N° 1074


ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

N° 509


SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 6 avril 2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 avril 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission mixte paritaire(1) chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi
portant amélioration de l' accès aux soins par la confiance
aux
professionnels de santé ,

PAR Mme Stéphanie RIST,
Rapporteure,

Députée

PAR Mme Corinne IMBERT,
Rapporteure,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche, sénatrice, présidente ; Mme Fadila Khattabi, députée, vice-présidente ; Mme Corinne Imbert, sénatrice, Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteures .

Membres titulaires : M. Jean Sol, Mme Élisabeth Doineau, M. Bernard Jomier, Mme Émilienne Poumirol, M. Abdallah Hassani, sénateurs ; Mmes Charlotte Parmentier-Lecocq, Joëlle Mélin, Ségolène Amiot, MM. Yannick Neuder, Cyrille Isaac-Sibille, députés.

Membres suppléants : Mme Pascale Gruny, M. Laurent Burgoa, Mmes Florence Lassarade, Brigitte Devésa, Annie Le Houerou, Véronique Guillotin, Laurence Cohen, sénateurs ; MM. Jean-François Rousset, Christophe Bentz, Mme Caroline Fiat, M. Frédéric Valletoux, Mme Sandrine Rousseau, MM. Yannick Monnet, Paul-André Colombani, députés.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 e législ.) :

Première lecture : 362 , 680 et T.A. 65

Sénat :

Première lecture : 263 , 328 , 329 et T.A. 57 (2022-2023)
Commission mixte paritaire : 510 (2022-2023)

TRAVAUX DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Mesdames, Messieurs,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de la Première ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé se réunit au Sénat le jeudi 6 avril 2023.

Elle procède tout d'abord à la désignation de son Bureau, constitué de Mme Catherine Deroche, sénatrice, présidente, de Mme Fadila Khattabi, députée, vice-présidente, de Mme Corinne Imbert, sénatrice, rapporteure pour le Sénat, et de Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

*

* *

Mme Catherine Deroche , sénatrice, présidente . - Je souhaite la bienvenue à nos collègues de l'Assemblée nationale pour cette commission mixte paritaire (CMP).

Mme Fadila Khattabi, députée, vice-présidente . - La nuit fut longue ; quelques points restent en discussion. J'espère que nous pourrons aboutir sur le sujet de l'accès aux soins, particulièrement sensible pour nos concitoyens. Il sera peut-être nécessaire de suspendre la réunion pour parvenir à un compromis.

Mme Catherine Deroche , sénatrice, présidente . - Nous verrons, après les interventions de chacun, quels points restent encore en discussion.

Mme Corinne Imbert , rapporteure pour le Sénat . - Le Sénat a déploré le calendrier d'examen de la proposition de loi qui nous réunit ce matin et les tensions que celle-ci a suscitées entre les professionnels de santé. Inscrit à l'ordre du jour de nos travaux le 14 février dernier, ce texte a contribué à détériorer le climat de négociation, déjà difficile, de la nouvelle convention médicale, avec l'issue que nous connaissons désormais. Attendu des professionnels paramédicaux, il a, au contraire, suscité la colère de nombreux médecins.

Je regrette que ce texte n'ait pas pu faire l'objet d'un débat plus serein, tant les sujets qu'il aborde sont essentiels pour l'organisation de notre système de soins et la valorisation des professions de santé. Convaincu de leur importance, le Sénat a d'ailleurs tâché de retenir, lors de son examen, une approche équilibrée et constructive.

Aussi avons-nous adopté les mesures les mieux à même de faciliter le parcours du patient et de valoriser les compétences des professionnels de santé. En revanche, notre chambre a choisi d'amender ce texte chaque fois que cela lui paraissait nécessaire pour réduire les tensions parmi les professions de santé, pour garantir la sécurité des soins et pour préserver le rôle du médecin dans le suivi du patient.

À l'issue de la première lecture, seize articles demeurent en discussion ce matin. En effet, sur les dix-neuf articles que comptait le texte adopté par l'Assemblée nationale, le Sénat en a supprimé trois et adopté cinq sans modification. Il a, par ailleurs, adopté trois nouveaux articles.

Sans ménager plus longtemps l'effet de surprise, il me semble qu'il nous sera difficile d'obtenir un accord ce matin. Je tiens toutefois à remercier la rapporteure Stéphanie Rist pour les échanges que nous avons menés avant cette réunion.

Pourtant, notons d'emblée que les textes adoptés par nos deux chambres se rejoignent sur de nombreux points.

Sans en faire la liste exhaustive, je me réjouis, en premier lieu, que nous soutenions les nouvelles compétences attribuées aux assistants dentaires de niveau II, en encadrant leur nombre dans un même lieu d'exercice. Cette évolution de leurs missions, après une formation adéquate, est attendue de longue date par les chirurgiens-dentistes comme par les assistants dentaires eux-mêmes.

De même, le Sénat a adopté les articles, introduits par l'Assemblée nationale, visant à réformer le diplôme de préparateur en pharmacie dans une optique de montée en qualification de la profession et à reconnaître comme profession de santé les assistants de régulation médicale afin de renforcer l'attractivité de ce métier.

L'Assemblée nationale et le Sénat se sont également accordés pour étendre les compétences reconnues aux pédicures-podologues, aux professionnels de l'appareillage médical, ainsi qu'aux opticiens-lunetiers. Il s'agit là d'ajustements à même de faciliter le parcours du patient et d'éviter des actes inutiles.

Enfin, attachée depuis longtemps au développement de la pratique avancée, notre chambre a adopté les dispositions visant à autoriser les infirmiers en pratique avancée (IPA) à prescrire certains produits et prestations soumis à prescription médicale obligatoire.

D'autres volets du texte ont, en revanche, fait apparaître des divergences entre nos deux assemblées, que nos échanges préalables entre rapporteures n'ont pas permis de dépasser.

Si le Sénat a voté les dispositions permettant aux sages-femmes et aux infirmiers de concourir à la permanence des soins ambulatoires, il a, en revanche, souhaité supprimer celles qui consacrent la « responsabilité collective » des praticiens en la matière. Ces dernières inquiétaient inutilement les professionnels de santé, sans revenir sur le principe du volontariat.

Dans le même objectif d'apaisement, le Sénat a supprimé les dispositions relatives à l'engagement territorial des médecins, jugeant que celles-ci interféraient inutilement avec les négociations en cours de la prochaine convention médicale et en détérioraient le climat. Le contrat d'engagement territorial, proposé par la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), a d'ailleurs été largement rejeté par les syndicats quelques semaines plus tard.

Enfin, si le Sénat a validé le principe d'un accès direct aux infirmiers en pratique avancée, aux masseurs-kinésithérapeutes et aux orthophonistes, il a toutefois souhaité le réserver, s'agissant des infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes, aux structures d'exercice coordonné les plus intégrées. Il s'agit du désaccord le plus substantiel auquel nous avons été confrontés au cours de nos échanges.

Je demeure convaincue, en effet, que cette mesure n'est souhaitable que dans le cadre d'une relation de confiance entre professionnels médicaux et paramédicaux, construite dans la prise en charge d'une patientèle commune. La participation à une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) ne suffit pas à faire la preuve d'une telle confiance : c'est pourquoi nous avons refusé d'en faire une condition suffisante à l'accès direct.

Sur deux de ces trois sujets sensibles, nous aurions pu parvenir à un accord, mais je constate que nos discussions ont achoppé sur la question des consultations dans les CPTS.

En conditionnant l'accès direct à une coopération effective entre soignants, la solution portée par le Sénat constitue pourtant une voie raisonnable, susceptible d'apaiser les tensions entre les professionnels de santé, et ce dans l'intérêt des patients.

Dans ces conditions, je crains que nous ne devions constater ce matin que les positions de nos deux assemblées ne sont pas conciliables. Je regrette que, sur un texte ayant suscité tant d'oppositions au sein des professions de santé, l'Assemblée nationale n'ait pas saisi la main tendue par le Sénat.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure pour l'Assemblée nationale . - Nous examinons en commission mixte paritaire cette proposition de loi que j'ai déposée avec mon groupe Renaissance à l'automne dernier. Elle s'inscrit dans le prolongement des travaux engagés depuis plusieurs années, notamment de la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification.

Le développement des partages d'activité apparaît incontournable pour valoriser à leur juste niveau les compétences des professionnels de santé, et pour permettre aux Français, en particulier aux plus fragiles, d'accéder aux soins, même si j'ai bien conscience que cette proposition de loi ne réglera pas à elle seule des problèmes que nous connaissons tous très bien.

Cette proposition de loi, qui suscite de fortes attentes, a fait l'objet de longues concertations avec les professionnels de santé au cours de ces derniers mois. Comportant initialement quatre articles, elle en compte désormais dix-huit, à la suite de l'examen de nos deux assemblées, ce qui témoigne de la richesse des débats.

Permettez-moi d'abord de revenir sur nos points d'accord, avant d'évoquer les points sur lesquels nos deux assemblées divergent jusqu'à présent.

Je me réjouis de l'adoption conforme de quatre articles, notamment de l'article 3, qui permet l'ouverture d'un accès direct aux orthophonistes exerçant dans une structure de soins coordonnée, y compris aux professionnels travaillant dans le cadre d'une communauté professionnelle territoriale de santé à condition que le projet de santé le prévoie.

L'examen du texte par le Sénat a montré que d'autres articles de la loi, bien qu'adoptés dans des termes différents, ont fait l'objet d'une convergence de vue. Vous avez apporté d'utiles précisions à l'article 4 bis qui vise à encadrer le nombre d'assistants dentaires ; à l'article 4 decies qui reconnaît les assistants de régulation médicale comme profession de santé ; ou encore à l'article 4 terdecies qui prévoit une expérimentation des prélèvements cervico-vaginaux par les pharmaciens biologistes dans le cadre du dépistage du cancer du col de l'utérus.

À l'issue de l'examen du texte, force est de constater que députés et sénateurs n'ont pas réussi à converger sur plusieurs articles. C'est le cas en particulier de l'article 1 er sur les infirmiers en pratique avancée, qui a fait l'objet de multiples amendements, que ce soit sur la primoprescription, les conditions d'accès à la pratique avancée ou la structuration de cette profession. C'est aussi le cas de l'article 2 relatif aux masseurs-kinésithérapeutes, concernant le nombre maximal de séances possibles en accès direct, la prise en charge prioritaire des patients en affection de longue durée (ALD), ou encore la question du versement du compte rendu et du bilan initial de la consultation dans le dossier médical partagé (DMP) du patient.

Par ailleurs, plusieurs articles introduits par l'Assemblée nationale ont été supprimés par le Sénat. Tel est le cas de la possibilité pour les masseurs-kinésithérapeutes de prescrire une activité physique adaptée aux personnes atteintes d'une ALD par exemple, ou d'une demande de rapport sur les dispositions de la loi du 13 août 2004 qui conditionnent la prise en charge d'une consultation chez un spécialiste à un adressage préalable par un médecin généraliste. Il en va de même du principe de responsabilité collective des professionnels de santé pour assurer la permanence des soins, et de l'article relatif à la valorisation de l'engagement territorial des médecins. Ces évolutions envoient à mon sens un mauvais signal à nos concitoyens, qui attendent des réponses de notre part pour leur permettre d'accéder plus facilement à une offre de soins.

Le point de désaccord le plus substantiel porte sur la question de l'accès direct aux professionnels de santé dans le cadre d'un exercice coordonné. Le Sénat a supprimé les dispositions permettant à un patient de consulter en première intention un infirmier en pratique avancée, un infirmier pour la prévention et le traitement des plaies, ou un masseur-kinésithérapeute, dans le cadre d'une CPTS, alors même que cette disposition a été adoptée conforme pour les orthophonistes... Je rappelle que nous avions trouvé un compromis en séance à l'Assemblée nationale en prévoyant que seules seraient concernées les CPTS ayant défini dans leur projet de santé les modalités de prise en charge et de coordination. Il s'agit donc d'ouvrir une telle possibilité non pas pour toutes les CPTS, mais uniquement pour celles qui ont développé un véritable projet dans lequel le médecin, tout en restant le pivot du parcours de soins, n'en constitue plus nécessairement la porte d'entrée. La suppression pure et simple de ces dispositions diminue nettement la portée de cette proposition de loi. En l'état, il s'agit d'un point particulièrement bloquant, sur lequel nous devrons revenir aujourd'hui ou, à défaut d'accord, en nouvelle lecture à l'Assemblée.

M. Bernard Jomier , sénateur . - Nous sommes confrontés à un défi important, l'accès aux soins, qui fait écho à une préoccupation que l'on retrouve sur tout le territoire, la question des déserts médicaux. Nous devons imaginer une évolution permettant un nouveau partage des tâches entre les professionnels de santé, sans désorganiser les parcours de soins. Si nous ne tenons pas les deux bouts de cette équation, nous aboutirons à un système qui accroîtra les inégalités territoriales, car les patients des grandes métropoles comme Paris auront toujours accès à un médecin en face à face, mais ceux d'autres territoires ne pourront accéder qu'à d'autres professionnels de santé, peut-être même ne les voir qu'à travers un écran d'ordinateur. Cette inégalité territoriale, qui recoupe souvent des inégalités sociales d'ailleurs, nous ne l'acceptons pas.

Nous voulons envisager une évolution du partage des tâches entre les professionnels, en tenant compte de ces impératifs, sans que cette évolution se fasse contre les professionnels de santé. Pour des raisons multiples, ces derniers rencontrent de grandes difficultés. La pénurie de médecins désorganise tout, et il n'y a rien de plus difficile pour une société que de répondre de manière juste à une situation de pénurie. Or nous sommes inquiets : la pénurie de médecins est durable, notamment parce que l'effort de formation n'est pas suffisant. Au-delà des effets de communication, notre pays n'a augmenté que de 12 à 15 % le nombre de médecins formés, alors que l'augmentation devrait être bien plus importante. Du fait de la dégradation de leurs conditions de travail, les jeunes commencent même à abandonner cette profession, ce qui était inimaginable il y a encore quelques années.

Nous ne pouvons pas adopter des propositions en la matière en nous opposant à une catégorie de soignants, quelle qu'elle soit. Notre devoir de législateur est de proposer un projet sur lequel les professionnels, au-delà des conservatismes de chacun, puissent s'accorder.

Nous avons beaucoup avancé sur différents points lors de l'examen du texte. Certaines questions peuvent être réglées, notamment pour les kinésithérapeutes. Mais le point central, c'est une meilleure reconnaissance du rôle des infirmiers, et une meilleure valorisation de leur place dans les parcours de soin. Nous y sommes tout à fait favorables.

Le cadrage actuel du texte, établi par le Sénat, rend possible l'accès direct aux IPA. Les postures ne sont pas idéologiques : concrètement, le cadre proposé par le Sénat permettra l'exercice en ville de nombreux IPA. Je ne vous fais pas l'injure de vous rappeler qu'actuellement, en ville, il n'y a que 200 IPA, ou que leur formation, qui dure deux ans, doit être financée. J'entends les réticences d'autres professionnels de santé par rapport à l'ouverture trop générale du dispositif sur l'ensemble du territoire, mais l'ouverture proposée par le Sénat est raisonnable. Il sera temps, dans quelques années, lorsque ces IPA auront démontré leur utilité, d'étendre ce dispositif.

Arrêtons de produire des lois de posture, qui prétendent résoudre tous les problèmes à la fois, mais qui restent à peu près inapplicables. J'ai entendu les rapporteures, et je pense que l'on peut progresser. Je demande une suspension de séance pour que nous puissions trouver un terrain d'entente.

M. Cyrille Isaac-Sibille, député . - Nous partageons les mêmes constats : des professions connaissent des tensions de tous ordres, qu'il s'agisse de la démographie, de la perte de sens ou de l'attractivité... Effectivement, différentes professions sont concernées ; nous avons une responsabilité : si nos deux chambres, par l'intermédiaire de quatorze représentants, ne peuvent pas trouver un consensus, comment voulez-vous que ces professions y arrivent, et que les Français continuent à discuter ? Cette CMP doit aboutir. Je n'imagine pas une nouvelle lecture à l'Assemblée, où l'on ne tiendrait pas compte du travail du Sénat : personne n'y gagnerait. Je demande également une suspension de la réunion ; je vous en implore, trouvons une solution.

Mme Joëlle Mélin, députée . - Le Rassemblement national s'est positionné assez vite sur cette proposition de loi, en partageant le constat que toute profession, en raison des techniques nouvelles liées à l'informatisation et à l'intelligence artificielle, doit évoluer. Peut-être que la médecine telle que je l'ai pratiquée ne peut plus s'appliquer maintenant, tant pour les médecins généralistes ou spécialistes, les médecins hospitaliers ou de ville, que pour les multiples formes d'exercice des paramédicaux. Pour chaque profession, il faut revoir le coeur des métiers et les manières d'exercer.

En revanche, le transfert de tâches sous-tendu par cette proposition de loi doit se réaliser sereinement. Beaucoup de paramédicaux ne demandent pas autant de possibilités que celles qui sont prévues par le champ de cette proposition de loi : certains infirmiers sont satisfaits de leurs compétences actuelles, et ce texte serait de nature à déséquilibrer leur exercice. En cas de pénurie de médecins, les infirmiers doivent parfois prendre seuls des décisions sans être complètement assurés... Nous connaissons la réaction des médecins devant ce texte. Certes, les kinésithérapeutes attendent l'élargissement de leur champ de compétences et l'autorisation d'exercer sans prescription, après l'autorisation d'exercer sans diagnostic médical préalable. On arrive à une forme de médecine totale : faire un diagnostic, chercher dans ses connaissances pour proposer un traitement, se donner les moyens que ce traitement soit appliqué...

Monsieur le sénateur, je partage votre position. Donnons-nous le temps de trouver une rédaction assouplie. La proposition du Sénat nous semble acceptable. Trouvons un compromis et une solution. Madame la vice-présidente, vous avez indiqué lors des auditions que vous souhaitiez qu'il y ait d'autres étapes à la suite de ce texte. Nous sommes d'accord, mais il ne faut peut-être pas aller si vite. La profession médicale a été très touchée par cette pénurie qui s'est mise en place voilà plus de quarante ans. Petit à petit, cette profession est dépouillée de toutes ses prérogatives, à juste titre ou non. Il faut arriver à une conclusion aujourd'hui.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure pour l'Assemblée nationale . - Je vous rejoins : une CMP conclusive permettrait peut-être d'apaiser des tensions entre professionnels ; en responsabilité, nous devons essayer de les diminuer. Le rôle du généraliste dans le parcours du patient est central. Compte tenu du mur du vieillissement qui se dresse devant nous, celui-ci sera indispensable dans les années qui viennent.

Il ne s'agit pas d'une loi de posture, cependant. La semaine dernière, en allant voir différentes CPTS dans les territoires, nous avons constaté une certaine hétérogénéité. Mais certaines CPTS sont déjà organisées, et attendent les dispositions de cette loi. Elles sont d'ailleurs parfois presque dans une forme d'illégalité, car elles permettent parfois ce partage.

Tous les professionnels de santé, les médecins comme les IPA, doivent retrouver de la sérénité, et nous devons leur donner des raisons d'espérer. Certaines étudiantes de première année pour devenir IPA nous demandent si elles devront s'arrêter en cours d'études... Que voulez-vous qu'on leur réponde ? Je suis d'accord pour avancer : j'entends les gens parfois très réfractaires à ces CPTS, et l'idée n'est pas que tous les médecins quittent les CPTS. Il faut peut-être retirer certaines CPTS de ce texte de loi, mais, comme des territoires sont en attente, il me semble important de conserver l'expérimentation votée dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2023.

Mme Corinne Imbert , rapporteure pour le Sénat . - Le Sénat a fait un pas en soutenant la généralisation de l'accès direct aux IPA, aux kinésithérapeutes et aux orthophonistes dans le cadre d'un exercice coordonné. Nous avons cherché un équilibre entre les inquiétudes des médecins, qui restent en effet le pivot de la médecine générale, notamment en ville, et les attentes des infirmières. Nous avons avancé en ce sens.

De mon point de vue, les CPTS ne sont pas des structures de soins, comme le disent certains professionnels : elles font de la coordination, coordination elle-même très disparate selon les territoires car tributaire de l'engagement personnel des professionnels de santé.

À titre personnel, je crains que, en raison de la volonté de couvrir l'ensemble du territoire de CPTS, cette hétérogénéité ne soit de plus en plus marquée, avec parfois des « coquilles vides », si je puis m'exprimer ainsi. Si, demain, un accès direct aux soins était possible au sein des CPTS, ces dernières ne pourraient pas assurer la coordination nécessaire, attendue et indispensable à une bonne organisation de l'accès direct aux soins, dans l'intérêt des patients et pour répondre aux attentes des médecins.

Pour cette raison, nous avons avancé sur l'accès direct aux IPA, mais en le conditionnant à l'exercice coordonné dans les maisons de santé, les équipes de soins primaires et les centres de santé. Faisons attention à cette hétérogénéité : nous la constatons aujourd'hui, mais elle pourrait être encore plus importante demain.

Mme Catherine Deroche , sénatrice, présidente . - Nous allons donc suspendre la réunion, cette demande étant unanime. Si le texte poursuivait son chemin parlementaire par une nouvelle lecture, des difficultés supplémentaires se poseraient. Lors de la discussion générale du texte en séance publique, j'avais déjà indiqué que ce texte faisait l'effet d'un chiffon rouge pour les négociations conventionnelles. Généraliser en janvier une expérimentation votée en novembre, cela ne laisse que peu de recul pour légiférer... D'ailleurs, nous ne l'avions pas votée au Sénat lors du PLFSS pour 2023, car nous étions informés qu'une proposition de loi serait examinée sur ce sujet à l'Assemblée nationale.

Nous avons le sentiment d'être arrivés à un texte d'équilibre. Cela n'a pas été si facile : au Sénat, l'article 1 er a été longuement discuté. Sur le terrain, j'ai rencontré comme chacun des médecins, à l'invitation du conseil de l'ordre de mon département. Je l'ai dit à François Braun, le Gouvernement doit être conscient des craintes des médecins par rapport à l'exercice futur de leur métier, notamment en ce qui concerne la place du médecin généraliste. Avec cette pénurie, on fait trop supporter à ceux qui sont en exercice, qui voient de nombreux patients, qui, pour certains, prennent des gardes et assurent, quoi qu'on en dise, la permanence des soins, et qui, sans remettre en cause la qualité de leur travail, se sentent comme des boucs émissaires. Il faut en être conscient. Nous avons tenu compte de tous ces paramètres. Dans cette période tendue où des propositions fleurissent tous azimuts, trouvons une solution. Avancer à marche forcée ne résoudra rien, bien au contraire ! Il ne sert à rien de braquer les professionnels. Voyons si nous pouvons trouver des solutions pour les CPTS et l'expérimentation.

La réunion, suspendue à 9 h 30, reprend à 11 h 55.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure pour l'Assemblée nationale . - Concernant l'article 1 er , le point restant en discussion portait sur les CPTS. L'idée est de retirer les CPTS du périmètre de l'accès direct, mais de maintenir une expérimentation dans six départements, dont deux ultramarins.

En outre, nous vous proposons d'étendre la durée de l'expérimentation à cinq ans, au lieu de trois.

Mme Corinne Imbert , rapporteure pour le Sénat . - Nous sommes tout à fait d'accord pour mener cette expérimentation sur cinq ans.

Le texte précise, par ailleurs, qu'il n'y aura pas de généralisation avant évaluation de l'expérimentation.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure pour l'Assemblée nationale . - À l'article 1 er , nous vous proposons également de supprimer l'alinéa 5 du texte du Sénat, à savoir les dispositions visant à autoriser l'accession à la pratique avancée aux titulaires de diplômes non délivrés par l'université.

Mme Corinne Imbert , rapporteure pour le Sénat . - À l'article 2, le nombre de séances de kinésithérapie en accès direct passerait de cinq, comme le prévoyait le texte du Sénat, à huit.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure pour l'Assemblée nationale . - Pour les masseurs-kinésithérapeutes, nous retenons la même expérimentation qu'à l'article 1 er , dans six départements, dont deux ultramarins.

Mme Corinne Imbert , rapporteure pour le Sénat . - Au sein d'une CPTS.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure pour l'Assemblée nationale . - À l'article 4, nous avons procédé à des modifications rédactionnelles, avec des coordinations.

À l'article 4 sexies , il vous est proposé de sécuriser l'écriture du Sénat pour ce qui concerne les compétences des préparateurs en pharmacie.

Mme Corinne Imbert , rapporteure pour le Sénat . - Dans le texte du Sénat, nous citions expressément les trois pathologies contre lesquelles les préparateurs en pharmacie pouvaient administrer des vaccins : vaccin contre la grippe, vaccin contre la covid-19 et vaccin contre la variole du singe. Je reconnais que figer les choses de cette manière dans la loi n'était pas forcément idéal.

Les préparateurs en pharmacie ont été habilités à vacciner en période de crise. La crise terminée, ils pourraient perdre cette autorisation. C'est un peu dommage, puisque leurs compétences sont les mêmes.

Nous proposons de modifier la rédaction du Sénat de manière à laisser à un arrêté le soin de fixer les vaccins qui pourraient être injectés, sous la responsabilité du pharmacien présent, par les préparateurs. Ces derniers ne demandent pas forcément à pouvoir réaliser les autres vaccins autorisés aux pharmaciens et aux autres professionnels de santé. Il faudra que l'arrêté paraisse assez rapidement, avant la prochaine campagne de vaccination contre la grippe et la covid-19, en octobre prochain.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure pour l'Assemblée nationale . - La dernière modification que nous proposons concerne l'article 4 quaterdecies : il s'agit de contraindre le pouvoir réglementaire à publier annuellement la liste des tests rapides d'orientation diagnostique (Trod) pouvant être utilisés par les professionnels de santé.

Mme Corinne Imbert , rapporteure pour le Sénat . - Le texte du Sénat visait à inverser la logique actuelle : plutôt que d'attendre un arrêté de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) autorisant l'utilisation d'un Trod par les professionnels de santé, il s'agissait de permettre que les Trod commercialisés soient autorisés par les professionnels de santé, sauf à ce qu'un arrêté l'exclue expressément.

Bien évidemment, l'ANSM doit donner un avis. L'objectif est de mettre un peu de pression sur le pouvoir réglementaire pour l'actualisation des Trod pouvant être utilisés par les professionnels de santé. Nous vous proposons que cette liste soit désormais révisée annuellement.

Il y a là des enjeux de santé publique. Je pense, par exemple, au dépistage du diabète : les pharmaciens ne peuvent faire une glycémie capillaire que pendant la semaine du diabète. Il y a également un enjeu important en matière d'antibiorésistance. Il faut que les tests permettant de déterminer la présence d'un virus puissent être davantage déployés - les tests doivent évidemment avoir été autorisés par l'ANSM.

Tout le monde était heureux de trouver des Trod pour la covid-19. Il faut que l'on puisse faire, en temps normal, ce que l'on a été capable de faire en période de crise, évidemment sans mettre en danger les patients et sans engager trop loin la responsabilité du professionnel. Il faut donc recueillir l'avis de l'ANSM, et que celle-ci se prononce plus rapidement qu'elle n'a pu le faire ces derniers temps.

La suppression de l'engagement territorial est maintenue.

En contrepartie, nous avons accepté que la responsabilité collective de la permanence des soins soit réinscrite, en sachant que la permanence des soins est couverte à 98 % sur le territoire national - les 2 % manquants concernent souvent des territoires où il n'y a pas de médecins.

Cependant, l'imprécision de la « responsabilité collective de la permanence des soins » me gênait : il vaut mieux parler de « responsabilité collective de l'organisation. » Sur ce point, nous allons laisser le texte tel qu'il est, c'est-à-dire dans la version issue des travaux de l'Assemblée nationale.

Toutefois, il faut rassurer les médecins. On ne revient pas sur le caractère volontaire - je rappelle que 40 % des médecins généralistes assurent 98 % de la permanence des soins. Cela peut être acceptable.

Mme Catherine Deroche , sénatrice, présidente . - On ne sait pas trop ce que signifie la responsabilité collective de la permanence... Juridiquement, êtes-vous sûres que cela ne vaut pas obligation ?

Mme Corinne Imbert , rapporteure pour le Sénat . - Le Gouvernement l'a confirmé lors des auditions.

Il est vrai que, à titre personnel, comme je m'en suis ouverte tout à l'heure, j'aurais préféré que l'on écrive « responsabilité collective de l'organisation ». Jusqu'où va la responsabilité collective ? C'est un vrai sujet.

M. Bernard Jomier , sénateur . - Je remercie les deux rapporteures de nous avoir écoutés et d'avoir su trouver un terrain d'entente.

Le seul point qui continue de nous poser problème est la mention d'une responsabilité collective, pour des questions d'ordre non seulement politique, mais aussi juridique : ce concept est éminemment contestable en droit. Pour notre part, nous n'y adhérons pas. S'il est possible de modifier légèrement cette rédaction, j'en serai heureux ! Cela ne fera pas obstacle à un vote positif de notre part sur l'accord que vous avez trouvé, mais je tiens vraiment à attirer l'attention sur le fait que cette notion est à manier avec précaution sur un plan juridique.

Mme Joëlle Mélin, députée . - La « responsabilité collective » me semble extrêmement floue. Il est déjà tellement difficile, dans ces métiers, de faire apparaître la responsabilité personnelle ou la responsabilité sanitaire des politiques... Engager la responsabilité collective d'organisations territoriales me semble très compliqué ! Cela méritera d'être sécurisé par la suite.

M. Bernard Jomier , sénateur . - La rédaction proposée par la présidente Catherine Deroche est tout de même plus satisfaisante, tout en maintenant le concept auquel, visiblement, la rapporteure pour l'Assemblée nationale tient particulièrement.

Je rappelle que la loi par laquelle les CPTS ont été créées confie déjà à ces dernières une responsabilité dans l'amélioration de l'accès aux soins, mais, en apportant cette précision, on évite d'éventuelles conséquences juridiques pour les professionnels de santé, à titre personnel.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure pour l'Assemblée nationale . - Le sens de la phrase est un peu plus indirect si l'on ajoute « de l'organisation ». Nous nous y opposons.

Mme Catherine Deroche , sénatrice, présidente . - Nous n'en ferons pas un casus belli .

La rédaction de compromis des rapporteures est adoptée.

La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé.

Mme Catherine Deroche , sénatrice, présidente . - Merci, mesdames les rapporteures !

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