N° 893

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 juillet 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 (procédure accélérée),

Par Mme Sophie PRIMAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas, présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault, secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mme Daphné Ract-Madoux, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot.

Voir les numéros :

Sénat :

888, 891, 892 et 894 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Sur le rapport de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, cette dernière a adopté, le 17 juillet 2023, le projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023.

Ce texte vise à habiliter le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi propre à accélérer et faciliter les opérations de reconstruction ou de réfection des bâtiments détruits ou dégradés lors des émeutes urbaines qui ont touché la France entre le 27 juin et le 5 juillet 2023, en adaptant les règles d'urbanisme (article 1er), en assouplissant les règles de la commande publique (article 2) et en modifiant le régime de prise en charge par l'État ou d'autres collectivités des frais occasionnés par ces réparations (article 3).

Compte tenu du caractère transversal du texte, son examen a été pour partie délégué à la commission des lois (article 2) et à la commission des finances (article 3), la commission des affaires économiques conservant l'examen au fond de l'article 1er.

I. UNE URGENCE : SOUTENIR LES MAIRES FACE AU DÉFI D'UNE RECONSTRUCTION ACCÉLÉRÉE

À la suite du décès à Nanterre, le mardi 27 juin 2023, du jeune Nahel, lors d'un contrôle de police, de nombreuses villes ont été touchées par des émeutes urbaines, d'abord à Nanterre même, puis dans d'autres villes des Hauts-de-Seine et de la région parisienne, et enfin dans toute la France. Après avoir atteint leur climax en début de week-end, elles ont peu à peu reflué, jusqu'à s'éteindre le 5 juillet.

A. PLUS DE 2 500 BÂTIMENTS DÉGRADÉS, UN BILAN SUPÉRIEUR À CELUI DES ÉMEUTES DE 2005

Au cours de ces émeutes, de nombreux bâtiments, publics et privés, ont été pris pour cible, y compris via des incendies volontaires.

Selon le ministère de l'intérieur, plus de 2 500 bâtiments, au total, auraient été détruits ou dégradés, dans plus de 500 communes. Parmi eux, de nombreux commerces, abondamment pillés, mais aussi des bâtiments publics : commissariats, brigades de gendarmeries et postes de police municipale, mais aussi mairies, écoles, crèches, gymnases, trésoreries, maisons de quartier ou de la culture, mais aussi bureaux de poste... Rien qu'en Île-de-France, une centaine d'équipements publics auraient été la cible des casseurs.

Les établissements scolaires eux-mêmes ont fait les frais de ce déchaînement de violence : près de 250 établissements ont été pris pour cibles, une soixantaine parmi eux ayant subi des dégradations importantes, notamment du fait de départs d'incendies, et une dizaine ayant subi une destruction partielle ou totale. Rien que pour les établissements scolaires, les dégâts s'élèvent à plusieurs dizaines de millions d'euros.

B. UNE NÉCESSITÉ : PERMETTRE LA RECONSTRUCTION SANS DÉLAIS DES ÉQUIPEMENTS EMBLÉMATIQUES DU SERVICE PUBLIC

Si la plupart des commerces et bâtiments publics touchés ont déjà pu rouvrir, il est essentiel de pouvoir accélérer la reconstruction de ceux qui ont subi des dégradations plus importantes.

L'urgence est particulièrement criante pour les écoles, dont chacun souhaite qu'elles soient en mesure d'accueillir les élèves pour la prochaine rentrée scolaire, en septembre, à l'exception de celles totalement détruites, pour lesquelles la reconstruction prendra plusieurs années.

C. LES RÈGLES D'URBANISME DE DROIT COMMUN PEUVENT FAIRE OBSTACLE À UNE RECONSTRUCTION RAPIDE

Or, si la plupart des opérations de réfection légère peuvent être mises en oeuvre aisément et rapidement dans le cadre du droit existant, les règles d'urbanisme peuvent faire obstacle à une reconstruction rapide des bâtiments plus lourdement touchés, tant en ce qui concerne les dispositions elles-mêmes que les délais d'instruction.

D'une part, la reconstruction d'un bâtiment en cas de sinistre, lorsqu'elle ne se fait pas strictement à l'identique, est soumise à autorisation d'urbanisme dans les conditions de droit commun, au regard des règles d'urbanisme actuellement applicables. Ainsi, une mairie incendiée pourrait par exemple ne pas pouvoir être reconstruite, si le plan local d'urbanisme a été modifié entre temps et que la zone n'est plus constructible.

D'autre part, le début des travaux ne peut pour l'heure, logiquement, intervenir qu'après délivrance de l'autorisation d'urbanisme. La délivrance de cette autorisation est enserrée dans des délais qui peuvent habituellement aller de un à trois mois selon les cas, mais peuvent être majorés - pour les cas concernés - jusqu'à cinq mois, si cette délivrance est soumise à avis ou consultation d'autres instances (notamment au titre de la protection du patrimoine ou de l'environnement, mais aussi en matière d'autorisation d'exploitation commerciale). Ces avis complémentaires peuvent en outre devoir être recueillis explicitement, selon la règle du « silence vaut refus ». Si certains cas peuvent être gérés par une diligence accrue des services instructeurs, les capacités de traitement de ces derniers ne permettront certainement pas de gérer tous les cas.

II. L'ARTICLE 1ER DU PROJET DE LOI : ADAPTER LES RÈGLES D'URBANISME POUR ACCÉLÉRER LA RECONSTRUCTION

L'article 1er vise à habiliter le Gouvernement, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi, des mesures relevant du domaine de la loi destinées à :

- autoriser la reconstruction ou la réfection des bâtiments détruits ou endommagés au cours des émeutes à l'identique ou sous réserve de modification limitée, nonobstant toute disposition du droit de l'urbanisme contraire, et y compris lorsqu'un document d'urbanisme applicable en dispose autrement ;

- autoriser l'engagement des travaux préliminaires dès la déclaration préalable ou le dépôt de la demande d'autorisation d'urbanisme ;

- accélérer les délais d'instruction des demandes d'autorisation d`urbanisme en réduisant les délais applicables et en prévoyant, lorsque ce n'est pas le cas, que le silence gardé par les différentes instances qui peuvent devoir être consultées au titre de la réglementation de l'urbanisme ou des réglementations connexes vaut accord.

Ces deux dernières dispositions devraient permettre, selon le Gouvernement, de ramener la durée totale d'instruction des demandes à un mois et demi maximum.

Un projet de loi de ratification sera déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois suivant la publication de l'ordonnance.

III. FACE À UNE SITUATION D'EXCEPTION, SOUTENIR DES MESURES D'EXCEPTION

La commission soutient pleinement l'objectif d'accélération de la reconstruction des bâtiments détruits porté par le texte. Pour la commission, il s'agit d'une urgence économique, mais aussi, et surtout, d'une urgence citoyenne et républicaine.

A. UN PROJET DE LOI QUI CONFORTE LE SOUTIEN APPORTÉ PAR LE SÉNAT AUX COLLECTIVITÉS TOUCHÉES PAR LES DÉGRADATIONS

Face à l'ampleur des dégradations et à la détresse des élus, une proposition de loi d'urgence pour la reconstruction a été déposée au Sénat dès le 3 juillet par Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et plusieurs de ses collègues, visant notamment à lever les obstacles en matière de réglementation de l'urbanisme, mais également en matière de financement et de règlementation des marchés publics.

« Pour que la République ne recule pas, il est urgent de reconstruire les équipements emblématiques du service public qui ont été détruits ou endommagés. »

Exposé des motifs de la proposition de loi d'urgence pour la reconstruction des bâtiments et équipements publics endommagés lors des émeutes du mardi 27 juin 2023 et des jours suivants, déposée au Sénat par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues le 3 juillet 2023.

L'article 1er du projet de loi reprenant l'essentiel des dispositions de cette proposition de loi, la commission exprime sa satisfaction d'avoir pu faire entendre, auprès du Gouvernement, la voix des collectivités.

B. L'HABILITATION À LÉGIFÉRER PAR ORDONNANCE, UN VÉHICULE ADAPTÉ À L'URGENCE DE LA SITUATION

Si le Sénat se montre d'ordinaire réticent à se dessaisir temporairement de son pouvoir législatif en habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance, la commission a estimé qu'en l'espèce, les délais d'examens parlementaires ne permettraient pas de répondre dans les délais impartis à l'urgence de la situation.

Compte tenu du caractère consensuel des dispositions qui devraient être prises sur la base de cette habilitation, et des garanties données par le Gouvernement quant à leur orientation, elle a considéré en responsabilité qu'il était justifié, au bénéfice des maires et des populations des communes concernées, de ne pas modifier le texte proposé par le Gouvernement, afin de permettre à celui-ci de mettre en place les mesures législatives nécessaires dans les meilleurs délais, en les coordonnant avec les évolutions réglementaires également pertinentes.

La commission a donc adopté l'article 1er sans modification.

EXAMEN DE L'ARTICLE

Article 1er

Habilitation du Gouvernement à assouplir par ordonnance les règles d'urbanisme pour accélérer la reconstruction et la réfection des bâtiments dégradés ou détruits lors des émeutes urbaines survenues entre le 27 juin et le 5 juillet 2023

Cet article vise à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de nature législative propres à accélérer la reconstruction et la réfection des bâtiments dégradés ou détruits lors des émeutes urbaines survenues entre le 27 juin et le 5 juillet 2023 en :

- autorisant leur reconstruction à l'identique ou sous réserve de modifications limitées, même si les règles d'urbanisme en vigueur s'y opposent ;

- permettant l'engagement des travaux préliminaires dès avant la délivrance de l'autorisation d'urbanisme ou la décision de non-opposition à déclaration préalable ;

- adaptant les procédures d'instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme requises pour en accélérer le traitement, y compris en ce qui concerne les consultations des instances ou autorités dont l'avis, l'accord ou l'autorisation sont requis au titre d'une autre réglementation que celle de l'urbanisme.

La commission a adopté l'article sans modification.

I. La situation actuelle - Les règles d'urbanisme peuvent, dans un nombre limité de cas, faire obstacle à une reconstruction rapide des bâtiments dégradés lors des émeutes, tant en raison des dispositions elles-mêmes que des délais d'instruction

A. Les émeutes urbaines ont conduit à la destruction ou à la dégradation de centaines de bâtiments publics ou privés dans toute la France

Les émeutes urbaines qui ont touché plusieurs centaines de villes dans toute la France entre le 27 juin et le 5 juillet derniers, à la suite du décès du jeune Nahel à Nanterre, ont conduit à la dégradation, voire à la destruction, de plusieurs milliers de bâtiments publics ou privés, dans quelque cinq-cents communes.

Parmi eux, on estime que figurent environ 750 bâtiments publics1(*), aux premiers rangs desquels mairies, écoles, bibliothèques, centres sociaux, postes de police...

Selon les chiffres fournis par le ministère de l'Éducation nationale, 243 établissements scolaires auraient par exemple été la cible de dégradations. Une soixantaine d'entre eux auraient subi des dégradations importantes, une dizaine ayant été partiellement ou totalement détruits.

105 mairies et 273 bâtiments appartenant aux forces de l'ordre auraient également été dégradés, selon les chiffres cités par le ministre de l'intérieur lors de son audition devant la commission des lois du Sénat, le 4 juillet dernier2(*).

De nombreux commerces ont également été pris pour cibles par les émeutiers : plus de 400 bureaux de tabac3(*), environ 370 banques4(*) auraient en outre fait l'objet de pillages et de dégradations, tout comme de nombreux commerces d'alimentation.

Face à un tel déchaînement de violence, toutes les parties prenantes sont au défi d'une remise en état accélérée de ces bâtiments. Pour les maires, l'urgence est particulièrement criante pour les équipements emblématiques du service public qui ont été détruits ou endommagés.

B. Les souplesses prévues par le droit de l'urbanisme permettent déjà de garantir, sans modification législative, la réhabilitation ou la reconstruction rapide de la plupart des bâtiments détruits ou dégradés

De manière générale, toute construction, à quelque usage qu'elle soit destinée, est soumise à l'obtention d'un permis de construire ou, dans certains cas5(*), à déclaration préalable (art. L. 421-1 du code de l'urbanisme - CU).

Cependant, le droit de l'urbanisme prévoit déjà de nombreux cas d'application dérogatoire de cette règle de droit commun, en raison soit de la nature ou de la (faible) ampleur des travaux concernés, soit des circonstances particulières des dégradations ou destructions subies.

1) Certains travaux sont déjà, en raison de leur nature ou de leur ampleur, dispensés de toute formalité au titre du code de l'urbanisme

Sont déjà dispensés de toute formalité au titre du code de l'urbanisme :

- les travaux effectués sur des constructions existantes et qui n'en affectent par l'aspect extérieur (art. R. 421-14 CU) ;

- la plupart des travaux de ravalement (m) de l'article R. 421-2 du CU)6(*) ;

- les travaux de réalisation d'infrastructures et de leurs accessoires liés au fonctionnement, à l'exploitation ou au maintien de la sécurité de la circulation (art. R. 421-3 CU), ainsi que ceux concernant le mobilier urbain (h) de l'art. R. 421-2 CU).

Les constructions temporaires liées à des chantiers de construction ou réhabilitation sont également dispensées de toute formalité lorsque leur durée d'implantation est inférieure à trois mois, cette durée étant portée à la durée du chantier pour les constructions temporaires directement nécessaires à la conduite des travaux (1er alinéa et c) de l'art. R. 425-5 CU).

Sont encore dispensés de toute formalité au titre du code de l'urbanisme certains aménagements temporaires d'urgence tels que :

- les constructions temporaires visant au relogement d'urgence des personnes victimes d'un sinistre, pour une durée maximale d'un an (4e alinéa de l'article R. 421-5 CU) ;

- les classes démontables installées dans les établissements scolaires ou universitaires pour pallier les insuffisances temporaires de capacités d'accueil, pour la durée de l'année scolaire (b) du même article R. 421-5 CU).

2) Les opérations de reconstruction à l'identique à la suite d'un sinistre font l'objet d'une appréciation de la conformité aux règles d'urbanisme dérogatoire au droit commun

En outre, des dispositions spécifiques existent pour faciliter la reconstruction de bâtiments détruits par des événements fortuits : l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures7(*), dispose que « lorsqu'un bâtiment régulièrement édifié vient à être détruit ou démoli, sa reconstruction à l'identique est autorisée dans un délai de dix ans nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale, le plan local d'urbanisme ou le plan de prévention des risques naturels prévisibles en dispose autrement. »

Cette disposition dérogatoire permet de prémunir le demandeur contre l'évolution des règles d'urbanisme qui ont pu intervenir depuis la réalisation initiale de la construction et seraient susceptibles de s'opposer, au jour de la demande de reconstruction, à cette dernière. Sa mobilisation nécessite que soient remplies les conditions cumulatives suivantes :

- la destruction date de moins de 10 ans ;

- la construction a été, à l'origine, régulièrement édifiée ;

- la reconstruction se fait à l'identique ;

- la carte communale ou le plan local d'urbanisme ne précisent pas que, dans la zone où est implanté le bâtiment détruit, il n'est pas possible de mobiliser cette disposition dérogatoire ;

- la zone n'est pas inconstructible, au titre du plan de prévention des risques naturels.

En outre, si elle permet de ne pas tenir compte des règles d'urbanisme en vigueur au moment de la demande de reconstruction, cette disposition ne dispense pas pour autant d'obtenir l'autorisation d'urbanisme requise. Elle ne dispense pas non plus du respect des règles posées par d'autres législations, notamment celles relatives à la protection du patrimoine et de l'environnement8(*).

Afin de « faciliter le retour au fonctionnement normal des services publics et des activités économiques, dans les meilleurs délais », la circulaire de la première ministre datée du 5 juillet9(*) a rappelé ces dispositions dérogatoires, et donné instruction aux préfets, en vue de de veiller à la bonne mise en oeuvre de l'ensemble de ces dispositions déjà prévues par le code de l'urbanisme. Selon le Gouvernement, 90 à 95 % des situations occasionnées par les émeutes urbaines de fin juin-début juillet pourraient ainsi être traitées à droit constant.

C. Les souplesses prévues par le droit de l'urbanisme ne permettent cependant pas de traiter l'ensemble des cas

1) Le droit de reconstruction à l'identique s'oppose à toute évolution du projet par rapport à la construction initiale

La notion de reconstruction à l'identique, telle que permise par l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme, s'entend, selon la jurisprudence, comme « une obligation de reconstruction stricte de l'immeuble détruit », avec identité d'implantation, de volume et le cas échéant de surface10(*), ainsi que de destination et d'aspect extérieur11(*). De menues modifications sont cependant admises12(*), telles que le réaménagement des espaces intérieurs sans création de surface supplémentaire ni modification de la construction, ou de modifications de la surface de très faible ampleur13(*).

En cas de projet différent de la construction sinistrée, la conformité de ce dernier aux règles d'urbanisme sera donc en revanche appréciée, comme dans le cas général, au regard des règles d'urbanisme en vigueur au moment de la reconstruction14(*), qu'il s'agisse de différences notables en matière d'architecture (dimensions et volume15(*), aspect extérieur, configuration architecturale16(*)...) ou d'implantation17(*). Les motivations techniques à d'éventuelles modifications, des dimensions du bâtiment reconstruit, par exemple, ne sont pas non plus admises18(*).

2) Certains travaux demeurent soumis à déclaration préalable ou autorisation d'urbanisme, en raison notamment de la nature des bâtiments concernés

Hors les cas cités notamment au a. du B., la plupart des travaux demeurent soumis à permis de construire ou à déclaration préalable.

Il s'agit notamment de la plupart des constructions nouvelles (R. 421-1 CU).

En ce qui concerne les travaux exécutés sur des constructions existantes, demeurent notamment soumises à permis de construire ou déclaration préalable les travaux :

- étendant significativement la surface de plancher ou l'emprise au sol du bâtiment (art. R. 421-14 du CU) ;

- portant sur un immeuble inscrit au titre des monuments historiques (art. R. 421-16 CU) ;

- ayant pour effet de modifier l'aspect extérieur d'un bâtiment existant (à l'exception des travaux de ravalement) (a) de l'art. R. 421-17 CU) ;

- susceptibles de porter atteinte à des éléments patrimoniaux (c) à e) du même article), ainsi que les travaux de ravalements exécutés dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable classé ou dans les abords d'un monument historique, ou dans un site inscrit ou classé, ou sur un immeuble protégé (art. R. 421-17-1 du CU)19(*).

D. Les délais de délivrance des autorisations d'urbanisme peuvent différer le début des travaux jusqu'à cinq mois

1) La délivrance de l'autorisation d'urbanisme ou la non-opposition à la déclaration préalable est un prérequis au commencement des travaux

Aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme, précité, la délivrance d'un permis de construire ou une décision de non-opposition à une déclaration préalable sont nécessaires avant l'engagement de tous travaux.

Le permis de construire, d'aménager ou de démolir devient en effet exécutoire uniquement à compter de sa notification au demandeur et de sa transmission au préfet pour contrôle de légalité (art. L. 424-7 CU), le permis tacite et la décision de non-opposition à une déclaration préalable devenant exécutoires à l'expiration des délais d'instruction détaillés ci-dessous (art. L. 424-8 CU).

2) Les délais de délivrance des autorisations d'urbanisme peuvent dans certains cas être portés jusqu'à cinq mois, compte tenu des avis, accords et autorisations complémentaires requis par la réglementation de l'urbanisme ou d'autres réglementations

Aux termes de l'article R. 423-23 du code de l'urbanisme, le délai d'instruction de droit commun des demandes d'autorisation d'urbanisme et des déclarations préalables est de :

- un mois pour les déclarations préalables ;

- deux mois pour les demandes de permis de démolir et pour les demandes de permis de construire portant sur une maison individuelle ;

- trois mois pour les autres demandes de permis de construire, ainsi que pour les demandes de permis d'aménager.

Le délai d'instruction d'une demande d'autorisation d'urbanisme ou d'une déclaration préalable court à compter de la réception en mairie du dossier complet du demandeur (art. R. 423-19 CU).

Le point de départ du délai d'instruction peut néanmoins dans certains cas être décalé, notamment lorsque le permis ou la décision de non-opposition à déclaration préalable ne peut être délivré qu'après enquête publique, auquel cas le délai part de la réception par l'autorité compétente du rapport du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête) (art. R. 423-20 CU).

Cependant, la délivrance de l'autorisation ou la décision de non-opposition peut, dans certains cas, être soumise à avis, accord ou autorisation de personnes publiques, services ou commissions intéressés au projet (art. R. 423-50 CU). C'est le cas en particulier lorsque le projet concerné porte sur une opération soumise à un régime d'autorisation prévu par une autre législation20(*). Il appartient alors à l'autorité compétente en matière de délivrance d'autorisation d'urbanisme de recueillir les avis, accord ou autorisation prévus auprès des instances concernées.

Pour permettre le recueil de ces différents avis, accords ou autorisations, le délai d'instruction de droit commun des demandes d'autorisation d'urbanisme est modifié, lorsque le permis ou la décision prise sur la déclaration préalable est soumis à un avis obligatoire d'autres instances (b) de l'article R. 423-18 du CU). Cette prolongation intervient aussi bien lorsque l'autorisation d'urbanisme embarque ces autorisations connexes, que lorsqu'elle en demeure distincte21(*). Sauf exceptions (cf. ci-dessous), ces accords, avis ou autorisations sont automatiquement réputés favorables ou acquises lorsque les services, autorités ou commissions concernés n'ont pas fait parvenir à l'autorité compétente leur réponse motivée dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande d'avis (art. R. 423-59 CU).

Le délai d'instruction peut en outre, cumulativement, être prolongé, pour prendre en compte d'autres obligations procédurales (c) de l'art. R. 423-18 CU).

Ainsi, les délais de droit commun sont majorés, notamment dans les cas suivants :

Motif de la majoration du délai d'instruction

Durée de la majoration

Référence

ð Le projet est soumis à un régime d'autorisation à des prescriptions prévus par d'autres législations ou réglementations que le code de l'urbanisme

ð Le bâtiment est situé dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques

ð La décision nécessite d'accord une dérogation aux règles d'urbanisme en vigueur, notamment en raison des contraintes architecturales propres aux immeubles protégés au titre de la législation sur les monuments historiques

1 mois

art. R. 423-24 (a), b) et c))

Pour une demande de permis :

ð Consultation d'une commission départementale ou régionale

ð Le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale

2 mois

art. R. 423-25 (a) et e))

Pour une déclaration préalable : consultation de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture

 

art. R. 423-25-1

Pour une demande de permis :

ð Consultation d'une commission nationale

Délai porté à 5 mois

art. R. 423-27

ð Immeuble inscrit au titre des monuments historiques

ð Travaux relatifs à un établissement recevant du public

 

art. R. 423-28

Pour une demande de permis : travaux soumis à l'accord du ministre chargé des sites, pour un projet situé dans un site classé ou en instance de classement

Délai porté à 8 mois

c) de l'art. R. 423-31 du code de l'urbanisme

Les délais peuvent également être majorés (d'un mois) lorsque le projet est soumis à participation du public (e) de l'art. R. 423-24 CU).

Il n'est donc pas rare que le délai maximal d'obtention d'une autorisation d'urbanisme, habituellement de trois mois pour les bâtiments publics, soit porté à cinq mois, notamment dans des centre-ville anciens, et pour des bâtiments commerciaux ou des bâtiments appelés à recevoir du public.

Ce délai d'instruction peut en outre être prolongé de manière exceptionnelle, notamment en cas de saisine du préfet suite à un désaccord de l'autorité compétente et de l'architecte des Bâtiments de France (ABF)22(*) ou de recours contre un refus d'autorisation nécessaire à l'exploitation commerciale ou à l'exploitation d'un cinéma23(*).

Le délai d'instruction peut également être prolongé lorsque l'autorité compétente pour délivrer les autorisations d'urbanisme impose au maître d'ouvrage l'organisation d'une concertation préalable, auquel cas ce délai est suspendu jusqu'à la date de publication du bilan de cette concertation (art. R. 423-37-2) ou lorsque le dossier doit faire l'objet d'une évaluation environnementale, auquel cas le délai est suspendu jusqu'à la date de réception du rapport d'enquête publique ou de la synthèse des observations du public (art. R. 423-37-3).

Ces délais d'instruction fixés par le code de l'urbanisme sont des délais maximum, une autorisation expresse ou une décision de non-opposition expresse pouvant tout à fait intervenir dans un délai plus court.

3) La règle du « silence vaut refus » peut dans certains cas bloquer la délivrance des autorisations d'urbanisme

Aux termes de l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme, la règle du « silence vaut accord » prévaut pour la plupart des demandes d'autorisation d'urbanisme et déclarations préalables, excepté dans un nombre limité de cas, notamment pour les permis de construire, d'aménager ou de démolir :

- lorsque le projet porte sur un immeuble inscrit au titre des monuments historiques (c) de l'article R. 424-2 CU) ;

- lorsque le projet concerné nécessite une autorisation d'exploitation cinématographique ou commerciale qui a été refusée (respectivement g) et h) du même article) ;

- dans tous les cas où la décision est soumise à l'accord de l'ABF et que ce dernier a notifié un avis défavorable, ou un avis favorable assorti de prescriptions (art. R. 424-3 CU)24(*).

Sauf cas particuliers, les avis complémentaires requis sont également réputés favorables s'ils n'ont pas été transmis à l'autorité compétente sous un mois (art. R. 423-59 CU). Ce délai peut cependant être majoré, pour être par exemple porté à :

- deux mois lorsque doivent être consultées la commission régionale du patrimoine et de l'architecture ou la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (art. R. 423-60 CU), ou lorsqu'est requis l'avis ou l'accord de l'ABF, dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques, ou dans un site inscrit ou classé ou en instance de classement (art. R. 423-67 CU) ;

- trois mois en cas de consultation d'une commission nationale (art. R. 423-61 CU) ;

- quatre mois lorsque la demande de permis porte sur un établissement recevant du public (art. R. 423-70 CU).

En outre, par exception, le silence gardé par l'instance consultée vaut refus concernant :

- l'accord de l'ABF sur une demande de permis de démolir, dans un site inscrit (art. R. 423-67-2) ;

- la décision de la commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) saisie en recours contre un avis négatif de la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) (art. R. 423-59 CU).

II. Le dispositif envisagé - Habilitation du Gouvernement à assouplir par ordonnance les règles d'urbanisme pour accélérer la reconstruction des bâtiments dégradés ou détruits

L'article vise à habiliter le Gouvernement, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi, des mesures relevant du domaine de la loi destinées à traiter trois sujets :

- autoriser la reconstruction ou la réfection des bâtiments détruits ou endommagés, à l'identique ou sous réserve de modifications limitées ou d'améliorations justifiées, nonobstant toute disposition de droit de l'urbanisme contraire, et y compris lorsqu'un document d'urbanisme applicable en dispose autrement ;

- autoriser l'engagement des opérations et travaux préliminaires dès la déclaration préalable ou le dépôt de la demande de permis ;

- accélérer l'instruction des demandes d'autorisation d`urbanisme en :

o adaptant les règles d'instruction et de délivrance des autorisations d'urbanisme et, le cas échéant, des autorisations préalablement requises au titre d'autres réglementations ;

o réduisant les délais prévus par les dispositions législatives ;

o prévoyant, lorsque ce n'est pas le cas, que le silence gardé par les différentes instances qui peuvent devoir être consultées au titre de la réglementation de l'urbanisme ou des réglementations connexes vaut accord, et non refus.

Un projet de loi de ratification sera déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois suivant la publication de l'ordonnance.

A. Étendre les possibilités de reconstruction ou de réhabilitation des bâtiments détruits ou endommagés au cours des émeutes urbaines

Le 1° vise à permettre la création d'un régime dérogatoire inspiré de celui de l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme : il serait alors possible d'examiner la conformité d'une demande de reconstruction, mais aussi de réfection des bâtiments détruits, non au regard des règles d'urbanisme actuellement en vigueur, mais au regard des règles d'urbanisme applicables à l'époque de la construction initiale. Il s'agit de prémunir les pétitionnaires contre un refus motivé par une évolution, entre ces deux dates, notamment des règles fixées dans le document d'urbanisme applicable.

Cette possibilité serait ouverte y compris si la carte communale ou le plan local d'urbanisme l'excluait, dans la zone concernée, comme le lui permet l'article L. 111-5 du code de l'urbanisme.

L'habilitation prévoit également que, contrairement à la jurisprudence très stricte relative à l'article L. 111-15 précité, cette disposition sera applicable y compris en cas de modifications limitées par rapport au bâtiment initial. Il pourrait s'agir, notamment, d'adaptations subordonnées à l'amélioration des performances environnementales, de sécurité ou d'accessibilité, pour les personnes en situation de handicap, ainsi que le précise l'exposé des motifs.

Les modifications permises seraient donc plus étendues que les adaptations mineures permises aujourd'hui par l'article L. 111-15. Selon les informations transmises par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, ces modifications devraient toutefois demeurer limitées à celles qui ne remettent pas en cause, par leur nature ou par leur ampleur, la conception générale de la construction préexistante (notamment en termes d'implantation ou de volume).

B. Autoriser l'engagement des opérations et travaux préliminaires dès la déclaration préalable ou le dépôt de la demande d'autorisation d'urbanisme

Le 2° permettrait d'ouvrir la possibilité au pétitionnaire de démarrer les travaux dès la déclaration préalable ou le dépôt, auprès de l'autorité compétente pour la délivrer, de la demande d'autorisation d'urbanisme, sans attendre la décision de non-opposition ou la délivrance de l'autorisation. La disposition vise à permettre d'effectuer les premières phases des travaux en « temps masqué ». Elle a vocation à se combiner avec les mesures visant à accélérer l'instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme.

C. Accélérer les délais de délivrance des autorisations d`urbanisme

Le 3° prévoit également d'habiliter le Gouvernement à réduire les délais afférents aux différentes phases d'instruction des autorisations d'urbanisme, y compris celles relevant de législations connexes, et à adapter ces procédures d'instruction, notamment en élargissant les cas où le silence vaut accord. Le Gouvernement entend ainsi diviser par deux à trois, selon les cas, la durée de droit commun, pour la ramener à un total d'un mois et demi.

Selon les informations fournies par la DHUP, l'aménagement des procédures d'instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme pourrait également concerner les modalités de demande au pétitionnaire par l'administration de pièces supplémentaires, ou l'adaptation du quorum requis lors de la consultation d'organismes collégiaux, afin de leur permettre de rendre plus rapidement leurs avis ou autorisations).

III. La position de la commission - Face à une situation d'exception, soutenir des mesures d'exception

A. Faciliter et accélérer la reconstruction : une urgence républicaine

De manière générale, la commission soutient pleinement l'objectif d'accélérer la reconstruction et la réfection des bâtiments détruits ou dégradés lors des émeutes urbaines, visé par le texte.

Pour la commission, il s'agit d'une urgence économique, mais aussi et surtout d'une urgence républicaine : pour que la République ne recule pas, dans les territoires touchés par les émeutes, il est indispensable de reconstruire et rouvrir, dans les meilleurs délais, les équipements emblématiques du service public.

Pour cela, les maires, en première ligne face au défi de cette reconstruction accélérée, doivent être soutenus et encouragés.

Dans cette optique, et face à l'ampleur des dégradations et à la détresse des élus, une proposition de loi d'urgence pour la reconstruction des bâtiments et équipements publics endommagés lors des émeutes du mardi 27 juin 2023 et des jours suivants avait d'ailleurs été déposée au Sénat dès le 3 juillet par la rapporteure et plusieurs de ses collègues25(*). Elle visait précisément à lever les obstacles en matière de réglementation de l'urbanisme et de passation de marchés publics, et à garantir la participation de l'État aux frais ainsi occasionnés pour les collectivités.

La commission exprime donc sa satisfaction que le Gouvernement ait répondu à cette demande du Sénat de soutenir d'urgence les quelque cinq-cents communes victimes de dégradations. Elle se félicite également de l'instruction donnée par la Première ministre aux services de l'État de hâter autant que faire se peut l'instruction des demandes d'avis, accords, etc. qu'il leur appartient de délivrer dans le cadre de l'instruction des autorisations d'urbanisme, qui participera autant, sinon plus, que les adaptations législatives et réglementaires, à l'accélération des travaux.

B. L'habilitation à légiférer par ordonnance, un véhicule adapté à l'urgence de la situation

Si le Sénat en général - et la commission des affaires économiques en particulier - se montre d'ordinaire très réticent à se dessaisir temporairement de son pouvoir législatif en habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance, la commission estime qu'en l'espèce, le recours à cette procédure d'exception se justifie, tant en raison des délais très contraints que de la technicité des dispositions à adapter.

D'une part, l'urgence de la situation impose l'adaptation très rapide, dans les jours et les semaines à venir, des dispositions législatives (et, en tant que de besoin, réglementaires) pertinentes, ce que n'aurait sans doute pas permis un débat parlementaire sur le fond de ces dispositions, éparpillées dans un grand nombre d'articles du code de l'urbanisme, mais aussi du code du patrimoine et du code de l'environnement.

Compte tenu du caractère consensuel des dispositions qui devraient être prises sur la base de cette habilitation, et des garanties données par le Gouvernement quant à leur orientation, la commission a donc considéré que le recours à une habilitation à légiférer par ordonnance était tout à fait justifié. Elle permettra en outre à l'administration de mieux coordonner les adaptations législatives et réglementaires nécessaires.

La durée de l'habilitation, qui est de trois mois, n'appelle pas d'observations particulières : la commission souhaite naturellement que les adaptations déjà identifiées soient prises le plus rapidement possible, mais le délai fixé permettra de prendre toutes les mesures nécessaires dans le domaine législatif jusqu'à la mi-octobre, laissant ainsi la possibilité de compléter au cours de l'été les premières mesures prises, si d'aventure des difficultés pour l'heure non identifiées se présentaient d'ici-là. En effet, l'établissement de la liste définitive des bâtiments dégradés, ainsi que des différentes règles auxquelles leur reconstruction ou réfection sera soumise, au titre de la réglementation de l'urbanisme ou des législations connexes, n'est pas encore terminé.

C. Une habilitation large, mais précisément bornée dans le temps

1) Assouplir les possibilités de reconstruction à l'identique : une mesure de bon sens, au bénéfice des communes touchées par les dégradations

La commission estime que l'assouplissement des possibilités de reconstruction à l'identique permises par l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme est une mesure de bon sens.

Elle note que si la mention selon laquelle la reconstruction ou la réfection pourrait être autorisée « nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire » a pu laisser penser que la délivrance de l'autorisation d'urbanisme devrait revêtir un caractère quasi-automatique qui l'aurait vidée de sa substance, l'exposé des motifs précise bien qu'il s'agit seulement d'appliquer non pas les règles d'urbanisme au moment de la demande de reconstruction, mais celles qui prévalaient au moment de la construction du bâtiment détruit, sur le modèle des dispositions de l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme, d'ailleurs explicitement cité et commenté dans l'étude d'impact26(*).

L'extension du champ des modifications autorisées est également une nécessité : il serait absurde d'exiger la reconstruction exactement à l'identique de bâtiments vieux parfois de plusieurs décennies, et qui pouvaient ne plus être aux normes d'accessibilité, ou présenter de piètres bilans énergétiques et environnementaux.

L'exposé des motifs précise que ces modifications ou améliorations seraient notamment subordonnées à l'amélioration de la performance environnementale, de sécurité ou d'accessibilité. Plus larges que dans le droit existant, ces modifications devront en outre, comme l'indique la même étude d'impact, demeurer limitées, et être motivées au cas par cas.

La commission note que les domaines mentionnés dans l'étude d'impact sont cohérents avec ceux dans lesquels l'autorité compétente en matière de délivrance d'autorisations d'urbanisme peut déjà prescrire ou autoriser des modifications en dérogation des règles d'urbanisme applicables, notamment celles qui figurent dans le plan local d'urbanisme27(*).

2) Autoriser l'engagement des travaux avant la délivrance de l'autorisation d'urbanisme : une mesure strictement encadrée, qui accélérera la reconstruction

L'autorisation d'engager les travaux dès le dépôt de la demande de permis ou de la déclaration préalable requise (2°) a été, entre l'avant-projet et le texte définitif, utilement restreinte aux seuls opérations et travaux préliminaires.

Si ces derniers ne sont pas définis dans le code de l'urbanisme, la jurisprudence administrative y fait par exemple entrer les opérations de reconnaissance du sol28(*), l'installation du chantier29(*), ou encore le « déplacement, stockage, démolition [d'éléments occupant l'espace des travaux »30(*), ou encore certains travaux de terrassement31(*), voire le creusement des excavations destinées aux fondations32(*).

Il s'agira donc principalement de permettre le déblaiement des surfaces et, si nécessaire, l'installation des installations temporaires nécessaires au chantier33(*). Ces travaux et opérations préliminaires ne concerneront pas le bâti y proprement parler (y compris les fondations).

De ce fait, la commission est favorable à cette mesure, qui permet de gagner de précieux jours, voire semaines, en parallélisant la première phase des travaux avec l'instruction de la demande d'autorisation d'urbanisme, sans pour autant vider cette dernière de toute réalité, puisque les travaux à proprement parler ne pourront pas débuter avant son octroi. Est ainsi notamment préservée la capacité des maires à assortir une telle autorisation de prescription, pour se conformer aux règles d'urbanisme en vigueur.

3) Accélérer l'instruction des demandes d'urbanisme : une combinaison de mesures bienvenues

Compte tenu du caractère récent des événements, les services du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires n'ont pas été en mesure de fournir une liste précise des dégradations et destructions de bâtiments publics et privés occasionnés par les émeutes, ni, a fortiori, préciser combien, parmi ces bâtiments, seraient susceptibles d'être soumis à un régime d'autorisation prévu par une autre réglementation que celle de l'urbanisme. Il est donc délicat d'évaluer le nombre de cas qui seraient concrètement affectés par les dispositions qui pourraient être prises sur le fondement du 3° de l'article 1er, et donc leur portée réelle.

La commission soutient cependant par principe la réduction des délais maximum d'instruction des autorisations d'urbanisme, ainsi que de délivrance des divers avis, accords ou autorisations requis au titre des réglementations connexes, qui permettra, combinée à la généralisation de la règle selon laquelle le silence vaut accord, d'accélérer l'octroi des autorisations requises, et ce notamment en cas de surcharge des services instructeurs. La commission rappelle toutefois que ces délais sont et demeureront des délais d'instruction maximaux, et qu'autant que faire se peut, il conviendra surtout de leur traitement par les services compétents. Elle appelle donc les services de l'État à se conformer aux directives figurant dans la circulaire précitée de la Première ministre et à veiller à la plus grande rapidité de traitement possible, dans les rares cas où la délivrance de l'autorisation d'urbanisme relève de l'État, mais aussi lorsque relève de la compétence de l'État un avis ou une autorisation obligatoire nécessaire à la délivrance de l'autorisation d'urbanisme.

Par ailleurs soucieuse de sécuriser les conditions de la participation du public à la réalisation des projets de reconstruction ou de réfection potentiellement concernés, la rapporteure a vérifié que les réductions de délais et modifications de procédures envisagées ne les affecteraient en rien.

De fait, en matière d'autorisation d'urbanisme, la consultation obligatoire du public est réalisée uniquement pour les projets soumis à évaluation environnementale. Or ce cas a très peu de chances de se présenter, s'agissant de la reconstruction de bâtiments situés en milieu urbain. En effet, pour les bâtiments situés en milieu urbain, le seuil d'examen au cas par cas, pour déterminer si un projet doit faire l'objet d'une évaluation environnementale, est de 10 000 m² de surface de plancher et d'emprise au sol34(*), le 3e alinéa du II de l'article R. 122-2 du code de l'environnement prévoyant en outre que les travaux de « grosses réparations » ne sont pas soumis à évaluation environnementale.

Dans tous les cas, tant l'étude d'impact que les réponses écrites fournies par la DHUP ont confirmé qu'aucune des dispositions de l'article 1er de l'habilitation ne permettrait de déroger aux normes de nature législative assurant la protection de l'environnement35(*), compte tenu du fondement constitutionnel de ces normes.

La commission note également que, selon les informations fournies par la DHUP, la disposition visant à inverser la règle selon laquelle le silence vaut refus vise avant tout à déroger aux conditions d'intervention des avis, accords et autorisations intégrées aux autorisations d'urbanisme, et en particulier à l'avis conforme de l'ABF36(*), même si elle pourrait théoriquement trouver également à s'appliquer à certains des cas dans lesquels le silence gardé par l'autorité compétente en matière de délivrance d'autorisation d'urbanisme vaut refus (cf. ci-dessus).

Enfin, la commission relève que le code de l'urbanisme ne contient aucune disposition de nature législative régissant la portée donnée au silence conservé soit par l'autorité compétente en matière d'autorisation d'urbanisme, soit par une instance consultée dans le cadre de l'instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme, ni les délais maximaux d'instruction, ni les modalités d'instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme.

Le Gouvernement souhaite cependant conserver la possibilité d'adapter ou faire adapter, en tant que de besoin, des dispositions de nature législative en-dehors du code de l'urbanisme sur ces différents points, quand bien même ces dernières n'auraient pas encore été identifiées.

S'il est, dans l'absolu, assez regrettable de faire figurer dans la loi des dispositions qui n'ont, manifestement qu'une portée déclaratoire, puisque les adaptations visées semblent à ce stade pouvoir être toutes réalisées exclusivement par voie réglementaire, il ne semble pas préjudiciable de conserver cette marge de manoeuvre au Gouvernement, pour le cas où se ferait jour dans les semaines à venir des cas où des adaptations législatives seraient effectivement nécessaires.

La commission rappelle d'ailleurs que l'ensemble des adaptations et dérogations qui figureront dans les ordonnances prises sur le fondement de la présente habilitation concernera exclusivement les travaux effectués sur les bâtiments détruits ou dégradés entre le 27 juin et le 5 juillet dernier, en conséquence des violences urbaines dont la réfection ou la reconstruction nécessitera l'octroi d'une autorisation d'urbanisme, soit environ 5 à 10 % des quelque 2 500 bâtiments touchés : cela porte le total à quelques centaines de cas tout au plus, dans une période de temps très limitée, les dispositions prévues n'ayant pas vocation à être renouvelées ou étendues à d'autres cas de sinistres.

La commission a adopté l'article sans modification.

Intitulé du projet de loi

La commission a modifié l'intitulé du projet de loi pour en coordonner les termes avec ceux employés dans les différents articles du projet de loi : le mot « démolis » a été remplacé par le mot « détruits ».

La commission a adopté l'intitulé du projet de loi ainsi modifié.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le lundi 17 juillet 2023, la commission a examiné le rapport de Mme Sophie Primas sur le projet de loi n°888 (2022-2023) relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023.

https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230717/ecos.html#toc2


* 1 Exposé des motifs du projet de loi.

* 2 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20 230 703/lois.html#toc6

* 3 Chiffres de la Confédération des buralistes.

* 4 Chiffres de la Fédération bancaire française.

* 5 Notamment dans les communes de moins de 2 000 habitants et, hors périmètres d'agglomérations, dans les hameaux et pour les bâtiments isolés, pour les aménagements de constructions existantes qui n'ont pas pour but d'en modifier les volumes extérieurs ni la destination (art. L. 421-1 du code de l'urbanisme) ; d'autres exceptions sont prévues, notamment en raison de la nature ou de l'ampleur des travaux concernés, dans la partie réglementaire du code de l'urbanisme.

* 6 Voir exceptions p.  6.

* 7 L'ordonnance n° 2°16-1174 du 23 septembre 2015 a recodifié l'ancien article L. 111-3 du code de l'urbanisme à l'article L. 111-15, sans en modifier le fond.

* 8 Le droit à la reconstruction à l'identique n'a pas non plus de caractère absolu, dans la mesure où la persistance du risque ayant causé la destruction peut justifier, selon la jurisprudence du Conseil d'État, un refus de reconstruction à l'identique ou des prescriptions limitant la reconstruction (CE, 23 février 2005, n° 271 270). Néanmoins, en l'espèce, cette restriction ne trouve pas à s'appliquer.

* 9 Circulaire n° 6410/SG du 5 juillet 2023 relative à l'accélération des procédures pour faciliter les opérations de réparation ou de reconstruction suite aux dégradations intervenues dans certaines zones urbaines.

* 10 Réponse ministérielle n° 90 267, 21 décembre 2010.

* 11 CE 16 mai 2018, Houis, no 406 645 ; réponse ministérielle du 15 novembre 2012 ( https://www.senat.fr/questions/base/2012/qSEQ120 801 543.html). Les travaux d'extension ne peuvent cependant être proscrits, s'ils sont conformes aux règles d'urbanisme en vigueur.

* 12 CE 6 décembre 1993, Epoux Bohn, n° 103 884.

* 13 TA Strasbourg, 30 novembre 2004, M. et Mme Schneider, n° 0300 175.

* 14 Réponse ministérielle n° 90 267, 21 décembre 2010.

* 15 CAA Douai, 5 juillet 2007, SARL Harteel, no 06DA01 662.

* 16 CAA Marseille, 7 févr. 2008, Mme Berrier-Douay, no 05MA00 811.

* 17 CAA Marseille, 20 novembre 2009, Mme Blanc-Garin, n° 07MA03 486.

* 18 TA Lille, 7 octobre 2004, Sté Ets Catry, n° 02-2748.

* 19 Ou dans une commune où l'autorité compétente en matière de plan local d'urbanisme a décidé de soumettre les travaux de ravalement à autorisation.

* 20 Les opérations concernées sont listées au chapitre V du titre II du livre IV de la partie réglementaire du code de l'urbanisme (art. R. 420-1 à R. 427-6).

Selon les cas, soit l'autorisation d'urbanisme tient lieu d'autorisation prévue par l'autre législation concernée (art. L. 425-1 CU), par exemple pour les établissements recevant du public, pour lesquels doit être préalablement vérifiée par l'autorité administrative la conformité aux règles d'accessibilité et de sécurité (art. L. 425-3 CU), ou les projets soumis à autorisation d'exploitation commerciale, pour lesquels doit être préalablement recueilli l'avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial (art. L. 425-4 CU), soit la délivrance de l'autorisation peut être différée dans l'attente de formalités prévues par une autre législation (section 4 du chapitre V du titre II du livre IV de la partie législative du code de l'urbanisme).

* 21 Cf. ci-dessus, note 1.

Sauf exceptions (cf. ci-dessous), ces avis ou autorisations sont automatiquement réputés favorables ou acquises lorsque les services, autorités ou commissions concernés n'ont pas fait parvenir à l'autorité compétente leur réponse motivée dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande d'avis (art. R. 423-59 du code de l'urbanisme).

* 22 Art. R. 423-35 CU (2 mois).

* 23 Art. R. 423-36 et R. 423-36-1 CU (2 à 5 mois à compter du recours).

* 24 Décret n° 2014-1273 du 30 octobre 2014 relatif aux exceptions à l'application du principe « silence vaut acceptation » sur le fondement du 4° du I de l'article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ainsi qu'aux exceptions au délai de deux mois de naissance des décisions implicites sur le fondement du II de cet article.

* 25 Proposition de loi n° 824 (2022-2023) d'urgence pour la reconstruction des bâtiments et équipements publics endommagés lors des émeutes du mardi 27 juin 2023 et des jours suivants, déposée par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues le 3 juillet 2023.

* 26 P. 8 et 11.

* 27 Art. L. 152-4 : travaux nécessaires à l'accessibilité des personnes handicapées à un logement existant ; art. L. 152-5 : dérogations aux règles du PLU relatives à l'emprise au sol, à la hauteur, à l'implantation et à l'aspect extérieur des constructions, afin d'autoriser notamment l'isolation ; art. L. 152-5-2 : dérogation aux règles de hauteur pour les constructions faisant preuve d'exemplarité environnementale ; L. 111-16 : impossibilité de s'opposer, nonobstant les règles du PLU, à l'utilisation de matériaux renouvelables ou de matériaux ou procédés de construction permettant d'éviter l'émission de gaz à effet de serre, à l'installation de dispositifs favorisant la retenue des eaux pluviales ou la production d'énergie renouvelable (hors secteurs protégés au titre de la réglementation du patrimoine).

* 28 CE 17/02/1992, 71 584.

* 29 CAA Bordeaux, 18/02/2020, 18BX01 024 ; CAA Marseille, 24/11/2005, 02MA00 573.

* 30 CAA Versailles, 21/03/2013, 11VE00 302 ; CAA Marseille, 24/11/2005, 02MA00 573 (pose d'une baraque temporaire de chantier).

* 31 CAA Douai, 07/03/2006, 04DA01 017 ; CAA Marseille, 24/11/2005, 02MA00 573.

* 32 CAA Nantes, 08/12/1999, 98NT00 996.

* 33 Pour lesquelles, pour rappel, aucune autorisation n'est requise au titre de la réglementation de l'urbanisme.

* 34 Rubrique 39 de l'annexe à l'article R. 122-2 du code de l'environnement.

* 35 Étude d'impact, p. 12.

* 36 Elle ne pourra en revanche pas s'appliquer dans le cas où c'est l'autorisation fournie par l'ABF qui fait office d'autorisation d'urbanisme.