N° 310

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 février 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux commises en Iran ,

Par M. Pascal ALLIZARD,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin , président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique, Mme Véronique Guillotin , vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Amel Gacquerre , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Pierre Corbisez, Pierre Cuypers, Laurent Duplomb, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Pierre Ouzoulias, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger .

Voir les numéros :

Sénat :

226 et 311 (2022-2023)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission des affaires européennes est saisie d'une proposition de résolution européenne n° 226 (2022-2023), de Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues, visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux commises en Iran.

L'objet de cette proposition est d'appeler le Gouvernement et l'Union européenne à prendre un certain nombre de sanctions contre l'Iran, au vu de la répression et des violations des droits de l'Homme en cours.

Le présent rapport procède à un rappel historique du mouvement de contestation de l'automne 2022 et de sa répression brutale par les autorités iraniennes, ainsi qu'à un état des lieux des condamnations et sanctions prononcées par la communauté internationale. Sont également présentées, en dernière partie, les modifications proposées par le rapporteur sur le texte initialement déposé.

I. LA RÉPRESSION BRUTALE ET MEURTRIÈRE DES MANIFESTATIONS DE L'AUTOMNE 2022

A. L'ASSASSINAT DE JINA MAHSA AMINI PAR LA POLICE DES MoeURS À L'ORIGINE D'UNE CONTESTATION INÉDITE DEPUIS 2019

1. Des manifestations d'abord dirigées contre le port obligatoire du voile puis contre le régime lui-même

Alors que les manifestations de novembre 2019 avaient eu pour cause l'augmentation du prix de l'essence 1 ( * ) , dans un contexte général de crise économique à la suite du rétablissement des sanctions américaines, la contestation de l'automne 2022 a eu pour fait générateur la mort, dans des circonstances non élucidées, le 16 septembre 2022, d'une jeune femme, Jina Mahsa Amini, arrêtée trois jours plus tôt par la police des moeurs à cause d'un voile mal porté .

La réprobation de ce qui a été dénoncé comme l'illustration de la brutalité policière à l'encontre des femmes a très rapidement engendré des manifestations dans l'ensemble du pays et notamment les grandes villes (cf. carte ci-dessous).

Carte des villes où ont eu lieu des émeutes

Cette contestation est apparue inédite dans ses revendications, comme dans son ampleur :

- avant même le décès de Mahsa Amini, alors hospitalisée, des manifestations contre les violences policières et la loi sur le port du voile sont organisées puis s'étendent sur le territoire avec pour symbole des femmes enlevant leur voile en signe de protestation. Les revendications ne se limitent pas à la condamnation de la mort de Mahsa Amini et concernent plus largement le refus du port obligatoire du voile, la défense des droits des femmes, avec le slogan « Femme, Vie, Liberté » ;

- par là même, la contestation s'est étendue, tournant à la remise en cause plus globale des fondements de la République islamique , à travers la dénonciation de la police des moeurs mais aussi du guide suprême lui-même, l'ayatollah Ali Khamenei ;

- les autres caractéristiques de ce soulèvement tiennent à la jeunesse des protestataires et à sa spontanéité , tenant moins au nombre des manifestants - les rassemblements n'ayant pas dépassé la dizaine de milliers de personnes en un même lieu - qu'à l'usage des réseaux sociaux et au développement de formes multiples de désobéissance civile, notamment dans les universités et la sphère privée.

2. Un divorce profond et durable entre les autorités et une nouvelle génération d'Iraniens

Les autorités iraniennes ont pu sembler surprises dans cette première phase de contestation et craindre un élargissement du mécontentement à l'ensemble de la société, compte tenu du contexte économique désastreux : plus de 16 % de chômage, 50 % d'inflation par an, pénurie de produits de première nécessité, etc. Un tiers de la population, soit 26 millions d'Iraniens, vivrait sous le seuil de pauvreté et des coupures hivernales de gaz ont été pratiquées, suscitant des critiques au sein même de la majorité politique et du clergé chiite.

Toutefois, malgré le mécontentement social, les trois premiers mois du mouvement, de mi-septembre à mi-novembre, n'ont pas agrégé le monde du travail à la contestation . Des grèves ont bien eu lieu mais pour des motifs économiques sur des besoins de base.

Un divorce profond et durable entre les autorités et une nouvelle génération d'Iraniens mobilisée pour réclamer plus de liberté semble s'être toutefois installé dans la durée, même sans manifestations de rue. Ainsi, le durcissement du régime dans la conduite de la répression a mis en lumière des fractures au sein des plus jeunes générations qui bénéficient d'un fort taux d'éducation supérieure (à l'université).

Si la force du mouvement de l'automne 2022 réside dans son caractère spontané, l'absence de leader et d'organisation en ont fait la faiblesse face au durcissement de la répression.


* 1 Les manifestations de 2019, les plus importantes en date avant la contestation de l'automne 2022, avaient provoqué des émeutes dans une quarantaine de villes concernant, selon le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme, entre 120 000 et 200 000 personnes. Selon les mêmes sources, au moins 208 personnes auraient été tuées en 5 jours, ce nombre étant estimé à environ 1 500 selon l'agence Reuter ; sont cités l'usage de tir à balles réelles ainsi que la pratique d'aveux forcés contre les personnes arrêtées (le nombre d'arrestations a été estimé à plus de 7 000).

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