N° 174

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 décembre 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1)
sur la proposition de loi constitutionnelle relative à la
souveraineté de la France,
à la
nationalité, à l'immigration et à l'asile,

Par M. Christophe-André FRASSA,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

646 rect. (2022-2023) et 175 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

L'objectif de la proposition de loi constitutionnelle relative à la souveraineté de la France, à la nationalité, à l'immigration et à l'asile déposée par Bruno Retailleau, tel qu'affirmé à la première ligne de son exposé des motifs, est d' « arrêter l'immigration de masse ». De fait, il est manifeste que, faute de stratégie cohérente et de volonté politique, la France a aujourd'hui abandonné toute maîtrise de sa politique migratoire. Alors que le nombre d'étrangers en situation irrégulière sur le territoire est aujourd'hui estimé à 900 000, le nombre d'éloignements forcés annuellement réalisés dans l'hexagone dépasse péniblement les 10 000 (11 410 en 2022) et le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) reste microscopique (6,9 % au premier semestre 2023).

Dans ce contexte, la commission a considéré qu'une initiative constitutionnelle était nécessaire. L'action du législateur en matière migratoire est en effet aujourd'hui excessivement contrainte par des normes supra législatives, en particulier européennes. Si le Sénat a considérablement renforcé les capacités d'action de l'État dans le projet de loi n° 304 (2022-2023) pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration lors de son examen en première lecture, la volonté des rapporteurs Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère de porter des mesures ambitieuses s'est régulièrement heurtée à des obstacles constitutionnels et conventionnels insurmontables en l'état.

La commission a estimé que cette proposition de loi constitutionnelle était la première étape indispensable d'une réflexion d'envergure, amenée à se poursuivre. Elle s'est attachée à consolider certains des dispositifs proposés et, sans les écarter définitivement, en a supprimé deux dont la rédaction était encore trop inaboutie pour pouvoir réunir un consensus. Sur le rapport de Christophe-André Frassa, elle a adopté ce texte ainsi modifié.

I. SE DONNER LES MOYENS INSTITUTIONNELS ET JURIDIQUES DE RETROUVER NOTRE SOUVERAINETÉ MIGRATOIRE

L'article 1er de la proposition de loi constitutionnelle entend réaffirmer la prééminence des lois de la République dans le prolongement de la proposition de loi constitutionnelle de Philippe Bas, Bruno Retailleau, Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues, adoptée par le Sénat le 19 octobre 2020 mais rejetée par l'Assemblée nationale.

Les quatre dernières années ont vu la reconnaissance progressive de la réalité du risque posé par le communautarisme et le séparatisme. Comme le soulignait le rapport de la commission des lois sur la proposition de loi constitutionnelle précitée1(*), le phénomène communautariste est une menace pour la cohésion de la société, l'indivisibilité de la République et l'unité du peuple français. Le communautarisme lui-même et son instrumentalisation par les mouvements politiques radicaux et volontiers violents pèsent de manière croissante sur la société française, sur le respect de l'autorité légitime et la force de la loi. Tout en souscrivant pleinement au dispositif, la commission a adopté un amendement du rapporteur rétablissant les termes exacts de la rédaction adoptée par le Sénat en 2020.

L'article 2 de la proposition de loi constitutionnelle vise à étendre le champ du référendum de l'article 11 de la Constitution aux questions relatives à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit de la nationalité. Si le rapporteur n'est, à titre personnel, pas opposé à la proposition d'élargir le champ du référendum à ces deux objets, il rappelle que tout renforcement de l'outil référendaire doit être envisagé avec prudence. La commission des lois s'attache en effet traditionnellement à préserver l'esprit originel de l'article 11 de la Constitution, lequel a été conçu comme une dérogation exceptionnelle aux prérogatives du Parlement qui ne saurait être utilisée que pour trancher des questions capitales et stratégiques pour la nation.

Le rapporteur admet que la reprise en main de la politique migratoire de la France suppose des décisions stratégiques majeures qu'il pourrait être opportun de soumettre au suffrage populaire. Pour autant, l'organisation pratique d'un référendum sur le sujet nécessitera des travaux préparatoires approfondis, pour surmonter notamment le risque d'inadéquation entre une question portant sur une matière techniquement complexe et la réponse, nécessairement binaire, qui pourrait y être apportée par cette voie.

Prenant acte de l'absence de consensus politique sur ce sujet, la commission a supprimé cet article à l'initiative du groupe de l'Union centriste.

L'article 3 prévoit la possibilité de déroger, par une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées ou adoptée par référendum, à la primauté du droit international et communautaire « afin d'assurer le respect de l'identité constitutionnelle de la France ou la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation ». La commission s'est rangée à la position de l'auteur de la proposition de loi constitutionnelle selon laquelle l'action du législateur est aujourd'hui excessivement contrainte par des normes supra-législatives, et ce tout particulièrement en matière migratoire.

Elle a toutefois estimé que le mécanisme proposé par l'article 3 pour surmonter cette difficulté présentait plus d'inconvénients que d'avantages. Juridiquement il opèrerait un bouleversement sans précédent de la hiérarchie des normes dont les effets ne sont que difficilement mesurables. Sur le plan politique, la question des conséquences de ce dispositif sur l'image de la France à l'international ne peut être éludée, dans la mesure où celle-ci serait inévitablement perçue comme un partenaire peu fiable dont les engagements seraient à tout moment susceptibles d'être unilatéralement remis en cause.

Sans s'interdire de poursuivre une réflexion sur le sujet, la commission a en conséquence supprimé cet article à l'initiative du groupe de l'Union centriste.


* 1 Rapport n° 45 (2020-2021) de Christophe-André Frassa, fait au nom de la commission des lois, déposé le 14 octobre 2020.

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