II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. LES CRÉDITS DE FONCTIONNEMENT DU PROGRAMME « SÉCURITÉ CIVILE » SONT SOUS TENSION

1. Une sur-exécution des crédits de fonctionnement en 2022, qui résulte d'une forte mobilisation des acteurs de la sécurité civile en réponse à une saison de feux de forêt particulièrement intense

Les dépenses de fonctionnement se sont élevées à 194,6 millions d'euros en CP en 2022, soit 40,2 millions de plus que la budgétisation initiale, et près de 31,1 millions d'euros de plus que l'exécution 2021.

Cette surconsommation de près de 26 % par rapport à la budgétisation initiale s'explique en grande partie par la sollicitation exceptionnelle des acteurs de la sécurité civile, et notamment de la flotte aérienne de la DGSCGC, en réponse à la saison « feux de forêt » de 2022 particulièrement intense. Ces incendies de forêt, qui concernent habituellement davantage la moitié sud-est du pays, ont cette année eu la particularité de s'étendre concomitamment à plusieurs parties du territoire, dont la Gironde, particulièrement touchée. Près de 72 000 hectares de forêt ont été brûlés, soit un montant près de six fois supérieur à la moyenne décennale. Par ailleurs, près de 7 800 incendies ont été recensés en métropole entre le 1er juin et le 30 septembre 2022, soit trois fois plus que la moyenne décennale qui s'établit à 2 715 incendies recensés.

Cette forte mobilisation des acteurs de la sécurité civile a impliqué un surcoût budgétaire important, qui a concerné plusieurs dépenses de fonctionnement, telles que la location d'aéronefs, la maintenance des appareils, et la consommation de carburant et de produit retardant, mais aussi, les dépenses d'intervention par le biais du financement par l'État des colonnes de renfort.

Pour répondre à cette forte activité, les aéronefs de la sécurité civile ont réalisé 7 776 heures de vol, contre 6 000 heures de vol pour une saison moyenne. Cette activité exceptionnelle de la flotte est en partie responsable de la hausse des dépenses de carburant des aéronefs, qui s'élèvent à 17 millions d'euros en CP, soit une augmentation de 48 % par rapport aux prévisions de la LFI pour 2022. Toutefois, cette hausse n'est pas uniquement imputable à ce regain d'activité, puisqu'elle résulte en grande partie de l'inflation du coût des hydrocarbures.

En outre, les dépenses de produits de retardant se sont élevées à 8,5 millions d'euros, et représentent ainsi le double du montant prévu par la LFI pour 2022. Près de 5,8 millions d'euros de retardant aérien et 2 millions d'euros de retardant terrestre ont été consommés. Les dépenses de maintenance et de location des pélicandromes, qui permettent le ravitaillement des aéronefs en retardant, ce sont élevées à 700 000 euros.

Le ministère de l'intérieur a également été contraint de recourir en urgence à la location de deux hélicoptères lourds bombardiers d'eau, s'additionnant à la location des deux appareils de ce type initialement prévue, et à la réquisition de huit appareils. Le montant des dépenses engagées pour ces locations s'élève à 14,3 millions d'euros en CP, contre 6 millions d'euros prévus dans la programmation budgétaire initiale.

Enfin, la sur-sollicitation de la flotte aérienne de la sécurité civile s'est traduite par des opérations de maintenance plus nombreuses, générant un surcoût de 11 millions d'euros par rapport à la programmation initiale.

Ces dépenses imprévues ont conduit le Gouvernement à proposer, dans le cadre de la LFR 2 pour 2022, l'ouverture de 18,1 millions d'euros en AE et 26,3 millions d'euros CP pour absorber les surcoûts induits par cette saison « feux de forêt ».

Ce surcoût s'est finalement élevé à près du 33 millions d'euros4(*), soit 4,8 % des CP ouverts en LFI pour 2022 sur le programme. Le rapporteur spécial relève le caractère particulièrement élevé de ce montant, au regard de l'évaluation réalisée par le Cour des comptes en 2021, qui avait estimé qu'une saison feux haute intensité entraînerait un surcoût d'environ 10 millions d'euros.

Il souligne que, si les évènements de l'été 2022 étaient de nature quasi-inédite, il est malheureusement probable que la saison des feux 2022 devienne à l'avenir une saison de référence, compte tenu de l'intensification et de l'extension géographique du risque feux de forêts induit par le réchauffement climatique,. Cette intensification du risque pourrait conduire à une augmentation chronique de certaines dépenses de fonctionnement, et mettre sous tension la soutenabilité du programme, comme il l'a déjà souligné l'année dernière5(*). La Cour des comptes avait par ailleurs relevé les faibles marges de manoeuvre dont disposent les gestionnaires du programme, dont le taux de dépenses obligatoires et inéluctables représentait en 2021 81,9 % des AE et 98,4 % des CP6(*). Dans ce contexte, le rapporteur spécial s'assurera que les prochaines programmations budgétaires soient bien en adéquation avec l'intensification du risque « feux de forêt » et les dépenses supplémentaires qu'elle implique.

À cet égard, il avait émis des réserves sur la budgétisation de certains postes de dépenses lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023. La budgétisation initiale ne tirait en effet que partiellement les conséquences des surcoûts induits par la saison des feux 2022. Toutefois, un amendement du Gouvernement, adopté en séance publique au Sénat, était venu abonder le programme « Sécurité civile » de 12 millions d'euros en AE et en CP, dont 5 millions destinés à la location d'hélicoptères lourds bombardiers d'eau supplémentaires.

2. Les dépenses de maintenance de la flotte d'hélicoptères constituent un facteur de fragilisation de la soutenabilité budgétaire du programme à court-terme

Dans sa note sur l'exécution budgétaire de la mission « Sécurités », la Cour des comptes fait état, dans la lignée du constat formulé dans un référé adressé au ministère de l'intérieur du 26 juillet 2022, d'un « maintien en condition opérationnelle défaillant » concernant la flotte d'hélicoptères « Dragons » EC145 de la sécurité civile.

Les éléments transmis par la DGSGC au rapporteur spécial confirment ce constat, en indiquant que le titulaire du marché de soutien des hélicoptères « n'a pas été à la hauteur des enjeux, ce qui a conduit le groupement hélicoptère à limiter drastiquement son activité aux missions essentielles et a déstabilisé l'activité du centre de maintenance de manière durable. »

Le marché MCO des hélicoptères EC 145 de la sécurité civile

La maintenance de la flotte hélicoptères EC145 est assurée, à titre principal, en régie par l'organisme d'entretien du groupement basé à Nîmes. La sécurité civile s'est associée pour l'essentiel de la couverture de ses besoins de réparation et de rechange d'équipements aéronautiques aux marchés négociés de maintenance aéronautique des aéronefs du ministère des armées par la direction de la maintenance aéronautique d'État (DMAé).

Ainsi, huit marchés différents, en majorité mutualisés avec la gendarmerie nationale, permettent de couvrir ces besoins, dont les plus importants concernent le support logistique de la maintenance des cellules des appareils EC145 auprès du groupement I, et des moteurs auprès de Safran Helicopters engines, commun à toutes les flottes hélicoptères d'État.

Le marché attribué au groupement I est un accord-cadre conclu pour une durée de sept ans au montant maximum de 270 millions d'euros, avec un engagement d'AE pour 27 mois en janvier 2021.

Source : Cour des comptes, note sur l'exécution budgétaire de la mission « Sécurités » pour l'année 2022

Le Cour fait état de nombreuses difficultés dans la réalisation du marché de maintenance des cellules des appareils EC145 (groupement I.), qui auraient sensiblement impacté la disponibilité opérationnelle de la flotte depuis 2021. Plusieurs appareils ont été rendus indisponibles en raison de difficultés logistiques qui ont impliqué un allongement des délais d'approvisionnement en pièces détachés. Le taux de disponibilité des hélicoptères EC145, qui s'élevait à 95 % en 2020, a ainsi sensiblement baissé, pour s'établir à 90,7 % en 2022. Ces retards ont abouti à l'application de pénalités au prestataire, pour un montant de près d'1 million d'euros, uniquement pour la part du marché concernant la sécurité civile.

Ces difficultés conduiraient en outre à des retards dans les travaux de rénovation des hélicoptères EC145. Ces travaux impliqueraient en effet l'immobilisation d'appareils supplémentaires, et pourraient ainsi déstabiliser davantage le fonctionnement opérationnel de la flotte. Le ministère de l'intérieur a toutefois précisé que cette rénovation n'apparaissait en tout état de cause plus opportune, compte tenu de l'annonce du renouvellement de cette flotte dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur7(*) (LOPMI).

D'après la Cour, « les difficultés relatives à ce marché risquent d'avoir des conséquences budgétaires supplémentaires dans les prochains mois. » Le prestataire I. estime en effet que les surcoûts induits par ces difficultés remettraient en cause l'économie du contrat, mettant en péril la poursuite de son activité et par conséquent, la poursuite du marché. D'après la Cour, le prestataire « a donc saisi le comité consultatif national de règlement amiable des litiges afin que les surcoûts soient mis à la charge de l'État. » et a, en parallèle, « soumis un projet d'accord préalable entre les parties », refusé à ce stade par la DGSCG et la direction de la maintenance aéronautique d'État (DMAé). Cette proposition d'accord contient :

- une modification de la gouvernance du marché et du mode de rémunération du titulaire au titre de certaines prestations ;

- la mise en place d'une transaction pour les coûts supplémentaires supportés par le titulaire du marché I. au titre des premières années du marché ;

- une redéfinition des pénalités, voire une suspension pour les équipements connaissant de fortes tensions sur le marché.

Le Gouvernement estime que ces nouvelles conditions impliqueraient un surcoût annuel de 13 millions d'euros pour la sécurité civile, ainsi que le paiement de 34,3 millions d'euros de dédommagement au profit du prestataire pour les surcoûts supportés depuis le début du marché. D'après la Cour des comptes8(*) le prestataire ferait « planer la menace d'une cessation d'activités dans les mois prochains si cette transaction n'est pas acceptée, ce qui est susceptible de mettre en péril l'ensemble de la maintenance des hélicoptères de la sécurité civile ».

Le rapporteur spécial partage la position de la Cour, qui estime que cet accord « conduirait à accroître significativement la tension déjà élevée sur le programme », et recommande ainsi à l'État de « refuser la prise en charge financière (...) des défaillances du prestataire de maintien en condition opérationnelle des hélicoptères de la sécurité civile ».


* 4 Dont 5 millions d'euros de dépenses d'intervention, au titre du financement des colonnes de renfort.

* 5 Rapport n° 792 (2021-2022) de M. Jean Pierre VOGEL, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 juillet 2022.

* 6 Cour des comptes, Note d'analyse de l'exécution budgétaire 2021 - Mission « Sécurités ».

* 7 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 8 Cour des Comptes, Note d'analyse de l'exécution budgétaire en 2022 de la mission « Sécurités ».