CHAPITRE V

MODERNISER L'INDEMNISATION D'ACCIDENT DU TRAVAIL OU DE MALADIE PROFESSIONNELLE

Article 39
Explicitation du caractère dual et refonte du mode de calcul de la rente AT-MP

Cet article propose de garantir le caractère dual de la rente AT-MP en explicitant que la rente couvre à la fois le préjudice professionnel et le préjudice fonctionnel découlant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle entraînant un taux d'incapacité supérieur à 10 %. En conséquence, il refond son mode de calcul.

La commission propose de confirmer la suppression de cet article.

I - Le dispositif proposé

A. La réparation des accidents du travail et maladies professionnelles ayant conduit à une incapacité permanente, fruit d'un compromis social ancien, revêtait jusque début 2023 une nature duale

1. En cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle conduisant à une incapacité permanente, un système de réparation dérogatoire du droit commun, forfaitaire et sans faute, s'applique depuis le compromis social de 1898

L'indemnisation par la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de l'incapacité permanente des victimes repose sur un « compromis social » datant du XIXe siècle, construit puis consolidé par trois grandes lois.

La loi du 9 avril 1898 a constitué un compromis social historique en dispensant le salarié d'avoir à prouver la faute de son employeur pour obtenir une réparation au titre des accidents du travail, en contrepartie de quoi le salarié ne perçoit pas une indemnisation intégrale mais forfaitaire des préjudices subis, et ne peut, hors cas particulier1167(*), agir contre l'employeur en justice, ce dernier bénéficiant d'une immunité civile en la matière. Cette solution, retenue par le législateur, permet d'éviter une judiciarisation des accidents du travail, redoutée à la fois par les salariés en tant qu'elle rendrait plus complexe, imprévisible, long et onéreux l'accès à l'indemnisation, et par les employeurs, qui s'exposeraient alors à une réparation intégrale dont le montant peut déstabiliser les finances d'une entreprise.

Construisant sur le compromis issu de la loi du 9 avril 1898, la loi du 25 octobre 1919 a conduit à appliquer des préceptes similaires pour les maladies professionnelles à ceux en vigueur pour les accidents du travail.

Définition des accidents du travail et des maladies professionnelles

• Un accident du travail est défini, aux termes de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, comme « l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail », quelle qu'en soit la cause.

• Un accident du trajet est défini, par l'article L. 411-2 du code de la sécurité sociale, comme « l'accident survenu à un travailleur pendant le trajet d'aller ou de retour » entre :

- la résidence principale, secondaire stable ou tout autre lieu où le travailleur se rend de façon habituelle pour des motifs d'ordre familial et le lieu du travail1168(*) ;

- le lieu de travail et le lieu où le travailleur prend habituellement ses repas, dès lors que le parcours n'a pas été interrompu ou détourné par un motif indépendant de l'emploi.

Le régime des accidents du travail s'applique aux accidents de trajet ainsi caractérisés.

• Enfin, l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale caractérise la maladie professionnelle comme « toute maladie désignée dans un tableau » ou « essentiellement et directement causée par le travail ». Il s'agit donc d'une définition plus restrictive que celle des accidents du travail, pour lequel le lien de causalité essentiel et direct n'est pas retenu.

Enfin, la loi du 30 octobre 19461169(*) sur la prévention et la réparation des AT-MP a inscrit la réparation des AT-MP dans le cadre de la sécurité sociale, permettant une mutualisation du risque au sein de la branche AT-MP, financée de façon quasi assurantielle par des cotisations à la charge de l'employeur1170(*) uniquement dont le taux est pour partie1171(*) dépendant de la sinistralité du secteur d'activité ou de l'entreprise, selon sa taille1172(*), dans une visée incitative et préventive.

Ces trois grandes lois ont façonné les piliers de l'indemnisation AT-MP, toujours appliqués aujourd'hui : la responsabilité présumée de l'employeur, c'est-à-dire la responsabilité sans faute, le caractère forfaitaire de la réparation, et le caractère amiable de la procédure. L'attachement des partenaires sociaux à ces piliers a plusieurs fois été rappelé.

2. Les modalités de l'indemnisation de l'incapacité permanente par la branche AT-MP

La branche AT-MP indemnise l'incapacité temporaire et permanente des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles par une compensation pécuniaire constituant un revenu de remplacement pour la victime.

La définition du taux d'incapacité permanente

Aux termes de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, « le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité ». 

La prise en charge par la branche AT-MP de l'incapacité temporaire

La branche AT-MP indemnise également l'incapacité physique temporaire à l'exercice du poste de travail des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

Cette prise en charge consiste en le versement d'indemnités journalières le long de la période d'arrêt de travail, avant, le cas échéant, l'éventuelle constatation du caractère permanent des lésions dont souffre la victime.

Les indemnités journalières versées par la branche AT-MP sont calculées sur 60 % du salaire journalier de base pendant les 28 premiers jours, et 80 % au-delà jusqu'à consolidation tandis qu'en cas de maladie, seul 50 % du salaire est pris en charge pour une durée maximale de 12 mois par période de 3 ans. L'indemnité journalière maximale en AT-MP est fixée, lors des 28 premiers jours, à 220,14 euros bruts, contre 51,70 euros bruts en maladie.

La compensation pécuniaire prend la forme d'une indemnité en capital1173(*) si le taux d'incapacité est inférieur à un plafond fixé par décret en Conseil d'État à 10 %1174(*), ou d'une rente viagère dans le cas contraire1175(*). Elle est exonérée de contributions sociales et d'impôt sur le revenu.

Le mode de calcul de l'indemnité varie selon la nature de la compensation.

a) Le mode de calcul de l'indemnité en capital est forfaitaire et ne dépend que du taux d'incapacité

L'indemnité en capital ne dépend que du taux d'incapacité permanente, et répond au barème forfaitaire fixé à l'article D. 434-1 du code de la sécurité sociale, et revalorisé tous les ans au 1er avril aux termes de l'article L. 434-1 du même code.

En octobre 2023, le montant d'indemnité versé en fonction du taux d'incapacité permanente est celui du tableau suivant.

Montant de l'indemnité en capital selon le taux d'incapacité permanente

Taux d'incapacité permanente

Montant de l'indemnité en capital

1 %

450,81 €

2 %

732,76 €

3 %

1 070,77 €

4 %

1 690,07 €

5 %

2 141,02 €

6 %

2 648,10 €

7 %

3 211,28 €

8 %

3 831,29 €

9 %

4 507,36 €

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

b) Le mode de calcul de la rente viagère fait intervenir le taux d'incapacité permanente et le salaire utile

Lorsque le taux d'incapacité permanente excède 10 %, l'article L. 434-1 du code de la sécurité sociale dispose que la victime « a droit à une rente » viagère, calculée comme le produit d'une fonction du taux d'incapacité par le salaire utile.

Le salaire utile est déterminé en fonction du salaire de la victime :

- si le salaire de la victime est inférieur au salaire minimum des rentes, soit 20 049,09 euros depuis le 1er avril 20231176(*), la rente est calculée sur la base dudit salaire minimum aux termes de l'article L. 434-16 du code de la sécurité sociale ;

- si le salaire de la victime est compris entre le salaire minimum des rentes et le double de ce salaire, la rente est calculée sur la base du salaire réel ;

- si le salaire de la victime est supérieur à deux fois le salaire minimum des rentes, soit 40 098,18 euros, la fraction excédant ce montant n'entre en compte que pour un tiers dans la détermination du salaire utile. La fraction excédant huit fois le montant du salaire minimum des rentes n'entre pas en compte dans la détermination du salaire utile1177(*).

Pour calculer le niveau de la rente, le salaire utile doit être multiplié par une fonction du taux d'incapacité, dont la valeur est la moitié du taux d'incapacité pour la fraction n'excédant pas 50 %, et trois demis du taux d'incapacité pour la fraction excédant 50 %.

Quelques exemples de calcul de rente viagère

Exemple n° 1 : rente attribuée à une victime dont le salaire annuel est de 14 000 euros et dont le taux d'incapacité permanente est de 40 %. Le salaire annuel étant inférieur au salaire minimum des rentes, le salaire utile est fixé au salaire minimum des rentes, soit 20 049,09 euros. Le taux d'incapacité modulé est égal à la moitié de 40 %, soit 20 %. La victime touche donc une rente annuelle de 20 % x 20 049,09 euros, soit 4 009,82 euros annuels.

Exemple n° 2 : rente attribuée à une victime dont le salaire annuel est de 100 000 euros et dont le taux d'incapacité permanente est de 60 %. Le salaire annuel étant compris entre deux et huit fois le salaire minimal des rentes, les 40 098,18 premiers euros sont intégralement pris en compte pour la détermination du salaire utile, tandis que les 59 901,82 euros restant sont valorisés au tiers, soit à 19 967,27 euros. Le salaire utile atteint donc 60 065,45 euros. Le taux modulé est égal à la moitié de 50 %, soit 25 %, à laquelle s'ajoute trois demis de l'écart entre 50 % et 60 %, c'est-à-dire 15 %. La rente annuelle atteint donc 40 % x 60 065,45 = 24 026 euros annuels.

En outre, en cas d'accident suivi de mort, une pension est servie, à partir du décès, aux ayants droit incluant notamment le conjoint, les enfants et les ascendants1178(*).

Demeure toutefois la question des postes que la rente AT-MP vise à indemniser : n'indemnise-t-elle que le préjudice professionnel, c'est-à-dire les pertes de salaires encourues, ou bien couvre-t-elle également le déficit fonctionnel permanent ? Ce point ne figurant pas explicitement dans la loi, il faisait l'objet de débats récurrents dans la doctrine, que la chambre criminelle de la Cour de cassation1179(*) a entendu trancher en 2009.

Définition du déficit fonctionnel permanent

Le rapport Dintilhac1180(*) décrit le déficit fonctionnel permanent comme « la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement contestable, donc appréciable par un examen clinique approprié complété par l'étude des examens complémentaires produits, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liés à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours ».

La Cour avait alors retenu le caractère dual de la rente, estimant que « la rente servie en application de l'article L. 434-2 du Code de la sécurité sociale répare nécessairement, en tout ou partie, l'atteinte objective à l'intégrité physique de la victime que représente le poste de préjudice du déficit fonctionnel permanent ».

3. Des modalités d'indemnisation dérogatoires s'appliquent en cas de faute inexcusable de l'employeur

Afin de mieux indemniser les victimes et d'inciter les employeurs à mettre en place une prévention efficiente dans leur entreprise, des modalités d'indemnisation dérogatoires et plus favorables1181(*) s'appliquent en cas d'AT-MP consécutif à une faute inexcusable de l'employeur et à l'origine d'une incapacité permanente.

Définition de la faute inexcusable de l'employeur

Selon la Cour de cassation1182(*), lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience d'un danger auxquels ses employés étaient confrontés et n'a pas agi en conséquence, ce qui a provoqué un accident du travail ou une maladie professionnelle chez un employé, il se rend coupable d'une faute inexcusable.

La qualification de faute inexcusable de l'employeur est relativement rare : elle est invoquée dans environ 3 000 dossiers par an, un nombre à mettre en rapport avec le nombre de sinistres donnant lieu à une incapacité permanente, de l'ordre de 50 000 par an.

En cas de faute inexcusable de l'employeur (FIE) :

l'indemnisation de la branche AT-MP est majorée dans la limite d'un plafond :

• en cas d'incapacité permanente supérieure ou égale à 10 %, la rente versée par la branche AT-MP est majorée dans la limite de la fraction du salaire correspondant à la réduction de capacité, en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale ;

• en cas d'incapacité permanente inférieure à 10 %, l'indemnité en capital peut être majorée sans dépasser, au total, deux fois le montant d'indemnité correspondant au taux d'incapacité ;

- en outre, et par dérogation au principe d'immunité civile de l'employeur en cas d'AT-MP, la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut recevoir de l'employeur et sur décision du juge une indemnisation intégrale, et non forfaitaire comme la réparation prise en charge par la branche AT-MP, de certains postes de préjudice. Aux termes de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, les postes indemnisables intégralement sont le préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées par la victime, les préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

B. La remise en cause de la nature duale de la rente AT-MP par la Cour de cassation, début 2023, se traduit par une indemnisation accrue des victimes de faute inexcusable de l'employeur

1. Un doute juridique préexistant sur la nature de la rente AT-MP, préjudiciable à l'équité de la réparation

Comme indiqué supra, en l'absence de précision législative en la matière, la Cour de cassation avait consacré le caractère dual de la rente AT-MP1183(*) et acté que celle-ci avait pour objet de couvrir non seulement le préjudice professionnel, mais aussi le déficit fonctionnel permanent subi par les victimes d'AT-MP. Cela n'avait toutefois pas mis fin à trois sources d'incertitude juridique.

 Le caractère dual de la rente, consacré par la Cour de cassation, n'était toutefois pas reconnu par le Conseil d'État, qui estimait que la rente AT-MP n'indemnisait que le déficit professionnel1184(*).

• L'articulation entre les postes pris en charge par la rente AT-MP et ceux pris en charge par l'employeur directement, sur décision du juge et en cas de FIE restait l'objet d'une controverse juridique.

Le principe fondamental de réparation intégrale des dommages subis, qui découle de l'article 1242 du code civil, fait obstacle, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation1185(*), à ce qu'un même poste de préjudice puisse être indemnisé par deux canaux différents.

Par conséquent, l'intégration, même forfaitaire, du déficit fonctionnel permanent dans les postes de préjudice que la rente AT-MP a vocation à indemniser fait obstacle, en miroir, à l'indemnisation intégrale du déficit fonctionnel permanent à la main du juge pour les victimes d'une faute inexcusable de leur employeur.

Toutefois, l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale mentionne explicitement que le « préjudice causé par les souffrances physiques et morales » endurées par la victime fait l'objet d'une indemnisation intégrale à la main du juge de la sécurité sociale, alors même que ce poste peut, tout ou partie, être rattaché au déficit fonctionnel permanent, intégré dans la rente AT-MP et donc non indemnisable par le juge.

• Dans ces conditions, pour obtenir du juge une réparation intégrale de la souffrance physique et morale endurée, il appartenait à la victime d'un AT-MP résultant d'une faute inexcusable de l'employeur d'apporter la preuve que les souffrances physiques et morales endurées n'avaient pas déjà été indemnisées par la part de la rente couvrant le déficit fonctionnel permanent. Une preuve d'autant plus périlleuse à apporter pour les victimes que, la loi n'ayant pas explicité le caractère dual de la rente, elle ne permettait a fortiori nullement de distinguer ce qui, au sein de la rente, relevait de l'indemnisation du déficit professionnel ou du déficit fonctionnel.

Il en résultait une situation d'inéquité entre les assurés. En effet, dans ce contexte juridique particulièrement incertain, certaines juridictions étaient plus promptes que d'autres à détacher une partie des souffrances physiques et morales endurées du déficit fonctionnel permanent indemnisé par la rente, et à accorder en conséquence une indemnisation intégrale de ces préjudices. La réparation accordée pouvait, dès lors, varier selon les tribunaux.

2. La Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en revenant sur le caractère dual de la rente AT-MP

La Cour de cassation a mis un terme à l'ensemble de ces incertitudes en revenant, par deux arrêts du 20 janvier 2023 rendus en assemblée plénière1186(*), sur le caractère dual de la rente AT-MP.

Pour opérer ce revirement de jurisprudence, la Cour de cassation se fonde, notamment, sur le mode de calcul de la rente AT-MP axé sur le salaire, qui ne saurait avoir pour objet de réparer le déficit fonctionnel permanent, par nature extraprofessionnel. Il se fonde également, de manière pragmatique, sur la difficulté pour la victime d'administrer la preuve de ce que la rente n'indemnise pas le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.

Ce revirement de jurisprudence est sans effet sur les modalités de calcul de la rente, qui restent fixées par des dispositions inchangées du code de la sécurité sociale. La non-intégration du déficit fonctionnel permanent dans les postes indemnisés par la rente n'entraîne donc pas mécaniquement une diminution du niveau des rentes pour les victimes. Il s'agit davantage d'un changement de philosophie de prise en charge.

En revanche, ce revirement de jurisprudence a pour effet d'accroître le niveau d'indemnisation dont peuvent bénéficier les victimes d'une faute inexcusable de l'employeur. En effet, dès lors que le déficit fonctionnel permanent n'a pas vocation à être indemnisé par la rente AT-MP, le juge saisi par une victime de FIE peut prononcer une indemnisation intégrale de ce poste de préjudices, à la charge de l'employeur fautif. Ce régime est doublement favorable aux victimes d'une faute inexcusable de l'employeur :

- d'une part, il est favorable financièrement aux victimes de FIE dès lors que la totalité du déficit fonctionnel permanent peut désormais être indemnisée intégralement ;

- d'autre part, il est favorable aux victimes de FIE en matière de procédure, puisque le salarié victime n'a plus besoin d'administrer la preuve que les souffrances physiques et psychiques endurées n'ont pas été indemnisées par la part fonctionnelle de la rente, dès lors que celle-ci n'existe plus.

Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation avait donc suscité l'enthousiasme des associations d'accidentés du travail. Selon l'audition de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés et l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante, il constituait l'aboutissement de quinze années de combat.

3. L'accord national interprofessionnel du 15 mai 2023 appelle le législateur à consacrer explicitement le caractère dual de la rente

Adopté en réaction aux arrêts de la Cour de cassation du 20 janvier 2023, l'accord national interprofessionnel du 15 mai 2023, signé par l'ensemble des organisations représentatives au niveau national, rappelle l'attachement des partenaires sociaux au caractère dual de la rente.

Face à la crainte d'une judiciarisation accrue des accidents du travail et des maladies professionnelles, que la branche AT-MP vise historiquement à éviter, les partenaires sociaux « appellent le législateur à prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir que la nature duale de la rente AT/ MP ne soit pas remise en cause ».

Certaines organisations, la Confédération des petites et moyennes entreprises en tête, mettent en effet en avant des risques dans le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation. En exposant l'employeur reconnu coupable d'une faute inexcusable à une indemnisation intégrale du déficit fonctionnel permanent, qui peut représenter des montants de plusieurs centaines de milliers d'euros, les arrêts du 20 janvier 2023 précités pourraient mettre en danger la pérennité financière de petites entreprises. L'étude d'impact annexée par le Gouvernement mentionne, à l'échelle agrégée, que « le coût du seul préjudice du déficit fonctionnel permanent est évalué, sur la base des actions en faute inexcusable de l'employeur jugées en 2022, à 118 millions d'euros ».

C. L'article 39 du PLFSS entend transposer l'accord national interprofessionnel du 15 mai 2023 en explicitant le caractère dual de la rente AT-MP et en refondant son mode de calcul en conséquence

L'article 39 du PLFSS entend répondre à l'appel émis par les partenaires sociaux avec l'accord national interprofessionnel du 15 mai 2023, pour garantir la nature duale de la rente AT-MP.

Au vu de la jurisprudence de la Cour de cassation, la conséquence directe de l'incorporation explicite du déficit fonctionnel permanent dans les postes indemnisés par la rente AT-MP est la refonte du mode de calcul de cette dernière, également prévue par ledit article 39.

1. L'explicitation de la nature duale de la rente et la refonte du mode de calcul des rentes AT-MP, dont la fixation précise des paramètres est renvoyée au pouvoir réglementaire

Ainsi, le c du 1° du I de l'article 39 modifie l'article L. 434-2 qui définit la rente AT-MP afin de substituer aux dispositions qui régissent son mode de calcul de nouvelles dispositions. Celles-ci :

explicitent que la rente AT-MP se compose d'une part dite professionnelle, correspondant à la perte de gains professionnels et à l'incidence professionnelle et d'une part dite fonctionnelle, correspondant au déficit fonctionnel permanent de la victime. C'est là la consécration explicite de la nature duale de la rente AT-MP ;

définissent le mode de calcul de chacun des deux parts de la rente :

• la part professionnelle de la rente sera calculée comme le produit d'une fonction du taux d'incapacité par un salaire annuel dit modulé, correspondant à une fraction du salaire annuel de la victime ou du salaire minimum des rentes si le salaire de la victime y est inférieure, dégressive à mesure que le salaire augmente. Il s'agit d'un mode de calcul similaire à celui de la rente AT-MP dans le droit en vigueur, pour laquelle le salaire n'est toutefois pas modulé à la baisse ;

• la part fonctionnelle de la rente est calculée comme le produit d'une fraction du taux d'incapacité par une valeur de point d'incapacité fixée par un barème tenant compte, comme c'est l'usage en matière de dommages corporels, de l'âge de la victime.

La fixation de l'ensemble des paramètres régissant le mode de calcul de la rente est renvoyée au pouvoir réglementaire, sans prévoir de consultation ou d'implication des partenaires sociaux : les règles de modulation du salaire annuel et du taux d'incapacité pour la part professionnelle sont fixées par décret en Conseil d'État, et la fraction et le barème de la part fonctionnelle par arrêté des ministres chargés du travail et de la santé. Selon l'étude d'impact fournie par le Gouvernement, les paramètres devraient être fixés de façon à améliorer l'indemnisation des victimes d'AT-MP hors cas de faute inexcusable de l'employeur.

En conséquence du mode de calcul proposé, le 6° du I de l'article 39 abroge l'article L. 434-15 du code de la sécurité sociale, fixant le principe d'indexation des rentes dues aux victimes ou aux ayants droit sur le salaire de la victime.

En conséquence également, les b et c du 2° du I suppriment, à l'article L. 434-16 du code de la sécurité sociale, la référence aux modalités d'écrêtement du salaire annuel dans le calcul de la rente, devenues sans objet du fait du nouveau mode de calcul. Cet écrêtement serait, en effet, intégré directement et explicitement dans le mode de calcul du salaire modulé précité si l'article 39 du PLFSS pour 2024 venait à prospérer.

2. En miroir de la modification de la nature de la rente et de la refonte de son mode de calcul, l'évolution du régime d'indemnisation en cas de faute inexcusable de l'employeur

a) En conséquence de la modification du mode de calcul de la rente, le mode de calcul de la rente majorée en cas de faute inexcusable de l'employeur évolue

Le 4° du I de l'article 39 modifie l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale relatif à la rente majorée en cas de FIE, pour préciser que la majoration de chacune des parts de la rente se fait dans la limite d'un plafond. Un tel plafonnement existe déjà aujourd'hui pour la rente AT-MP.

La part professionnelle de la rente majorée est plafonnée au produit du salaire annuel utile et du taux d'incapacité. Cela correspond au plafond applicable pour l'ensemble de la rente AT-MP, dans le droit en vigueur.

En sus, la part fonctionnelle est plafonnée pour ne pas excéder le produit du taux d'incapacité par la valeur du point d'incapacité, fixée par un barème déterminé dans des modalités précitées.

La rente majorée en cas de FIE serait, dès lors, plafonnée pour ne pas dépasser la somme de ces deux plafonds : un total plus favorable que dans le droit en vigueur.

b) Conformément au principe de non-double indemnisation des préjudices, l'article 39 retire du champ des postes indemnisables par le juge les souffrances physiques et morales endurées après la consolidation

Afin de restaurer sa dualité à la rente, celle-ci intègre, aux termes du c du 1° du I de l'article 39, une part fonctionnelle couvrant le déficit fonctionnel permanent après consolidation. Ce poste de préjudice étant désormais indemnisé par la rente, il résulte du principe de non-double indemnisation qu'il ne saurait être indemnisé également par l'employeur, sur décision du juge.

Le 5° du I en tire les conséquences en modifiant l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale encadrant l'indemnisation complémentaire intégrale à la main du juge en cas de FIE afin de préciser que seules rentrent dans son champ les souffrances physiques et morales avant consolidation ; étant entendu que les souffrances physiques et morales après consolidation sont indemnisées, pour les victimes, par la part fonctionnelle majorée de la rente. Le droit en vigueur mentionne que le juge peut indemniser les souffrances physiques et morales endurées par la victime sans précision supplémentaire, ce qui était à la source de controverses juridiques sur l'ampleur des postes restant indemnisables.

Au total, ces dispositions apparaissent défavorables aux victimes d'AT-MP avec faute inexcusable de l'employeur, qui perdent le bénéfice d'une indemnisation intégrale du déficit permanent au profit d'une indemnisation majorée, mais forfaitaire et plafonnée.

3. La rédaction de l'article 39 porte également diverses coordinations et corrections rédactionnelles

Les a et d du 1° du I ajoutent des numérotations au sein des alinéas de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, traitant du mode de calcul des rentes AT-MP.

Le b du 1° du I apporte une correction rédactionnelle en substituant à une mention impropre à l'invalidité une mention à l'incapacité.

Le a du 2° du I est une coordination juridique visant à prendre en compte les effets des modifications apportées au droit en vigueur par l'article 39 du PLFSS pour 2024.

Le 3° du I tire les conséquences de l'abrogation de l'article L. 434-15 du code de la sécurité sociale sur l'article L. 434-17, en effectuant une coordination.

Le II renvoie à un décret, et au plus tard au 31 décembre 2024, la fixation de la date d'entrée en vigueur de ces dispositions pour les victimes dont l'état est consolidé ou dont le décès est intervenu à compter de cette date.

4. Un impact financier incertain et progressif

L'étude d'impact annexée par le Gouvernement fait état d'un coût total de la mesure pour la branche AT-MP de 250 millions d'euros par an d'ici trente ans. Toutefois, ce total dépend grandement des paramètres de calcul retenus pour la détermination du montant des rentes AT-MP, et fixés par voie réglementaire. En outre, les dépenses supplémentaires à absorber pour la branche devraient augmenter très progressivement, compte tenu du caractère viager de la rente et de la non-remise en cause du mode de calcul des rentes versées aux victimes dont l'état est consolidé avant l'entrée en vigueur. Le Gouvernement estime, dès lors, que la mesure devrait coûter 10 millions d'euros par an en 2025, puis monter en charge de 10 millions d'euros par an jusque dans 25 à 30 ans.

II - Les modifications considérées comme adoptées par l'Assemblée nationale

Cet article est considéré comme ayant été supprimé par l'Assemblée nationale.

III - La position de la commission

La commission constate, comme la rapporteure générale et le rapporteur de la branche AT-MP à l'Assemblée nationale, que les modalités de transposition de l'ANI du 15 mai 2023 telles que proposées par l'article 39 du PLFSS n'ont pas permis de dégager de consensus entre les partenaires sociaux, en plus d'avoir constitué un irritant pour l'ensemble des associations de défense des victimes d'accidents du travail auditionnées.

Dans ces conditions, la commission propose de confirmer, à titre conservatoire, la suppression de cet article. Le sujet, particulièrement complexe techniquement, n'en est pas moins sensible politiquement : un temps de concertation supplémentaire semble donc souhaitable, voire nécessaire, avant d'adopter des modifications aussi substantielles sur le régime de la rente AT-MP.

La commission déplore le manque de préparation évident de cette réforme par le Gouvernement : les partenaires sociaux ont été insuffisamment consultés, ce qui a résulté en une transposition de l'ANI jugée infidèle par certains syndicats, tandis qu'il n'y a manifestement pas ou peu eu de concertation avec les associations de défense des victimes d'accidents du travail. Le choix retenu par le Gouvernement de fixer par voie réglementaire les paramètres des modes de calcul de l'indemnisation, sans associer les partenaires sociaux alors même que la branche AT-MP est gérée paritairement, est également critiquable.

Les conséquences en sont très regrettables : une réforme mal comprise et inapplicable en l'état, qui exacerbe les tensions entre partenaires sociaux et menace dès lors les avancées pourtant notoires prévues par l'accord national interprofessionnel du 15 mai 2023 en matière de prévention.

La commission appelle les partenaires sociaux à maintenir le dialogue pour dégager, par la négociation, une position commune sur le devenir de la rente AT-MP, qui puisse, sinon satisfaire, convenir à toutes les parties, y compris les associations de défense des victimes. Elle appelle également le Gouvernement à se montrer transparent dans les travaux préparatoires à la réforme de l'indemnisation AT-MP, et à y associer l'ensemble des parties prenantes pour garantir l'équilibre de la solution retenue, et la fidélité aux positions exprimées par les partenaires sociaux.

Elle souhaite que l'accord national interprofessionnel du 15 mai 2023 puisse faire l'objet, si un consensus venait à être trouvé, d'une transcription intégrale dans un projet de loi ad hoc. Compte tenu de la date d'entrée en vigueur prévue pour l'article 39, fixée au 31 décembre 2024 sauf dispositions décrétales contraires, il est possible de retravailler le texte et d'adopter une réforme plus équilibrée sans retarder excessivement le calendrier de mise en oeuvre, répondant ainsi aux inquiétudes des organisations patronales auditionnées.

La commission note, toutefois, que certaines réserves émises à l'encontre du présent article par les organisations syndicales ne sont que la conséquence directe de la préservation du caractère dual de la rente.

Consacrer le caractère dual de la rente fait notamment obstacle au maintien d'une réparation intégrale du déficit fonctionnel permanent par le juge. Le principe de non-double indemnisation, applicable en droit français, commande en effet que le déficit fonctionnel permanent, indemnisé par la rente du fait de sa nature duale, ne puisse faire l'objet d'une indemnisation par un autre canal.

Dès lors, conférer un caractère dual à la rente AT-MP pourra, en fonction des paramètres retenus, emporter des effets favorables sur les bénéficiaires d'une rente de droit commun, mais aura invariablement des effets de bord défavorables sur l'indemnisation des victimes de faute inexcusable de l'employeur, sauf à conférer à l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent par la rente AT-MP majorée en cas de FIE un caractère intégral, ce qui irait à rebours de la philosophie de l'indemnisation AT-MP ; ou à ne pas conférer de caractère dual à la seule rente AT-MP en cas de FIE.

La commission propose de confirmer la suppression de cet article.

Article 39 bis (nouveau)
Sécurisation du versement de l'indemnité journalière de nourriture et de l'allocation exceptionnelle au titre de l'amiante versés par l'Établissement national des invalides de la marine (Enim)

Cet article, inséré par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, vise à sécuriser, pour le passé et pour l'avenir, le versement par l'Enim de l'indemnité journalière de nourriture et de l'allocation exceptionnelle de l'amiante.

Le versement de ces deux allocations, dont la base juridique a été remise en question par la Cour des comptes, a en effet été interrompu pour ses bénéficiaires en mai 2023.

La commission propose d'adopter cet article modifié par les amendements qu'elle a adoptés.

I - Le dispositif proposé

A. Les marins sont affiliés au régime spécial des marins pour leur couverture au titre de la maladie, de la retraite et des accidents du travail et maladies professionnelles

Le régime spécial des marins propose aux gens de mer marins, définis à l'article L. 5511-1 du code des transports comme toutes les personnes salariées ou non exerçant à bord d'un navire une activité professionnelle à quelque titre que ce soit, une couverture spécifique pour la maladie, la retraite, et les AT-MP.

Ce régime spécial, dont l'héritage historique remonte à la création, en 1673, du fonds des invalides de la marine, fait partie des régimes obligatoires de base de sécurité sociale. Il est géré par l'Enim créé en 1930 et dont l'organisation et le statut sont déterminés par le décret 53-953 du 30 septembre 1953 et le décret n° 2010-1009 du 30 août 2010 portant organisation administrative et financière de l'Enim, qui en a fait un établissement public administratif.

Le régime compte, fin 2022, 84 865 affiliés pour le risque maladie, dont 17 127 ayants droit historiques ; et 103 599 pensionnés de retraite. Il couvre, en 2021, 34 432 marins actifs, exerçant la marine de commerce (45 %), de pêche (39 %), la culture marine (12 %) ou la plaisance professionnelle (3 %).

Face à la disproportion entre le nombre de cotisants et le nombre d'affiliés pour les risques maladie et AT-MP, qui s'ajoute à des taux de cotisation particulièrement bas, le régime bénéficie, depuis la loi de finances pour 20061187(*), d'une contribution d'équilibre à la charge du régime général. Celle-ci atteignait 365,5 millions d'euros en 2021, un montant couvrant 86 % des dépenses du régime au titre de ces deux risques.

Les retraites des marins sont, quant à elles, financées à plus de 850 millions d'euros par l'État, via les programmes 197 et 205 du budget de l'État, ce qui représente près de 85 % des dépenses du régime.

Au total, les cotisations versées à l'Enim ne dépassent pas 10 % des sources de financement.

Sources de financement de l'Enim en 2021

B. Les prestations du régime spécial de l'Enim ne correspondent pas toutes à celles servies par le régime général

1. Un régime de retraite dérogatoire du droit commun et particulièrement avantageux

Le régime spécial de retraite des marins est dérogatoire du droit commun à plusieurs titres.

D'une part, il conserve des âges de liquidation des pensions à 50 ans, 52 ans et demi et 55 ans, concernant près du quart des liquidations en 2021 selon la Cour des comptes1188(*).

Diverses règles favorables, recensées par la Cour de comptes, y sont également applicables. Celles-ci concernent notamment le calcul du temps de service - une année de services peut être validée pour un temps de navigation inférieur à six mois, la règle d'arrondi dans la conversion de la durée des lignes de services en trimestres de cotisations - tout trimestre entamé après conversion étant considéré comme acquis, ou encore les bonifications pour enfant, plus généreuses qu'en droit commun.

2. Des prestations en nature de droit commun

Sur les risques maladie et accidents du travail et maladies professionnelles, les prestations en nature versées par l'Enim au titre du régime spécial des marins sont alignées sur celles versées par le régime général des branches maladie et AT-MP.

3. Il existe trois types d'indemnités journalières pour les risques maladie et AT-MP, contre deux dans le droit commun

Le régime général ne fait la distinction qu'entre les indemnités journalières pour le risque maladie1189(*), à hauteur de 50 %1190(*) du salaire journalier de base après application d'un délai de carence, et pour le risque AT-MP1191(*), à hauteur de 60 %1192(*) du salaire journalier de référence pour les 28 premiers jours, et 80 %1193(*) après le 29e jour, jusqu'à consolidation.

Le régime spécial des marins comporte, quant à lui, trois types d'indemnités journalières correspondant à différents types d'arrêts de travail.

L'arrêt de travail pour maladie hors navigation donne lieu à des indemnités journalières selon des modalités proches de celles servies en cas de maladie dans le droit commun puisque les marins concernés perçoivent des indemnités journalières à hauteur de 50 %1194(*) du salaire forfaitaire associé à leur catégorie d'embarquement. Le versement des indemnités journalières pour maladie hors navigation est soumis à conditions de durée de cotisation : seuls les marins ayant cotisé 50 des 90 jours ou 200 des 360 jours précédant l'inaptitude peuvent en bénéficier. Il est toutefois remarquable que, contrairement aux indemnités journalières versées par le régime général de la branche maladie, les indemnités journalières consécutives à un arrêt de travail pour maladie hors navigation ne sont pas calculées sur le salaire réel du marin, mais bien sur la base d'un salaire forfaitaire1195(*), utilisé pour déterminer l'assiette des cotisations des marins et des contributions des armateurs. Les accidents du trajet, au sens de l'article L. 411-2 du code de la sécurité sociale, appelés accidents hors navigation, ne donnent pas systématiquement lieu à une reconnaissance en tant qu'accidents du travail. Un arrêt de travail pour accident hors navigation1196(*) non reconnu comme accident du travail ouvre droit à une prise en charge dans les mêmes conditions qu'un arrêt de travail pour maladie hors navigation.

L'arrêt de travail pour accident du travail maritime ou maladie professionnelle (ATM-MP) donne lieu, lors du premier mois, au maintien intégral du salaire par l'employeur. Puis, à compter du deuxième mois, l'Enim verse des indemnités journalières à hauteur des deux tiers du salaire forfaitaire1197(*) associé à la catégorie d'embarquement de la victime du sinistre, jusqu'à consolidation.

Enfin, l'arrêt de travail pour maladie en cours de navigation constitue un régime hybride et donne lieu, lors du premier mois, au maintien intégral du salaire à la charge de l'employeur et, à compter du deuxième mois, au versement d'indemnités journalières à hauteur de 50 %1198(*) du salaire forfaitaire correspondant à la catégorie d'embarquement du marin. Les soins sont dus jusqu'à guérison ou, au plus tard, six mois à compter du jour où le marin a été laissé à terre1199(*). Toutefois, le service de l'indemnité journalière peut durer jusqu'à trois ans à compter du jour où le marin a été laissé à terre si le marin a cotisé pendant 50 des 90 ou 200 des 360 jours précédant l'arrêt de travail1200(*).

Les salaires forfaitaires journaliers varient, au 1er avril 2023, entre 55,69 euros par jour pour un marin de catégorie 1 et 199,12 euros par jour pour un marin de catégorie 20. Cela représente des indemnités journalières variant de 37,13 euros à 132,75 euros en ATM-MP, et de 27,85 euros à 99,56 euros en maladie.

4. Des catégories de prestations additionnelles à celles du droit commun

En sus des prestations versées par le régime spécial des marins, l'Enim assure une mission d'action sanitaire et sociale au bénéfice de ses affiliés, aux termes de l'article 2 du décret n° 2010-1009 du 30 août 2010 portant organisation administrative et financière de l'Enim. Ce régime de prévoyance est prévu à l'article L. 5551-2 du code des transports.

Dans ces attributions, l'Enim sert une quinzaine d'aides individuelles ou collectives, dont certaines sont complémentaires aux prestations qu'il verse.

Ces aides sont régies par le règlement d'action sanitaire et sociale de l'Enim pour 2023.

a) Le complément de ressources en sus de l'indemnité de nourriture

Parmi elles, l'article 3 du règlement d'action sanitaire et sociale de l'Enim pour 2023 consacre un « complément de ressources », une aide complémentaire aux prestations d'AT-MP versées par le régime. Ainsi, le marin affilié à l'Enim, en arrêt de travail à la suite d'un ATM-MP ou d'une maladie en cours de navigation a le droit à un complément journalier de 13,02 euros par jour durant toute la durée de l'arrêt de travail1201(*) dès lors que le marin bénéficie, de la part de son employeur, d'une indemnité de nourriture mentionnée à l'article L. 5542-18 du code des transports.

Le complément de ressources n'est, aux termes de l'article 3 du règlement d'action sanitaire et sociale de l'Enim pour 2023 précité, pas versé en cas d'hospitalisation du bénéficiaire.

Le montant annuel des indemnités versées au titre du complément de ressources atteint 1,1 million d'euros par an depuis 2017.

b) Le soutien exceptionnel en raison de la prescription de l'action en faute inexcusable de l'employeur

L'article 4 du règlement d'action sanitaire et sociale de l'Enim pour 2023 concerne, quant à lui, le secours exceptionnel en raison de la prescription de l'action en faute inexcusable de l'employeur.

Cette aide prévoit le versement d'un complément de ressources pour les affiliés du régime spécial des marins victimes d'un ATM-MP et leurs ayants droit1202(*) ayant engagé une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur avant le 31 mars 2017 mais déboutés pour prescription du délai de deux ans accordé aux termes de l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale.

En effet, les gens de mer ne pouvaient pas bénéficier, jusqu'à une décision du Conseil constitutionnel de 20111203(*), du régime d'indemnisation dérogatoire et favorable des AT-MP en cas de faute inexcusable de leur employeur1204(*) (FIE). En LFSS pour 2014, le législateur en a tiré les conséquences en ouvrant son bénéfice aux marins, au 8° de l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale. Toutefois, du fait de cette reconnaissance tardive, la Cour de cassation a annulé des décisions ayant admis la faute inexcusable de l'employeur pour prescription. Afin de procéder à l'indemnisation des victimes déboutées, l'Enim a alors créé un secours exceptionnel à leur bénéfice.

Le montant de l'aide est calculé selon les mêmes modalités que la majoration de rente prévue à l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale et la prise en charge des préjudices extrapatrimoniaux non couverts par la rente, prévue à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale. Elle est versée, pour la part couvrant la majoration de rente, comme un complément de revenus mensuel viager ; et comme une indemnité en capital pour la part visant à réparer certains préjudices extrapatrimoniaux non couverts par la rente.

L'indemnisation ne couvre, dans les faits, que des victimes de l'amiante, c'est pourquoi elle est fréquemment désignée sous le nom d'allocation exceptionnelle pour maladie professionnelle liée à l'amiante.

Conformément au principe de non double indemnisation, l'aide n'est pas cumulable avec les indemnités versées par d'autres canaux, notamment par le Fiva.

Ces allocations ont représenté un montant de 1,6 million d'euros entre 2019 et 2021.

C. Les versements du complément de ressources et du soutien exceptionnel en raison de la prescription de l'action en faute inexcusable de l'employeur sont interrompus depuis mai 2023

Dans le cadre du rapport d'application sur les lois de financement de la sécurité sociale pour 20231205(*), la Cour des comptes a évalué la gestion du régime spécial des marins par l'Enim. Il a résulté de ce travail de contrôle un contentieux en responsabilité des gestionnaires publics ouvert devant la septième chambre de la Cour des comptes. Il a en effet été estimé que l'Enim prenait en charge de manière indue le complément de ressources et le soutien exceptionnel en raison de la prescription de l'action en faute inexcusable de l'employeur versée au titre de l'amiante, constatant l'absence de base légale ou réglementaire pour ces prestations.

Par conséquent, l'Enim a suspendu le 10 mai 2023 le versement du complément de ressources et le 1er mai 2023 celui du soutien exceptionnel.

Les 600 bénéficiaires du complément de ressources et les 17 bénéficiaires du soutien exceptionnel voient, dans ces conditions, s'arrêter le versement de prestations qui leur étaient versées, et se trouvent désormais dans une situation juridiquement périlleuse dès lors qu'une décision de justice pourrait conclure que l'Enim a versé ces aides à mauvais droit, et que celles-ci doivent donc faire l'objet d'un remboursement.

D. Le dispositif proposé : la validation des aides versées avant la suspension, l'autorisation du versement pour la période de suspension, et la sécurisation du cadre légal de versement de ces deux aides

L'article 39 bis, inséré par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, est issu de deux amendements identiques, déposés par le Gouvernement et par M. Le Gac. Il vise trois objectifs.

1. La validation rétroactive des aides accordées avant la suspension des versements par l'Enim

La validation législative

La validation législative est un procédé juridique par lequel le législateur couvre l'illégalité d'un acte, généralement un acte administratif, annulé ou susceptible de l'être par le juge.

Une loi de validation a donc pour effet de « légaliser » rétroactivement un acte administratif pourtant illégal à son édiction, ou pris sur le fondement d'un acte illégal.

La validation législative constitue donc une immixtion du pouvoir législatif dans l'autorité judiciaire, et doit, à ce titre, être conciliée avec la séparation des pouvoirs consacrée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

En conséquence, le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme ont entendu, par leur jurisprudence, davantage encadrer le recours aux lois de validation selon trois axes principaux :

• la temporalité de la mesure : la validation ne saurait remettre en cause une décision de justice passée en force de chose jugée1206(*) ni être excessivement tardive par rapport aux instances en cours ;

• l'objet de la mesure, qui doit être justifiée par un motif d'intérêt général suffisant1207(*) pour le Conseil constitutionnel et impérieux1208(*) pour la Cour européenne des droits de l'homme. En outre, aucune mesure de validation ne peut trouver à s'appliquer en matière pénale ;

• la forme de la mesure de validation, dont la portée doit être circonscrite et qui doit préciser les motifs d'illégalité auxquels elle vise à faire échec1209(*).

Le deuxième alinéa du II de l'article 39 bis valide le versement par l'Enim respectivement du complément de ressources, appelé indemnités journalières de nourriture, entre le 17 novembre 2017 et le 10 mai 2023, date à laquelle le versement a été suspendu. Ainsi, aucune action en justice ne pourra conduire les bénéficiaires à devoir rembourser à l'Enim les prestations prévues, si celles-ci devaient être considérées comme versées à mauvais droit par le juge.

Le premier alinéa du III opère la même validation pour les allocations exceptionnelles pour maladie professionnelle liée à l'amiante versées par l'Enim entre le 17 novembre 2017 et le 30 avril 2023.

2. L'autorisation, pour l'Enim, de verser le complément de ressources non perçu par les bénéficiaires depuis la suspension de son octroi

Le premier alinéa du II de l'article 39 bis ouvre droit à l'Enim de verser directement ou par l'intermédiaire de l'employeur du bénéficiaire le complément de ressources, appelé indemnité journalière de nourriture, au profit des assurés qui y avaient droit entre le 11 mai 2023 et le 31 décembre 2023. Cela vise à permettre de dispenser rétroactivement les montants d'aides qui auraient été attribués sans la suspension du versement du complément de ressources à compter du 11 mai 2023.

3. La sécurisation du cadre de versement du complément de ressources et de l'allocation exceptionnelle

Le I de l'article 39 bis vise à donner une assise législative au versement, par l'Enim, du complément de ressources appelé indemnité journalière de nourriture en modifiant l'article L. 5542-24 du code des transports régissant l'indemnité journalière de nourriture. Pour ce faire, ce I précise :

- que l'indemnité journalière de nourriture est versée par l'Enim au titre du régime de prévoyance des marins (b du 1°) ;

- que son montant n'est pas déterminé par le contrat de travail, ce qui induisait qu'il soit versé par l'employeur, mais par arrêté des ministres chargés du budget, de la mer et de la sécurité sociale (c du 1°) ;

- que le versement par l'Enim de l'indemnité journalière de nourriture ne s'opère que pour les marins bénéficiant de l'indemnité de nourriture mentionnée à l'article L. 5542-18 (a du 1°) et n'est pas due pendant les périodes d'hospitalisation (2°), en conformité avec les règles d'attribution applicables avant la suspension des versements, telles que définies dans le règlement d'action sanitaire et sociale de l'Enim pour 2023 mais non inscrites à ce jour dans la loi.

Le troisième alinéa du II précise que l'article L. 5542-24 du code des transports ainsi modifié est applicable aux régularisations « impactant des versements d'indemnités journalières de nourriture antérieurs au 11 mai 2023 ainsi qu'aux indemnisations n'ayant pas fait l'objet de versements sur la même période ».

Enfin, le deuxième alinéa du III autorise l'Enim à continuer à verser les allocations exceptionnelles pour maladie professionnelle liée à l'amiante jusqu'au décès des assurés ayant reçu au moins une fois l'allocation entre le 17 novembre 2017 et le 30 avril 2023.

II - La position de la commission

La commission a souscrit à ces dispositions, qui permettront de sécuriser, pour le passé comme pour l'avenir, des aides complémentaires aux prestations versées par l'Enim dans le cadre de sa mission d'action sanitaire et sociale.

Afin de garantir la conformité des mesures de validation à la jurisprudence constitutionnelle et de corriger une erreur matérielle, la commission a adopté, à l'initiative de sa rapporteure, un amendement n° 314.

Si la commission se réjouit que ces prestations puissent, à l'avenir, disposer d'une assise juridique stabilisée, elle ne peut que déplorer que ces prestations aient pu être versées, depuis 2017, sans base légale, alors même que le régime géré par l'Enim est exsangue financièrement et bénéficie de subventions de l'État et du régime général pour financer près de 90 % des dépenses auxquelles il est confronté.

En ce sens, la commission appelle le Gouvernement à prendre des mesures pour faire évoluer le régime spécial des marins, dont l'archaïsme des prestations et le caractère dérogatoire a été souligné par la Cour des comptes dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale paru en 2023.

La commission a également adopté un amendement n° 313 afin de sécuriser le dispositif juridique, et des amendements rédactionnels nos 312 et 315.

La commission propose d'adopter cet article modifié par les amendements qu'elle a adoptés.

Article 39 ter (nouveau)
Renforcement des moyens du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) pour détecter les personnes qui sont susceptibles de bénéficier des droits à l'indemnisation

Cet article, inséré par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, vise à renforcer les moyens du Fiva pour identifier les bénéficiaires potentiels de ses prestations et lutter contre le non-recours.

Pour ce faire, cet article inscrit dans les missions du Fiva la détection des personnes susceptibles de bénéficier des droits à l'indemnisation des préjudices liés à l'amiante, et instaure un cadre de transfert de données au profit du Fiva.

La commission propose d'adopter cet article modifié par les amendements qu'elle a adoptés.

I - Le dispositif proposé

A. Le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a aujourd'hui pour seule mission l'indemnisation des victimes de l'amiante

Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) est un établissement public administratif créé par l'article 53 de la LFSS pour 20011210(*), dont la vocation est d'assurer la réparation intégrale de l'ensemble des préjudices subis par les victimes de l'amiante sur le territoire français et par leurs ayants-droits.

La réparation des préjudices liés à l'amiante pour ces publics est la seule mission aujourd'hui reconnue au Fiva, par le deuxième alinéa du II de l'article 53 de la LFSS pour 2001 précitée.

Ce fonds, administré par un conseil d'administration composé d'un président, de cinq représentants de l'État, de huit représentants des organisations siégeant à la commission des AT-MP de la Cnam, quatre représentants des organisations nationales d'aide aux victimes de l'amiante et de quatre personnalités qualifiées, est le seul pour lequel les partenaires sociaux occupent une plus grande place que l'État dans la gouvernance.

L'essentiel des activités du Fiva est consacré à l'instruction des demandes d'indemnisation qui, par dérogation au dispositif AT-MP de droit commun, présentent un caractère intégral et non forfaitaire. Le Fiva calcule ainsi, à l'aide d'un barème indicatif, la somme des préjudices professionnels, fonctionnels et personnels et soustrait de cette somme les montants versés au titre de la réparation forfaitaire des AT-MP de droit commun, constituée par la rente AT-MP ou l'indemnité en capital mentionnées respectivement aux articles L. 432-2 et L. 431-1 du code de la sécurité sociale. La récente jurisprudence de la Cour de cassation en date du 20 janvier 20231211(*), en excluant de la rente AT-MP la réparation du déficit fonctionnel permanent, a ainsi des effets sur le Fiva, qui ne peut plus déduire la rente versée par les organismes de sécurité sociale des prestations qu'il prend en charge au titre du déficit fonctionnel permanent.

Le fonds assure également le paiement des offres, ainsi que le traitement des contentieux qui peuvent en résulter. Enfin, le Fiva intente des actions en justice contre les employeurs aux fins de reconnaissance de leur faute inexcusable, une fois subrogé dans les droits des victimes.

En comptabilité générale, le Fiva a engagé, en 2022, 264,8 millions d'euros de prestations d'indemnisation aux victimes de l'amiante, financés principalement par la branche AT-MP du régime général, pour 220 millions d'euros en 2022, par des actions engagées par le fonds au titre de la faute inexcusable de l'employeur, pour 36 millions d'euros en 2022 et, à titre subsidiaire, une dotation de l'État à hauteur de 7,7 millions d'euros.

En vingt ans, le fonds a versé à plus de 110 000 victimes de l'amiante des indemnisations atteignant 7 milliards d'euros, soit plus de 65 000 euros d'indemnisation par victime.

Le Fiva enregistre une baisse structurelle du nombre de nouvelles victimes qu'elle indemnise chaque année, passé de 5 202 en 2013 à 2 699 en 2022.

B. Un phénomène de non-recours mal connu mais vraisemblablement significatif

Compte tenu de la trajectoire décroissante du flux de nouvelles victimes à indemniser, le Fiva cherche désormais à limiter le taux de non-recours aux droits pour ses prestations.

S'il n'existe pas d'étude évaluant l'ampleur du non-recours pour l'ensemble des pathologies liées à l'amiante, les inspections générales des finances et des affaires sociales ont estimé, dans une mission conjointe1212(*), que le taux de non-recours serait aux alentours de 50 % sur les mésothéliomes1213(*) et entre 29 % et 50 % sur les cancers pulmonaires en général.

En ce sens, et malgré les actions déjà mises en oeuvre par le Fiva en la matière, la mission d'inspection précitée a considéré que la lutte contre le non-recours faisait partie des « défis auxquels l'organisme fait face ».

Un exemple d'action menée par le Fiva contre le non-recours : l'expérimentation d'un partenariat avec la Cnam

Afin de lutter contre le non-recours, le Fiva a signé, depuis 2015, des partenariats avec des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) normandes, région particulièrement touchée par l'amiante, afin que les CPAM concernées puissent partager avec le Fiva des informations sur la reconnaissance de maladies professionnelles causées par l'amiante. Les victimes concernées sont alors contactées par le Fiva afin de leur faire connaître leurs droits.

La mission conjointe Igas/IGF de février 2021 précitée avait, au vu de l'efficacité de cette expérimentation, recommandé sa généralisation (Proposition n° 4 du rapport).

C. Le dispositif proposé : le renforcement des moyens du Fiva pour identifier les bénéficiaires potentiels des prestations qu'il verse

L'article 39 ter du PLFSS, inséré par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, est issu de trois amendements identiques de Pierre Dharréville et plusieurs de ses collègues du groupe Gauche démocrate et républicaine - Nupes, Sébastien Peytavie et plusieurs de ses collègues du groupe Écologiste - Nupes, et Didier Le Gac et plusieurs de ses collègues députés des groupes Les Républicains, Renaissance, Démocrates, Gauche démocrate et républicaine - Nupes, Horizons et Rassemblement national.

1. L'inscription d'une nouvelle mission pour le Fiva : la détection des bénéficiaires potentiels de ses prestations

L'article 39 ter du PLFSS pour 2024 modifie, en son 1°, l'article 53 de la LFSS pour 2001 précité, relatif au Fiva, afin d'ajouter à la liste des missions du Fiva, aujourd'hui uniquement constituée de la réparation des préjudices de l'amiante, une mission de détection des personnes susceptibles de bénéficier des droits à l'indemnisation de ces préjudices.

2. L'instauration d'un cadre de transferts de données au bénéfice du Fiva

Le 2° de l'article 39 ter du PLFSS pour 2024 tire les conséquences de l'extension des missions du Fiva prévue en son 1° en donnant au Fiva des moyens supplémentaires dans la lutte contre le non-recours. Il insère, pour ce faire, un III bis A au sein de l'article 53 de la LFSS pour 2001 précité, qui met en oeuvre un cadre de transferts de données des services de l'État, collectivités publiques, organismes assurant la gestion des prestations sociales ou assureurs au bénéfice du Fiva.

Les informations ou données personnelles transmises ne pourraient être utilisées que pour l'exercice de la mission de détection des personnes susceptibles de bénéficier des droits à l'indemnisation des préjudices de l'amiante, que l'article 39 ter propose de conférer au Fiva.

Le Fiva pourra ensuite entrer en communication avec les bénéficiaires potentiels ainsi identifiés afin de les informer de leurs droits. À cette occasion, le Fiva devra aviser les bénéficiaires potentiels de leurs droits d'accès ou de rectification des données ou, le cas échéant, de leur droit d'opposition à la poursuite du traitement de leurs données.

Il est prévu que soient détruites sans délai les informations et données à caractère personnel obtenues à la suite de la première communication individuelle du Fiva avec les bénéficiaires potentiels s'opposant au traitement de leurs données ou dont l'éligibilité aux dispositifs gérés par le Fiva est finalement infirmée.

Le dernier alinéa du 2° dispose, enfin, qu'un décret en Conseil d'État pris après avis de la commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) détermine les conditions d'application du cadre du transfert de données, concernant notamment les catégories de données recueillies et les modalités de transmission et de conservation dont elles font l'objet.

II - La position de la commission

Attachée à la lutte contre le non-recours au droit, la commission a souscrit à l'esprit de cet article.

La mesure entreprise, qui consiste en une extension d'une expérimentation couronnée d'une certaine efficacité et dont la généralisation avait fait l'objet d'une recommandation par la mission d'inspection conjointe Igas/IGF de février 2021, lui paraît pleinement fondée.

La commission a adopté un amendement n° 318 ajoutant les organismes de sécurité sociale à la liste des entités desquelles le Fiva pourra requérir des données afin de lutter contre le non-recours. Ceux-ci détiennent en effet des données valorisables sur l'état de santé des assurés, pouvant contribuer à la détection des victimes de l'amiante non encore bénéficiaires du Fiva.

Saisie, la Cnil a indiqué à la rapporteure qu'elle n'était « guère opposée à l'introduction de dispositifs de lutte contre le non-recours à l'instar de ce nouvel article 39 ter du PLFSS pour 2024 » et qu'elle « salu[ait] » la saisine pour avis de la Cnil sur les modalités réglementaires d'application de cet article.

Elle a également estimé que les garanties apportées par la rédaction de cet article en matière de respect des droits des personnes, de la sécurité et de la confidentialité des données seraient satisfaisantes sous réserve de l'adoption de l'amendement n° 320 de sa rapporteure, qui limite la conservation des données personnelles prévue à l'article 39 ter aux seuls cas où elle est strictement nécessaire, c'est-à-dire pour les personnes éligibles aux prestations du Fiva et consentant à la procédure.

La commission salue donc ces dispositions, qui permettront au Fiva de couvrir les préjudices de davantage de victimes de l'amiante, dans une démarche « d'aller-vers ».

Toutefois, la commission estime que la branche AT-MP ne doit pas porter, à elle seule, l'effort financier rendu nécessaire par l'indemnisation plus large que permettra cet article. L'État, dont la responsabilité dans l'affaire de l'amiante a été reconnue, devra également y prendre toute sa part, alors que sa contribution au fonds est aujourd'hui marginale.

La commission a également adopté les amendements rédactionnels nos 316, 317 et 319.

La commission propose d'adopter cet article modifié par les amendements qu'elle a adoptés.


* 1167 Il s'agit du cas de faute inexcusable ou volontaire de l'employeur, abordé au 3 du A du I de ce commentaire.

* 1168 Un accident est caractérisé comme accident de trajet même si, du fait de nécessités du covoiturage, le trajet emprunté n'est pas le plus direct.

* 1169 Loi n° 46-2426 du 30 octobre 1946 sur la prévention et la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.

* 1170 Les cotisations représentent, en 2023, 96 % des recettes du régime général de la branche AT-MP.

* 1171 En 2022, 73,6 % du taux total notifié était ainsi dépendant de la sinistralité.

* 1172 Hors exceptions sectorielles, les établissements de moins de 20 salariés ont un mode de tarification variable collectif, dépendant de la sinistralité de leur secteur d'activité. Les établissements de plus de 150 salariés ont un mode de tarification variable individualisé, ne dépendant que de leur propre sinistralité. Les établissements comprenant entre 20 et 149 salariés ont un mode de tarification variable mixte, dépendant à la fois de la sinistralité du secteur et de la sinistralité propre de l'établissement.

* 1173 Article L. 434-1 du code de la sécurité sociale.

* 1174 Article R. 434-1 du même code.

* 1175 Article L. 434-2 dudit code.

* 1176 Il s'agit du montant mentionné à l'article R. 434-27 du code de la sécurité sociale, majoré chaque année par l'application d'un coefficient, conformément à l'article L. 434-16 du même code.

* 1177 Article R. 434-28 du code de la sécurité sociale.

* 1178 Articles L. 434-7 à 434-14 du code de la sécurité sociale.

* 1179 Cass. crim, 19 mai 2009, n° 08-82666.

* 1180 Rapport du groupe de travail chargé d'élaborer une nomenclature des préjudices corporels, juillet 2005.

* 1181 Article L. 452-1 du code de la sécurité sociale.

* 1182 Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-11.793, et Cass. soc., 11 avril 2002, n° 00-16.535.

* 1183 Cass. crim., 19 mai 2009, n° 08-82666.

* 1184 CE, 8 mars 2013, n° 361273, Lebon - CE, 5 mars 2008, n° 272447, Lebon.

* 1185 Cass. com., 11 mai 1999, n° 98-11.392 ; Cass civ. 1re, 16 avril 1996, n° 94-14.400.

* 1186 Cass. ass. plen., 20 janvier 2023, n° 20-23.673 et n° 21-23.947.

* 1187 Article 57 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.

* 1188 Cour des comptes, 2023, Rapport d'observations définitives sur l'établissement national des invalides de la marine.

* 1189 Articles L. 321-1 et suivants du code de la sécurité sociale.

* 1190 Article R. 323-5 du code de la sécurité sociale.

* 1191 Articles L. 433-1 et suivants du code de la sécurité sociale.

* 1192 Article R. 433-1 du code de la sécurité sociale

* 1193 Article R. 433-3 du code de la sécurité sociale.

* 1194 Article 33 du décret du 17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à l'unification du régime des marins.

* 1195 Article 7 du décret du 17 juin 1938 précité et article L. 5553-5 du code des transports.

* 1196 Il s'agit, en fait, d'un arrêt de travail causé par un accident de trajet au sens de l'article L. 411-2.

* 1197 Article 12 du décret du 17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à l'unification du régime des marins.

* 1198 Article 28 du décret du 17 juin 1938 précité.

* 1199 Article 27 du décret du 17 juin 1938 précité.

* 1200 Article 28a du décret du 17 juin 1938 précité.

* 1201 Son versement est limité aux six premiers mois dans le cas d'une maladie en cours de navigation.

* 1202 Au sens de la rente AT-MP mentionnée à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

* 1203 Décision n° 2011-127 QPC du 6 mai 2011.

* 1204 Ce régime est présenté plus en détail dans le commentaire de l'article 39 du présent rapport.

* 1205 Cour des comptes, mai 2023, Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

* 1206 Décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 dite « Validation d'actes administratifs ».

* 1207 Décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 dite « Validation d'actes administratifs ».

* 1208 CEDH, 28 octobre 1999, Zielinski et Pradal c/France.

* 1209 Décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.

* 1210 Loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001.

* 1211 Cette jurisprudence fait, dans le présent rapport, l'objet d'une analyse plus détaillée dans le commentaire de l'article 39 du PLFSS pour 2024.

* 1212 Inspection générale des finances (IGF) et Inspection générale des affaires sociales (Igas), février 2021, « Consolider l'indemnisation publique dans le champ de la santé : enjeux et modalités du rapprochement entre le FIVA et l'ONIAM ».

* 1213 La mission d'inspection note que cette estimation concorde avec le taux de non-recours de 45 % avancé par Santé publique France.

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