LA POSITION DES ACTEURS FRANÇAIS :
UN CONSENSUS SUR LA NÉCESSITÉ
D'UNE RÉFORME DU MARCHÉ EUROPÉEN
DE L'ÉLECTRICITÉ

Le besoin d'une réforme du marché européen de l'électricité fait l'objet d'un consensus parmi les acteurs institutionnels (I), tout comme ceux économiques (II).

I. LE POINT DE VUE DES ACTEURS INSTITUTIONNELS

Plusieurs acteurs institutionnels français ont fait part de leur avis, partagé, sur la réforme du marché européen de l'électricité.

Tout d'abord, la Commission de régulation de l'énergie (CRE)14(*) accueille plutôt positivement cette réforme, tout en soulignant ses limites et en émettant des propositions.

Pour elle, une réforme doit viser l'atteinte, au moindre coût, de 3 objectifs : garantir la sécurité d'approvisionnement à un niveau adéquat ; permettre aux consommateurs de se protéger en cas de crise contre des hausses des prix ; accélérer la transition énergétique.

La CRE estime que le signal-prix sur les marchés de gros a permis un pilotage optimal du système à court et moyen termes, l'allocation efficace des moyens de production à l'échelle européenne et le rééquilibrage de l'offre et de la demande. Elle ajoute que les mesures d'urgence ont permis de renforcer la sécurité d'approvisionnement et d'atténuer les hausses de prix.

Pour autant, la crise a mis en évidence les faiblesses structurelles du marché européen de l'électricité et généré une demande politique forte de révision de ses règles de fonctionnement, reposant la question de la protection des consommateurs et du financement des actifs de production bas-carbone, de pointe et de flexibilité.

Dans ce contexte, la CRE avance 3 propositions : préserver le fonctionnement actuel du marché de gros tout en le renforçant et le développant, notamment sur ses échéances de plus long terme ; sécuriser les investissements, en s'appuyant sur une pluralité d'outils laissant suffisamment de latitude aux États membres ; protéger les consommateurs, grâce notamment à une obligation pour les fournisseurs de couverture minimale contre les prix élevés.

Si les marchés infra-journaliers, journaliers et de quelques mois à deux ans sont efficaces, celui à terme doit être renforcé, ce qui suppose : d'allouer des droits aux interconnexions sur plusieurs années, au lieu d'une année ; de renforcer la liquidité des marchés à terme, faible au-delà d'un an et inexistante au-delà de trois ans, via le financement temporaire des teneurs de marché ; de soumettre les fournisseurs à des obligations prudentielles, consistant à couvrir en amont les engagements pris en aval dans les contrats.

Une pluralité d'outils doit permettre aux investisseurs de sécuriser leurs revenus contre le risque prix, sans les insensibiliser aux autres risques : les forwards, dont l'échéance doit être portée au-delà de 2 ans ; les PPA, dont les restrictions doivent être levées et qui peuvent permettre aux consommateurs industriels de sécuriser un volume d'électricité à prix connu, voire fixe, compatible avec l'essor ou le maintien de leurs activités ; les CfD, dont le champ ne doit pas porter sur l'intégralité de la production et les modalités contrevenir au principe de subsidiarité et qui peuvent permettre de transférer aux consommateurs des coûts du parc nucléaire en France, dans la perspective de l'extinction de l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) d'ici 2025.

Une obligation de couverture minimale contre les prix élevés doit être imposée aux fournisseurs par les États membres, selon 3 dimensions : la détermination des obligations de couverture des fournisseurs ; l'acquisition de couvertures de long terme ; le financement des coûts fixes des moyens de production à technologies bas-carbone. Les fournisseurs peuvent satisfaire cette obligation par des options standards, des contrats fermes ou des actifs physiques. Des garanties publiques peuvent être adossées aux productions bas-carbone. Les fournisseurs peuvent également proposer une prime, contribuant au financement de leurs investissements, en contrepartie du renoncement aux revenus exceptionnels, en période de prix hauts. Chaque consommateur doit payer le coût de l'obligation de couverture qu'il emporte pour son fournisseur, selon des modalités négociées librement avec lui. Cette obligation est préférable à la taxation des rentes infra-marginale ou à l'accès direct aux CfD. Elle n'empêche pas des contrats plus protecteurs, avec un prix pluriannuel ou un prix minimum, ou encore valorisant la flexibilité.

De son côté, le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) accueille également plutôt positivement la réforme du marché européen de l'électricité malgré son caractère tardif, saluant l'approche équilibré de la Commission européenne, qui permet de conserver les acquis du fonctionnement actuel du marché tout en le complétant par des instruments de long terme.

Il se félicite des propositions visant un lissage temporel des prix payés par les consommateurs et des revenus des producteurs dont les PPA et les CfD. En revanche, il est réservé sur la création de plateformes virtuelles et la gestion de l'équilibrage à 30 minutes.

S'agissant des PPA, il souhaite que les prix se rapprochent des coûts avec une marge raisonnable. Il propose d'étendre les PPA aux entreprises européennes exposées à la concurrence internationale et engagées dans des plans de décarbonation, d'élargir la possibilité de réserver des volumes pour des PPA pour les unités sous CfD à toutes les technologies pouvant faire l'objet de CfD et de confier aux États membres la conception des PPA et la réservation du volume. Plus largement, il souhaite que les montants générés par tout type de mécanisme de limitation des revenus des actifs de production bénéficient aux consommateurs, sur le modèle des CfD, et que les tarifs d'achat pour les installations renouvelables de très petite taille soient maintenus, aux côtés des appels d'offres.

Le SGAE appuie les CfD ainsi que le soutien au réinvestissement et à la flexibilité. Cependant, il estime crucial de conserver le caractère facultatif et non rétroactif des dispositions sur le mécanisme de capacité et d'étendre les obligations de couverture des fournisseurs, à toutes les sources d'électricité décarbonées.

Quant aux dispositions sur la surveillance du marché de gros de l'énergie, il estime utile une harmonisation à l'échelon européen et une extension à l'ensemble des produits énergétiques de gros. À l'inverse, il ne juge pas pertinent la transmission des autorités de régulation nationales à l'ACER des projets de sanction avant leur adoption et le renforcement des compétences d'enquête et de poursuite de l'ACER, eu égard aux principes de subsidiarité, d'indépendance et d'impartialité.

Dans le même ordre d'idées, la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) estime que la réforme fait émerger des signaux de long terme sans impact sur les marchés de court terme.

L'absence d'impact immédiat s'explique par plusieurs raisons. D'une part, la réforme ne modifie pas les marchés à court terme, même si les obligations prudentielles sont de nature à prévenir les stratégies risquées des fournisseurs. D'une part, si la réforme doit aboutir d'ici fin 2023, elle nécessite une transposition et une déclinaison nationales, notamment pour les PPA et les CfD, et n'est donc pas susceptible de produire d'effets dès l'hiver prochain. Enfin, une telle réforme ne suffit pas à se prémunir contre les hausses des prix, également imputables à la faible disponibilité du parc nucléaire existant.

S'agissant du principe du coût marginal, la DGEC l'estime efficace pour allouer les ressources et assurer les interconnexions. Pour autant, il est déterminé de facto par le prix des combustibles fossiles et des quotas carbone. Trois difficultés sont donc palpables : l'absence d'exposition juste des consommateurs aux coûts complets des installations de production ; l'absence de réponse à l'enjeu de sécurité d'approvisionnement de long terme ; l'obstacle aux investissements dans la décarbonation des économies. C'est pourquoi trois correctifs sont nécessaires : faire bénéficier l'ensemble des consommateurs de la compétitivité du parc de production, en s'assurant de la maîtrise des coûts de production et en rapprochant les factures d'un prix représentatif des coûts complets du mix électrique ; inciter les fournisseurs à une pratique prudente d'approvisionnement de long terme ; inciter les producteurs à investir dans les moyens décarbonés, en leur apportant de la visibilité sur le prix.

Concernant les PPA et les CfD, ils présentent quelques lacunes. Tout d'abord, ils ne permettent pas de couvrir l'exposition aux prix de marché de la part d'approvisionnement de très court terme. Plus encore, ils ne peuvent être utilisés par les consommateurs ne disposant pas des capacités techniques et financières. Enfin, ils vont continuer de refléter le prix des énergies fossiles déterminant toujours le prix marginal de long terme. À l'évidence, le champ des CfD doit intégrer l'énergie nucléaire et leurs recettes être allouées intégralement aux consommateurs.

Pour ce qui est des dispositions sur la surveillance du marché de gros de l'énergie, elles doivent respecter le principe de subsidiarité et ne pas conduire à un affaiblissement des autorités de régulation nationale. Aussi le transfert de leurs compétences au profit de l'ACER est-elle rejetée.


* 14 Les éléments sont principalement tirés de la réponse de la CRE à consultation de la Commission européenne :

https://www.cre.fr/media/Fichiers/Actualites/2023-reforme-de-l-organisation-du-marche-de-l-electricite-dans-l-ue-consulter-la-reponse-version-francaise.

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