EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Reconnaissance de la responsabilité de la République française
du fait d'infractions pénalisant l'homosexualité

L'article 1er vise à reconnaître la responsabilité et les regrets de la République française pour « la politique de criminalisation et de discrimination mise en oeuvre entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982 à l'encontre des personnes homosexuelles, ou présumées telles » en raison de condamnations pénales prononcées sur le fondement de dispositions abrogées entre 1980 et 1982.

Cet article soulevant des difficultés juridiques tenant à la période prise en compte, qui n'opère pas de différence entre une loi du régime de Vichy et des lois républicaines, comme au principe d'une réparation financière, la commission l'a modifié pour le recentrer sur la reconnaissance de la responsabilité de la République du fait de lois qui étaient par nature constitutives d'une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

1. Les étapes de la dépénalisation de l'homosexualité en France

Supprimée une première fois en 1791 par la Révolution française11(*)
- qui avait fait de notre pays le premier au monde à mettre fin à toute pénalisation de l'homosexualité -, la répression pénale de l'homosexualité a été réintroduite sous le régime de Vichy par une loi du 6 août 1942 qui, en alignant la majorité sexuelle sur la majorité civile pour les seules personnes homosexuelles, instaurait un consentement aux relations sexuelles (et donc l'absence d'infraction pénale) à partir de 13 ans pour les hétérosexuels et de 21 ans pour les homosexuels et pénalisait les relations entre personnes de même sexe dès lors que l'une d'entre elles avait entre 13 et 21 ans.

Confirmée à la Libération par l'ordonnance du 8 février 1945 (avec un rehaussement de la majorité sexuelle à 15 ans) et inscrite à l'article 331 du code pénal, cette infraction discriminatoire n'a été supprimée qu'avec la loi n° 82-683 du 4 août 1982 abrogeant le deuxième alinéa de l'article 331 du code pénal. Robert Badinter, alors garde des Sceaux, avait déclaré le 20 décembre 1981 devant l'Assemblée nationale, lors de la discussion générale ouvrant les débats sur cette abrogation : « la discrimination, la flétrissure qu'implique à [l']égard [des homosexuels] l'existence d'une infraction particulière d'homosexualité les atteint -- nous atteint tous -- à travers une loi qui exprime l'idéologie, la pesanteur d'une époque odieuse de notre histoire »12(*). Cette déclaration constitue indéniablement l'édifice symbolique de la reconnaissance de responsabilité qui est examinée aujourd'hui.

Si cette avancée, vieille de plus de 40 ans, paraît déjà ancienne, elle reste plus tardive que chez la plupart de nos voisins européens, à l'instar du Royaume-Uni (1967), de l'Espagne (1977) ou encore de l'Italie (1890)13(*).

En pratique, la répression de certaines relations homosexuelles en France a reposé, de 1945 à 1982, sur deux types d'infractions pénales :

- depuis 1960, au moment de l'inscription de l'homosexualité dans la liste des « fléaux sociaux », et jusqu'à l'abrogation de cette disposition par la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux moeurs, le deuxième alinéa de l'article 330 du code pénal intégrait une circonstance aggravante à l'outrage public à la pudeur consistant à ce que celui-ci soit commis sur une personne du même sexe14(*). Outre le caractère manifestement discriminatoire de cette circonstance aggravante, l'outrage public à la pudeur permettait en pratique de réprimer des comportements qui n'étaient pas considérés comme illicites lorsqu'ils étaient le fait de couples hétérosexuels. Cette infraction était ainsi utilisée, notamment à Paris, pour pénaliser la fréquentation de lieux de rencontre homosexuelle15(*) ;

- jusqu'en 1982, le troisième (puis, à compter de la loi précitée du 23 décembre 1980, le deuxième) alinéa de l'article 331 du code pénal entendait punir « quiconque aura commis un acte impudique ou contre-nature avec un mineur du même sexe ». La plus récente des peines encourues était un emprisonnement de six mois à trois ans et une amende de 60 à 20 000 francs. On insistera sur le fait que l'appellation « mineurs » est en l'espèce trompeuse et que l'infraction ne concernait que les « majeurs sexuels » (donc les personnes ayant atteint l'âge de la majorité sexuelle, qui a varié entre 13 et 15 ans pendant la période considérée, mais non encore la majorité civile, fixée à 21 ans puis à 18 ans à compter de la loi n° 74-631 du 5 juillet 1974). De même, les relations ainsi réprimées étaient consenties, les cas de contrainte (agression sexuelle, viol, etc.) faisant l'objet d'infractions autonomes n'opérant pas de distinction selon le sexe de la victime ou de l'auteur. Enfin, cette répression ciblait spécifiquement les personnes de même sexe : les relations entre un majeur et un mineur âgé de 13 (ou 15) à 21 (ou 18) ans étaient, en effet, pleinement légales dès lors que les protagonistes étaient consentants et de sexes opposés.

Ce sont ainsi près de 10 000 personnes - très majoritairement des hommes, présentant une grande majorité de profils socio-professionnels et privés16(*) - qui ont été condamnées sur le fondement de l'ancien article 331, avec un nombre de condamnations prononcées très variable selon les départements. Les condamnations connaissent une augmentation constante jusqu'aux années 1960 puis deux mouvements de diminution : le premier après mai 1968 et le second à compter de la fixation à 18 ans de l'âge de la majorité en 1974.

Comme le rappelait Sherine Berzig dans la contribution écrite qu'elle a remise au rapporteur, on dénombre 106 femmes condamnées pour ce motif entre 1953 et 1978.

Source : contribution écrite remise par Régis Schlagdenhauffen

Selon Régis Schlagdenhauffen17(*), le nombre de condamnations pourrait même aller jusqu'à 50 000 si l'on intègre les « outrages publics à la pudeur homosexuels » de l'article 330, qui n'apparaissent pas « en toutes lettres » dans le compte général de la justice, et qui font à ce jour l'objet d'un travail de recherche visant à les quantifier.

L'ensemble des personnes condamnées ont été amnistiées par la loi n° 81-736 du 4 août 1981 portant amnistie, entraînant l'effacement des mentions correspondantes au casier judiciaire et, de jure, la reconnaissance de l'innocence des personnes concernées.

Il est intéressant de rappeler que le Sénat avait, dès 1978, non seulement été le premier à se rallier à la suppression, proposée par le Gouvernement, de la circonstance aggravante d'homosexualité en cas d'outrage public à la pudeur, mais surtout qu'il avait dès cette époque souhaité abroger le « délit d'homosexualité » prévu par l'article 331 du code pénal. Lors de la première lecture du projet de loi relatif à la répression du viol et de certains attentats aux moeurs, la Haute assemblée avait ainsi délibéré en faveur d'une abrogation de dispositions dont le maintien lui semblait contraire à « l'évolution des moeurs et des esprits »18(*) et qui constituaient à ses yeux « des dispositions discriminatoires à l'encontre des homosexuels »19(*). L'Assemblée nationale n'avait pas partagé cette analyse : comme le rappelait le rapporteur de la commission des lois Edgar Tailhades dans son rapport de troisième lecture, « le seul point de désaccord qui subsiste entre l'Assemblée nationale et le Sénat a trait à la nécessité d'une incrimination spéciale de l'homosexualité. On sait que, depuis la Révolution française, les actes d'homosexualité ne sont plus pénalement réprimés. Convient-il dans ces conditions de maintenir dans notre droit la disposition, issue du régime de Vichy, qui érige en délit les rapports sexuels avec un mineur de même sexe, alors qu'en principe ces rapports ne sont considérés, au sens de la loi pénale, comme un attentat à la pudeur que si le mineur est âgé de moins de quinze ans ? ».

L'Assemblée nationale étant restée inflexible, et pour éviter de retarder plus longtemps l'adoption des autres mesures contenues dans un projet de loi qui devait garantir une meilleure répression des viols et qui était en navette entre les deux assemblées depuis plus de deux ans, le Sénat avait toutefois fini par accepter, en troisième lecture et contre l'avis de sa commission des lois, le maintien de cette infraction20(*).

2. Une reconnaissance de responsabilité légitime dans ses objectifs et qu'il convient de sécuriser sur le plan juridique

C'est dans ce contexte que les auteurs de la proposition de loi souhaitent consacrer la responsabilité de la France du fait des infractions pénales décrites ci-dessus et abrogées entre 1980 et 1982.

S'il en comprend les objectifs, le rapporteur relève que le dispositif proposé soulève plusieurs difficultés juridiques.

En premier lieu, le texte proposé entend reconnaître la responsabilité de la République française21(*) du fait de « la politique de criminalisation et de discrimination mise en oeuvre entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982 à l'encontre des personnes homosexuelles, ou présumées telles, et condamnées en application des dispositions » du code pénal déjà citées. Cette formulation diffère de celle qui a été retenue par le législateur dans les lois « mémorielles » déjà adoptées :

cette reconnaissance de responsabilité se double de l'expression de « regrets » (« La République reconnaît et regrette... ») qui constituent une notion morale, et non juridique. Le verbe « regretter » est d'ailleurs absent de notre corpus législatif, y compris dans les lois « mémorielles » les plus récentes, à l'instar de la loi n° 2022-229 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie du 23 février 2022 ;

la proposition de loi reconnaît au même degré et dans les mêmes formes la responsabilité de l'État pour une loi mise en oeuvre par le régime de Vichy de 1942 à 1944, puis par la République de 1945 à 1982, ce qui pose un problème de principe, la répression pénale vichyste s'étant accompagnée d'une politique globale d'État ouvertement homophobe. Ainsi, si les discriminations ont existé, si elles ont pendant trop longtemps perduré et si elles ont pour certaines été gravées dans la loi, on ne saurait affirmer qu'elles étaient le fait d'une « politique de discrimination » globale menée par l'État de manière continue et indistincte entre 1942 et 1982 ;

- la reconnaissance prévue par les auteurs ouvre le droit, comme le rappelle le dernier alinéa de l'article 1er, à une réparation financière sur laquelle on reviendra à l'article 3 mais dont le principe se cumule difficilement, au plan juridique, avec l'amnistie prononcée en 1981 comme avec les règles de droit commun en matière de prescription, qui fixent à trente ans la durée maximale pendant laquelle un préjudice peut être indemnisé, sans même évoquer le principe général de prescription quadriennale ;

- enfin et surtout, la soutenabilité juridique d'une telle réparation financière n'est pas acquise : à l'inverse de la réparation accordée aux harkis (qui était liée, aux termes de l'article 1er de la loi précitée du 23 février 2022, à « l'indignité des conditions d'accueil et de vie [des personnes concernées] sur [le] territoire national » et à des « conditions de vie particulièrement précaires »), elle serait liée aux conséquences directes de l'application de la loi pénale (soit la condamnation elle-même et la peine exécutée), ce qui n'apparaît pas compatible avec les principes généraux dégagés par le Conseil d'État22(*) en la matière.

La commission des lois, attachée à ce que la reconnaissance de la responsabilité de la République ne souffre aucune contestation, n'a pas estimé possible d'adopter une rédaction qui présentait des risques juridiques et dont l'articulation avec les grands principes du droit pénal était malaisée. Elle a donc, à l'initiative de son rapporteur, renoncé à adopter l'article 1er dans la rédaction proposée, tout en affichant son intention d'adopter en vue de la séance publique un amendement permettant :

- de recentrer l'article 1er sur la période allant du 8 février 1945, date de l'adoption de l'ordonnance intégrant les infractions concernées dans le code pénal applicable par la République, jusqu'en 1982 ;

- de simplifier la description du motif de la responsabilité ainsi consacrée, liée au caractère discriminatoire des anciennes lois pénalisant l'homosexualité ;

- de supprimer la référence à une réparation financière, le principe même de celle-ci apparaissant peu compatible avec les principes généraux de notre droit.

La commission n'a pas adopté l'article 1er ainsi rédigé.

Article 2
Création d'un délit réprimant la contestation ou la minoration outrancière
de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France
pendant la Seconde Guerre mondiale

L'article 2 crée un délit de contestation, négation et banalisation ou minoration outrancière de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale.

Considérant que cette infraction était déjà couverte par le droit en vigueur, la commission n'a pas adopté l'article 2.

1. Un nouveau délit inspiré par l'infraction de « négationnisme » prévue par la loi du 29 juillet 1881

L'article 2 vise à mettre en place un nouveau délit, largement inspiré du délit de « négationnisme » intégré à la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 par la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (ou « loi Gayssot ») et plusieurs fois modifié depuis lors. Cette infraction constitue aujourd'hui l'article 24 bis de la loi précitée de 1881 et est ainsi caractérisée :

- elle concerne toute expression publique effectuée par l'un des moyens prévus par l'article 23 de la même loi : discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics ; écrits, imprimés, dessins, images ou « tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics » ; diffusion par tout moyen de communication au public par voie électronique ;

- elle concerne, d'une part, la contestation de l'existence des crimes contre l'humanité définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, donc les crimes commis par les nazis, leurs alliés et ceux qui ont collaboré avec eux et, d'autre part, la négation, la minoration ou la banalisation « outrancière » de l'existence d'un autre crime de génocide, crime contre l'humanité, crime de guerre ou crime de réduction en esclavage, dès lors que ce crime a donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale.

L'article 24 bis fixe une peine maximale d'un an d'emprisonnement de 45 000 euros d'amende, portée à trois ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende si l'infraction est commise dans l'exercice de ses fonctions par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public. Le tribunal peut, en outre, prononcer l'affichage ou la diffusion de sa décision.

Sur le modèle ainsi décrit, les auteurs proposent l'introduction dans la loi de 1881 d'un nouvel article 24 ter créant un délit applicable à celles et ceux qui auront « contesté [...] l'existence de la déportation de personnes en raison de leur homosexualité depuis la France, en zone occupée comme en zone libre, pendant la Seconde Guerre mondiale » ou qui auront « nié, minoré ou banalisé de façon outrancière » l'existence de ces mêmes faits.

2. Une infraction déjà couverte par le droit en vigueur et dont l'autonomisation serait porteuse d'effets pervers

Comme le rappellent les auteurs de la proposition de loi, la réalité de la déportation des homosexuels depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale n'est plus à prouver. Connue des historiens, elle est reconnue par la France depuis près de trente ans : après une reconnaissance implicite intervenue dès 1995, lorsque des militants homosexuels ont été conviés à participer pour la première fois aux cérémonies de la Journée du souvenir de la déportation, des reconnaissances explicites sont intervenues d'abord en 2001 avec des déclarations du Premier ministre de l'époque Lionel Jospin, puis le 24 avril 2005 avec un discours du Président de la République Jacques Chirac à l'occasion de la Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation, au cours duquel il déclarait : « En Allemagne, mais aussi sur notre territoire, celles et ceux que leur vie personnelle distinguait, je pense aux homosexuels, étaient poursuivis, arrêtés et déportés ».

Pour être incontestable, la déportation des homosexuels depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale doit-elle faire l'objet d'un « délit de négationnisme » spécifique ? Le rapporteur considère, au contraire, que non seulement la contestation de cette déportation est couverte par l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, mais surtout que la création d'un nouveau délit, parce qu'elle impliquerait le contraire, serait susceptible de perturber des contentieux en cours.

Sur le premier point, en effet, l'article 6 du statut du tribunal militaire appelé à juger les crimes commis par les nazis, auquel renvoie l'article 24 bis précité, définit les crimes contre l'humanité comme « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre ». Or la déportation des homosexuels pendant la Seconde Guerre mondiale concerne un crime expressément cité par le statut du tribunal militaire (la déportation) ayant touché des civils et ayant eu lieu pendant la guerre : elle répond pleinement aux critères fixés par cette définition et semble, en tant que telle, incluse dans le champ de l'actuel article 24 bis. En d'autres termes, la négation de la déportation des homosexuels peut d'ores et déjà faire l'objet d'une répression pénale sur le fondement du droit en vigueur, sans qu'il soit besoin de créer un délit autonome - ce qui prive de son objet le dispositif proposé par l'article 2.

Ce raisonnement est partagé par l'avocat chargé de représenter six associations qui ont déposé une plainte avec constitution de partie civile en mai 2022 à la suite de la publication, par une personnalité publique, d'un ouvrage au sein duquel il qualifie de « légende » la déportation des homosexuels depuis la France. L'instruction sur ce dossier est en cours.

Dans ce contexte, l'intervention du législateur ne serait-elle pas une prise de parti préjudiciable à la sérénité des débats sur un contentieux en cours ? Plus encore, ne se ferait-elle pas au détriment de l'une des parties dans la mesure où, en créant un nouveau délit, le Sénat viendrait reconnaître implicitement mais nécessairement que l'action qu'il est proposé de réprimer (donc, en l'espèce, la contestation de la déportation des homosexuels) n'est pas encore punie par notre droit pénal et ne peut donc pas, à ce jour, être sanctionnée ? Ainsi, la mise en place du délit porté par la présente proposition de loi, superfétatoire, pourrait également avoir des effets pervers qui ne semblent pas avoir été parfaitement mesurés par les auteurs du texte. Ce constat invite à la prudence et doit, à tout le moins, pousser le législateur à refuser toute intervention sur le sujet d'ici à ce qu'une décision définitive soit rendue par les juges du fond.

À titre complémentaire, lors de leur audition par le rapporteur, les représentants de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice ont craint que la rédaction proposée s'avère contraire à la Constitution au vu des décisions les plus récentes du Conseil constitutionnel23(*).

Suivant ce raisonnement, la commission n'a pas adopté l'article 2.

La commission n'a pas adopté l'article 2.

Article 3
Réparation financière des personnes
condamnées pour homosexualité

L'article 3 fixe les modalités de la réparation financière pouvant être versée aux personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982.

Par cohérence avec la position prise à l'article 1er, la commission n'a pas adopté l'article 3.

Conformément au principe posé par l'article 1er, l'article 3 précise les modalités de la réparation financière susceptible d'être versée aux personnes condamnées pour homosexualité sur décision de la commission ad hoc instituée par l'article 4 (voir ci-dessous) les ayant reconnues « victimes d'une discrimination ».

La réparation se composerait :

- d'une part fixe, d'un montant de 10 000 euros ;

- d'une part variable, correspondant à 150 euros par jour de privation de liberté ;

- du remboursement du montant (actualisé dans des conditions fixées par décret) de l'amende dont elles se sont acquittées en application de la condamnation.

Ni les échanges menés par le rapporteur avec l'auteur de la proposition de loi, avec les associations comme avec la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice, ni les contributions qu'il a sollicitées auprès de chercheurs et de la délégation interministérielle chargée de la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et l'homophobie (Dilcrah) n'ont permis de déterminer ou même d'estimer le nombre de personnes qui pourraient prétendre à cette réparation. Celles-ci seraient toutefois vraisemblablement peu nombreuses, les dernières condamnations remontant à plus de 40 ans. À titre de comparaison, en Allemagne, sur une estimation de 5 000 personnes éligibles (i.e. condamnées sur le fondement de dispositions abrogées et encore en vie au moment de la création du système de réparation financière), 188 ont demandé réparation et 146 ont effectivement obtenu une indemnisation.

Outre les problèmes déjà relevés à l'article 1er quant à la difficile articulation d'une telle indemnisation avec l'amnistie prononcée en 1981 comme avec les principes dégagés, en matière de responsabilité de l'État du fait des lois, par le Conseil d'État, cette réparation appelle plusieurs remarques.

Tout d'abord, si des systèmes de réparation financière existent à l'étranger, la plupart des États ont fait le choix d'une reconnaissance exclusivement symbolique (souvent doublée d'un effacement des casiers judiciaires, comme en Nouvelle-Zélande, ou de réhabilitation, comme au Royaume-Uni - qui, pour la France, sont déjà couverts par l'amnistie de 1981 évoquée ci-dessus) qui s'est accompagnée d'un travail de mémoire et de commémoration, mais non d'une réparation financière : seuls trois pays (l'Espagne, l'Allemagne et le Canada) ont fait un choix inverse.

Or, sur le fond, l'histoire de deux de ces États diffère sensiblement de celle de la France. Le versement d'une indemnité y est ainsi lié au caractère massif des condamnations (en Allemagne, outre les 42 000 hommes qui ont été condamnés pour homosexualité sous le IIIe Reich, 50 000 autres l'ont été par la République fédérale pour le même motif) ou à l'existence d'une politique globale d'État homophobe (en Espagne, le franquisme pratiquait une lutte contre l'« homosexualisme » vu comme un danger pour la société emportant une large privation de droits dans un système politique qui interdisait aux homosexuels de manifester, de se réunir et d'enseigner en école primaire, et qui les soumettait à un régime carcéral spécifique : la réparation est d'ailleurs inscrite dans une loi de mémoire historique de 2007 qui concerne plus généralement la période franquiste). Dans le troisième cas, c'est le mécanisme retenu qui diverge : au Canada, la réparation est limitée à celles et ceux qui ont subi des discriminations en raison de leur orientation sexuelle dans la sphère publique (à savoir les personnes discriminées en raison de leur homosexualité dans la fonction publique, la police et l'armée).

En outre, dans ces États, les montants prévus apparaissent plus faibles que ceux envisagés par la proposition de loi.

Les modalités de réparation financière à l'étranger

En Allemagne, l'indemnisation est plafonnée à 3 000 euros par condamnation et 1 500 euros pour chaque année d'emprisonnement. En complément de ce mécanisme, le Bundestag a, le 23 novembre 2018, étendu l'indemnisation aux homosexuels ayant fait l'objet d'une enquête judiciaire sans que l'acte ait abouti à une condamnation (500 euros), à ceux ayant subi une mesure de sûreté privative de liberté dans le cadre d'une telle enquête (1 500 euros par année de privation de liberté commencée), et enfin, à ceux ayant subi un préjudice exceptionnel en rapport avec l'incrimination des actes homosexuels consensuels (conséquences négatives d'ordre professionnel, économiques, sanitaires ou comparables : 1 500 euros).

En Espagne, le décret royal du 17 avril 2009 a créé la Commission d'indemnisation des anciens prisonniers sociétaux, chargée de traiter les demandes d'indemnisation d'anciens prisonniers de la dictature franquiste condamnés sur le fondement de la loi du 4 août 1970 en raison de leur orientation sexuelle. Les demandes devaient être présentées via un formulaire et appuyées de la décision judiciaire de condamnation d'un mois minimum. L'indemnisation était fixée à 4 000 euros pour les homosexuels emprisonnés un à six mois, 8 000 euros pour des emprisonnements de six mois à trois ans, 12 010,12 euros au-delà, avec 2 402,02 euros supplémentaires par tranche de trois ans de détention. Le demandeur devait également fournir une attestation des périodes effectives de détention via le formulaire officiel de demande. Par ailleurs, ce dernier consentait à ce que le secrétaire de la commission d'indemnisation obtienne, en son nom, les documents mentionnés, lorsque ceux-ci n'étaient pas fournis par l'intéressé, et notamment questionner les services de police, les autorités gouvernementales, les organes juridictionnels ou autres registres.

Au Canada, l'indemnisation des agents publics sanctionnés, libérés ou congédiés en raison de leur orientation sexuelle s'est réalisée selon trois niveaux. Un premier niveau octroyait 5 000 dollars aux demandeurs qui avaient notamment subi un interrogatoire minimalement intrusif, de courte durée, un harcèlement ciblé de supérieurs ou une absence de promotions. Un second niveau octroyait 20 000 dollars en raison de sanctions plus importantes, d'accusations criminelles, d'une incarcération, de la suspension des fonctions, d'obstacles importants à la progression de la carrière, un harcèlement extrême. Un troisième niveau octroyait 50 000 dollars aux demandeurs libérés ou congédiés, qui ont démissionné ou qui ont été forcés de démissionner en raison des incidents qu'ils ont vécus au niveau 1 ou 2. L'indemnisation pouvait aller jusqu'à 100 000 [dollars] en cas de préjudices exceptionnels, en raison de blessures physiques ou morales graves et à long terme, y compris découlant d'une agression physique ou sexuelle.

Source : réponse écrite au questionnaire du rapporteur transmise par
la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice.

Enfin, et comme l'ont relevé les représentants associatifs auditionnés par le rapporteur, à supposer qu'une indemnisation doive être envisagée, elle pourrait avoir d'autres bases juridiques que celle que les auteurs proposent : ainsi, l'association Mousse a proposé qu'elle puisse être prononcée, au cas par cas et en fonction de la réalité des dommages individuels, par le juge. Cette piste supposerait la reconnaissance de la pénalisation de l'homosexualité comme un crime contre l'humanité, rendant imprescriptibles les préjudices subis et permettant la formation d'un contentieux spécifique.

Pour ces motifs, la commission, suivant l'avis de son rapporteur et avec l'accord de l'auteur de la proposition de loi, n'a pas adopté l'article 3.

La commission n'a pas adopté l'article 3.

Article 4
Création d'une commission chargée de statuer sur les demandes
de réparation financière

L'article 4 crée une commission chargée de statuer sur les demandes de réparation financière formulées en application de l'article 3.

N'ayant pas adopté l'article 3, la commission n'a pas adopté l'article 4.

Souhaitant limiter l'attribution de l'indemnisation décrite ci-dessus et prévue par l'article 3 aux personnes ayant effectivement subi une discrimination, les auteurs de la proposition de loi ont prévu la mise en place d'une commission ad hoc placée auprès du Premier ministre.

Par cohérence avec sa position sur l'article 3, la commission n'a pas adopté l'article 4.

La commission n'a pas adopté l'article 4.

Article 5
Compensation financière (« gage »)

L'article 5 est un article de « gage » permettant la compensation financière des dépenses créées par les articles 3 (réparation financière) et 4 (création d'une commission placée auprès du Premier ministre).

Par cohérence, la commission n'a pas adopté cet article.

Les dispositifs que la présente proposition de loi entend créer se traduiraient de toute évidence par des dépenses nouvelles, liées non seulement au versement de la réparation prévue par l'article 3 mais aussi aux frais de fonctionnement de la commission créée par l'article 4. Les auteurs de la proposition prévoient de compenser financièrement ces dépenses sous la forme d'un « gage » prévu par l'article 5 et consistant, de manière classique, en une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs.

Par cohérence avec ses positions sur les articles 3 et 4, la commission n'a pas adopté l'article 5.

La commission n'a pas adopté l'article 5.

*

* *

La commission n'a pas adopté de texte sur la proposition de loi n° 864 (2021-2022) portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982.

En conséquence, en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera sur le texte initial de la proposition de loi.


* 11 L'Ancien régime faisait de la sodomie un crime puni par le feu.

* 12 Le texte intégral de l'intervention de Robert Badinter est disponible sur le site de l'Assemblée nationale.

* 13 L'Allemagne fait exception à ce constat : après une dépénalisation partielle en 1969, elle ne supprimera toute infraction pénale relative à l'homosexualité qu'en 1994.

* 14 « Lorsque l'outrage public à la pudeur consistera en un acte contre nature avec un individu du même sexe, la peine sera un emprisonnement de six mois à trois ans et une amende de 1 000 à 20 000 F [francs] » ; hors cette circonstance, l'outrage public à la pudeur était puni « d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, et d'une amende de 500 F à 15 000 F » (premier alinéa de l'article 330 du code pénal).

* 15 Voir, par exemple, l'article précité de Jérémie Gauthier et Régis Schlagdenhauffen.

* 16 33 % des personnes condamnées sur le fondement de l'article 331 (ancien) étaient mariées.

* 17 Source : contribution écrite remise au rapporteur.

* 18  Rapport n° 242 (1979-1980) d'Edgar Tailhades, déposé le 13 mai 1980.

* 19  Rapport n° 27 (1980-1981) d'Edgar Tailhades, déposé le 9 octobre 1980.

* 20 De manière non moins marquante, le Sénat avait combattu avec vigueur l'adoption de la loi du 4 août 1982 abrogeant le deuxième alinéa de l'article 331 du code pénal, comme en attestent les rapports parlementaires d'Etienne Dailly.

* 21 Ce terme est déjà discutable dans un contexte où les lois dites « mémorielles » tendent, à l'exception de la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité qui cite elle aussi la République française, à faire s'exprimer la Nation.

* 22 Conseil d'État, section, avis n° 315499 du 16 février 2009.

* 23 Si la DACG n'a cité aucune décision particulière à l'appui de son raisonnement, il est possible qu'elle ait entendu faire référence à la décision constitutionnelle n° 2012-647 DC du 28 février 2012 (« Loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi »), par laquelle le Conseil avait prononcé une censure fondée sur l'impossibilité de « [réprimer] la contestation de l'existence et de la qualification juridique de crimes [que le législateur] aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels » au vu de l'atteinte excessive qu'un tel choix porterait à la liberté d'expression.

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