Rapport n° 411 (2022-2023) de Mme Micheline JACQUES , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 8 mars 2023

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N° 411

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 mars 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d'une allocation de logement et vivant dans un habitat non-décent ,

Par Mme Micheline JACQUES,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mme Daphné Ract-Madoux, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Sénat :

821 (2021-2022) et 412 (2022-2023)

AVANT-PROPOS

Le groupe Les Indépendants République et Territoires a demandé l'inscription sur son ordre du jour réservé du 16 mars 2023 de la proposition de loi n° 821 (2021-2022) visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d'une allocation de logement et vivant dans un habitat non-décent, déposée par M. Jean-Louis Lagourgue, sénateur de La Réunion.

Si la problématique des logements non-décents, insalubres ou indignes concerne l'ensemble du territoire français, les territoires d'outre-mer sont particulièrement touchés : comme le relève l'exposé des motifs de la proposition de loi, selon les chiffres cités par un récent rapport de la délégation aux outre-mer du Sénat sur le sujet, l'habitat indigne concernerait, dans les départements d'outre-mer, près de 110 000 logements, soit 13 % du parc 1 ( * ) . À La Réunion, ce sont pas moins de 18 000 logements indignes qui sont recensés 2 ( * ) . Les dispositifs législatifs et réglementaires visant à la résorption de l'habitat indigne dans les outre-mer et les grands programmes mis en place dans leur sillage n'ont manifestement pas porté tous leurs fruits.

Les entretiens menés par la rapporteure avec l'auteur de la proposition de loi ainsi qu'avec divers acteurs du secteur du logement et de la construction à La Réunion ont confirmé l'existence, sur ce territoire, d'une problématique aiguë de dégradation du logement, à laquelle il est urgent de répondre.

Pour autant, face à l'ampleur des désordres constatés, la rapporteure n'a pu que constater l'inadéquation du dispositif proposé à l'objectif poursuivi, avec en outre le risque d'effets de bord potentiellement négatifs pour des locataires déjà en situation de précarité.

Confrontée à des conditions géographiques, climatiques et environnementales très différentes de l'Hexagone, La Réunion - comme les autres territoires d'outre-mer - fait aussi notamment face à des difficultés d'accès aux matériaux de construction et de qualification des professionnels du bâtiment, qui sont autant de facteurs de dégradation précoce de l'habitat. La rapporteure estime que la lutte contre le fléau de l'habitat non-décent dans les outre-mer nécessite de prendre en compte l'ensemble de ces paramètres.

Les délais d'examen de la proposition de loi n'ayant pas permis de les étudier avec l'attention requise et les problématiques soulevées par son exposé des motifs excédant le champ de la non-décence dans le parc locatif, la rapporteure aurait souhaité proposer de renvoyer cette dernière en commission, afin de pouvoir, au terme d'une réflexion ciblée spécifiquement sur l'outre-mer, compléter et, le cas échéant, mieux calibrer les dispositions proposées, pour apporter une réponse à la hauteur des enjeux. Cette solution n'ayant pas reçu l'agrément de l'auteur de la proposition de loi, cette dernière, conformément au « gentleman's agreement » qui prévaut pour l'examen des propositions de loi sénatoriales, a été rejetée.

I. L'HABITAT NON-DÉCENT : UN PHÉNOMÈNE MAL QUANTIFIÉ, MAIS PARTICULIÈREMENT PRÉGNANT EN OUTRE-MER, MALGRÉ LES MESURES SPÉCIFIQUES DE RÉSORPTION MISES EN oeUVRE CES DERNIÈRES ANNÉES

A. L'HABITAT NON-DÉCENT, UNE CATÉGORIE RESTRICTIVE QUI NE CONCERNE QUE LES LOGEMENTS LOCATIFS

1. Les critères de non-décence des logements locatifs ont été constamment renforcés depuis 30 ans

Si la notion de décence des logements locatifs était déjà présente dans l'article 6 de la loi de 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs 3 ( * ) , qui prévoyait l'obligation, pour le bailleur, de délivrer au locataire un logement « en bon état d'usage et de réparation », et « répondant [à des] normes minimales de confort et d'habitabilité », le terme a été introduit dans ce même article en 2000 par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (dite loi « SRU ») 4 ( * ) : un logement décent est un logement « ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation ».

Parallèlement, la loi SRU a introduit dans le code civil (1° de l'art. 1719) l' obligation pour les bailleurs de mettre en location des logements décents .

Les critères de décence des logements sont définis par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent 5 ( * ) . Pour être qualifié de décent, un logement doit ainsi satisfaire à des conditions :

- d' absence de risques manifestes pour la sécurité physique ou à la santé , ce qui implique notamment :

o l' étanchéité contre les infiltrations d'eau et (depuis 2018), infiltrations d'air parasites 6 ( * ) ;

o l'utilisation de matériaux de construction ne présentant pas de risques manifestes pour la santé et la sécurité, et leur bon entretien ;

o la conformité aux normes de sécurité et le maintien en bon usage des branchements d'électricité, de gaz, de chauffage et de production d'eau chaude ;

- de mise à disposition d'équipements le rendant propre à l'habitation (chauffage, alimentation en eau potable, évacuation des eaux usées, cuisine, raccordement au réseau électrique et, sauf cas particuliers, installation sanitaire intérieure au logement) ;

- de surface minimale 7 ( * ) ;

- d'absence de nuisibles ou parasites ;

- de performance énergétique : depuis le 1 er janvier 2023, en application des dispositions de la loi « Énergie Climat » 8 ( * ) , les logements dont la consommation d'énergie, estimée par le diagnostic de performance énergétique (DPE), est supérieure à 250 kWh/m² (dits « G + »), ne peuvent être qualifiés de décents, et doivent donc être retirés de la location 9 ( * ) . Cette interdiction sera progressivement élargie aux logements notés G, puis F et E, respectivement en 2025, 2028 et 2034.

Compte tenu notamment de leurs spécificités climatiques, certains de ces critères ne sont pas applicables dans les territoires d'outre-mer , notamment la présence d'un chauffage 10 ( * ) , la mise à disposition d'eau chaude 11 ( * ) et l'étanchéité du logement à l'air 12 ( * ) . Les critères de performance énergétiques introduits par la loi « Énergie Climat » ne sont pas valables dans les départements d'outre-mer 13 ( * ) .

2. De l'habitat précaire au péril : une multiplicité de situations et de qualifications de l'habitat dégradé

Les situations de dégradation de l'habitat correspondent à une multiplicité de qualifications : en fonction du degré de dégradation, un logement pourra ainsi notamment être qualifié de non-décent, indigne 14 ( * ) , insalubre 15 ( * ) ou en péril. À chacune de ces qualifications répond une ou plusieurs procédure(s) spécifique(s), dont la mise en oeuvre repose sur des autorités différentes, ainsi que l'illustrent les schémas ci-dessous.

Source : Guide de repérage de l'habitat dégrad é, Préfecture de La Réunion,
ARS Océan Indien, ADIL de La Réunion, 2017

Ces qualifications se recoupent partiellement, les qualifications d'insalubrité ou de péril induisant automatiquement une qualification de non-décence 16 ( * ) . Néanmoins, dans les faits, il est courant que les dossiers concernant des situations d'insalubrité ou de péril ne soient pas automatiquement signalés à la Caisse d'allocations familiales, et que la procédure de signalement de la non-décence ne soit pas activée par le locataire parallèlement à celles concernant l'insalubrité ou le péril.

Les critères de décence se recoupent généralement aussi en partie avec ceux contenus par les règlements sanitaires départementaux (RSD), édictés par arrêté préfectoral.

Source : Fondation Abbé Pierre,
L'état du mal-logement en France 2022. Rapport annuel #27

L'ordonnance du 16 septembre 2020, prévue par l'article 198 de la loi « ELAN » 17 ( * ) a procédé à la refonte des polices administratives spéciales de lutte contre l'habitat indigne afin de simplifier les procédures.

B. LA SITUATION DU LOGEMENT À LA RÉUNION EST PARTICULIÈREMENT DÉGRADÉE, LES INITIATIVES RÉCENTES N'AYANT PAS RÉUSSI À ENDIGUER LE PHÉNOMÈNE

1. Malgré l'absence de chiffres objectivés, le constat d'une situation particulièrement dégradée dans les outre-mer et à La Réunion

Même si aucune statistique consolidée concernant le nombre de logements non-décents n'a pu être portée à la connaissance de la rapporteure, les chiffres avancés pour les seuls logements indignes oscillent, pour l'ensemble du territoire français, entre 400 000 et 600 000 18 ( * ) . Pour exemple, en 2018 plus de 140 000 résidences principales ne comptaient ni baignoire ni douche 19 ( * ) .

Selon le rapport sur la politique du logement en outre-mer publié en 2021 par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, les proportions d'habitat dégradé et indigne seraient encore bien supérieures dans les outre-mer : le seul habitat indigne y concernerait près de 110 000 logements, soit 13 % du parc 20 ( * ) , soit environ dix fois plus qu'en métropole.

Dans ce contexte, la dégradation des logements locatifs, notamment dans le parc social, fait régulièrement la une de la presse réunionnaise . De fait, les chiffres cités par la Fondation Abbé Pierre, dans son bilan régional 2021 sur La Réunion mettent en évidence la persistance de mauvaises conditions d'habitat : plus de 30 000 Réunionnais seraient ainsi en situation de privation de confort, et presque autant en situation de surpeuplement accentué 21 ( * ) .

Selon le même rapport, près de 18 000 logements pourraient être qualifiés d'indignes, soit 5 % du parc de logements à La Réunion 22 ( * ) . Ce chiffre déjà élevé est en augmentation depuis une dizaine d'années, malgré la sortie de l'insalubrité de plusieurs milliers de logements, ayant abouti à la quasi-disparition des phénomènes de bidonvilles 23 ( * ) . Ces sorties ont en effet été compensées par la dégradation d'autres bâtiments.

Selon les différents acteurs auditionnés par la rapporteure, l'évaluation du nombre de personnes occupant ces 18 000 logements indignes demeure toutefois difficile, en raison notamment du nombre élevé de cas de vacances.

Source : Fondation Abbé Pierre , L'état du mal-logement en France 2021.
Rapport annuel #26. Éclairage régional Île de La Réunion

Concernant plus spécifiquement les situations de non-décence , l'Observatoire réunionnais de l'habitat indigne fait état, pour l'année 2017, de 476 signalements effectués auprès de la Caisse d'allocations familiales (CAF) , dont 98 % ont été avérés 24 ( * ) . Selon la Confédération nationale du logement (CNL) de La Réunion, entendue par la rapporteure, l'ordre de grandeur est le même pour l'année 2021, mais le nombre total de logements en situation de non-décence non déclarés pourrait être au moins trois fois plus élevé , d'après les signalements déposés sur l'application en ligne mise en service à cet effet en vue d'aider les locataires à faire valoir leurs droits.

En ce qui concerne spécifiquement le parc social , M. Denis Chidaine, délégué de l'Association régionale des maîtres d'ouvrage sociaux et aménageurs de l'Océan indien (ARMOS-oi), a indiqué qu'à l'été 2022, 296 logements étaient concernés par une procédure active de non-décence (sur un total d'environ 80 000). Les représentants de deux des principaux bailleurs sociaux de l'île, la Société anonyme d'habitations à loyer modéré de La Réunion (SHLMR) et la Société d'économie mixte d'aménagement, de développement et d'équipements de La Réunion (Semader), ont évoqué respectivement 60 à 80 signalements pour motif de non-décence par an, sur un total de 28 000 logements, et 42 cas avérés en cours de traitement, sur un parc de 8 200 logements.

Selon l'ensemble des personnes auditionnées par la rapporteure, le principal motif d'indécence des logements ayant fait l'objet d'une reconnaissance de non-décence est la présence d'infiltrations . Selon la branche réunionnaise de la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM), ces dernières représentent un fléau endémique à La Réunion, où elles constituent par exemple une proportion trois fois plus importante des sinistres déclarés qu'en métropole. La Fondation Abbé Pierre relevait d'ailleurs dans son rapport annuel 2021 qu'en 2018, plus de la moitié des Réunionnais étaient confrontés, à un degré ou un autre, à des problèmes d'humidité dans leur logement 25 ( * ) - ces derniers pouvant ou non déboucher, selon leur gravité et leur durée, sur des situations d'indécence.

Ces infiltrations résultent généralement soit d'une mauvaise qualité de la couverture du bâtiment , soit d'un défaut d'étanchéité des pièces d'eau, souvent causé par des finitions défectueuses des douches à l'italienne, qui se sont multipliées dans les constructions récentes.

2. Les mesures prises pour lutter contre l'habitat dégradé dans les outre-mer n'ont pas suffi à éradiquer le phénomène

La volumétrie et les caractéristiques spécifiques de l'habitat dégradé dans les outre-mer ont conduit à l'adoption de mesures spécifiques . Il y a dix ans, la loi dite « Letchimy » 26 ( * ) , faisant le constat d'une inadaptation des textes régissant la lutte contre l'habitat indigne aux situations observées outre-mer, a ainsi ciblé particulièrement les quartiers d'habitat informel (« bidonvilles »), organisé le repérage des différentes formes d'habitat précaire et indigne et permis la mise en oeuvre des moyens techniques, humains et financiers nécessaires à leur résorption .

Dans le sillage de cette loi et de ses décrets d'application, les diverses politiques publiques contre l'habitat indigne mises en oeuvre à La Réunion depuis les années 1950 se sont restructurées, avec notamment la création en 2011 d'un pôle départemental de lutte contre l'habitat indigne (PDLHI) , réunissant tous les acteurs institutionnels du territoire, et la mise en place de plans communaux et intercommunaux de lutte contre l'habitat indigne (PCLHI / PILHI) .

D'après le diagnostic établi par la délégation aux outre-mer, La Réunion, comme le reste les Antilles, connaît désormais surtout un phénomène d'habitat indigne davantage diffus, de ce fait plus difficile à identifier 27 ( * ) . La Fondation Abbé Pierre fait d'ailleurs le constat d'une baisse, depuis dix ans, des montants alloués aux opérations de résorption de l'habitat indigne (RHI) en outre-mer 28 ( * ) visant à la démolition ou reconstruction partielle des habitats considérés comme irrémédiablement insalubres (constat partagé par la mission de la délégation aux collectivités territoriales).

De nombreuses aides publiques sont accessibles aux bailleurs privés pour résoudre des situations d'insalubrité ou de dégradation, via les financements de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) . Les bailleurs des départements d'outre-mer ne sont cependant pas éligibles aux aides visant à améliorer les performances énergétiques de leurs biens existant en métropole. Les interventions de l'Anah peuvent être complétées par les co-financements des collectivités territoriales .

Cependant, la mobilisation de ces aides à l'amélioration de l'habitat semble insuffisante , peut-être en raison de leur multiplicité : selon la Fondation Abbé Pierre, dans le parc privé, seuls 21 logements auraient été réhabilités grâce aux aides de l'Anah entre 2016 et 2021 29 ( * ) .

II. LA PROPOSITION DE LOI : RENFORCER LA LUTTE CONTRE L'HABITAT LOCATIF NON-DÉCENT EN CONSIGNANT LE RESTE À CHARGE DU LOYER DES BÉNÉFICIAIRES D'ALLOCATIONS DE LOGEMENT

A. LA LOI ALUR A INSTITUÉ UN DISPOSITIF DE RETENUE TEMPORAIRE DES ALLOCATIONS DE LOGEMENT POUR LES LOGEMENTS LOCATIFS NON-DÉCENTS

1. En cas de non-décence de son logement, le locataire dispose de différentes voies de recours, qui ont été renforcées ces dernières années

Les propriétaires de logements locatifs non-décents sont tenus de procéder à leur charge à tous les travaux nécessaires pour rendre le logement décent , sur simple demande du locataire. Si le bailleur refuse d'exécuter les travaux nécessaires, le locataire peut saisir le juge, qui ordonne si nécessaire l'exécution desdits travaux, en fixant un délai pour leur exécution. Le juge peut également prononcer une réduction du montant du loyer qui peut aller jusqu'à l'annulation de ce dernier, pour toute la durée pendant laquelle le logement demeure en état de non-décence. Il peut en outre allouer au locataire des dommages et intérêts, selon le préjudice subi.

Le locataire d'un logement non-décent est également fondé à le quitter sans préavis. En revanche, sauf sur décision judiciaire en ce sens, la non-décence du logement ne justifie pas la cessation du paiement des loyers par le locataire, y compris lorsque le propriétaire refuse de procéder aux travaux de remise en état nécessaires .

2. La loi Alur a introduit un mécanisme de retenue des allocations de logement pour inciter les propriétaires de logements locatifs à effectuer les travaux de mise en état de décence

Constatant l'insuffisance des dispositifs préexistant pour protéger efficacement les locataires, et dans le but d'inciter les propriétaires de logements non-décents à effectuer les travaux de remise en état nécessaires, la loi Alur de 2014 30 ( * ) a modifié les conditions d'octroi et de versement de l'allocation de logement (dont le versement est notamment conditionné à la décence du logement occupé), ainsi que les conditions d'habilitation des organismes chargés de constater la non-décence.

Ainsi, depuis 2014, le constat de non-décence est effectué, à la demande du locataire, par la Caisse d'allocations familiales (CAF) ou les Caisses de mutualité sociale agricole (CMSA), ou par un organisme habilité par convention conclue avec ces caisses. À La Réunion, cette tâche a par exemple été confiée par la CAF à l'Agence départementale d'aide au logement (Adil). La procédure de déclaration de non-décence est contradictoire, la CAF invitant le bailleur à formuler ses observations.

En outre, selon une procédure actuellement prévue à l'article L. 843-1 du code de la construction et de l'habitat, dans le cas où un logement locatif est déclaré non-décent, l'organisme payeur cesse le versement de l'allocation de logement au locataire ou, si elle lui était versée directement, au bailleur. L'allocation est conservée par l'organisme pendant une durée fixée par décret à dix-huit mois 31 ( * ) , durant laquelle le propriétaire est invité à mettre le logement en conformité. Cette durée peut, sur demande argumentée du bailleur, être prolongée pour une durée de six mois.

Les parts de loyer ainsi conservées sont versées au propriétaire lorsque le logement a été remis en conformité. Si , en revanche, à l'issue des dix-huit mois (ou vingt-quatre mois en cas de prolongation), la mise en conformité n'a pas été effectuée , les allocations de logement non versées sont définitivement perdues pour le bailleur. Le logement cesse de remplir les conditions pour permettre le versement d'allocations de logement et le locataire doit alors, s'il y reste, s'acquitter de l'ensemble du loyer.

Durant la période où les allocations de logement sont consignées, le locataire continue d'être tenu de s'acquitter du reste à charge du loyer (diminué donc du montant des allocations de logement). Le bailleur ne peut cependant pas invoquer la diminution du montant total du loyer qu'il perçoit pour obtenir la résiliation du bail.

Selon les premiers bilans, cette procédure a été utilisée 2 647 fois en 2017 et 4 079 fois en 2019 32 ( * ) . La très grande majorité des logements ayant fait l'objet de cette procédure ont été mis en conformité dans un délai de six à dix-huit mois , une minorité ayant requis un délai de six mois supplémentaires 33 ( * ) ; au total, plus de 95 % des procédures ont abouti à une remise en état de décence dans les délais impartis 34 ( * ) .

B. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : UNE CONSIGNATION DU RESTE À CHARGE POUR LES LOCATAIRES BÉNÉFICIAIRES D'ALLOCATIONS DE LOGEMENT

La proposition de loi prévoit, lorsqu'un logement locatif est déclaré indécent et qu'une procédure de retenue des allocations de logement est engagée par un organisme payeur, que le bailleur cesse de percevoir le reste à charge du loyer ainsi que les charges récupérables, qui continueraient d'être versés par le locataire mais seraient consignés à la Caisse des dépôts et consignations . Une telle consignation peut déjà, exceptionnellement, être ordonnée par le juge dans divers cas de litiges entre bailleur et locataire, y compris ceux portant sur l'état du logement.

La mesure ne concernerait que les logements dont les locataires sont bénéficiaires d'allocations de logement, et s'appliquerait à l'ensemble du territoire national.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION : APPROFONDIR LA RÉFLEXION POUR ÉLABORER DES SOLUTIONS SUR MESURE POUR LUTTER CONTRE L'HABITAT DÉGRADÉ DANS LES OUTRE-MER

A. LE DISPOSITIF POURRAIT IN FINE PORTER PRÉJUDICE AUX LOCATAIRES COMME AUX PROPRIÉTAIRES MODESTES

1. Priver les propriétaires modestes d'un revenu complémentaire, au moment où les critères de décence sont renforcés

La rapporteure a souhaité évaluer l'intérêt du dispositif proposé à la fois en métropole, où il a vocation à s'appliquer, et plus spécifiquement à La Réunion, d'où est issu l'auteur de la proposition de loi.

Interrogés par la rapporteure, les bailleurs sociaux de La Réunion et leurs représentants ont indiqué que la très grande majorité des travaux de remise en décence étaient effectués dans le délai de dix-huit mois prescrit par la CAF, éventuellement prolongé de six mois . Selon les informations fournies par la Semader pour son propre parc, la durée moyenne de traitement de la non-décence serait d'un an. La Semader a d'ailleurs tenu à préciser qu'elle traitait avec une égale diligence les cas de non-décence reconnus par la CAF et les signalements préalables n'ayant pas encore fait l'objet de reconnaissance de la part de la CAF.

Les bailleurs sociaux ont indiqué que les (relativement rares) cas de retards pris dans les travaux de remise en décence s'expliquent principalement par les délais réglementaires (notamment le respect de la procédure contradictoire) ou des difficultés techniques ou logistiques .

Ils estiment que la consignation du reste à charge des loyers n'aurait aucune influence sur la durée de traitement des cas de non-décence, d'autant que ce reste à charge représente une part marginale du total des loyers perçus sur le parc. Pour illustration, la SHLMR a rapporté que 70 % des locataires de son parc bénéficiaient d'allocations de logement, ces dernières représentant en moyenne 50 % du montant total des loyers pour les bénéficiaires - des chiffres cependant jugés légèrement inférieurs à la moyenne réunionnaise, en raison du profil des locataires de la SHLMR.

En ce qui concerne le parc privé, l'Agence départementale d'information sur le logement (Adil), a évoqué les résultats d'une enquête « flash » menée par la CAF de La Réunion, selon laquelle les deux tiers des logements déclarés non-décents étaient remis en conformité au bout d'un an . Le levier de la retenue des allocations de logement, touchées selon la FNAIM par environ 60 % des locataires du parc privé serait donc un levier suffisant.

Auditionné par la rapporteure, M. Christian Prétot, chef du service Habitat à la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal) de La Réunion, a cependant pointé le risque de priver les propriétaires modestes, avec la consignation du reste à charge locatif, de ressources nécessaires pour engager les travaux de remise en décence de leur bien . Pour rappel, selon la Fondation Abbé Pierre, la majorité des particuliers bailleurs dont les logements peuvent être qualifiés de non-décents ou indignes seraient, à La Réunion « des propriétaires bailleurs ayant peu de moyens, qui louent un ou plusieurs logements [...] mais qui vivent dans des conditions similaires [...] et qui n'ont pas les ressources suffisantes pour réhabiliter leurs logements ». Selon la même source, la part de « marchands de sommeil » dans le volume des signalements d'habitat indigne pourrait être évaluée à moins de 10 % 35 ( * ) .

Avec l'entrée en vigueur des critères de performance énergétique , qui rendent nécessaire la rénovation de dizaines de milliers de logements locatifs, cette situation pourrait être exacerbée en métropole . Pour rappel, selon l'Insee, en 2018, 45 % des logements franciliens, soient 2,3 millions de résidences principales, étaient classés E, F ou G en matière de performance énergétique, cette proportion montant même à 55 % dans le parc locatif privé (745 000 logements) 36 ( * ) , nécessitant de coûteux travaux de rénovation, malgré des aides ad hoc (« MaPrimeRénov' »).

En outre, différents interlocuteurs ont attiré l'attention de la rapporteure sur la difficulté de faire porter la seule responsabilité d'un défaut de mise en conformité aux bailleurs privés, lorsqu'il ne peut être remédié à la situation que par des travaux pris en charge par les copropriétés .

2. Les risques inhérents à une complexification de la procédure pour le locataire

Si plusieurs interlocuteurs, bailleurs et institutionnels, ont évoqué des cas de dégradations de l'habitat dues à un mauvais entretien de la part des locataires, ces cas semblent demeurer marginaux. En revanche, le retard pris dans le signalement de dégâts ou d'anomalies dans le bâti a été cité par les bailleurs privés comme par les bailleurs sociaux comme un élément de complexité des travaux de remise en état. Ces derniers ont également souligné que la consignation du reste à charge du loyer pourrait inciter certains locataires à cesser de payer le reste à charge, d'autant que la proposition de loi ne prévoit pas ce qui adviendrait des sommes consignées à l'issue de la période initiale de dix-huit mois .

Au-delà du débat théorique, M. Pascal Foulque, directeur de l'Adil de La Réunion, a mis en garde contre les risques liés à une complexification de la procédure pour le locataire . Avec la procédure actuelle, ce dernier n'a aucune démarche supplémentaire à effectuer, à compter du constat de non-décence du logement par la CAF, cette dernière procédant d'elle-même à la retenue des allocations de logement.

Une mauvaise compréhension du dispositif prévu par la proposition de loi pourrait amener une partie des locataires à des situations d'impayés de loyer , qui pourraient in fine déboucher sur leur expulsion. Les premiers bilans de mise en oeuvre de la procédure de conservation des allocations de logement soulignaient d'ailleurs déjà de telles difficultés de compréhension de la procédure de la part des locataires, les organismes payeurs de 90 % des départements ayant indiqué être confrontés fréquemment (plus d'un quart des départements) ou au moins occasionnellement à des cessations de versement des loyers de la part des locataires 37 ( * ) .

B. LES PROBLÉMATIQUES CONCERNANT LA SITUATION DU LOGEMENT À LA RÉUNION EXCÈDENT LE CHAMP DE LA NON-DÉCENCE DANS LE PARC LOCATIF

1. Les situations évoquées à La Réunion excèdent les problématiques de non-décence, révélant des problèmes de qualité de la construction des logements neufs à La Réunion

La Confédération nationale du logement (CNL) La Réunion, principale association de locataires de l'île, a porté à la connaissance de la rapporteure plusieurs cas de logements locatifs très dégradés, qui pour plusieurs d'entre eux relevaient manifestement davantage de situations d'habitat insalubre, voire d'immeubles en péril, que d'une simple qualification de non-décence , à l'instar des immeubles Flacourt et Augustin, à Sainte-Marie, qui ont d'ailleurs fait l'objet d'un arrêté de péril ordinaire, ou du récent immeuble Juliette à Saint-Pierre, dont le bâti souffrant d'un ferraillage insuffisant est maintenu par des étais.

Immeuble Juliette à Saint-Pierre (source : photographie parue dans Le Quotidien de La Réunion le 20 février 2023, coupure de presse fournie par M. Erick Fontaine)

Compte tenu de l'existence, pour les immeubles insalubres ou en péril, de procédures alternatives à celles mobilisables en cas de simple non-décence, y compris des procédures d'urgence et des procédures de réalisation d'office des travaux aux frais du propriétaire, la plus-value d'un renforcement de la procédure de retenue des allocations de logement via la consignation du reste à charge des loyers n'apparaît pas évidente.

En revanche, les bailleurs sociaux et privés entendus par la rapporteure ont souligné les difficultés rencontrées de manière récurrente dans les premières années d'utilisation de bâtiments neufs ou fraîchement réhabilités . La Semader a ainsi précisé, lors de son audition, que la moitié des logements de son parc actuellement déclarés non-décents avaient été construits dans la dernière décennie . La CNL a pour sa part répertorié au moins 104 immeubles neufs (de moins de dix ans) présentant des signes d'indécence .

Selon les différentes personnes interrogées, le dispositif de défiscalisation immobilière « Girardin », issu de la loi de 2003 de programme pour l'outre-mer 38 ( * ) , a provoqué une ruée des investisseurs privés vers les constructions de logements sociaux, effectuées en masse mais avec une qualité variable.

Les interlocuteurs de la rapporteure ont également évoqué une fragilité générale du secteur du BTP à La Réunion , caractérisée par une majorité de petites entreprises difficilement en mesure d'effectuer des opérations de grande ampleur, ainsi qu'un déficit d'encadrement intermédiaire des chantiers , et de contrôle qualité interne aux entreprises. Ils ont relevé un déficit de formation dans la mise en oeuvre de techniques adaptées aux nouvelles normes 39 ( * ) et de traitement de cas complexes , notamment en matière d'infiltration, en particulier pour les opérations de réhabilitation 40 ( * ) , et des problèmes de disponibilité des matériaux de construction 41 ( * ) .

En outre, selon l'ensemble des bailleurs interrogés, afin d'accélérer la mise en oeuvre de travaux sur les ouvrages neufs, une réflexion devrait être engagée sur les procédures liées à la mobilisation de l'assurance dommages-ouvrage , qui couvre les réparations faisant l'objet de la garantie décennale.

2. La tension du marché locatif en particulier dans le parc social, peut favoriser le maintien dans des logements non-décents

Lors de son audition, la Deal de La Réunion a souligné la nécessité de prendre en compte l'ensemble de l'écosystème du logement à La Réunion pour élaborer des solutions équilibrées de lutte contre toutes les formes d'habitat dégradé .

En effet, d'une part, loin de concerner le seul parc locatif, la problématique des logements indignes ou dégradés concerne également les propriétaires occupants, notamment dans les habitations traditionnelles . Les données compilées par la Fondation Abbé Pierre concernant les logements insalubres suggèrent que ces derniers concernent très majoritairement des propriétaires occupants et, dans une moindre mesure, des occupants sans titre, plutôt que des locataires, avec par ailleurs de grandes disparités entre les différentes régions de l'île 42 ( * ) .

Pour la Deal également, quoique l'attention médiatique soit focalisée sur les bailleurs sociaux, les 18 000 logements indignes ou insalubres repérés à La Réunion sont principalement le fait de propriétaires occupants (pour lesquels la qualification de non-décence n'existe pas) ou de locataires du parc privé. Pour M. Christian Prétot, sans méconnaître la nécessité de remédier dans les meilleurs délais aux cas de non-décence avérés, la problématique du logement non-décent dans le parc social demeure , avec quelques centaines de cas sur 80 000, statistiquement « marginale » .

La Deal a par ailleurs rappelé, pour expliquer la situation très dégradée du parc privé, la tension du marché locatif et le déficit de logements sociaux disponibles à La Réunion, notamment dans la partie ouest de l'île. Dans ce contexte, de nombreux ménages réunionnais sont confrontés à des difficultés d'accès au logement, que ce soit dans le parc privé ou dans le parc social .

Sept ménages réunionnais sur dix sont en effet éligibles au logement social , qui fait l'objet chaque année de près de 20 000 demandes de nouvelles entrées 43 ( * ) . Même si La Réunion se situe, comme la plupart des autres territoires d'outre-mer, dans la moyenne haute des régions françaises pour la part de logements sociaux (929 pour 100 000 habitants - soit 20 % du parc total de logements -, contre 776 en France métropolitaine 44 ( * ) , au 1 er janvier 2022, le nombre de logements sociaux ayant augmenté d'environ 30 % sur la décennie 2010-2020 45 ( * ) pour s'établir aujourd'hui à près de 82 000 logements 46 ( * ) , l'offre demeure insuffisante pour satisfaire la demande, dans un contexte de hausse régulière des loyers depuis dix ans , dans le parc social comme dans le parc privé 47 ( * ) .

En 2019, un tiers de la population réunionnaise (soit un total de 284 000 personnes 48 ( * ) ) bénéficiait d'une aide au logement . Pour rappel, le taux de pauvreté dans les départements et régions d'outre-mer est significativement supérieur à celui des autres régions françaises : en 2018, il s'élevait à La Réunion à près de 40 %, contre 14 % en moyenne nationale 49 ( * ) . De ce fait, la part des prestations sociales - dont les allocations de logement - dans le revenu disponible des ménages est particulièrement élevée par rapport à la situation métropolitaine 50 ( * ) .

C. PRENDRE EN COMPTE L'ENSEMBLE DE L'ÉCOSYSTÈME DU LOGEMENT POUR LUTTER CONTRE L'HABITAT DÉGRADÉ DANS LES OUTRE-MER

1. La nécessité d'objectiver la situation particulière des territoires d'outre-mer

Comme le relève la Fondation Abbé Pierre, à La Réunion, comme au niveau national, « les données relatives aux mauvaises conditions d'habitat et aux ménages concernés par la problématique sont très parcellaires » 51 ( * ) , malgré la récente mise en place d'outils de repérage et de traitement de l'habitat indigne, comme l'Observatoire réunionnais de l'habitat indigne, déployé depuis 2015 par l'Agorah, et, à partir de 2021, de l'Outil de repérage et de traitement de l'habitat indigne (Orthi).

L'Armos a ainsi souligné son incapacité, à ce stade, à objectiver la question du nombre de sinistres et d'habitats dégradés relevant des différentes catégories définies par la loi, par rapport à d'autres territoires. Un travail commun entre la CAF de La Réunion et l'Armos a néanmoins été récemment engagé, pour disposer d'une vision globale des délais de remise en état des logements non-décents dans le parc social, au-delà des tableaux de bord tenus par les différents bailleurs pour leur propre parc.

2. Étudier l'ensemble de l'écosystème du logement pour élaborer des solutions sur mesure pour l'outre-mer

Sur la base des informations recueillies lors des auditions, la rapporteure estime ainsi nécessaire, pour élaborer des solutions de lutte contre les logements dégradés en outre-mer, de prendre en compte une pluralité de facteurs - dont la plupart avaient déjà été identifiés dans le rapport d'information de la délégation aux entreprises - en intégrant les spécificités des territoires ultramarins, qu'il s'agisse des compétences et de l'organisation de la filière du BTP ou des normes et labels de construction, qui pourraient probablement être mieux adaptés afin de prendre en compte davantage les contraintes climatiques et environnementales propres aux territoires d'outre-mer (notamment une pluviométrie plus importante et le risque de cyclones) et, à l'intérieur de ces territoires, des différents « climats » 52 ( * ) .

*

* *

Au cours de sa réunion du 8 mars 2023, la commission des affaires économiques n'a pas adopté la proposition de loi n° 821 (2021-2022) visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d'une allocation de logement et vivant dans un habitat non-décent.

En application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 8 mars 2023, la commission a examiné le rapport de Mme Micheline Jacques sur la proposition de loi n° 821 (2021-2022) visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d'une allocation de logement et vivant dans un habitat non-décent.

Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Nous examinons maintenant le rapport de Mme Micheline Jacques sur la proposition de loi, présentée par M. Jean-Louis Lagourgue et plusieurs de ses collègues, visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d'une allocation de logement et vivant dans un habitat non-décent.

Mme Micheline Jacques , rapporteur . - La proposition de loi visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d'une allocation de logement et vivant dans un habitat non-décent porte sur un sujet sur lequel notre commission est régulièrement appelée à se prononcer, et dont la persistance, dans notre pays, ne cesse d'interroger. Sur l'ensemble du territoire français, ce sont aujourd'hui au moins 420 000 logements qui seraient indignes ; et encore, il ne s'agit là que d'une estimation minimale.

La situation est encore plus dégradée dans les outre-mer, comme nous l'avions constaté dans le rapport d'information sur la politique du logement en outre-mer que j'ai cosigné avec nos collègues Guillaume Gontard et Victorin Lurel au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer : il y aurait 110 000 logements indignes dans les départements et régions d'outre-mer, soit 13 % du parc.

Je voudrais remercier Jean-Louis Lagourgue, sénateur de La Réunion et auteur de cette proposition de loi, d'avoir à nouveau attiré notre attention non seulement sur la situation préoccupante des ménages confrontés à des logements non-décents sur l'ensemble du territoire national, mais aussi sur la situation particulièrement dégradée du logement en outre-mer. Ainsi que me l'ont confirmé l'ensemble des acteurs réunionnais auditionnés, La Réunion est confrontée à des difficultés aiguës dans ce domaine.

On recense à La Réunion 18 000 logements qualifiés d'indignes, soit 5 % du parc. Concernant spécifiquement la non-décence, le décompte officiel - quelques centaines de cas avérés par an - est sans aucun doute très au-dessous de la réalité. Cela concerne, en premier lieu, des problèmes d'infiltrations, dus soit à une mauvaise qualité de la couverture, soit à des défauts d'étanchéité des pièces d'eau. Au total, plus de la moitié des Réunionnais seraient confrontés, à un degré ou un autre, à des problèmes d'humidité dans leur logement. C'est considérable.

Ces difficultés, qui animent le débat public à La Réunion et font régulièrement la une des journaux, excèdent cependant largement le champ de la non-décence. Pour rappel, la notion de non-décence ne concerne, en droit, que le logement locatif. Elle a été introduite par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). Cette loi est venue préciser l'obligation faite au bailleur de délivrer un logement en bon état et répondant à des normes minimales de confort.

Les critères de décence ont été plusieurs fois renforcés. Pour être qualifié de décent, un logement doit notamment présenter une surface minimale et comporter un minimum d'équipements nécessaires à le rendre habitable, comme le chauffage, l'électricité, un système d'évacuation des eaux usées, etc. Il doit être exempt de nuisibles ou de parasites, et ne pas présenter de risques manifestes pour la sécurité ou la santé du locataire. Enfin, depuis le 1 er janvier 2023, en application de la loi Énergie-climat, les logements locatifs doivent satisfaire à certains critères de performance énergétique pour pouvoir être qualifiés de décents. Ces critères seront progressivement durcis jusqu'en 2034, date à laquelle l'ensemble des logements classés E, F et G ne pourront plus être loués.

Je précise que ces critères ne s'appliquent pas tous dans les territoires d'outre-mer. Les critères de performance énergétique, notamment, ne commenceront à s'y appliquer qu'en 2028.

Contrairement aux procédures relatives à l'indignité, à l'insalubrité ou au péril, qui relèvent des autorités administratives, la lutte contre la non-décence relève exclusivement d'une action privée, celle du locataire contre le bailleur. Si ce dernier refuse d'exécuter les travaux de remise en état d'un logement en situation de non-décence, le locataire peut en effet saisir le juge. Ce dernier peut notamment ordonner l'exécution des travaux, assortie d'une éventuelle réduction du montant du loyer pour toute la durée pendant laquelle le logement demeure non décent.

Pour inciter les bailleurs à effectuer ces travaux de remise en état, la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) a introduit un mécanisme de retenue des allocations de logement (dont le versement est conditionné à l'état de décence du logement occupé par le bénéficiaire) : si, à la suite d'un signalement effectué par un locataire, un logement est déclaré non-décent par la caisse d'allocations familiales (CAF) ou tout autre organisme habilité par la CAF, le versement des allocations de logement est suspendu jusqu'à sa remise en état, et pour une durée maximale de dix-huit mois. Durant cette période, le locataire n'est plus redevable que du reste à charge du loyer, diminué, donc, du montant de l'allocation de logement. Le propriétaire ne peut pas se prévaloir de cette diminution de loyer pour mettre un terme au bail.

Les allocations de logement retenues sont versées au propriétaire lorsque le logement a été mis en conformité. Si cette mise en conformité n'est pas intervenue au bout de dix-huit mois - qui peuvent être prolongés de six mois, sur demande motivée du bailleur -, les allocations de logement non versées sont définitivement perdues pour le bailleur. Le logement cesse d'être éligible aux allocations de logement, et le locataire, s'il souhaite y rester, doit alors s'acquitter du montant total du loyer.

L'article unique de la proposition de loi prévoit, en complément de ce dispositif, de consigner le reste à charge du loyer auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Le locataire continuerait de payer le loyer, mais ce dernier ne serait plus versé au bailleur. Dans la mesure où cette procédure de consignation viendrait se greffer sur la procédure de retenue des allocations de logement déjà existante, elle ne concernerait que les bénéficiaires d'allocations de logement. Elle s'appliquerait, en l'état de la rédaction de la proposition, à l'ensemble du territoire.

J'ai voulu évaluer l'intérêt de cette mesure en métropole, mais aussi plus spécifiquement à La Réunion. J'avais d'ailleurs envisagé de vous proposer une expérimentation du dispositif à la seule île de La Réunion, comme le propose désormais notre collègue Jean-Louis Lagourgue. Mais les auditions que j'ai menées auprès des services de l'État, des bailleurs sociaux et privés, des associations de locataires réunionnais, ainsi que les informations fournies par l'administration centrale, m'ont convaincue de l'inadéquation du dispositif proposé à l'objectif poursuivi, en métropole comme outre-mer.

En ce qui concerne l'utilité du dispositif, la procédure actuelle de retenue des allocations de logement semble efficace. Selon les services de l'État, plus de 95 % des procédures aboutiraient à une remise en état dans les délais impartis. Même si le pilotage est moins précis, les services déconcentrés de l'État à La Réunion estiment également que la très grande majorité des cas de non-décence sont réglés dans un délai inférieur à dix-huit mois.

Contrairement à la métropole, la procédure existante concerne également en outre-mer les bailleurs sociaux. Ces derniers m'ont affirmé que la privation du reste à charge du loyer n'influerait en rien sur leur diligence à traiter les cas de non-décence. Quant au caractère incitatif du dispositif proposé pour les bailleurs privés, il pourrait en théorie être renforcé par la mesure proposée, mais priver les propriétaires du versement du loyer résiduel reviendrait aussi à les priver, au moins pour les plus modestes, des ressources nécessaires pour financer les travaux requis.

Concernant plus spécifiquement La Réunion, cette crainte semble corroborée par le profil des propriétaires bailleurs réunionnais, tel que décrit dans un récent rapport de la Fondation Abbé Pierre qui soulignait justement le manque de moyens de ces derniers pour réhabiliter leurs logements.

Cette crainte semble également plausible, pour d'autres raisons, en métropole : l'entrée en vigueur des critères de performance énergétique rend nécessaire la rénovation de dizaines de milliers de logements locatifs, ce qui représente des investissements considérables pour les propriétaires. Une surreprésentation des passoires énergétiques dans les mises en vente de logements commence d'ailleurs à être observée ; ce sont autant de logements qui sortent du parc locatif. Or, la tension du marché locatif peut aussi indirectement favoriser le maintien dans des logements non-décents, lorsque les prix pratiqués sont trop élevés pour que les locataires osent quitter leur logement ou même tentent de faire valoir leurs droits auprès des bailleurs. C'est d'ailleurs aussi ce qui se passe à La Réunion, où le nombre de logements sociaux est très insuffisant pour répondre à la demande.

Mes interlocuteurs ont aussi attiré mon attention sur les risques pour les locataires d'une complexification de la procédure existante. Pour l'instant, après le signalement à la CAF, les locataires n'ont aucune démarche à effectuer pour que les allocations de logement cessent d'être versées au bailleur. Introduire une procédure active de consignation du reste à charge pourrait, si cette procédure était mal comprise, amener une partie des locataires à cesser de payer leur loyer, les exposant ainsi à une expulsion, au bon droit du propriétaire. Le dispositif demanderait donc a minima un peu d'ingénierie.

Par ailleurs, à l'écoute de mes interlocuteurs réunionnais, j'ai compris que le sujet qui a incité notre collègue à déposer cette proposition de loi dépassait largement le champ de l'habitat indécent. La plupart des cas évoqués relevaient clairement de l'habitat indigne ou insalubre, voire de situations de péril. Dans ces situations, il existe d'autres procédures plus rapides et des moyens plus coercitifs que la retenue d'une partie du loyer pour contraindre le propriétaire à faire des travaux. Que ces procédures ne soient pas mises en oeuvre par les acteurs qui en ont le pouvoir en temps utile est un autre problème ; à chacun de prendre ses responsabilités. Mais le dispositif proposé ne permettra pas d'y remédier, ni en métropole ni à La Réunion.

En revanche, ces entretiens ont mis en lumière une série de difficultés touchant le secteur du logement et de la construction à La Réunion. La Société d'économie mixte d'aménagement de développement et d'équipement de La Réunion (Semader), qui est l'un des principaux bailleurs sociaux de l'île, m'a, par exemple, indiqué que la moitié des logements de son parc actuellement déclarés non-décents avaient été construits dans la dernière décennie. J'ai reçu plusieurs témoignages concernant des immeubles décents avant une opération de réhabilitation, qui étaient devenus non-décents à l'issue de la réhabilitation.

Plusieurs facteurs explicatifs ont été évoqués : les fragilités générales du secteur des bâtiments et travaux publics (BTP), caractérisé, à La Réunion, par une majorité de petites entreprises peu à même d'effectuer des opérations de réhabilitation de grande ampleur ; les difficultés d'approvisionnement en matériaux de qualité ; un déficit d'encadrement intermédiaire des chantiers et de contrôle qualité dans les entreprises ; des compétences à renforcer pour mettre en oeuvre les nouvelles normes de construction et pour être en mesure de traiter les problèmes complexes comme les infiltrations ; l'inadaptation de certaines normes aux territoires ultramarins ; ou encore, les lourdeurs administratives liées à la mobilisation de la garantie décennale, qui empêcheraient les bailleurs d'intervenir aussi rapidement qu'ils le voudraient sur des désordres pourtant aisément « diagnosticables ».

Je demeure convaincue que, pour élaborer des stratégies efficaces de lutte contre l'habitat dégradé, sur le territoire réunionnais et plus largement dans les outre-mer, il faut prendre en compte l'ensemble de l'écosystème, et pas simplement les locataires et les bailleurs, qui sont en bout de chaîne.

Mais comme le savez, en vertu du gentleman's agreement , la commission ne peut modifier le texte d'une proposition de loi qu'avec l'accord du groupe auteur de la demande d'inscription. En cas de désaccord, elle ne peut que le rejeter, afin de permettre son examen article par article en séance publique. Notre collègue Jean-Louis Lagourgue n'a pas souhaité soutenir une motion de renvoi en commission, qui aurait pourtant permis d'entamer un travail de fond sur ce sujet qui le préoccupe à juste titre. En conséquence, je vous propose de rejeter l'article unique de la proposition de loi.

Concernant le périmètre de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer que sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives à la consignation du reste à charge des loyers dus par le locataire bénéficiaire d'allocations de logement, lorsqu'est constatée la non-décence du logement et qu'est mise en oeuvre une procédure de retenue temporaire des allocations de logement.

Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Avant de laisser la parole à nos collègues, Franck Menonville va s'exprimer au nom de Jean-Louis Lagourgue, qui ne peut être présent aujourd'hui.

M. Franck Menonville , au nom de M. Jean-Louis Lagourgue . - Cette proposition de loi (PPL), initialement déposée à l'Assemblée nationale par le député David Lorion issu du groupe Les Républicains, comptait une trentaine de signataires : six députés de La Réunion, quatre autres députés ultramarins et d'autres députés encore, issus de rangs divers. Cosignée par l'ensemble des sénateurs de La Réunion, tant par la droite que par la gauche, cette PPL porte un dispositif simple et efficace : dès lors que les allocations de logement sont suspendues pour cause de non-décence, le loyer doit, quant à lui, être consigné et n'être reversé que lorsque les travaux de mise en conformité auront été réalisés.

Ce dispositif n'est que le prolongement du droit actuel. Jean-Louis Lagourgue comprend parfaitement qu'un dispositif d'application général et définitif puisse susciter quelques hésitations. Conscient que le problème du logement à La Réunion résulte de plusieurs facteurs, il estime toutefois nécessaire de commencer à légiférer sans attendre de le régler totalement.

Il propose de voter son amendement visant à restreindre le dispositif de la PPL au seul territoire de La Réunion et pour une durée limitée. Cela aurait le mérite de prendre en compte les difficultés urgentes que connaît ce territoire spécifique. Les données de l'expérimentation pourraient ainsi servir de base de travail pour une réforme de plus grande ampleur.

M. Daniel Salmon . - Vous avez évoqué le fait que 95 % des problèmes étaient solutionnés par cette retenue du loyer. Mais quel est le résultat en termes de rythme de rénovation ? Si peu de logements sont déclarés non décents et que les consignations portent sur peu de loyers, cela ne donne pas une idée de la progression. Comment faire en sorte que la publicité fonctionne et que les incitations soient efficaces pour avoir une vraie progression ?

Mme Micheline Jacques , rapporteur . - À l'origine, cette PPL visait plus particulièrement les bailleurs sociaux. Lors des auditions, nous nous sommes aperçus que le nombre de cas déclarés non-décents avoisinait, à La Réunion, les quelques centaines par an. Le sens de la notion de « non-décence » est parfois méconnu. Parmi les logements en situation de péril qui présentent d'importants problèmes structurels, certains ont moins de dix ans. Des garanties décennales entrent en jeu, ce qui allonge considérablement les délais.

La principale problématique concerne le parc privé. Comme nous l'a expliqué la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal), beaucoup de propriétaires présentent eux-mêmes des difficultés financières et peinent à financer les travaux ; la Deal s'efforce de régler cette situation.

Mme Amel Gacquerre . - L'accompagnement des bailleurs me semble être, en effet, le sujet important. Dans le cadre de la commission d'enquête sur la rénovation énergétique, on constate la présence d'une multitude d'acteurs et de dispositifs qui ne s'adressent pas à tous ces bailleurs éprouvant des difficultés à rénover leur logement. Il faut pouvoir accompagner ces bailleurs.

M. Daniel Salmon . - Vous avez évoqué le chiffre de quelques centaines de consignations par an, alors que l'on dénombre plusieurs dizaines de milliers de logements non-décents à La Réunion ; l'écart est énorme. Clairement, il convient de progresser dans l'accompagnement des bailleurs.

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - La situation est toujours difficile pour les bailleurs privés. Se pose la question du professionnalisme mis en oeuvre afin de pouvoir accompagner et faire en sorte que les travaux soient bien réalisés.

Concernant les bailleurs sociaux, il est possible de mobiliser l'État ; je pense aux conventions d'utilité sociale (CUS) signées entre l'État et les bailleurs. Le préfet doit pouvoir exiger, dans les CUS, des objectifs de connaissance de l'habitat insalubre et un plan résorption s'inscrivant dans la durée.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

Mme Micheline Jacques , rapporteur . - L'amendement COM-1 rectifié vise à restreindre l'application du dispositif proposé au seul territoire de La Réunion pour une durée limitée, à titre d'expérimentation. Les arguments faisant douter de l'adéquation du dispositif proposé par la PPL à l'objectif poursuivi par son auteur sont tout aussi valables à La Réunion que sur le reste du territoire national.

Les acteurs réunionnais interrogés ont confirmé la grande efficacité de la procédure actuelle de retenue des allocations de logement ; on peut donc s'interroger sur le gain à attendre d'un durcissement de la mesure, avec la consignation du reste à charge.

En revanche, le risque que le dispositif fragilise les propriétaires modestes et les locataires semble réel, à La Réunion comme en métropole. Concernant les propriétaires, le risque est exacerbé par le profil des bailleurs privés, dont une large part est constituée de propriétaires modestes, vivant dans des conditions similaires à celles de leurs locataires, et qui manquent souvent de ressources suffisantes pour réhabiliter ces logements. En outre, si le critère de performance énergétique ne s'applique pas pour l'instant à l'outre-mer, il y entrera progressivement en vigueur à partir de 2028, ce qui induira des coûts supplémentaires pour les bailleurs.

A contrario , dans le parc social qui serait aussi couvert par le champ du dispositif à La Réunion, le dispositif ne semble pas pouvoir avoir d'effet incitatif sur les bailleurs, pour lesquels le manque à gagner serait marginal. En revanche, le risque d'exposition à des situations d'impayés de locataires déjà en situation de vulnérabilité, victimes d'une mauvaise compréhension du dispositif, est tout à fait identifié par les services déconcentrés de l'État à La Réunion.

Pour ce qui concerne plus spécifiquement La Réunion, les problèmes de dégradation du logement y excèdent le plus souvent le cadre de la simple non-décence, et relèvent plus fréquemment de l'insalubrité, de l'indignité ou du péril, pour lesquels il existe d'autres procédures administratives, y compris des procédures d'urgence, afin de protéger les locataires. La plus-value du dispositif proposé n'apparaît donc pas évidente pour ces cas typiques du territoire réunionnais.

In fine , c'est tout l'écosystème réunionnais du logement et plus spécifiquement de la construction qu'il faut réformer si l'on veut résoudre le problème de la dégradation des logements, et pas seulement les rapports contractuels entre les locataires et les propriétaires ; cela n'est fait ni par la PPL, ni par cet amendement.

Je note deux écueils supplémentaires quant à cette idée d'expérimentation. D'une part, aucun argument ne justifie la dérogation au principe d'égalité que constituerait, malgré son caractère temporaire et limité, une telle expérimentation. La situation du logement à La Réunion est difficile, mais n'est pas plus dramatique que dans d'autres territoires ultramarins. D'autre part, le régime des allocations de logement n'étant pas le même en outre-mer et en métropole, le bilan d'une telle expérimentation ne serait pas probant pour déterminer s'il faudrait ou pas étendre le dispositif à l'ensemble du territoire national. Il s'agirait donc moins d'une réelle expérimentation que d'un dispositif dérogatoire temporaire au bénéfice d'un seul territoire. Pour toutes ces raisons, je propose un avis défavorable.

L'amendement COM-1 rectifié n'est pas adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 bis
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis » , le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 53 ( * ) .

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 54 ( * ) .
Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 55 ( * ) . Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial 56 ( * ) .

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des affaires économiques a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 8 mars 2023, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 821 (2021-2022).

Elle a considéré que sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives à la consignation du reste à charge des loyers dus par le locataire bénéficiaire d'allocations de logement, lorsqu'est constatée la non-décence du logement et qu'est mise en oeuvre une procédure de retenue temporaire des allocations de logement.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Vendredi 17 février 2023

- M. Jean-Louis LAGOURGUE , sénateur de La Réunion, auteur de la proposition de loi.

Lundi 20 février 2023

- Confédération nationale du logement (CNL) : M. Erick FONTAINE , administrateur.

Mardi 21 février 2023

- Société d'économie mixte d'aménagement, de développement et d'équipement de La Réunion (Semader) : M. Frédéric SOUVERAIN , directeur Relation clientèle et dynamique territoriale.

- Société anonyme d'habitations à loyer modéré de la Réunion (SHLMR) : Mme Valérie LENORMAND , directrice générale.

- Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM) : M. Philippe ROBIN , président de la FNAIM Océan indien.

Jeudi 23 février 2023

- Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal) de La Réunion : MM. Philippe GRAMMONT , directeur et Christian PRETOT , chef du service Habitat - logement social.

- Agence départementale d'information sur le logement (ADIL) de La Réunion : M. Pascal FOUQUE , directeur et animateur Pôle département de lutte contre l'habitat indigne (PDLHI).

- Association des maîtres d'ouvrages sociaux océan indien (Armos-oi) : M. Denis CHIDAINE , délégué.

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP)

- Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ)

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl21-821.html


* 1 Rapport d'information n° 728 (2020-2021) de M. Guillaume Gontard, Mme Micheline Jacques et M. Victorin Lurel, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, intitulé « La politique du logement dans les outre-mer », déposé le 1 er juillet 2021, p. 99.

* 2 Agence pour l'observation de La Réunion, l'aménagement et l'habitat (Agorah), Observatoire de l'habitat indigne , 2020.

* 3 Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.

* 4 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

* 5 Décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l'application de l'article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

* 6 Modification introduite par le décret n° 2017-312 du 9 mars 2017 modifiant le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour application de l'article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

* 7 Pour une location de logement vide, hors colocation : au moins une pièce principale d'au moins 9 m², avec une hauteur sous plafond d'au moins 2,20 m, ou un volume habitable d'au moins 20 m 3 .

* 8 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, notamment son article 17.

* 9 Modification introduite par les décrets n° 2021-19 du 11 janvier 2021 et n° 2021-872 du 30 juin 2021.

* 10 1 de l'article 3 du décret du 30 janvier 2002.

* 11 Dernier alinéa de l'article 3 du décret du 30 janvier 2002.

* 12 2 de l'article 2 du décret du 30 janvier 2002.

* 13 Art. 3 bis du décret du 30 janvier 2022.

* 14 Notion introduite par la loi « Besson » de 1990, et actuellement définie par l'article 84 de la loi n° 2099-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion comme « les locaux ou les installations utilisées aux fins d'habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi que les logements dont l'état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité ou à leur santé ».

* 15 Défini à l'article L. 1331-26 du code de la santé publique comme un logement qui constitue « soit par lui-même, soit par les conditions dans lesquelles il est occupé ou exploité, un danger pour la santé des occupants ou des voisins » .

* 16 Art. 5 du décret du 30 janvier 2002.

* 17 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

* 18 Cf. notamment Fondation Abbé Pierre, L'état du mal-logement en France 2022. Rapport annuel #27 , p. 256.

* 19 Fondation Abbé Pierre, Rapport annuel #27 , p. 259 (d'après données Insee).

* 20 Rapport d'information n° 728 (2020-2021) précité, p. 99.

* 21 Fondation Abbé Pierre, L'état du mal-logement en France 2021. Rapport annuel #26. Éclairage régional Île de La Réunion , p. 52.

* 22 Ibid .

* 23 Ibid. , p. 55.

* 24 Agorah, Observatoire réunionnais de l'habitat indigne , 2019 (http://www.agorah.com/upload/habitat/plaquette %20orhi-light2019.pdf).

* 25 Fondation Abbé Pierre, Rapport annuel #26. Éclairage régional île de La Réunion , p. 50.

* 26 Loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer.

* 27 Rapport d'information n° 728 (2020-2021) précité, p. 101.

* 28 Fondation Abbé Pierre, Rapport annuel #26 , p. 59.

* 29 Ibid. , p. 91.

* 30 Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.

* 31 Art. R. 843-2 du code de la construction et de l'habitat.

* 32 Fondation Abbé Pierre, Rapport annuel #27 , p. 74.

* 33 Mise en place de la mesure de conservation de l'allocation de logement en cas de non-décence du logement. Organisation partenariale, mise en oeuvre opérationnelle et résultats. Enquête des réseaux Anil/Adil et Cnaf/Caf , 2019, p. 12-13.

* 34 Fondation Abbé Pierre, Rapport annuel #27 , p. 271.

* 35 Fondation Abbé Pierre , Rapport annuel #26. Éclairage régional île de La Réunion.

* 36 https://www.insee.fr/fr/statistiques/6541 392.

* 37 Mise en place de la mesure de conservation de l'allocation de logement en cas de non-décence du logement. Organisation partenariale, mise en oeuvre opérationnelle et résultats. Enquête des réseaux Anil/Adil et Cnaf/Caf , 2019, p. 14.

* 38 Loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer.

* 39 Rapport n° 728 précité, p. 118-120.

* 40 Cette problématique est bien identifiée, notamment dans le Plan logement outre-mer 2019-2022 (mesure 2.2.5).

* 41 Le président de la Fédération régionale du bâtiment et des travaux publics a récemment dénoncé la flambée des matériaux de construction (interview sur Réunion la 1è re , 23 février 2023) qui, si elle était avérée, pourrait encore aggraver la situation.

* 42 Fondation Abbé Pierre, Rapport annuel #26. Éclairage régional Île de La Réunion , p. 60.

* 43 Insee La Réunion-Mayotte, Pauvreté et précarité à La Réunion, 2019.

* 44 Insee, Logements sociaux au 1 er janvier 2022. Comparaisons régionales et départementales ( https://www.insee.fr/fr/statistiques/2134 423).

* 45 Fondation Abbé Pierre , Rapport annuel #26. Éclairage régional île de La Réunion , p. 14.

* 46 Chiffres fournis par l'Armos.

* 47 Fondation Abbé Pierre , Rapport annuel #26. Éclairage régional île de La Réunion , p. 16.

* 48 Fondation Abbé Pierre, Rapport annuel #26. Éclairage régional île de La Réunion , p. 36, à partir des données CAF.

* 49 Insee, Pauvreté et précarité à La Réunion , mars 2019.

* 50 Données Insee 2017.

* 51 Fondation Abbé Pierre , Rapport annuel #26. Éclairage régional île de La Réunion , p. 50.

* 52 Les bailleurs sociaux ont notamment invité à se repencher sur la Réglementation thermique, acoustique et aération des logements neufs outre-mer (« RTAA DOM ») de 2016.

* 53 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 54 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 55 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 56 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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