N° 200

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 décembre 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires
(procédure accélérée),

Par Mme Lauriane JOSENDE,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

111 et 201 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Au cours des dernières années, le danger lié aux dérives sectaires a semblé moins pris en considération par les pouvoirs publics, à tel point qu'en 2020 a même pu être évoquée la disparition de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). La prolifération de discours remettant en cause les connaissances scientifiques à l'occasion de l'épidémie de covid-19 a néanmoins suscité une nouvelle prise de conscience du danger lié aux dérives sectaires dans le domaine de la santé.

Annoncées début novembre 2022 par la secrétaire d'État chargée de la citoyenneté, alors Sonia Backès, les assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires se sont tenues les 9 et 10 mars 2023. Leurs conclusions constituent la base du texte du Gouvernement.

Hélas, le texte proposé ne reprend aucune des recommandations des rapports parlementaires transpartisans conduits au cours des dernières années. Ce travail approfondi réalisé par le Parlement contraste avec la précipitation qui a caractérisé l'élaboration puis le dépôt de ce projet de loi, dénoncée par le Conseil d'État lui-même.

Au lieu de procéder à une évaluation approfondie de l'arsenal pénal existant et de s'interroger sur les causes de l'émergence de nouvelles formes de dérives sectaires, le Gouvernement a considéré que ces assises n'appelaient ni à un renforcement des moyens de la justice, ni à une meilleure formation des professionnels, ni à une véritable politique de prévention, d'éducation et de sensibilisation, mais à la création de nouvelles dispositions pénales.

S'il est indéniable qu'un projet de loi constitue l'occasion, trop rare, d'un débat sur les dérives sectaires, la commission regrette néanmoins cette focalisation de la réflexion et de l'action publiques sur la réponse pénale, qui a pour conséquence d'occulter la nécessité pour les pouvoirs publics de porter leurs efforts sur l'amplification des actions de prévention et sur le renforcement des moyens de la justice comme des services enquêteurs spécialisés.

Ainsi, tout en approuvant les objectifs du projet de loi, consciente que la lutte contre les dérives sectaires nécessite d'abord une impulsion politique soutenue dans le temps et des moyens matériels et humains à la hauteur des enjeux, davantage que de nouvelles mesures de droit pénal, la commission a abordé l'examen de ce texte avec pragmatisme. La commission a adopté un texte fortement modifié par rapport au projet initial, complétant les dispositifs proposés par des mesures plus opérationnelles pour lutter plus efficacement contre le fléau sectaire.

I. UN REGAIN D'INTÉRÊT POLITIQUE POUR LES DÉRIVES SECTAIRES DONT LE DANGER N'A JAMAIS DISPARU

A. LES NOUVEAUX VISAGES DES DÉRIVES SECTAIRES : DES ORGANISATIONS TOUJOURS ACTIVES DÉSORMAIS REJOINTES PAR UNE PLURALITÉ D' « AUTO-ENTREPRENEURS»

Le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires marque un regain d'intérêt des pouvoirs publics pour la lutte contre un phénomène connu de longue date, les dérives sectaires, et particulièrement celles observables dans le domaine de la santé.

Ce phénomène n'est pas nouveau ; il avait été identifié par les rapports parlementaires dès les années 1990. Il est cependant marqué par deux évolutions majeures : d'une part, le développement des moyens électroniques de communication et les réseaux sociaux ; d'autre part, les polémiques entourant l'épidémie de covid-19, qui ont vu une remise en cause du discours des autorités publiques en matière de santé publique, mais également des données scientifiques concernant les caractéristiques des pathologies ainsi que l'efficacité et les risques des traitements.

Cette profusion de discours tendant soit à décourager le recours à la vaccination soit à promouvoir des traitements sans validation scientifique voire hors du champ de la pharmacie véhiculait - parmi des critiques et opinions parfaitement légitimes - des dérives sectaires, ce qui a pu légitimement inquiéter la population comme les pouvoirs publics.

Le doublement du nombre de signalements et de demandes d'avis relatives au domaine de la santé adressées à la Miviludes, de même que l'augmentation particulièrement importante des signalements liés aux phénomènes que la mission qualifie de psycho-spiritualité, entre 2020 et 2021, découle de ce climat d'incertitude et d'anxiété. Comme l'indique le dernier rapport annuel de la Miviludes, sur 3 118 saisines traitées par la mission en 2021, 391 ont donné lieu à transmission au service compétent, généralement les ARS, notamment pour exercer un contrôle, 5 informations préoccupantes ont été transmises au président du conseil départemental sur la situation d'un mineur, et 20 ont fait l'objet d'un signalement au procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale.

Deux types de signalements ressortent des chiffres fournis par la Miviludes : ceux concernant des mouvements connus pour leurs dérives sectaires1(*) et ceux concernant des individus ou des groupes réduits intervenant dans tous les domaines de la santé et du bien-être. Si les seconds se sont développés au cours des dernières années, les premiers n'ont jamais disparu et continuent à conduire leurs activités que pointe régulièrement la presse.


* 1 Il convient de rappeler que la qualification de « sectaire » appliquée à un mouvement a été jugée à plusieurs reprises contraire à la convention européenne des droits de l'Homme par les juges de Strasbourg, dont trois arrêts du 31 janvier 2013.

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