B. UN FLOU JURIDIQUE QUANT AUX RELATIONS COMMERCIALES À MAINTENIR OU NON EN CAS D'ÉCHEC DES NÉGOCIATIONS AU 1ER MARS

Le code de commerce enserre les négociations commerciales annuelles dans des délais contraints, du 1 er décembre (date maximale d'envoi des conditions générales de vente par les fournisseurs) au 1 er mars, lorsqu'elles concernent les produits de grande consommation.

Durant ces trois mois, les parties négocient le tarif de vente du fournisseur au distributeur, ainsi que d'autres éléments de leur relation commerciale (notamment les services de coopération, comme la mise en tête de gondole, la présence dans le magazine de Noël, etc.). La loi, sans être silencieuse, reste floue quant à la marche à suivre en cas de désaccord au 1 er mars : les parties négocient un préavis de rupture, qui tient compte notamment de la durée de la relation commerciale. Durant ce préavis, le distributeur peut donc continuer de commander des produits, qui ne sont pas facturés au tarif demandé récemment par le fournisseur (puisqu'il y a eu désaccord sur ce nouveau tarif), mais à l'ancien tarif (celui du 1 er mars N-1), éventuellement augmenté des hausses de tarif acceptées en cours d'année (fait rare, sauf en 2022).

Par conséquent, un fournisseur peut être amené, durant six, neuf, douze, voire dix-huit mois, à livrer des produits à un tarif devenu depuis caduc au regard de sa structure de coûts : si l'inflation du coût de ses intrants est importante, comme c'est le cas depuis plusieurs mois, il peut être amené à produire « à perte », mettant potentiellement en danger son équilibre financier et donc sa capacité d'investissement, d'embauche, ou d'innovation.

Cette situation accentue le déséquilibre entre les parties : d'une part car le distributeur négocie en sachant qu'en cas de désaccord, il pourra toujours être livré, qui plus est à l'ancien tarif. Et d'autre part, car il existe de facto une sorte de prime au distributeur qui ne conclut pas d'accord, car il sera alors livré à un tarif inférieur à celui dont s'acquittent ses concurrents qui ont conclu un accord en année N. L'incitation à « jouer la montre » voire à ne pas conclure d'accord au 1 er mars est donc renforcée pour les distributeurs.

C. DES PÉNALITÉS LOGISTIQUES QUI CONTINUENT, POUR PARTIE, D'ÊTRE APPLIQUÉES DE FAÇON CONTESTABLE

Dans l'ensemble, nul ne conteste le bien-fondé de l'existence de pénalités logistiques, qui visent à réparer le préjudice subi par une partie au contrat en cas d'inexécution d'engagements de la part de l'autre partie. Appliquées à l'univers de la grande distribution, elles visent, en théorie, à s'assurer que les produits sont livrés à la bonne date et qu'ils sont conformes à la commande. Autrement, le distributeur pourrait subir des ruptures dans ses rayons, préjudiciables à son image et à ses ventes.

En pratique en revanche, les pénalités logistiques semblent être devenues un véritable « centre de profit » en elles-mêmes (elles peuvent atteindre plusieurs millions d'euros). Nombre d'abus remontent du terrain et traduisent un contournement de l'encadrement juridique pourtant renforcé par la loi Egalim 2 (pénalités sans que le préjudice ne soit démontré, pénalités alors que la rupture de rayon provient d'une désorganisation interne au distributeur, pénalités appliquées sur la valeur totale de la commande livrée, même si seuls certains produits d'une certaine catégorie sont non-conformes, etc.). Tout porte à croire que certains acteurs de la grande distribution profitent des pénalités logistiques pour compenser des pertes de marge consenties sur certains produits (pour rester peu cher), voire pour simplement engranger des recettes supplémentaires, sans lien avec la vie des affaires.

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