II. UNE PROPOSITION DE LOI NÉCESSAIRE POUR DISSIPER DES INCERTITUDES JURIDIQUES

A. DES INCERTITUDES JURIDIQUES

1. Quelques grands principes et deux circulaires 

Depuis 1992, l'article 2 de la Constitution dispose que « la langue de la République est le français ». À propos de ce principe, le Conseil constitutionnel considère « qu'il incombe au législateur d'opérer la conciliation nécessaire entre ces dispositions d'ordre constitutionnel et la liberté de communication et d'expression proclamée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ».

Le Conseil constitutionnel ajoute qu' « il était également loisible [au législateur] de prescrire, ainsi qu'il l'a fait, aux personnes morales de droit public, comme aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public l'usage obligatoire d'une terminologie officielle »7(*).

Dans une autre décision8(*), le Conseil constitutionnel reconnaît « l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi » : « en effet l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et « la garantie des droits » requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ».

La loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française (loi Toubon) dispose que la langue française est « la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics ». Cette loi vise évidemment l'usage croissant de l'anglais. Mais, aujourd'hui, alors qu'apparaissent des grammaires du « français inclusif », on peut s'interroger : ces langages sont-ils encore du français ? Lorsqu'un examen de droit tel que celui donné à l'université de Lyon 2 comporte des mots tels que « professionnaels », est-il rédigé en français ?

S'agissant de l'écriture dite inclusive, la circulaire du Premier ministre en date du 21 novembre 2017 ne traite que de la question des actes administratifs publiés au Journal officiel : « je vous invite, en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l'écriture dite inclusive, qui désigne les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l'emploi du masculin, lorsqu'il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l'existence d'une forme féminine ».

Dans l'enseignement, la question est traitée par une circulaire du 5 mai 2021 sur les règles de féminisation dans les actes administratifs du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et les pratiques d'enseignement. Cette circulaire prône « la conformité aux règles grammaticales et syntaxiques », et, « par conséquent », elle proscrit « le recours à l'écriture dite « inclusive », qui utilise notamment le point médian pour faire apparaître simultanément les formes féminines et masculines d'un mot (...) ».

D'après cette circulaire, en date du 5 mai 2021 : « L'adoption de certaines règles relevant de l'écriture inclusive modifie en effet le respect des règles d'accords usuels attendues dans le cadre des programmes d'enseignement. En outre, cette écriture, qui se traduit par la fragmentation des mots et des accords, constitue un obstacle à la lecture et à la compréhension de l'écrit. L'impossibilité de transcrire à l'oral les textes recourant à ce type de graphie gêne la lecture à voix haute comme la prononciation, et par conséquent les apprentissages, notamment des plus jeunes. Enfin, contrairement à ce que pourrait suggérer l'adjectif « inclusive », une telle écriture constitue un obstacle pour l'accès à la langue d'enfants confrontés à certains handicaps ou troubles des apprentissages. »

Ces deux circulaires sont bienvenues mais elles sont insuffisantes :

- d'une part, car elles pourraient facilement être remises en cause ;

- d'autre part, car elles ne traitent qu'une partie du sujet.

2. Une jurisprudence hésitante

En l'absence de cadre juridique clair, la jurisprudence sur le sujet n'est pas totalement fixée.

Dans une décision du 11 mai 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la délibération du conseil d'administration de l'université Grenoble-Alpes approuvant les statuts du service des langues, au motif que sa rédaction en écriture dite inclusive portait atteinte à l'objectif de clarté et d'intelligibilité de la norme.

En revanche, dans une décision du 14 mars 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté une demande de retrait de plaques commémoratives gravées en écriture dite inclusive, apposées dans l'enceinte de l'Hôtel de Ville.

Le Conseil d'État a, quant à lui, rendu un avis défavorable aux statuts d'une association au motif qu'il y était fait usage de l'écriture dite inclusive. Le Conseil d'État fonde cette décision sur l'exigence de clarté et d'intelligibilité de la norme, et sur celle de sécurité juridique :

« Dès lors qu'il faisait usage d'une modalité de l'écriture dite inclusive en remplaçant l'emploi générique du masculin par l'utilisation du point dit « médian », afin de faire apparaître à l'intérieur d'une même séquence graphique l'existence d'une forme féminine, le projet de statuts modifiés de la Société nationale de protection de la nature s'écartait des règles grammaticales et syntaxiques en vigueur et ne respectait ni l'exigence de clarté et d'intelligibilité de la norme, ni le principe de sécurité juridique. Le Conseil d'État n'a donc pu donner un avis favorable au projet de nouveaux statuts avant que l'association n'opère les mises en conformité nécessaires. »

Société Nationale de Protection de la Nature et d'Acclimatation

de France, Section de l'Intérieur, 15 juin 2021, n° 402.7379(*)


* 7 Décision n° 94-345DC.

* 8 Décision n° 99-421 DC.

* 9 Recueil de jurisprudence sur les statuts types des associations reconnues d'utilité publique, Conseil d'État (2022).

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