départ en retraite pose question au regard d'une possible baisse de la durée de retraite, les gains d'espérance de vie n'étant plus systématiques. En outre, une attention particulière doit être portée à la pénibilité des métiers, aux dispositifs carrières longues, à la prévention de l'usure au travail, mais aussi à l'aptitude des entreprises à employer des seniors.

Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a indiqué que la réforme des retraites pourrait induire « 8 à 9 milliards d'euros d'économies au bout du quinquennat » ; j'aimerais beaucoup disposer des éléments de calcul ayant conduit à cette estimation, que je suis aujourd'hui incapable de décrypter. À ce titre, je rappelle que la fermeture du régime des retraites de la SNCF a induit la dépense de 4,1 milliards d'euros pour financer des mesures d'accompagnement entre 2011 et 2020 ; je me demande parfois pourquoi les syndicats redoutent tant les réformes !

En outre, le gouvernement table sur une entrée en vigueur de la réforme en juillet 2023, mais les documents transmis pour le PLF ne la mentionnent pas. À l'évidence, la réalisation budgétaire pourrait être bien différente de ce qui est prévu.

Nous allons néanmoins examiner le détail de cette mission en vous rappelant qu'elle comprend les régimes de retraite des mines, de la Seita, des régimes ferroviaires d'outre-mer (39 pensionnés) et de l'ORTF (34 pensionnés) au programme 195 ; les régimes de retraite et de sécurité sociale des marins (25 328 cotisants pour 102 914 pensionnés) au programme 197 ; ainsi que les régimes sociaux et de retraite des transports terrestres au programme 198, principalement les régimes de la SNCF (114 840 cotisants pour 233 354 pensionnés) et de la RATP (42 444 cotisants pour 52 257 pensionnés), mais aussi le réseau franco-éthiopien (3 pensionnés).

De nouveau, je déplore que la mission « Régimes sociaux et de retraite » ne couvre pas l'ensemble des régimes spéciaux de retraite pour lesquels l'État verse une subvention d'équilibre ou qui sont financés au moyen de taxes. Ainsi, il manque toujours les régimes de l'Opéra de Paris, de la Comédie française, des Industries électriques et gazières de France, des non-salariés agricoles, des avocats, des clercs et employés de notaires. Près de 5,4 milliards d'euros de contributions échappent ainsi à la mission, ce qui nuit considérablement à la lisibilité du système et à celle de sa réforme.

La dotation 2023 de l'État pour les régimes de la mission devrait s'élever à 6,14 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), dont 3,5 milliards pour la SNCF et 0,8 milliard pour la RATP, sommes qui ne tiennent que partiellement compte de l'inflation. La contribution de l'État finance le déséquilibre démographique des régimes, mais également leurs avantages spécifiques (départs précoces, bonifications de durée, avantages familiaux, minima de pensions), pour lesquels la nécessité de solidarité nationale interroge.

Si le régime de retraite SNCF est fermé depuis le 1 er janvier 2020, celui de la RATP en prend le chemin avec l'incontournable ouverture à la concurrence pour les bus dès 2025. Néanmoins, les sociétés qui remporteront les appels d'offres hériteront aussi du « sac à dos social », qui maintiendra l'affiliation des agents transférés à leurs nouveaux employeurs au régime des retraites de la RATP.

Concernant le régime des marins, l'État fournit 81 % des ressources, soit 802 millions d'euros. La pénibilité de ces métiers et la compétitivité à laquelle ils sont confrontés dissuadent de toute fermeture du régime, sauf à perdre notre souveraineté nationale dans le domaine. Néanmoins, rien n'interdit de réviser les grilles de métiers ou de mieux prendre en compte le temps passé en mer. De plus, les carrières courtes, inférieures à quinze ans, pourraient être redirigées vers le régime général.

J'en viens au CAS « Pensions », qui comprend le programme 741 « Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité » ; le programme 742 « Ouvriers des établissements industriels de l'État » ; et le programme 743 « Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et autres pensions ».

Estimées à 64,36 milliards d'euros pour 2023 en AE et en CP - dont 94 % pour les seules pensions civiles et militaires -, les dépenses connaissent une progression de 5,33 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022, intégrant notamment la revalorisation des prestations de 4 % au 1 er juillet dernier.

Si la majoration de 3,5 % du point d'indice de la fonction publique génère des cotisations supplémentaires, celles-ci ne parviennent pas à équilibrer cette hausse des pensions. Ainsi le PLF pour 2023 prévoit-il un solde négatif du CAS « Pensions » de 789,4 millions d'euros.

La baisse des effectifs cotisants et le niveau croissant des pensions ne peuvent que renforcer ce déficit. Les contractuels représentent désormais 21 % de la seule fonction publique d'État, or ceux-ci sont affiliés à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) ainsi qu'à l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec) pour les agents contractuels de droit public, et à l'Agirc-Arrco pour ceux relevant du droit privé. Les dépenses du CAS ont augmenté de 38,5 % depuis 2007.

Les taux de contribution employeur, qui assurent l'équilibre du CAS « Pensions » à chaque instant, ont toujours permis, depuis sa création en 2006, de dégager des soldes excédentaires, qui atteignent 9,5 milliards d'euros en 2021.

Cependant, ces taux n'ont pas été révisés depuis 2014. L'exercice 2022 inverse la tendance et devrait pour la première fois se clôturer par un déficit de l'ordre de 224 millions d'euros. Par conséquent, sans révision à la hausse des taux de contribution employeur, le solde excédentaire sera consommé d'ici à 2025.

La direction du budget ne prévoit pas de modifier les taux avant l'apurement total de l'excédent, qui n'a pourtant aucune réalité matérielle. Ainsi, les soldes annuels négatifs du CAS dégraderont directement celui de l'État.

La réévaluation des taux de contribution employeur et l'amélioration du solde du CAS étant indispensables, je souhaite que les futurs excédents débouchent sur la création de véritables réserves gérées par le Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Celui-ci, dont l'actif net était évalué à 26 milliards d'euros fin 2021, affiche une performance record de 4,7 % depuis 2010. Il serait judicieux que les réserves du régime de la fonction publique nouvellement créées puissent bénéficier de ces excellents résultats.

J'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Comme la rapporteure spéciale, je continue de penser que cette réforme des retraites est nécessaire et qu'elle devient urgente. Je m'interroge quant aux difficultés mentionnées par Sylvie Vermeillet dans son rapport, pour avoir accès aux éléments qui pourraient la composer. Dans un temps où le Gouvernement fait des prévisions très optimistes, dont celle du plein emploi à l'horizon de 2027, ne pas engager une réforme qui nous permettrait de franchir un pas décisif représenterait non seulement une difficulté, mais aussi une faute.

Au-delà des observations liées à la mission, je voudrais revenir sur ce raccourci que nous entendons dans le débat public, et qui consiste à présenter la réforme des retraites comme nécessaire pour rétablir les comptes. Je tiens à rappeler que le premier objectif de cette réforme est d'honorer l'engagement pris à l'égard des cotisants. Rappelons cependant qu'il s'agit d'abord d'un système par répartition, ce que nombre de nos concitoyens semblent oublier une fois arrivés à l'âge de la retraite, considérant alors qu'il devrait s'agir d'un système par capitalisation.

M. Michel Canévet . - Je voudrais d'abord féliciter la rapporteure pour la qualité de ses analyses et des propositions qu'elle formule.

Dans la partie du rapport intitulée Une dépendance marquée au financement public , je lis que les besoins des quatre principaux régimes spéciaux subventionnés s'élèveraient à plus de 185 milliards d'euros à l'horizon de 2050. S'agit-il du cumul de ce dont nous aurons besoin d'ici à 2050 ? Ou s'agit-il de la somme qui sera nécessaire alors, sachant qu'aujourd'hui elle est de l'ordre de 9 milliards d'euros ?

Par ailleurs, le régime spécifique des marins tient compte de la concurrence internationale, qui justifie le soutien public apporté. Je souscris totalement à l'idée qu'il faut maintenir ce régime, mais des aménagements peuvent être apportés pour le rendre plus efficient, et pour que rentrent dans le régime de droit commun ceux qui ne remplissent pas l'ensemble des conditions.

Enfin, en ce qui concerne le CAS « Pensions », j'identifie deux options : soit on augmente les taux de cotisations, soit on augmente la durée de cotisation et on diminue la durée des bénéfices. Relever l'âge du départ en retraite pourrait-il suffire à équilibrer les comptes ?

M. Jean-Marie Mizzon . - Ma question n'est pas directement liée aux éléments comptables, mais touche à un sujet récurrent. Le temps pendant lequel nous n'avons pas mis en place la réforme a-t-il été mis à profit pour trouver un début de solution sur la pénibilité du travail ? Il s'agit d'un sujet complexe et s'il est facile de mesurer la pénibilité des métiers physiques, l'exercice est plus délicat quand elle affecte la dimension psychologique du salarié.

M. Claude Raynal , président . - Je lis ceci dans le dernier paragraphe du document résumant votre rapport : « la réévaluation inévitable des taux et l'amélioration attendue à cette occasion du solde du CAS doivent déboucher sur la création de véritables réserves. ». Cela suppose que la réévaluation des taux soit supérieure à celle qui est nécessaire à l'obtention d'un strict équilibre. Est-ce bien là votre idée : prendre un peu de marge pour créer de la réserve ?

Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure spéciale . - Oui, ce taux de contribution employeur, de l'ordre de 74 % pour les fonctionnaires et de 126 % pour les militaires, permet d'équilibrer à chaque instant le CAS « Pensions ». Cependant, n'ayant pas été révisé depuis 2010, il se montre aujourd'hui insuffisant face à la progression des dépenses.

Nous avons ainsi observé un premier déficit en 2022, qui se confirmera en 2023 et continuera ensuite de se creuser. Depuis la création du CAS, nous avons accumulé un excédent de 9,5 milliards d'euros, qui n'a jamais été matérialisé. Pourtant, la direction du budget affirme aujourd'hui que tant que cette somme n'aura pas été utilisée, les taux de contributions employeurs ne seront pas révisés. Or cette somme n'a pas de réalité et si l'on commence à générer des déficits dès 2022, cela dégradera le solde de l'État. La loi organique oblige cependant à garantir l'équilibre du compte. Ce qui implique de réviser ces taux pour permettre un retour a minima à l'équilibre voire à l'excédent.

À cette occasion, il serait opportun que de véritables réserves soient créées, comme cela a été fait en 2001 lors de la création du FRR, qui était destiné à faire face au papy-boom. Ce fonds était alimenté par des excédents de la Cnav et des produits de privatisations, à l'image du Crédit lyonnais et des Autoroutes du sud de la France. Il a été alimenté jusqu'en 2010 et on a alors décidé que, chaque année, ce fonds verserait 2,1 milliards d'euros à la Cades, ce qui arrange tout le monde aujourd'hui. Ce fonds est très bien géré et il a connu des performances impressionnantes, de plus de 10 %. Il touche ainsi chaque année plus d'intérêts que les 2,1 milliards versés et compte aujourd'hui 26 milliards d'euros, ce qui reste peu par rapport au passé. Certains ont pensé qu'il pourrait servir à pallier le déficit du solde des retraites, mais 26 milliards d'euros ne suffiront pas à y répondre longtemps, compte tenu des déficits qui se profilent. Mais si le CAS « Pensions » se remettait à générer des excédents avec des taux employeur révisés, il faudrait les matérialiser afin de répondre au défi générationnel, à la hausse démographique et à celle du niveau des pensions, afin que l'on puisse constituer des réserves pour ne pas avoir à affronter dans l'urgence des réformes inévitables. Il s'agit donc bien de proposer une matérialisation de l'excédent en même temps qu'une hausse des taux de contribution employeur.

J'en viens aux remarques du rapporteur général. La juste connaissance des éléments qui constituent la réforme des retraites nous aiderait effectivement beaucoup. Il s'agit d'enjeux lourds et de montants énormes, les retraites représentant 345 milliards d'euros en 2021. L'État a décidé de revaloriser les salaires de certaines catégories, notamment des enseignants, ce qui peut apparaître comme une bonne mesure, mais nous n'avons pas accès à l'évaluation de son impact. De la même manière, aucune évaluation n'est disponible sur les avantages spécifiques de certains régimes spéciaux, notamment pour la RATP. Quelles que soient nos opinions, nous devrions avoir accès à ces éléments pour décider en connaissance de cause.

Notre système de retraite prévoit une solidarité intergénérationnelle. Cependant, la classe active d'aujourd'hui cotise beaucoup et longtemps, tout en ayant une espérance de vie en progression moindre. On leur demande un effort maximal au nom d'une génération surnuméraire, mais il n'est pas certain que les mêmes efforts seront fournis dans sa direction. D'après les projections du Conseil d'orientation des retraites (COR), le niveau des pensions va s'amenuiser par rapport au niveau de vie des actifs. Ainsi, le niveau de vie des pensionnés correspondrait à 70 % de celui des actifs d'ici à 2070, alors que ce chiffre est de 101 % aujourd'hui. Si l'on ne réindexe pas les pensions à hauteur de la croissance, un appauvrissement des pensionnés en résultera. Cependant, au regard du financement des dépenses de dépendance, l'appauvrissement des pensionnés n'est pas une option. Cette équation est centrale et nous en parlons peu.

En réponse à Michel Canévet, les engagements de 185,74 milliards d'euros représentent bien la somme de tous les engagements prévisionnels.

En ce qui concerne l'avenir du régime des marins, si nous souhaitons maintenir une souveraineté nationale dans le domaine, il faudra prendre en charge l'ensemble de leur protection sociale.

J'en viens au report de l'âge de départ en retraite pour les fonctionnaires. Aujourd'hui, ce départ s'opère, pour les fonctionnaires sédentaires, à l'âge moyen de 63 ans et 4 mois. Un départ à 64 ans ne suffira donc pas. Néanmoins, il n'est pas prévu d'augmenter le taux de cotisation salariale, mais plutôt d'adapter et de prolonger sa durée afin de bénéficier d'une retraite à taux plein.

Monsieur Mizzon, je ne peux vous dire si le temps de pause sur la réforme des retraites a été mis à profit pour avancer sur le sujet de la pénibilité. Nous avons posé des questions à chacun des organismes que nous avons auditionnés. Des avancées intéressantes ont été observées en ce qui concerne le compte individuel, mais pas particulièrement sur la pénibilité. J'insiste aussi sur l'employabilité des seniors. En effet, s'il faut repousser l'âge de départ en retraite, il faudra aussi qu'une certaine culture d'entreprise évolue afin d'employer davantage de seniors.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».

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Réunie à nouveau le jeudi 17 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision. Elle a décidé de proposer également au Sénat l'adoption, sans modification, des articles additionnels 50 et 51.

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