II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. La crédibilité budgétaire de la DGAC et la soutenabilité de sa trajectoire d'investissements dépendront de sa capacité à respecter son engagement de résorber la dette du BACEA

Après une phase de désendettement, le BACEA, confronté à l'effondrement de ses recettes, a eu à recourir massivement à l'emprunt en 2020 puis en 2021. En 2022 en revanche, du fait d'une reprise du trafic plus forte qu'escomptée, le BACEA n'a eu recours à l'emprunt qu'à hauteur de 352 millions d'euros, soit la moitié de l'autorisation qui lui avait été donnée en LFI (709,5 millions d'euros). À la fin de l'année 2022, l'encours de dette du BACEA (2,7 milliards d'euros) affiche ainsi une quasi stabilité (+ 1 %) par rapport au 31 décembre 2021.

Évolution de l'encours de dette du budget annexe de 2008 à 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La DGAC prévoit d'entamer un cycle de désendettement à partir de 2023 avec un objectif de réduire l'encours de dette du BACEA à 1,3 milliard d'euros d'ici cinq ans.

Le rapporteur spécial souscrit à cette ambition volontariste. La concrétisation de cet engagement est d'ailleurs pour la DGAC un gage de crédibilité indispensable. Ce n'est qu'à cette condition qu'elle pourra disposer sur le long terme, des moyens financiers significatifs dont elle a besoin pour moderniser ses outils et ses infrastructures.

Cette perspective de désendettement, reste cependant conditionnée à des réformes ambitieuses, notamment en matière d'organisation du travail, dont certaines des pistes ont pu être tracées dans des rapports récents, notamment le rapport confidentiel de la mission commune confiée à l'inspection générale des finances (IGF) et au conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), remis au Gouvernement en juillet 2021, ainsi que le rapport de la Cour des comptes d'avril 2021 sur la politique des ressources humaines de la DGAC.

2. Il est impératif de sécuriser les capacités du contrôle aérien à faire passer le trafic alors qu'une vague massive de départs à la retraite se profile

Concentrées sur le programme 613 « soutien aux prestations de l'aviation civile », les dépenses de personnel de la DGAC se sont élevées à 1 220 millions d'euros en 2022. Elles représentent 60 % des dépenses du BACEA4(*). Après deux années de sous-exécution, ces dépenses ont été légèrement sur-exécutées en 2022 (100,5 %) pour retrouver leur niveau de 2019. Cette sur-exécution s'explique par la reprise des expérimentations d'optimisation de l'organisation du travail des contrôleurs aériens5(*) ainsi que par des mesures générales dont la revalorisation du point d'indice de la fonction publique.

En raison des conséquences de la crise sur le transport aérien6(*), pour la première fois depuis plusieurs années, le schéma d'emploi 2022 de la DGAC était négatif à hauteur de 72 ETP. Il a été respecté en exécution. Comme au cours des gestions précédentes, des écarts significatifs entre les entrées et les sorties programmées et celles effectivement constatées ont cependant été observés.

Puisque la formation des contrôleurs aériens dure aujourd'hui cinq ans7(*), l'anticipation des besoins d'effectifs et des recrutements pour ne pas se retrouver en situation de manque de capacités est une nécessité pour la DGAC. Dans un tel contexte, l'exercice de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est certes complexe mais absolument vital pour garantir à moyen long terme les capacités du contrôle aérien à faire passer le trafic et, par conséquent, la compétitivité du secteur aérien et des compagnies. Les enjeux économiques liés à la question de la prévision des besoins de ressources humaines de la DGAC et au bon calibrage des recrutements avec une anticipation de cinq années sont majeurs pour le transport aérien.

Le rapporteur spécial a ainsi le sentiment qu'il est très probablement beaucoup plus dommageable pour l'économie nationale, du fait des pertes potentiellement massives susceptibles d'être occasionnées pour les compagnies8(*), de sous-estimer les besoins de recrutement de contrôleurs aériens que l'inverse. Il considère cependant qu'une étude approfondie devrait être conduite afin d'approfondir et d'objectiver ce sentiment qui est au demeurant partagé par la plupart des acteurs du domaine aérien. Dans son rapport d'information « Retards du contrôle aérien : la France décroche en Europe »9(*), le rapporteur spécial avait d'ailleurs déjà insisté sur cette problématique et sur les conséquences potentiellement extrêmement négatives du déficit de capacité de la DSNA.

Or, la DGAC prévoit une vague importante de départs à la retraite à l'approche de la fin de la décennie. Aussi, à l'occasion des travaux de préparation du projet de loi de programmation des finances publiques et de la définition du budget quinquennal du BACEA, la DGAC a négocié, au cours de l'été 2022, avec la direction du budget, une trajectoire pluriannuelle (2023-2027) d'évolution de ses effectifs qui doit permettre de compenser la vague de départs à venir. Cette trajectoire comporte également un volet de gains de productivité qui sont attendus du processus de modernisation des outils du contrôle aérien (voir infra). Le nombre de nouvelles promotions d'ICNA a ainsi vocation à progresser de trois à cinq par an afin de répondre à cet enjeu. Cette trajectoire prévisionnelle aura vocation à être ajustée en fonction notamment de l'affinement des prévisions de trafic.

Comme il a déjà pu le souligner à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances initiale pour 2023 et considérant que l'anticipation des besoins de la DGAC en ce qui concerne les recrutements de contrôleurs aériens est un enjeu déterminant de l'économie aérienne, le rapporteur spécial salue la définition commune avec la direction du budget de cette programmation de moyen - long terme. Il la suivra avec attention et s'assurera qu'elle permette effectivement de sécuriser les capacités de la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) à écouler le trafic aérien avec la meilleure fluidité possible.

Dans ses précédents rapports budgétaires, le rapporteur spécial s'est intéressé au bilan du protocole social 2016-201910(*). L'idée directrice et le principe de ces protocoles négociés par la DGAC avec les organisations syndicales est celle d'une forme de « donnant - donnant ». Ces accords devaient en particulier autoriser une plus grande flexibilité des horaires des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA) pour une meilleure adaptation des tours de services à un trafic de plus en plus concentré sur les périodes de pointe. Cette exigence de flexibilité est encore plus essentielle aujourd'hui du fait des évolutions du trafic constatées suite à la crise sanitaire. En contrepartie, des mesures catégorielles en faveur des personnels sont intégrées à ces protocoles (pour une cinquantaine de millions d'euros dans le cadre du protocole 2016-2019).

Du fait de la crise sanitaire les négociations du nouveau protocole social prévu initialement sur la période 2020-2024 avaient dû être suspendues. Au début de l'année 2023, la DGAC a relancé sa négociation avec les partenaires sociaux.

Le rapporteur spécial sera attentif à l'accord qui résultera du processus de concertation. Comme il a pu le souligner dans ses précédents rapports budgétaires et notamment en raison des conséquences financières pour la DGAC des précédents protocoles, il continue de s'interroger sur l'efficience de cet exercice. Il a le sentiment que l'application des protocoles s'est jusqu'ici éloignée de la logique initiale de « gagnant - gagnant » pour un résultat « gagnant - perdant » au détriment de la performance du contrôle aérien et de la compétitivité du transport aérien qui finance les services de la navigation aérienne. Le nouveau protocole devra cette fois bel et bien concrétiser une vraie amélioration de la performance des services de la DSNA.

En 2022, la DGAC a engagé la mise en oeuvre du programme de réorganisation et de mutualisation de ses fonctions supports décidé en 2021. Comme prévu, huit secrétariats interrégionaux (SIR) ont été mis en place en métropole au 1er janvier 202211(*). La DGAC s'attend à économiser 200 ETP d'ici 2025 en raison de cette réorganisation. 900 000 euros auraient été économisés en 2022.

3. L'atterrissage lent et coûteux des programmes d'investissements de la DSNA

L'essentiel des dépenses d'investissements du BACEA (209,6 millions d'euros) sont portées par le programme 612 « Navigation aérienne » pour financer les grands programmes de modernisation du contrôle de la navigation aérienne.

La tendance à la progression des dépenses d'investissement du BACEA s'est accélérée en 2022 (+ 14 %).

L'évolution des dépenses d'investissement entre 2013 et 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le coût total des programmes de modernisation du contrôle aérien avoisine les 2,1 milliard d'euros. Sur ces programmes, 0,7 milliard d'euros restent encore à financer.

Coût des programmes techniques de modernisation
du contrôle de la navigation aérienne

(en millions d'euros)

Programme

Durée du programme

Coût total fin 2022 (en CP)

Coût total programme après 2022 (en CP)

Coût total programme

4-Flight

2011-2026

745,8

139,4

885,2

Coflight

2003-2027

248,8

60,7

309,5

Sysat

2012-2032

94,7

335,3

430,0

Erato

2002-2015

127,2

-

127,2

NVCS

2012-2027

64,3

44,1

108,4

CATIA

2020-2025

5,7

31,8

37,5

Data Link

2006-2022

32,6

-

32,6

Seaflight

2012-2027

22,9

8,1

31,0

Autres programmes

-

75,4

48,8

124,2

Total

-

1 417,4

668,2

2 085,6

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ces programmes ont pris un retard considérable et généré des surcoûts massifs. Le coût total du programme 4-Flight est ainsi passé de 450 millions d'euros en 2011 à plus de 885 millions d'euros aujourd'hui, tandis que celui du système Coflight a plus que doublé, passant de 153 millions d'euros en 2003 à 309,5 millions d'euros.

Le nouveau système 4-Flight a été installé au printemps 2022 dans le CRNA de Reims puis en décembre de la même année dans le centre d'Aix-en-Provence. La prochaine étape du déploiement est actuellement prévue en janvier 2024 au CRNA Nord d'Athis-Mons. Les CRNA de l'Ouest (Bordeaux et Brest) doivent quant à eux basculer au cours de l'hiver 2025-2026.

Le déploiement de 4-Flight à Reims s'est traduit par un certain nombre de difficultés qui ont été résolues de façon efficace grâce à un partenariat resserré entre la DSNA et l'industriel Thalès. Les principales difficultés provenaient du fonctionnement du système Coflight dont l'interdépendance avec 4-Flight est particulièrement structurante. De premiers gains de capacités sont d'ores et déjà observés sur la gestion du trafic dans l'espace aérien supérieur mais les conséquences des mouvements sociaux de ces derniers mois rendent moins lisibles les effets concrets du déploiement de l'outil sur la performance du contrôle aérien.

Le programme Sysat de modernisation des tours et approches de la DSNA s'est soldé par un échec. En 2021, la DSNA a dû se résoudre à ce constat. Le projet initial, dans ses volets parisien (Sysat G1) et provincial (Sysat G2), a été abandonné.

Le projet Sysat G1 a été profondément restructuré en dissociant les plateformes de Roissy-Charles de Gaulle et d'Orly. Le contrat avec le consortium industriel SAAB-CS ne porte plus que sur l'aéroport d'Orly et vise désormais à mettre en service, d'ici aux jeux olympiques de 2024, un système tour standard déjà opérationnel sur d'autres plateformes aéroportuaires. Pour l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, le programme a été largement revu à la baisse et ne prévoit plus, à court terme, qu'un simple objectif de sécurisation du système actuel de surveillance au sol. Dans le même temps, le projet Sysat G2 en est revenu au stade de la réflexion.


* 4 Hors remboursements en capital de la dette.

* 5 Mises en suspens au plus fort de la crise sanitaire.

* 6 Sur la base desquelles une réduction des recrutements d'ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA) a été décidée et s'est manifestée par la passage de quatre promotions en 2020, à deux en 2021 puis à l'équivalent d'une seule en 2022.

* 7 Des options visant à la réduire d'au moins 6 mois sont actuellement à l'étude.

* 8 Retards et annulations de vols.

* 9 Retards du contrôle aérien, la France décroche en Europe, rapport d'information n° 568 (2017-2018) réalisé au nom de la commission des finances du Sénat par Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ».

* 10 Ce protocole avait été signé par quatre organisations syndicales représentatives (UNSA-DD, SNCTA, SPAC-CFDT et FEETS-FO) représentant 72 % des personnels de la DGAC.

* 11 Deux sites ultra-marins ont été mis en service au 1er janvier2023.