N° 326

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 février 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser l' approvisionnement des Français en produits de grande consommation ,

Par Mme Anne-Catherine LOISIER,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mme Daphné Ract-Madoux, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) :

575 , 684 et T.A. 64

Sénat :

261 et 327 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Pour la troisième fois en cinq ans, le législateur est amené à réglementer les relations entre fournisseurs et distributeurs, ce qui témoigne du climat de défiance qui règne lors des négociations commerciales.

Cette proposition de loi a fait l'objet de débats nourris, que ce soit à l'Assemblée nationale ou dans les médias. De nombreux arguments ont été échangés, mais aussi des contre-vérités, des accusations, voire des menaces à peine voilées ; tensions certainement exacerbées par la période inflationniste.

Dans ce contexte, la commission des affaires économiques, en suivant les propositions de la rapporteure Anne-Catherine Loisier, a souhaité apaiser ces différentes tensions, en proposant un texte respectueux de la liberté contractuelle, qui rééquilibre le rapport de force au sein des négociations commerciales, tout en limitant les différents abus constatés dans les relations commerciales. En outre, compte tenu du niveau d'inflation actuel, la commission a cherché à rendre du pouvoir d'achat aux Français tout en protégeant l'emploi, l'investissement et l'innovation dans les secteurs non-alimentaires.

Réunie le 8 février, la commission a adopté cette proposition de loi après l'avoir modifiée pour, essentiellement :

- encourager une diminution de l'inflation à hauteur de 600 M€ par an en suspendant l'application du SRP+ 10, ce dernier s'appliquant sur des milliers de produits achetés chaque jour par les Français et n'ayant jamais fait la preuve de son efficacité pour améliorer le revenu agricole ;

- préciser le cadre applicable aux préavis de rupture commerciale, de telle sorte qu'aucune partie ne soit lésée et que soient évités les risques de déréférencement, de rupture d'approvisionnement et de livraison à perte ;

- plafonner les promotions sur les produits non-alimentaires, mesure ayant un effet minime sur l'inflation mais permettant de sauvegarder emplois et investissements dans ces secteurs ;

- durcir le régime des pénalités logistiques, compte tenu des abus qui continuent d'être constatés.

I. DES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES QUI CONTINUENT D'ÊTRE MARQUÉES PAR UN DÉSÉQUILIBRE STRUCTUREL ENTRE LES PARTIES

Les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs sont structurellement déséquilibrées en France, cette asymétrie s'exprimant tout particulièrement lors des négociations annuelles qui ont lieu du 1 er décembre au 1 er mars pour les produits de grande consommation.

En effet, si en amont le nombre de fournisseurs se compte en milliers, voire dizaines de milliers (PME, ETI, grandes marques), le point d'accès aux millions de consommateurs est contrôlé par un petit nombre d'acheteurs (en France essentiellement E. Leclerc, Carrefour, Intermarché, Système U, Auchan, Casino, Lidl). Ces distributeurs représentent par conséquent une part du chiffre d'affaires des fournisseurs bien supérieure à celle que représentent ces derniers dans le chiffre d'affaires de chaque distributeur. Pour le dire autrement, un fournisseur déréférencé d'un distributeur peut perdre jusqu'à 20 % de ses ventes, là où l'impact pour le distributeur se limiterait à 2-3 % de son chiffre d'affaires, auquel il convient d'ajouter, pour quelques marques extrêmement prisées, un coût réputationnel.

Par conséquent, les négociations commerciales ne sont pas abordées sur un « pied d'égalité », constat largement documenté dans de multiples rapports, et illustré, entre autres, par le fait que durant une décennie, les négociations des produits alimentaires se concluaient chaque année par un tarif de vente du fournisseur inférieur à celui de l'année précédente. Il en va de même pour les autres produits de grande consommation, qui en outre ne bénéficient pas de la récente protection que constitue la loi Egalim 2. Or l'écrasement du tarif des fournisseurs au nom de la guerre des prix, qui les a conduits à comprimer leurs marges pendant dix ans, a un impact sur leurs capacités d'investissement, d'innovation, et donc sur l'emploi.

Trois éléments en particulier causent et/ou renforcent ce déséquilibre.

A. LE DÉVELOPPEMENT DE CENTRALES D'ACHAT À L'ÉTRANGER PAR CERTAINS DISTRIBUTEURS, POUR CONTOURNER LE DROIT FRANÇAIS

Plusieurs lois récentes ont tenté de rééquilibrer le rapport de force dans les négociations commerciales, que ce soit pour améliorer le revenu des agriculteurs en sécurisant la part des matières premières agricoles dans ces négociations (lois Egalim 1 et 2), ou pour simplement redonner des marges de manoeuvre aux fournisseurs qui font face à un oligopsone 1 ( * ) (loi Egalim 2).

Or, en parallèle, se développe progressivement la constitution, par certains distributeurs, de centrales d'achats et de référencement installées à l'étranger. Si les justifications avancées mettent généralement l'accent sur l'accroissement du pouvoir de négociation que ces centrales confèrent et sur les synergies qu'elles permettent, argument au demeurant peu contestable pour les distributeurs véritablement implantés dans plusieurs pays européens mais plus douteux pour ceux dont l'activité est quasi-intégralement réalisée en France, force est de constater que ces centrales internationales permettent de négocier sous droit étranger le tarif de produits in fine vendus sur le territoire français.

Il ne fait donc désormais que peu de doute que ces centrales servent (ou, à tout le moins, permettent entre autres) à contourner la loi française, qui se veut protectrice des maillons amont de la chaîne d'approvisionnement en produits de grande consommation. Cette inquiétude est largement partagée par l'ensemble des acteurs entendus par la rapporteure, publics comme privés, à l'exception évidente des distributeurs.


* 1 En économie, un oligopsone est un marché sur lequel il y a un petit nombre de demandeurs pour un grand nombre d'offreurs.

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