EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique
Prolongation en 2024 de l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables

Cet article propose de prolonger jusqu'au 31 décembre 2024 le dispositif dérogatoire permettant l'utilisation des titres-restaurant pour acquitter le prix de tout produit alimentaire, qu'il soit ou non directement consommable.

La commission a adopté cet article sans modification.

I - Le dispositif proposé

A. Un assouplissement justifié par le contexte de forte inflation

1. Le titre-restaurant, un dispositif de financement du repas des salariés

a) Un avantage aux salariés cofinancé par l'employeur

Encadré par les articles L. 3262-1 et suivants du code du travail, le titre-restaurant est un titre spécial de paiement remis par l'employeur aux salariés.

S'ils peuvent être émis directement par l'employeur ou par le comité social et économique (CSE), ces titres sont généralement émis par une entreprise spécialisée qui les cède à l'employeur contre paiement de leur valeur libératoire et d'une commission. Ils peuvent être émis sur un support papier ou sous forme dématérialisée.

Le titre-restaurant est cofinancé par l'employeur et par le salarié. La contribution de l'employeur doit être comprise entre 50 % et 60 % de la valeur libératoire des titres1(*).

Les obligations de l'employeur en matière de restauration des salariés

La loi ne prévoit pas spécifiquement de pause déjeuner : celle-ci fait partie du temps de pause légal, qui est d'au moins 20 minutes consécutives dès que le temps de travail quotidien atteint 6 heures.

Il est interdit pour l'employeur de laisser les travailleurs prendre leur repas dans les locaux affectés au travail2(*).

Dans les établissements d'au moins cinquante salariés, l'employeur doit mettre à leur disposition, après avis du CSE, un local de restauration aménagé. Celui-ci doit être pourvu de sièges et de tables en nombre suffisant, comporter un robinet d'eau potable pour dix usagers et être doté d'un moyen de conservation ou de réfrigération des aliments et des boissons ainsi que d'une installation permettant de réchauffer les plats3(*).

Dans les établissements de moins de cinquante salariés, l'employeur est seulement tenu de mettre à leur disposition un emplacement leur permettant de se restaurer dans de bonnes conditions de santé et de sécurité4(*).

La remise de titres-restaurant aux salariés est facultative, sauf si une convention ou un accord collectif la prévoit.

Lorsqu'un employeur décide de recourir aux titres-restaurant, il doit, en principe, en faire bénéficier tous ses salariés, sauf en application de critères objectifs et non discriminatoires entre les salariés.

Il existe d'autres modalités de participation de l'employeur à la restauration des salariés :

- la mise en place d'un restaurant d'entreprise ;

- le versement d'une indemnité repas, ou « prime de panier », notamment lorsque la restauration sur le lieu effectif de travail est obligatoire.

b) Une utilisation fléchée vers la restauration du salarié

Un même salarié ne peut recevoir qu'un titre-restaurant par repas compris dans son horaire de travail journalier. En principe, ce titre nominatif ne peut être utilisé que par le salarié auquel l'employeur l'a remis5(*).

La finalité historique du titre-restaurant étant de garantir un repas décent au salarié lors de sa pause méridienne, son utilisation est réservée à l'achat d'un repas au restaurant, ou auprès d'un commerçant assimilé ou d'un détaillant en fruits et légumes.

Ce repas peut être composé de préparations alimentaires directement consommables, le cas échéant à réchauffer ou à décongeler, notamment de produits laitiers. Il peut également être composé de fruits et légumes, qu'ils soient ou non directement consommables6(*).

L'assimilation à la profession de restaurateur est accordée par la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR) qui vérifie le respect par le commerçant des conditions ouvrant droit au remboursement du titre-restaurant7(*). Peuvent ainsi être agréés des commerces offrant des prestations de restauration rapide ou des prestations de type alimentaire à titre principal ou secondaire, notamment les supermarchés, supérettes et épiceries.

La CNTR a élaboré une charte avec le secteur de la distribution en vue de définir les produits éligibles au titre-restaurant. Sont ainsi exclus du dispositif les produits alimentaires nécessitant une préparation (farine, pâtes, riz, semoule, viandes et poissons non transformés, produits en nombre, viennoiseries et autres desserts non préparés à base de produits laitiers), les boissons alcoolisées et tous les produits non alimentaires.

Les restaurateurs et commerçants acceptant le titre-restaurant paient également des commissions aux sociétés émettrices des titres.

La Commission nationale des titres-restaurant

La CNTR est constituée de quatre collèges :

- les représentants des organisations syndicales de salariés (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) ;

- les représentants des organisations professionnelles d'employeurs (Medef, CPME, U2P) ;

- six représentants des organisations professionnelles des restaurateurs et commerçants assimilés à la restauration8(*) ;

- les treize sociétés émettrices de titres-restaurant.

La commission dispose d'un conseil d'administration, en charge des affaires générales, composé d'un représentant de chacun des quatre collèges.

La CNTR assure quatre missions principales participant à la régulation du dispositif du titre-restaurant :

- des missions générales : information des acteurs, médiation, études et proposition ;

- un rôle de délivrance des agréments aux commerçants assimilés ;

- un rôle de vérification de l'exercice de la profession de restaurateur ;

- un rôle de contrôle du respect de la réglementation par les sociétés émettrices et par les professionnels acceptant les titres-restaurant.

Sauf décision contraire de l'employeur, les titres-restaurant ne sont pas utilisables les dimanches et jours fériés. En principe, ils ne peuvent être utilisés que dans le département du lieu de travail des salariés bénéficiaires et les départements limitrophes9(*). Leur utilisation journalière est limitée à un montant maximum fixé par décret. Depuis le 1er octobre 2022, ce plafond journalier est fixé à 25 euros10(*).

c) Un régime fiscal et social avantageux

Afin de donner au dispositif un caractère incitatif, le complément de rémunération résultant de la contribution de l'employeur à l'acquisition des titres-restaurant est exonéré de l'impôt sur le revenu dans la limite d'un plafond, fixé à 6,91 euros par titre11(*). Ce plafond est revalorisé chaque année en fonction de l'inflation.

En conséquence, la valeur du titre-restaurant ouvrant droit à l'exonération maximale est comprise entre 11,52 euros (en cas de contribution de l'employeur de 60 % de la valeur faciale) et 13,82 euros (en cas de contribution de l'employeur de 50 %).

Dans les mêmes conditions et limites, cette contribution de l'employeur est exclue de l'assiette des cotisations sociales, de la CSG et de la CRDS12(*).

Selon la CNTR, l'impact du titre-restaurant pour les finances publiques s'élevait en 2021 à 1,8 milliard d'euros, dont 1,4 milliard d'euros pour la sécurité sociale et 0,4 milliard d'euros pour l'État.

Chiffres clés au 31 décembre 202213(*)

- Nombre d'employeurs recourant au dispositif : 180 000

- Nombre de salariés bénéficiaires : 5,2 millions

- Nombre de commerces agréés : 234 000

- Volume de titres-restaurant émis : 1,047 milliard

- Valeur totale émise : 8,647 milliards d'euros

- Valeur moyenne du titre : 8,25 euros

2. Un assouplissement dérogatoire pour faire face à l'inflation

a) Une initiative sénatoriale

Dans le cadre de la discussion au Sénat de la loi « pouvoir d'achat » du 16 août 202214(*), le rapporteur Frédérique Puissat avait proposé, afin de soutenir le pouvoir d'achat des Français face à l'inflation, d'assouplir les règles qui encadrent l'utilisation du titre-restaurant en l'étendant à une plus large gamme de consommations.

À son initiative, cette loi a donc prévu un dispositif dérogatoire permettant d'utiliser, jusqu'au 31 décembre 2023, les titres-restaurant pour l'achat de tout produit alimentaire, qu'il soit ou non directement consommable15(*). Cette dérogation est notamment applicable auprès des « professionnels assimilés » telles que les détaillants et les supermarchés.

Dans le cadre des chartes qui la lient avec les différents organismes professionnels, la CNTR a apporté des ajustements au dispositif en excluant l'utilisation de titres-restaurant pour l'achat de confiseries, de boissons alcoolisées, d'alimentation infantile et de produits animaliers.

b) Un bilan incertain

Depuis la mise en oeuvre de ce dispositif dérogatoire, la CNTR a constaté une augmentation de la part des grandes et moyennes surfaces (GMS) dans l'utilisation des titres-restaurant de 22,4 % à 28,9 %, tandis que la part des restaurants aurait baissé de 46,5 % à 44,3 % et celle des autres professions assimilées, de 30,4 % à 26,2 %.

Toutefois, selon les services du ministère de l'économie auditionnés par la rapporteure, il n'est pas certain que cette évolution soit le seul fait de l'assouplissement voté dans le cadre de la loi « pouvoir d'achat » du 16 août 2022. En effet, d'autres paramètres peuvent aussi expliquer le recours accru à la GMS pour l'utilisation des titres-restaurant : le développement du télétravail, la préférence croissante pour la préparation de plats à domicile, voire des arbitrages au sein des dépenses des foyers dans le contexte actuel d'inflation.

B. La proposition de prolonger d'un an le régime dérogatoire

Alors que la hausse des prix alimentaires reste soutenue, le régime dérogatoire permettant l'utilisation des titres-restaurant pour l'achat de tout produit alimentaire doit prendre fin au 31 décembre 2023.

Dans ce contexte, l'article unique de la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par M. Guillaume Kasbarian et plusieurs de ses collègues des groupes Renaissance, Démocrates et Horizons prévoit la prolongation jusqu'au 31 décembre 2024 de ce dispositif.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

Aucun amendement n'a été adopté à l'Assemblée nationale sur ce texte.

L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

III - La position de la commission

Même si elle a reflué, l'inflation, notamment alimentaire, reste à un niveau élevé : selon l'Insee, la hausse des prix alimentaires sur un an est de 7,6 % en novembre 2023. La question de la prolongation du régime dérogatoire prévue par la loi « pouvoir d'achat » se pose donc naturellement. Or, le Gouvernement n'avait pas anticipé la sortie de ce régime.

Si cette mesure représente une facilité bienvenue, il convient de rappeler qu'elle ne concerne que les bénéficiaires de titres-restaurant, qui ne représentent qu'une fraction des salariés (19 % fin 2022). Elle ne peut donc constituer qu'un instrument parmi d'autres en faveur du pouvoir d'achat.

La proposition de loi ne propose qu'une prolongation d'un an, justifiée par un contexte exceptionnel, et non une pérennisation de ce régime dérogatoire qui a toujours été conçu comme temporaire. Elle ne préjuge donc pas de l'évolution et de la modernisation du dispositif du titre-restaurant qui font par ailleurs l'objet de discussions entre le Gouvernement et les membres de la CNTR.

En outre, la rapporteure considère que cet assouplissement exceptionnel ne remet pas en cause la vocation du titre-restaurant d'aide à la restauration du salarié, même s'il importe de ne pas perdre de vue cette vocation originelle. En effet, il faut également rappeler que le dispositif n'est pas figé et a déjà connu des assouplissements. Par exemple, la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail a permis le don de titres-restaurant non utilisés à des associations d'aide alimentaire16(*).

En soi, la prolongation du dispositif dérogatoire ne fait donc courir aucun risque immédiat au régime fiscal et social du titre-restaurant, ni a fortiori au dispositif du titre-restaurant lui-même.

Il convient de faire confiance aux salariés pour utiliser cette dérogation conformément à leur intérêt et à celui de leur famille. Comme l'a indiqué la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), auditionnée par la rapporteure, même au supermarché, les titres-restaurant restent majoritairement utilisés pour l'achat de produits alimentaires directement consommables.

La rapporteure considère enfin que le Gouvernement doit mieux préparer la sortie du dispositif en fin d'année 2024 en consultant les représentants des secteurs sur lesquels il peut avoir un impact, notamment ceux de la restauration et des commerces de proximité, ainsi que les partenaires sociaux, en tenant compte de l'évolution des habitudes et des aspirations des salariés.

La commission a adopté cet article sans modification.


* 1 Arrêté du 22 décembre 1967 relatif à l'application du décret n° 67-1165 relatif aux titres-restaurant.

* 2 Art. R. 4228-19 du code du travail.

* 3 Art. R. 4228-22 du code du travail.

* 4 Art. R. 4228-23 du code du travail.

* 5 Art. R. 3262-7 du code du travail.

* 6 Art. R. 3262-4 du code du travail.

* 7 Art. R. 3262-36 du code du travail.

* 8 Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), Groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR), Groupement national de la restauration (GNR), Boulangers de Paris, Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie et traiteurs (CFBCT), Saveurs Commerce.

* 9 Art. R. 3262-9 du code du travail.

* 10 Art. R. 3262-10 du code du travail.

* 11 Art. 81 (19°) du code général des impôts.

* 12 Art. L. 136-1-1 du code de la sécurité sociale.

* 13 Source : CNTR.

* 14 Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

* 15 Article 6 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022.

* 16 Loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail - Article 25.

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