EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Interdiction de l'usage de l'écriture dite inclusive dès lors que le droit exige l'utilisation du français

Cet article prohibe l'utilisation de l'écriture dite inclusive dans les documents dont le droit exige qu'ils soient rédigés en français.

Sur proposition du rapporteur, la commission a adopté l'amendement COM-1 tendant à :

- préciser le champ des pratiques interdites ;

- étendre l'interdiction à certaines publications ;

- prévoir la nullité de plein droit de tout acte juridique non conforme (reprise d'une proposition de loi de M. Étienne Blanc).

I. - Un encadrement juridique aujourd'hui insuffisant

(1) Le droit exige l'usage de la langue française dans de nombreux cas

Le français est la langue de la justice depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539.

L'article 2 de la Constitution dispose que « la langue de la République est le français ».

Le français est évidemment la langue du droit. Elle est aussi celle des services publics : la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française (dite loi Toubon) dispose que la langue française est « la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics ». L'article L. 111-1 du code des relations entre le public et l'administration ajoute : « l'usage de la langue française est prescrit dans les échanges entre le public et l'administration ». Le Conseil constitutionnel a confirmé que « l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public »10(*). Le Conseil d'État a récemment énoncé, si besoin était, que « les documents administratifs doivent (...) être rédigés en langue française »11(*).

La loi Toubon impose, en outre, l'usage du français :

- dans le secteur de la consommation (article 2) ;

- dans la publicité (article 2) ;

- dans l'espace public (article 3) ;

- dans les contrats des personnes morales de droit public et des personnes privées exécutant une mission de service public (article 5) ;

- pour les documents distribués aux participants à une manifestation, à un colloque ou un congrès (article 6).

Le français est la langue du monde du travail. Les dispositions de la loi Toubon à ce sujet ont été codifiées dans le code du travail. Les documents visés sont :

- les contrats de travail (article L. 1221-3) ;

- le règlement intérieur (article L. 1321-6) ;

- les documents « comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail » (article L. 1321-6) ;

- les conventions et accords ainsi que les conventions d'entreprise ou d'établissement (article L. 2231-4).

(2) L'écriture dite inclusive n'est réglementée que par deux circulaires

En l'état du droit, la loi Toubon n'exclut pas l'écriture dite inclusive. Elle vise l'utilisation de langues étrangères ou de langues régionales. Le tribunal administratif de Paris a jugé qu'il ne résultait d'aucun principe constitutionnel ni d'aucun autre texte que « la graphie appelée « écriture inclusive », consistant à faire apparaître, autour d'un point médian, l'existence des formes masculine et féminine d'un mot, ne relève pas de la langue française »12(*).

La question de l'écriture dite inclusive est traitée par deux circulaires.

La circulaire du Premier ministre en date du 21 novembre 2017 traite de la question des actes administratifs publiés au Journal officiel : « Je vous invite, en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l'écriture dite inclusive, qui désigne les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l'emploi du masculin, lorsqu'il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l'existence d'une forme féminine ».

Dans l'enseignement, la question figure dans une circulaire du 5 mai 2021 sur les règles de féminisation dans les actes administratifs du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et les pratiques d'enseignement. Cette circulaire prône « la conformité aux règles grammaticales et syntaxiques », et, « par conséquent », elle proscrit « le recours à l'écriture dite « inclusive », qui utilise notamment le point médian pour faire apparaître simultanément les formes féminines et masculines d'un mot (...) ».

II. - Une disposition bienvenue

La loi Toubon ne traite donc pas, en l'état actuel du droit, la question de l'écriture dite « inclusive ». Cette loi impose l'usage de la langue française dans un certain nombre de situations, sans prescrire quoi que ce soit quant au bon emploi de la langue. Pour traiter de l'écriture dite inclusive, la loi de 1994 doit donc être modifiée.

C'est ce que fait cette proposition de loi, qui dispose que les documents dont le droit exige qu'ils soient rédigés en français ne doivent pas faire usage de l'écriture dite inclusive, celle-ci étant définie comme dans la circulaire précitée de 2017 : « les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l'emploi du masculin, lorsqu'il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l'existence d'une forme féminine ».

Le rapporteur souligne que cette formulation n'interdit pas la double flexion. La circulaire de 2017 préconise, du reste, dans le cadre d'offres d'emploi, d'utiliser des formes telles que « le candidat ou la candidate », afin de ne pas marquer de préférence de genre.

Si le français impose le masculin générique, source de simplification, dans les propos généraux (« les sénateurs votent la loi »), l'usage successif du féminin et du masculin (dans un ordre ou l'autre) est plus approprié pour s'adresser à des personnes précises (« Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs »). Il ne s'agit pas d'interdire ce type de pratique.

La proposition de loi présente l'intérêt d'interdire l'écriture dite inclusive dans un cadre juridique existant, notamment celui de la « loi Toubon » qui avait fait l'objet, après son adoption, d'une décision du Conseil constitutionnel13(*).

Partout où l'anglais est interdit, selon les modalités validées par le Conseil constitutionnel, l'écriture dite inclusive le sera aussi.

Dans certains cas, d'ailleurs, le langage dit inclusif s'éloigne tellement du français qu'on peut se demander s'il s'agit encore de français (cf. page 9 : « les professionnaels de santé... »).

La décision du Conseil constitutionnel du 29 juillet 1994 énonce, par ailleurs, que : « S'agissant du contenu de la langue, il était également loisible [au législateur] de prescrire, ainsi qu'il l'a fait, aux personnes morales de droit public comme aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public l'usage obligatoire d'une terminologie officielle ».

La proposition de loi précise le champ de l'interdiction dans le domaine de l'enseignement : afin d'éviter toute ambiguïté, elle proscrit l'usage de l'écriture dite inclusive dans les documents se rapportant à l'enseignement, aux examens et concours et aux thèses et mémoires.

III. - Les modifications apportées par la commission

La proposition de loi vient conforter de façon opportune les objectifs de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, ainsi que le principe de sécurité juridique.

C'est aussi la sauvegarde de la langue française qui est ici en jeu.

La commission approuve donc ce texte.

Sur proposition du rapporteur, elle a adopté des amendements tendant à :

Ø Préciser le champ des pratiques interdites, en y incluant les néologismes sur des mots grammaticaux.

Il ne s'agit évidemment pas d'interdire tous les néologismes : ni les mots nouvellement féminisés, ni ceux résultant de l'évolution des sciences et technologies ne sauraient par exemple être proscrits. La langue continuera inévitablement à évoluer.

Il s'agit, en revanche, d'empêcher les innovations d'ordre grammatical car elles dénaturent profondément la langue française et conduisent, de façon flagrante, à des textes inaccessibles et inintelligibles.

Sont notamment visés ici les pronoms dits neutres, tels que « iel » (pour « il », « elle », « il ou elle »), ou « celleux » (pour « ceux » ou « celles et ceux »).

Ø Étendre l'interdiction aux publications émanant de personnes publiques ou de personnes privées chargées d'une mission de service public.

Ces publications, si elles ne constituent pas des documents administratifs, sont néanmoins essentielles pour l'information du public et dans les relations entre le service public et ses usagers. Leur accessibilité à tous les publics doit être garantie.

Ø Prévoir la nullité de plein droit de tout acte juridique non conforme.

Il s'agit, ici, d'intégrer au texte les dispositions de la proposition de loi déposée le 25 janvier 2022 par M. Étienne Blanc et plusieurs de ses collègues, visant à ce que tout acte juridique qui contreviendrait à l'interdiction d'usage de l'écriture dite inclusive soit nul de plein droit.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 2

Conditions d'application et d'entrée en vigueur de la loi

L'article 2 apporte des précisions quant aux conditions d'application et d'entrée en vigueur de la loi. La commission a adopté cet article sans modification.

L'article reprend des dispositions équivalentes qui figuraient dans la loi Toubon :

- la loi est d'ordre public : elle touche des intérêts majeurs et il n'est donc pas possible d'y déroger par des conventions contraires ; 

- la loi ne s'applique néanmoins qu'aux contrats et avenants conclus postérieurement à son entrée en vigueur, sans effet rétroactif.

Par ailleurs, s'agissant des produits de consommation, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité permettre provisoirement l'écoulement des produits qui contreviendraient à la loi, afin que les stocks de produits déjà fabriqués puissent être écoulés : il est donc proposé de laisser six mois aux fabricants et distributeurs pour s'adapter.

La commission a adopté cet article sans modification.

Intitulé de la proposition de loi

La commission a adopté un amendement COM-2 modifiant l'intitulé de la proposition de loi qui ne correspondait que partiellement à son objet.

L'amendement adopté prévoit que la proposition de loi vise « à protéger la langue française des dérives de l'écriture dite inclusive».

La commission a adopté cet intitulé ainsi modifié.

*

* *

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication
a adopté la proposition de loi ainsi modifiée
.


* 10 Conseil constitutionnel, n° 99-412DC (voir aussi : n° 96-373 DC).

* 11 Conseil d'État, 31 octobre 2022, N° 444948.

* 12 TA Paris, 14 mars 2023, n° 2206681/2-1.

* 13 N° 94-345DC du 29 juillet 1994.

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