N° 23

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 octobre 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution en nouvelle lecture, de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027,

Par M. Jean-François HUSSON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël DAUBET, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Première lecture : 272, 282 et T.A. 24

Commission mixte paritaire : 621

Nouvelle lecture : 530, 1675 et T.A. 168

Première lecture : 71, 73, 86, 87 et T.A. 15 (2022-2023)

Commission mixte paritaire : 211 et 212 (2022-2023)

Nouvelle lecture : 2 et 24 (2023-2024)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2023 à 2027 a été déposé en premier lieu à l'Assemblée nationale et comportait initialement 26 articles et un rapport annexé. Il a été examiné à l'Assemblée nationale les 10 et 11 octobre 2022 et finalement rejeté le 25 octobre 2022.

L'examen en première lecture au Sénat s'est déroulé le 2 novembre 2022. A son issue, aucun article n'a été adopté conforme, dans la mesure où l'Assemblée nationale avait rejeté le texte. Aux 26 articles initiaux du texte s'est ajouté un article 8 bis nouveau. 27 articles restaient donc en discussion.

La commission mixte paritaire (CMP) s'est réunie le 15 décembre 2022 et n'est pas parvenue à élaborer un texte commun.

Le texte du projet de loi tel qu'adopté par le Sénat en première lecture a été inscrit en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale lors de la session extraordinaire de septembre 2023. Le 27 septembre 2023, à l'issue de la discussion générale, le Gouvernement a fait usage de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution et engagé sa responsabilité sur le vote de son texte. La motion de censure déposée en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution ayant été rejetée par l'Assemblée nationale le 29 septembre 2023, le texte du Gouvernement est considéré comme adopté.

Au sein de ce texte, 7 articles sont sans modification par rapport au texte adopté par le Sénat1(*). Par ailleurs, l'article 23, supprimé par le Sénat, n'a pas été réintroduit et n'est donc plus en discussion.

19 articles restent donc en discussion en nouvelle lecture au Sénat.

I. L'ABSENCE DE PRISE EN COMPTE PAR LE GOUVERNEMENT DU VOTE DU SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE

Tant sur la méthode que sur le fond, l'examen du texte du présent projet de loi en nouvelle lecture témoigne de l'absence de considération du Gouvernement pour les positions claires et fortes affirmées par le Sénat en première lecture du texte, et qui demeurent les siennes.

A. LE RETOUR À UNE TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE PEU AMBITIEUSE DONT L'ATTEINTE EST HYPOTHÉTIQUE

1. Les orientations fortes et claires exprimées par le Sénat en première lecture n'ont pas été prises en compte

Le Sénat a voté ce projet de loi de programmation des finances publiques, en première lecture, le 2 novembre dernier, avec deux orientations fortes et claires s'agissant de la trajectoire des finances publiques de la France :

- le retour à un déficit public en-deçà du seuil des 3 % du PIB avant l'échéance de 2027 proposée par le Gouvernement ;

- la nécessité d'efforts de redressement budgétaire identiques pour les collectivités territoriales et pour l'État, hors mesures exceptionnelles de crise.

Le Gouvernement n'a retenu aucune de ces orientations.

En nouvelle lecture, le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale après recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution reprend très largement la trajectoire initiale proposée par le Gouvernement. Le déficit public ne repasserait sous le seuil des 3 % qu'en 2027, faisant de notre pays le plus mauvais élève en Europe. Ce signal est particulièrement dommageable alors qu'à compter du 1er janvier 2024 les règles européennes du pacte de stabilité et de croissance vont être de nouveau applicables. Il fragilise également la France dans sa capacité à peser sur la renégociation en cours de ces règles.

Par ailleurs, le texte du Gouvernement ne recherche aucune équivalence entre l'effort de l'État et celui des collectivités territoriales. « L'effort » fait par l'État resterait très largement imputable à la fin des dépenses exceptionnelles de crise, sans aucune réforme structurelle. Pire, l'écart se creuse entre l'État et les collectivités puisqu'entre le texte initial et la nouvelle lecture la cible de dépenses des administrations centrales pour 2027 augmente de 21 milliards d'euros (+ 3,1 %), quand celle des administrations locales ne progresse que de 5 milliards d'euros (+ 1,5 %).

2. La faible ambition du texte du Gouvernement est porteuse de risques

Il ressort de l'absence d'ambition du texte que le Gouvernement reprend en nouvelle lecture trois risques majeurs, contre lesquels le Sénat avait déjà mis en garde à plusieurs reprises le Gouvernement.

Tout d'abord, faute d'ambition, la trajectoire de la dette apparait en très forte augmentation. Elle grève les moyens d'action de l'État dans un contexte qui nous oblige pourtant à conserver des capacités d'intervention face aux diverses crises traversées par notre pays. Ainsi, dans son scénario central nouveau présenté dans le rapport annexé au présent projet de loi, la charge de la dette passerait de 38,6 milliards d'euros en 2023 à 74,4 milliards d'euros en 2027. Ce sont donc plus de 35 milliards d'euros qui, en 2027, pourraient être consacrés à l'investissement de notre pays, à la transition énergétique et écologique ou à des dépenses productives qui seront consacrés au paiement de la dérive passée des comptes publics.

Par ailleurs, la France se met dans une situation où, à la veille de 2024, année qui marquera la fin de la suspension du cadre budgétaire européen, elle risque de faire l'objet d'une procédure de déficit excessif de la part de la Commission européenne.

Enfin, la position gouvernementale ne lève pas le risque d'une dégradation de la notation financière de la France, qui pourrait avoir un impact sur nos conditions d'emprunt et ainsi alimenter la spirale décrite ci-dessus.

3. L'atteinte des objectifs du projet de loi reste très hypothétique

L'atteinte des objectifs - bien que peu ambitieux - de la trajectoire budgétaire présentée par le Gouvernement, paraît en outre très hypothétique, pour deux raisons : d'une part, le caractère trop optimiste de ses hypothèses sous-jacentes et, d'autre part, le constat passé et actuel de l'incapacité du Gouvernement à faire baisser la dépense publique.

a) Les hypothèses macroéconomiques qui sous-tendent le projet de loi sont trop optimistes

Comme détaillé dans le commentaire de l'article 3, les prévisions macroéconomiques qui sous-tendent la trajectoire budgétaire proposée par le Gouvernement et conditionnent la réalisation de ses objectifs paraissent trop optimistes. Ainsi, au seul titre de l'année 2024, le Gouvernement prévoit une croissance du PIB de 1,4 %, alors que la Banque de France envisage 0,9 % et le consensus des économistes 0,8 %.

Ces prévisions gouvernementales reposent sur la réalisation d'une conjonction improbable d'hypothèses économiques toutes favorables : fin de l'impact du durcissement des conditions de crédit, investissement élevé des entreprises, contribution positive du commerce extérieur, retour du taux d'épargne à son niveau d'avant crise et, conséquemment, dynamisme de la consommation des ménages.

La prudence devrait pourtant collectivement nous conduire à fonder notre programmation sur des hypothèses plus raisonnables, qui ne mettent pas en péril nos chances d'atteindre ses objectifs.

b) Dans les projets de lois financiers pour 2024, le Gouvernement ne tient pas ses engagement de la LPFP

Outre que les hypothèses macroéconomiques gouvernementales jettent un doute sur la crédibilité de l'atteinte des objectifs du présent projet de loi, l'analyse de ce que fait effectivement le Gouvernement fragilise fortement les engagements qu'il prétend prendre dans le projet de LPFP.

En effet, le projet de loi de finances pour 2024 et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, qui viennent d'être déposés au Parlement, ne respectent pas les engagements présentés par le Gouvernement dans le présent projet de loi de programmation des finances publiques. La dépense publique n'est pas maîtrisée mais augmente encore de 2,2 % en 2024, hors mesures exceptionnelles de soutien. L'emploi de l'État et de ses opérateurs n'est pas stabilisé et augmente de plus de 8 200 équivalents temps plein en 2024, alors même que l'article 10 du présent projet de loi de programmation des finances publiques engage l'État à la stabilité de ses effectifs.

Tant les économies structurelles proposées par le Gouvernement pour 2024 que celles qu'il a su mettre en oeuvre par le passé sont sans commune mesure avec les engagements qu'il prétend prendre dans la loi de programmation des finances publiques. Ainsi, par exemple, le dispositif des revues de dépenses prévu par l'article 167 de la loi de finances pour 20222(*) n'a conduit cette année qu'à un succinct rapport au Parlement sans économie substantielle pour 2024. Or, la nouvelle version de la loi de programmation des finances publiques propose qu'en émergent 12 milliards d'euros d'économies par an en 2025, 2026 et 2027. Cette ambition semble relever du voeu pieux au regard de l'expérience passée.

De manière générale, comme le souligne le Haut conseil des finances publiques (HCFP), la trajectoire gouvernementale repose sur l'hypothèse de dépenses publiques « quasi stables en volume sur la période (+ 0,1 %), ce qui représente une trajectoire bien plus ambitieuse que celle réalisée par le passé »3(*), et d'autant plus hypothétique que le Gouvernement n'a pas fait la preuve par le passé de sa capacité à maîtriser la dépense et ne le fait pas davantage dans les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2024.


* 1 Il s'agit des articles 5, 11, 18, 22, 24, 25 et 26.

* 2 Loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

* 3 Avis n° HCFP-2023-7 relatif à la révision du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, 22 septembre 2023.