N° 771

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2023

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
de
règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 18
Justice

Rapporteur spécial : M. Antoine LEFÈVRE

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 1095, 1271 et T.A. 125

Sénat : 684 (2022-2023)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. En 2022, les autorisations d'engagement (AE) de la mission « Justice » se sont élevées à 12,7 milliards d'euros, tandis que 10,7 milliards d'euros de crédits de paiement (CP) ont été consommés. Par rapport à l'exercice 2021, les moyens consacrés à la justice ont ainsi augmenté de 24,3 % en AE et de 7,9 % en CP. L'inflation n'a eu qu'un impact limité sur les dépenses du ministère.

2. Si, pour les CP, la hausse est de la même ampleur que celle constatée entre 2020 et 2021 (7,9 %) et conforme à la trajectoire définie dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, l'augmentation des AE est nettement plus élevée que celle constatée entre 2020 et 2021 (+ 1,7 %). Elle s'explique principalement par une première phase de rattrapage des retards constatés sur le renouvellement des marchés de gestion déléguée ainsi que sur les programmes d'investissements de l'immobilier pénitentiaire.

3. En 2022, le schéma d'emplois constaté en exécution s'élève à 1 334 équivalents temps plein (ETP), soit un taux d'exécution de 89 % par rapport au schéma fixé en loi de finances initiale et corrigé en cours de gestion. La sous-exécution constatée correspond à des recrutements moins importants que prévus, dans un contexte de perte d'attractivité des métiers du ministère de la justice. Les dépenses de personnel ont en revanche progressé de 5 % entre 2021 et 2022, à la suite d'une année qualifiée de « mouvementée » par le contrôleur budgétaire et comptable ministériel. Plusieurs mouvements de crédits ont en effet été nécessaires pour couvrir les mesures générales et catégorielles annoncées en cours d'année.

4. L'année 2022 marque la dernière année de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Au total, les crédits exécutés sur ces cinq années ont excédé les prévisions inscrites en loi de programmation, pour se rapprocher d'ailleurs de la trajectoire initialement votée par le Sénat. Plusieurs chantiers devront être poursuivis et approfondis dans le cadre de la prochaine loi de programmation, dont le projet est actuellement examiné par le Parlement. Il s'agit notamment du renforcement de l'attractivité et du vivier du recrutement du ministère de la justice, du lancement du deuxième plan de transformation numérique du ministère ou encore de l'amélioration du pilotage des frais de justice et de l'aide juridictionnelle.

5. Plusieurs indicateurs de contexte ou de performance de la mission pourraient être modifiés afin de mieux tenir compte des enjeux auxquels fait face le ministère et des demandes, politiques comme citoyennes, auxquelles la politique publique de la justice doit répondre. Plus généralement, la hausse des crédits octroyés à la mission depuis 2018, et qui devrait se poursuivre ces cinq prochaines années, doit impérativement s'accompagner d'une évaluation de ces dépenses supplémentaires.

I. EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2022

La mission « Justice » comprend l'ensemble des moyens budgétaires du ministère de la justice1(*). Trois des six programmes de la mission concernent les directions métiers du ministère et concentrent la majeure partie des crédits (87,6 %) :

- le programme 166 « Justice judiciaire » regroupe les crédits relatifs aux juridictions ;

- le programme 107 « Administration pénitentiaire » est relatif au service public pénitentiaire ;

- le programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » couvre l'ensemble des moyens dédiés à la justice des mineurs.

Deux programmes transversaux concernent les fonctions supports et les crédits d'intervention du ministère :

- le programme 101 « Accès au droit et à la justice » porte notamment les crédits relatifs à l'aide juridictionnelle ;

- le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » est placé sous la responsabilité du secrétariat général du ministère et regroupe les moyens de l'État-major, du secrétariat général, de l'inspection générale de la justice ainsi que les crédits des opérateurs de la mission et ceux dédiés aux politiques transversales telles que l'informatique et la gestion des ressources humaines.

Enfin, le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature » répond à la volonté d'assurer l'autonomie de cette institution, conformément aux dispositions de l'article 65 de la Constitution.

En intégrant la contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », la loi de finances initiale pour 2022 avait autorisé l'ouverture de 12,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 10,7 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), respectivement en hausse de 24,3 % et de 7,9 % par rapport à l'exécution des crédits en 2021.

Exécution des crédits de la mission par programme en 2022

(en millions d'euros et en %)

 

Exécution 2021

LFI 2022*

Exécution 2022

Évolution 2022/2021

Écart d'exécution 2022

 

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

166 - Justice judiciaire

3 830,2

3 681,4

3 920,8

3 849,1

3 971,8

3 845,7

+ 3,7 %

+ 4,5 %

+ 1,3 %

- 0,1 %

107 - Administration pénitentiaire

4 337,5

4 138,0

6 544,7

4 584,0

6 352,5

4 518,0

+ 46,5 %

+ 9,2 %

- 2,9 %

- 1,4 %

182 - Protection judiciaire de la jeunesse

923,7

915,2

992,3

984,8

1 005,7

975,8

+ 8,9 %

+ 6,6 %

+ 1,3 %

- 0,9 %

101 - Accès au droit et à la justice

601,3

601,8

680,0

680,0

691,8

691,6

+ 15,0 %

+ 14,9 %

+ 1,7 %

+ 1,7 %

350 - Conduite et pilotage de la politique de la justice

507,2

529,9

619,0

638,2

653,3

619,6

+ 28,8 %

+ 16,9 %

+ 5,5 %

- 2,9 %

335 - Conseil supérieur de la magistrature

3,5

4,4

13,8

5,3

12,2

4,5

+ 248,0 %

+ 3,0 %

- 11,5 %

- 14,6 %

Total de la mission

10 203,4

9 870,7

12 074,1

10 058,2

12 687,3

10 655,2

+ 24,3 %

+ 7,9 %

- 0,7 %

- 0,8 %

* hors fonds de concours et attribution de produits

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Le taux d'exécution des crédits autorisés en loi de finances initiale pour 2022 s'élève à 99,3 % pour les AE et à 99,2 % pour les CP. L'exécution est donc conforme à l'autorisation parlementaire, avec de nets progrès par rapport à 2021, pour laquelle le taux d'exécution des AE s'était élevé à seulement 84,5 % et celui des CP à 97,4 %.

En 2022, les autorisations d'engagement (AE) de la mission « Justice » se sont élevées à 12,7 milliards d'euros, tandis que 10,7 milliards d'euros de crédits de paiement (CP) ont été consommés. Par rapport à l'exercice 2021, les moyens consacrés à la justice ont très fortement augmenté, de plus de 24 % pour les AE et de près de 8 % pour les CP.

Si, pour les CP, la hausse est de la même ampleur que celle constatée entre 2020 et 2021 (7,9 %) et conforme à la trajectoire définie dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice2(*), l'augmentation des AE est nettement plus élevée que celle constatée entre 2020 et 2021 (+ 1,7 %). Ces deux évolutions s'inscrivent dans la hausse tendancielle des crédits de la mission « Justice », l'impact de la crise sanitaire n'expliquant plus qu'un surcoût de 5 millions d'euros en 2022, contre 51 millions d'euros en 20213(*).

Évolution des crédits de la mission « Justice » depuis 2018

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

La forte augmentation des AE entre 2021 et 2022, qui s'écarte du tendanciel observé depuis 2018, s'explique principalement par une première phase de rattrapage des retards constatés ces dernières années sur la mise en oeuvre des programmes d'investissements de l'immobilier pénitentiaire ainsi que par le report du renouvellement des marchés de gestion déléguée (cf. infra).

Hors contribution au CAS « Pensions », l'exécution 2022 s'élève à 8,86 milliards d'euros en CP, ce qui est supérieur au plafond de 8,3 milliards d'euros fixé pour l'année 2022 par la loi de programmation (+ 6,7 %). Elle correspond en revanche au plafond fixé par le Sénat dans sa version adoptée en première et en nouvelle lectures sur cette même loi de programmation (8,99 milliards d'euros).

Prévision et exécution des crédits de la mission « Justice »

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Concernant la gestion en cours d'année, les crédits ouverts (en CP) ont été consommés dans leur quasi intégralité.

Mouvements intervenus en cours de
gestion 2022 sur la mission « Justice »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Il convient ici de noter que les annulations de crédits opérées sur les programmes de la mission « Justice » pour gager les ouvertures de crédits du décret d'avance du 7 avril 20224(*) ont été intégralement couvertes par des ouvertures à due concurrence lors de la première loi de finances rectificative pour 20225(*).

II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, le rapporteur spécial avait souligné quatre points de vigilance :

1. les difficultés de recrutement du ministère, en dépit des cibles ambitieuses qu'il s'est fixé en la matière ;

2. les retards dans les dépenses immobilières, source d'importants reports en AE et de restes à payer élevés ;

3. le déploiement du plan de transformation numérique de la justice, un projet de grande ampleur au suivi parfois difficile ;

4. le manque d'évaluation de l'efficacité des dépenses supplémentaires engagées depuis 2018.

L'examen du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes 2022 est l'occasion de dresser un bilan sur chacun de ses aspects, d'autant plus que 2022 constitue la dernière année de programmation au titre de la loi de programmation 2018-2022.

A. UNE ANNÉE MARQUÉE PAR L'ENGAGEMENT DE PROJETS DE GRANDE AMPLEUR

1. Un premier rattrapage des retards constatés sur l'immobilier pénitentiaire

Le programme 107 « Administration pénitentiaire » se distingue par une très forte augmentation des AE, de 46,5 % par rapport à 2021. Deux facteurs expliquent cette évolution.

D'une part, la passation des marchés de gestion déléguée d'une quarantaine d'établissements pénitentiaires a été reportée de 2021 à 2022, ce qui avait obligé le ministère à annuler des crédits à hauteur de 1,47 milliard d'euros en 2021. La nouvelle génération de ces marchés, les « MGD 21 », devait en effet prendre le relais des « MGD 15 » au 1er janvier 2022 pour une période de sept ans. Les retards constatés avaient toutefois conduit le ministère à prolonger les contrats de six mois et l'intégralité des AE nécessaires pour engager les MGD 21 avait fait l'objet d'un report dans la loi de finances initiale pour 2022.

D'autre part, 2022 a marqué l'engagement d'une première phase de rattrapage des retards constatés en 2020 et en 2021 sur les projets de l'immobilier pénitentiaire, notamment dans le cadre du plan de création de 15 000 places de détention supplémentaires. C'est d'ailleurs pour mieux comprendre et pour analyser ces retards que la commission des finances a confié au rapporteur spécial un contrôle budgétaire sur la mise en oeuvre de ce plan. Il sera impératif, pour la suite de la mise en oeuvre du « plan 15 000 », d'assurer un suivi plus fin des crédits.

Pour mémoire, sur une cinquantaine d'établissements devant être livrés d'ici 2027, la moitié devrait l'être pour 2024, après 3 établissements livrés en 2022 (360 places) et 10 en 2021 (1 958 places). Au total, 2 441 places nettes (3 951 brutes) ont été créées fin 2022, contre un objectif initial de 7 000 places. Au regard de ces retards et de la dynamique des incarcérations, il semble d'ores et déjà acté que l'un des objectifs de ce programme, à savoir un taux d'encellulement individuel de 80 % à horizon 20276(*), ne sera pas atteint.

2. Des restes à payer qui poursuivent leur augmentation

Les restes à payer poursuivent leur hausse, pour atteindre 9,9 milliards d'euros à la fin de l'année 2022, soit une augmentation de plus d'un quart par rapport à 2021. Ils sont principalement dus aux opérations immobilières (administration pénitentiaire comme tribunaux judiciaires) et aux marchés de gestion déléguée MGD 21.

3. La dernière année du premier plan de transformation numérique de la justice

L'année 2022, en plus d'être la dernière de la loi de programmation 2018-2022, est également la dernière année de mise en oeuvre du premier plan de transformation numérique de la justice (PTN), même si certains des projets ne sont pas terminés et se poursuivront.

La hausse des CP exécutés sur le programme 350 « Conduite et pilotage de la politique de la justice », la plus importante des programmes de la mission (+ 17 %), s'explique ainsi principalement par les dépenses informatiques. Le premier PTN devait être doté de 530 millions d'euros sur cinq ans, consacrés à trois axes : l'adaptation du socle technique et des outils de travail, les évolutions des applicatifs et le soutien aux utilisateurs.

En application du 2° de l'article 58 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), la commission des finances du Sénat avait demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur la mise en oeuvre du PTN. Le rapporteur spécial invite à se reporter à ses conclusions sur les travaux de la Cour7(*) pour davantage de détails sur les constats et les propositions énoncés dans ce cadre. Le principal enjeu demeure celui du pilotage des crédits : la Cour des comptes avait admis dans son enquête ne pas être en mesure ni d'évaluer le coût global du premier PTN ni de retracer l'ensemble des applications développées en interne.

Un deuxième PTN a été lancé pour les années 2023 à 2028. Au regard des constats dressés sur le premier PTN, deux axes de travail apparaissent prioritaires : le suivi précis des crédits engagés et la plus grande implication des personnels dans le développement des applicatifs. Pour le rapporteur spécial, si le premier PTN était avant tout un plan de rattrapage du ministère, le deuxième PTN doit être celui de la modernisation du ministère.

B. UN SCHÉMA D'EMPLOIS DE NOUVEAU SOUS-EXÉCUTÉ EN 2022, ET QUI ILLUSTRE LES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT RENCONTRÉES PAR LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE CES DERNIÈRES ANNÉES

Les dépenses de personnel (titre 2) de la mission, qui représentent près de 60 % des crédits, progressent de 5 % en 2022 par rapport à 2021, conformément à la hausse des effectifs prévue par la loi de finances initiale et au caractère prioritaire de cette mission depuis plusieurs exercices.

Dans la continuité des exercices précédents, le taux d'exécution de crédits de titre 2 connaît un niveau particulièrement élevé, à 101,5 % au niveau de l'ensemble de la mission, un taux supérieur à celui observé en 2021 (99,25 %). Plusieurs mouvements sont intervenus en cours de gestion pour permettre de couvrir les besoins supplémentaires, liés à des mesures catégorielles : une ouverture de crédits en loi de finances rectificative8(*), un dégel de fin de gestion et une répartition des crédits issus du programme 551 « Provision relative aux rémunérations publiques » de la mission « Crédits non répartis », pour un montant de 101,1 millions d`euros.

Ces différents mouvements, avec la couverture par le programme 551 de l'augmentation du point d'indice (63 millions d'euros), ont conduit le contrôleur budgétaire et comptable ministériel à qualifier la gestion du titre 2 de « mouvementée »9(*). Les mesures générales et catégorielles ont ainsi représenté plus de 50 % de la hausse des dépenses de personnel, contre seulement 18 % pour le schéma d'emplois (50 % en 2020 et en 2021)10(*).

Fin 2022, le plafond d'emplois de la mission atteint 91 358 équivalents temps plein travaillé (ETPT), en hausse de 1 480 ETPT.

En exécution, le schéma d'emplois réalisé en 2022 s'élève à 1 334 équivalents temps plein (ETP), soit un taux d'exécution de 89 %, inférieur à celui constaté en 2021 (95 %). Cet écart correspond à une sous-exécution du schéma d'emploi de 162 ETP, le schéma ayant été augmenté en cours de gestion afin de pérenniser les agents contractuels recrutés initialement pour un an pour pallier les besoins liés à la mise en place des réformes dites de « justice de proximité » et au renforcement des effectifs dédiés à la lutte contre les violences infra-familiales.

Exécution du schéma d'emplois
de la mission « Justice » entre 2018 et 2022

(en équivalents temps plein)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

En dépit de la sous-exécution régulière des schémas d'emplois annuels, les objectifs de recrutement de la loi de programmation de la justice pour la période 2018-2022, fixés à 6 500 ETP, ont été atteints. Toutefois, en intégrant les réajustements opérés en gestion, pour tenir compte des réformes intervenues ces cinq dernières années, la cible d'emplois n'a pas été atteinte.

Si le rapporteur spécial se félicite donc de la progression globale des effectifs, absolument nécessaire pour répondre à l'encombrement des tribunaux et des établissements pénitentiaires, il réitère également ses inquiétudes quant à la capacité du ministère à recruter les personnels nécessaires. Alors que plus de 10 000 recrutements supplémentaires ont été annoncés sur la période 2023-2027, correspondant à la prochaine période de programmation, cet objectif ne pourra pas être atteint sans résoudre les problèmes d'attractivité auxquels font face les métiers du ministère.

Certaines évolutions ont été engagées, telles que la revalorisation de 1 000 euros bruts en moyenne du traitement des magistrats judiciaires, la reclassification en catégorie B des surveillants pénitentiaires ou encore la création des agents pénitentiaires. Alors que ces réformes ne seront mises en place qu'à la fin de l'année 2023 ou au début de l'année 2024, les premiers résultats ne seront pas visibles immédiatement. La question de la capacité des écoles - concernant les magistrats, greffiers, personnels de l'administration pénitentiaire - à former suffisamment de personnes n'est pas non plus résolue, ni celle du vivier de recrutement.

Ce chantier devra être une priorité dans le cadre de la future loi de programmation de la justice. Le rapporteur soutient à cet égard, comme il l'a rappelé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 202311(*), les évaluations en cours sur la charge de travail des magistrats, pour adopter une approche plus objective des besoins de recrutement dans les juridictions.

C. DES FRAIS DE JUSTICE ET D'AIDE JURIDICTIONNELLE TOUJOURS DYNAMIQUES, ET DONT LA GESTION DOIT ENCORE ÊTRE AMÉLIORÉE

1. L'aide juridictionnelle, une dépense de guichet affectée par des procès de grande ampleur

Le programme 101 « Accès au droit et à la justice » est le deuxième programme connaissant la plus forte hausse de ses crédits par rapport à l'année 2021 (+ 15 %). Les dépenses d'intervention, qui recouvrent principalement les deux dépenses de guichet que sont l'aide juridictionnelle (630 millions d'euros en 2022) et le financement du secteur associatif habilité pour la prise en charge des mineurs (263 millions d'euros), constituent ainsi la nature de dépenses la plus dynamique de la mission.

Il convient toutefois de noter que, sur les 78 millions d'euros d'augmentation des dépenses au titre de l'aide juridictionnelle, plus de 57 millions d'euros seraient dus au procès des attentats terroristes de 2015 et de 2016, avec un nombre très important de parties civiles. Cet effet n'avait pas été suffisamment anticipé lors de la prévision budgétaire, avec 7 millions d'euros prévus à ce titre.

2. Les frais de justice, un flou persistant sur les nouvelles modalités de pilotage et d'évaluation

Le rapporteur rappelle également être toujours en attente du bilan du plan d'action mis en place pour mieux piloter les frais de justice. Ces derniers connaissent une nouvelle augmentation en 2022, de 6 %, pour atteindre 650 millions d'euros. Toutefois, ce n'est pas tant l'augmentation de ses frais qui interroge que leur pilotage.

L'augmentation constatée en 2022 répond en effet à des préoccupations partagées de tous, notamment pour mieux lutter contre les violences infra-familiales (enquêtes sociales rapides), pour améliorer la prise en charge des victimes partout sur le territoire (renforcement du maillage territorial des unités médico-judiciaires) ou pour favoriser l'accès de la justice pour tous (traduction et interprétariat). Toutefois, alors que la direction des services judiciaires a mené des actions de sensibilisation des magistrats et a diffusé un plan d'actions national auprès de l'ensemble des chefs de cour au mois de septembre 2021, aucun bilan n'a encore été effectué et/ou communiqué.

Les frais de justice constituent plus du tiers des charges à payer constatées à la fin de l'année 2022 - 89,9 millions d'euros, pour un total de 244,7 millions d'euros. Cette part s'est aggravée avec la détérioration des délais de paiement des frais de justice12(*).

D. RENFORCER L'ÉVALUATION ET LES OUTILS DE SUIVI, UN IMPÉRATIF POUR LA PROCHAINE LOI DE PROGRAMMATION DE LA JUSTICE

Plusieurs indicateurs de contexte ou de performance de la mission « Justice » pourraient être modifiés afin de mieux tenir compte des enjeux auxquels fait face le ministère et des demandes, politiques comme citoyennes, auxquelles la politique publique de la justice doit répondre.

Comme il l`avait déjà souligné dans son rapport budgétaire sur la mission « Justice » en 202213(*), l'indicateur de récidive14(*) est emblématique des difficultés de suivi et d'évaluation rencontrées par le ministère. Disparu en 2022, il est revenu dans le projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2023. Ses modalités de calcul sont critiquables puisqu'elles ne retiennent que la récidive légale dans un délai de deux ans, à partir du casier judiciaire national, alors même que le délai est généralement de cinq ans dans les textes. L'indicateur transmis au Parlement dans les documents budgétaires diffère donc des taux de récidive calculés par le ministère, ce qui n'est pas de nature à favoriser la lisibilité de ces données, déjà difficiles à évaluer.

Par ailleurs, la récidive n'est constatée que lorsqu'elle est prévue par le code pénal, par exemple la commission de faits délictuels identiques dans un certain délai. L'indicateur n'inclut donc pas la réitération, une notion plus générale qui recouvre les situations dans lesquelles une seconde infraction est commise après la condamnation définitive pour la première infraction, et hors cas de récidive légale.

Un deuxième exemple concerne un enjeu budgétaire clé pour le ministère, ses dépenses immobilières. Le rapporteur souscrit ici pleinement à la recommandation de la Cour des comptes, qui souhaiterait que l'indicateur de performance énergétique du parc immobilier distingue les nouvelles constructions, qui répondent aux normes les plus exigeantes en la matière, des anciennes constructions, pour mieux évaluer les efforts de rénovation15(*). C'est d'autant plus important que le rapporteur spécial a rappelé à plusieurs reprises que les crédits mobilisés sur les programmes d'investissement de grande ampleur, tel que le « plan 15 000 », ne devaient pas conduire à occulter l'impératif de sanctuariser une partie des crédits immobiliers pour l'entretien des bâtiments existants. Il note à cet égard l'effort inédit pour l'entretien des établissements pénitentiaires, avec 160 millions d'euros consommés.

Enfin, alors que le projet de loi de programmation de la justice pour la période 2023-202716(*) est actuellement en cours d'examen au Parlement, le rapporteur spécial réitère les propos tenus lors de l'examen des derniers projets de loi de finances : la hausse significative des crédits alloués à la mission « Justice » doit impérativement s'accompagner d'une évaluation de cette dépense. Il rejoint à ce titre la conclusion du contrôleur budgétaire et comptable ministériel, qui estime qu'un « travail approfondi sur les déterminants des principales dépenses du ministère » est nécessaire17(*).


* 1 Les crédits dédiés aux juridictions administratives sont portés par le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

* 2  Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 3 Cour des comptes, «  Analyse de l'exécution budgétaire 2022. Mission Justice », avril 2023.

* 4 Décret n° 2022-512 du 7 avril 2022 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance.

* 5 Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

* 6 L'article 190 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 a prorogé le moratoire sur l'encellulement individuel du 31 décembre 2022 au 31 décembre 2027.

* 7 Rapport n° 402 (2021-2022) - 26 janvier 2022, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le plan de transformation numérique de la justice, par M. Antoine Lefèvre, au nom de la commission des finances.

* 8 Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

* 9 Rapport annuel du contrôleur budgétaire et comptable ministériel près le ministère de la justice relatif à l'exécution budgétaire et à la situation financière et comptable ministérielle, année 2022.

* 10 Cour des comptes, «  Le budget de l'État en 2022. Résultats et gestion », avril 2023.

* 11 Contribution sur la mission « Justice » de M. Antoine Lefèvre au rapport général n° 163 (2021-2022), fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2022, déposé le 18 novembre 2021 et contribution au rapport général n° 115 (2022-2023), fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2023, déposé le 17 novembre 2022.

* 12 Rapport annuel du contrôleur budgétaire et comptable ministériel près le ministère de la justice relatif à l'exécution budgétaire et à la situation financière et comptable ministérielle, année 2022.

* 13 Contribution sur la mission « Justice » de M. Antoine Lefèvre au rapport général n° 163 (2021-2022), fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2022, déposé le 18 novembre 2021 et contribution au rapport général n° 115 (2022-2023), fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2023, déposé le 17 novembre 2022.

* 14 Un indicateur dit de contexte, et non de performance.

* 15 Cour des comptes, «  Analyse de l'exécution budgétaire 2022. Mission Justice », avril 2023.

* 16 Dossier législatif du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

* 17 Rapport annuel du contrôleur budgétaire et comptable ministériel près le ministère de la justice relatif à l'exécution budgétaire et à la situation financière et comptable ministérielle, année 2022.