B. LA MISE EN PLACE D'UNE PART CONDITIONNELLE, UN ERZARTZ DE RÉFORME ?

1. De nouveaux moyens liés aux objectifs des COM

L'article 31 du projet de loi de finances pour 2024 prévoit d'introduire la possibilité pour les entreprises de l'audiovisuel public de bénéficier d'avances finançant des « actions de transformation » identifiées dans les contrats d'objectifs et de moyens (COM).

D'après les documents budgétaires, l'enveloppe additionnelle dédiée à ces projets de transformation s'élèverait à 200 millions d'euros sur trois ans, dont 69 millions d'euros au titre de 2024.

Les documents budgétaires indiquent que ces projets de transformation prioritaires « ont vocation à accroître la qualité, la visibilité et l'impact des offres proposées par le secteur en matière de proximité, de numérique et d'information, notamment à destination du public jeune ».

L'essentiel de ces financements conditionnels serait affecté à France Télévisions (pour un montant de 45 millions d'euros, soit 1,78 % des sommes totales affectées à la société) et, dans une moindre mesure, Radio France (à hauteur de 15 millions d'euros, soit 2,30 %). En outre, France Médias Monde et l'INA en bénéficieraient également, à hauteur de respectivement 5 et 4 millions d'euros (1,67 % et 3,85 % de la fraction de TVA affectée à ces entreprises).

Répartition prévisionnelle de la fraction de TVA affectée aux sociétés d'audiovisuel public en 2024 en incluant la part incitative

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

2. La définition du contenu des COM, grande absente du débat budgétaire

Si l'introduction d'une dose incitative, pour ne pas dire de performance, dans l'attribution des financements à l'audiovisuel public semble aller dans le bon sens, la question des indicateurs figurant dans les COM, et par conséquent des critères d'attribution, demeure à l'heure actuelle une inconnue. Le récent avis de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique se contente sur ce point d'indiquer que « compte tenu des enjeux, le prochain COM devra comporter tous les indicateurs permettant d'assurer un suivi étroit des ressources de l'audiovisuel public »22(*). au-delà du fait qu'une telle recommandation devrait relever de l'évidence s'agissant d'une saine gestion des deniers publics, elle souligne en creux l'absence de ces indicateurs lors de la discussion et du vote du présent projet de loi de finances.

En effet, si les COM devaient initialement être conclus dès mi-2023, les documents budgétaires font désormais mention d'une conclusion début voire mi-2024. D'après le projet annuel de performances du CCF « Avances à l'audiovisuel public », les COM « associeront également à chaque projet des objectifs, des indicateurs et des jalons infra-annuels précis permettant de suivre leur déploiement », sans plus ample précision. Ce même document indique également que les COM seront présentés aux instances des organismes concernés « dans les prochains mois », et que les commissions parlementaires compétentes, dont la commission des finances, ne pourront se saisir pour avis des COM avant le premier semestre 2024.

Le rapporteur spécial a analysé par le passé, en qualité de rapporteur de la commission de la culture du Sénat, les faiblesses des précédents COM, dont le bilan apparaît mitigé23(*). Il avait notamment mis en avant un nombre d'objectifs trop important et un manque de hiérarchisation : « le grand nombre des sujets évoqués dans ces documents comme le faible caractère contraignant des objectifs visés ont mis en évidence les défaillances de cet outil alors même que les entreprises de l'audiovisuel public ont besoin d'une certaine stabilité pour développer leur projet ».

Si la mise en place d'une part conditionnelle est positive sur le fond, elle implique un renforcement important des critères de performance afin de s'assurer que les versements réalisés ne se transforment pas en une hausse inconditionnelle. Ainsi, en cas de non-réalisation des projets sélectionnés ou de retard dans leur déploiement, il sera indispensable de réellement moduler les montants accordés. À l'heure actuelle, le projet annuel de performances se contente d'indiquer, pour le seul indicateur du programme 848 (avancement des projets de transformation prioritaires) que « la cible 2024 sera définie pour chacun des projets de transformation prioritaires dans les COM 2024-2028 en cours de finalisation qui préciseront les indicateurs de suivi de la réalisation de ce projet ».

Il est donc à ce titre regrettable que les COM se négocient une fois de plus sans réelle concertation, notamment avec les personnels des entreprises concernées et sans association du Parlement, lequel se trouve donc dans la position de voter pour ou contre des moyens supplémentaires sans connaître les objectifs auxquels ils seront conditionnés.

3. Une hausse des crédits qui devrait se prolonger sans vision globale

Le budget 2024 ne devrait pas marquer l'arrêt de la hausse des recettes accordées à l'audiovisuel public. Le projet de loi de programmation des finances publiques, qui devrait être transposé dans les trajectoires financières figurant dans les COM, prévoit au contraire une poursuite de la croissance des crédits accordés au cours des prochaines années. Sans compter la part incitative supplémentaire, la part « socle » des financements accordés devrait en 2026 être supérieure de près de 100 millions d'euros à celle accordée en 2024. Les documents budgétaires en 2023 ne prévoyaient pourtant pas d'évolution des crédits au cours des prochaines années.

Ainsi, entre 2022 et 2027, les montants accordés aux six sociétés d'audiovisuel public devraient avoir augmenté de 466,2 millions d'euros, soit une hausse de 12,6 %. Cette hausse s'élèverait à 142 millions d'euros entre les seules années 2024 et 2027.

Évolution prévisionnelle des financements accordés aux sociétés d'audiovisuel public entre 2024 et 2027

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Le rapporteur spécial réitère le constat selon lequel les COM ne constituent qu'un ersatz de réforme de l'audiovisuel public. Eu égard à l'absence d'informations dont dispose le Parlement à l'heure actuelle, et à supposer que les COM 2024-2028 reprennent la structure des précédents, ces contrats ne se substituent pas à une réelle stratégie pour l'audiovisuel public, compte tenu du manque d'ambition et de moyens qui les caractérisent.

À titre d'exemple, la dernière génération de COM devait permettre d'accélérer un certain nombre de mutualisations, qui apparaissent indispensables. Malgré une prise de conscience des sociétés d'audiovisuel public, qui semblent davantage prêtes à progresser sur le sujet, les avancées sont restées minimes au cours des dernières années, en dépit de l'annonce du lancement de la plateforme « Ici », commune à Radio France et France Télévisions, ainsi que le travail commun sur les matinales de France info et France Bleu.

L'élaboration des COM doit donc être l'occasion d'une réflexion plus globale visant :

- la définition des missions de service public confiées aux sociétés de l'audiovisuel public ;

- le périmètre même du service public ;

- la définition d'une allocation de moyens adaptée.


* 22 Avis de l'Arcom du 28 septembre 2023 relatif au rapport d'exécution des contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde pour l'année 2022.

* 23 L'occasion manquée des COM de l'audiovisuel public : des objectifs modestes et des moyens rationnés, rapport d'information n° 309 (2020-2021) de M. Jean-Raymond HUGONET, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 27 janvier 2021.

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