C. LA STABILITÉ DU BUDGET DE LA CNDA À L'HEURE DE SA RÉFORME

1. Un budget maîtrisé à l'aune d'une pression contentieuse toujours soutenue
a) Des entrées en légère baisse en 2022 mais toujours supérieures au niveau constaté avant la crise sanitaire

La Cour nationale du droit d'asile ne dispose d'aucun pouvoir d'autorégulation de son activité juridictionnelle, celle-ci étant la conséquence mécanique, d'une part, du nombre fluctuant de demandeurs d'asile qui se présentent en France selon les événements géopolitiques mondiaux, et, d'autre part du rythme d'activité et du taux d'admission de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), dont la CNDA est juge en premier et dernier ressort et pour lequel le taux de recours est élevé. 81 % des décisions de l'OFPRA ont fait l'objet d'un recours en 2022.

L'augmentation du nombre d'affaires entrantes s'inscrit dans une tendance durable depuis 2008. La Cour a ainsi triplé sa capacité de jugement en 10 ans, période pendant laquelle les affaires entrantes ont crû de 115 %. En effet, la CNDA est confrontée année après année à un niveau soutenu du contentieux de l'asile : de 2009 à 2019, la progression du contentieux s'est élevée à près de 140 %.

Après une année 2020 marquée par le confinement lié à la crise sanitaire et une évolution des entrées non significative (- 37 %), les entrées pour 2021 ont dépassé le niveau de 2019, année ayant enregistré un pic historique (+ 15,5 % par rapport à 2019).

En 2022, le nombre d'entrées s'élève à 61 598. S'il est en baisse de 10 % par rapport à 2021, force est de constater que les entrées sont toujours dynamiques et supérieures de 4 % au niveau constaté en 2019.

Évolution du nombre d'affaires enregistrées par la CNDA

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

b) Une hausse relative des dépenses de personnel

L'action « 07 Cour nationale du droit d'asile » finance les dépenses de titre 2 de cette juridiction. Elles s'élèvent pour 2024 à 49,6 millions d'euros, soit une hausse de 3,5 % par rapport à 202, à raison de la revalorisation des magistrats.

L'accroissement considérable du contentieux de l'asile a par le passé entraîné une augmentation régulière du plafond d'emplois du programme 165 afin de faire face au nombre de requêtes déposées devant la CNDA. Celle-ci a bénéficié de 90 % des créations d'emplois du programme 165 entre 2015 et 2020. Toutefois, aucune création d'emploi de magistrats ou d'agents n'a été accordée depuis 2021 à la CNDA, et ce sera de nouveau le cas en 2024.

S'agissant des dépenses de fonctionnement, qui sont imputées à l'action « 06 Soutien », les moyens alloués à la Cour seront fixés à l'issue de la conférence de gestion interne au Conseil d'État, qui se déroulera à la fin de l'année 2023. Il ressort toutefois des documents budgétaires que le montant prévisionnel alloué à la CNDA pour 2024 est en baisse de 2,7 millions d'euros.

En 2023, les crédits alloués pour le fonctionnement de la Cour s'établissent, selon la dernière actualisation à 14,9 millions d'euros en AE et 18,9 millions d'euros en CP, soit - 0,03 % en AE et + 12 % en CP par rapport à 2022.

Enfin, il faut relever qu'aucun crédit de titre 5 n'est affecté à la CNDA, celle-ci bénéficiant de prestations des services centraux du Conseil d'État, notamment en matière informatique et d'équipement.

2. Des délais moyens de jugement en baisse mais toujours en deçà des objectifs fixés par le législateur

Les moyens accordés à la CNDA sur tout le quinquennat précédent ont permis de renforcer ses capacités de jugement, avec un nombre de décisions jugées par la Cour qui est passé de 42 045 en 2020 à 67 147 en 2022. Toutefois, les délais de jugement et les stocks demeurent importants.

a) La poursuite de la maîtrise des délais de jugement et d'assainissement des stocks

Le principal enjeu de la Cour réside toujours dans la poursuite de la mise en oeuvre de la réforme du droit d'asile résultant des lois n° 2015-925 du 29 juillet 20155(*) et n° 2018-778 du 10 septembre 20186(*). Celle-ci a instauré des délais de jugement selon le type de procédure, qui ne doivent pas dépasser cinq mois pour les procédures ordinaires et cinq semaines pour les procédures accélérées.

Si le délai moyen de jugement de la CNDA s'est amélioré, force est de constater que le délai pour les procédures accélérées est de 5 mois et 8 jours en 2022, soit en augmentation par rapport à 2021 et toujours bien loin de l'objectif de 5 semaines fixé par le législateur. La réduction de ce délai de l'ordre de 15 semaines à échéance 3 ans semble donc assez irréaliste, comme cela a déjà été relevé par le rapporteur spécial.

Par ailleurs, la proportion des affaires enregistrées depuis plus d'un an par rapport au stock global de la CNDA est passée de 26,7 % en 2020 à 12,1 % fin 2021. En 2022, cette proportion est remontée à 16,7 %, témoignant ainsi de la difficulté à maîtriser les stocks, en particulier s'agissant des affaires les plus anciennes dans ce contexte et l'organisation contentieuse actuelle.

b) Le projet de loi sur l'asile et l'immigration entend adapter le contentieux de l'asile à son ampleur tout en réduisant les délais de jugement

Le projet de loi sur l'asile et l'immigration contient deux mesures principales afin de réformer le contentieux de l'asile, qui pourraient être de nature à avoir des effets baissiers sur les délais de jugement.

D'une part, le projet de loi prévoit de créer des chambres territoriales de la CNDA, partant du constat que presque 47 % de recours sont issus de demandeurs résidant en région, et que l'audience à Montreuil suppose potentiellement plusieurs déplacements, au regard du taux élevé de renvoi des affaires. Ces chambres territoriales pourraient traiter jusqu'à 33 % des recours. En parallèle, le projet de loi confère au président de la Cour la possibilité de créer des chambres spécialisées en fonction du pays d'origine et des langues utilisées. Des effets sur les délais sont attendus suite à cette optimisation territoriale du traitement des requêtes.

Le rapporteur insiste toutefois d'ores et déjà sur la nécessité de doter de moyens humains suffisants ces chambres territoriales, condition sine qua non de la réussite de cette déconcentration territoriale de la CNDA.

D'autre part, le projet de loi prévoit de généraliser le recours au juge unique, en lieu et place du principe de collégialité, qui demeure aujourd'hui la règle, sauf dans certains cas énumérés par la loi.

Le rapporteur spécial relève, sans contester le fait que cette mesure puisse améliorer les délais de jugement, que la rupture avec le principe de collégialité en matière d'asile pose question. D'après les contributions reçues de la part des syndicats de la magistrature administrative, il ressort que les juges sont attachés à ce principe de collégialité en matière d'asile, qui nécessite des échanges et confrontations de perception.


* 5 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile.

* 6 Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

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