CHAPITRE VI : ASSURER L'INFORMATION
DES ACTEURS JUDICIAIRES SUR LES DÉRIVES SECTAIRES

Article 6
Confier un rôle d'amicus curiae à certains services de l'État
dans les affaires judiciaires en lien avec des mouvements
ou organisations sectaires

Soucieuse de renforcer les prérogatives de la Miviludes, y compris au bénéfice des acteurs judiciaires afin de mieux réprimer et lutter contre les mouvements et organisations sectaires, la commission accueilli favorablement les dispositions de l'article 6 visant à confier à certains services de l'État un rôle d'amicus curiae.

Elle s'est toutefois attachée à renforcer la solidité juridique de ces dispositions en prévoyant explicitement que l'ensemble des informations communiquées à l'autorité judiciaire en application de ce mécanisme soit versées au contradictoire, garantie essentielle du droit constitutionnellement protégé à un procès équitable.

I. Le souhait de doter la Miviludes d'un statut d'amicus curiae

En instituant un nouvel article 157-3 dans le code de procédure pénale, l'article 6 du projet de loi vise à « permettre à certains services de l'État de mettre leur compétence à contribution pour éclairer les débats judiciaires et favoriser la manifestation de la vérité en cas de poursuites judiciaires » impliquant des mouvements ou organisations à caractère sectaire31(*).

Comme l'indique le Gouvernement dans l'étude d'impact, « il a d'abord été envisagé de créer au profit de la Miviludes un droit d'observation devant les juridictions, notamment pénales, y compris au stade de la mise en examen »32(*).

Une telle proposition a toutefois fait l'objet d'un avis réservé du Conseil d'État qui a considéré, à juste titre, qu'« un service de l'État, non spécialement habilité en tant qu'expert devant les tribunaux, ne saurait intervenir de sa propre initiative dans des procédures judiciaires sans porter atteinte au droit à un procès équitable garanti par les articles 16 de la Déclaration de 1789 et 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme »33(*).

Afin de remédier à cette difficulté, le Gouvernement a, dans une saisine rectificative, proposé une disposition se bornant à permettre aux parquets ou aux juridictions de solliciter l'expertise de tout service de l'État, figurant sur une liste fixée par arrêté interministériel, dont la compétence serait de nature à l'éclairer utilement sur les phénomènes sectaires.

Une telle disposition ouvre ainsi le bénéfice du rôle d'amicus curiae, institué d'abord par voie prétorienne puis reconnu législativement - notamment au bénéfice d'autorités administratives indépendantes34(*) - et plus largement devant les seuls Cour de cassation en matière civile35(*) et juridictions administratives36(*), à des services de l'Etat en matière pénale pour les affaires impliquant des mouvements ou organisations sectaires, et ce, y compris en première instance.

Ainsi, si ce mécanisme aurait un nombre de bénéficiaires plus large que la seule Miviludes, cette procédure ne serait, dans la rédaction initiale du texte, ouverte qu'en cas de poursuites exercées sur le fondement de l'article 223-15-3 du code pénal ou comportant une circonstance aggravante relative à l'état de sujétion psychologique ou physique de la victime - incriminations introduites par les articles 1er et 2 du texte.

Comme l'a précisé le Conseil d'État dans sa jurisprudence, les conditions d'application de ce mécanisme « d'ami de la cour » en matière administrative lui permettrait de ne produire que de simples « observations d'ordre général sur les points (...) lesquels peuvent être des questions de droit, à l'exclusion de toute analyse ou appréciation de pièces du dossier ». Il a toutefois admis que « lorsque l'avis a été demandé ou rendu en méconnaissance de ces principes, le juge n'entache pas sa décision d'irrégularité s'il se borne à prendre en compte les observations d'ordre général, juridiques ou factuelles, qu'il contient »37(*).

Soucieuse de préserver ce dispositif novateur et utile à la prise en compte par les magistrats des effets des dérives sectaires, la commission a admis, dans son principe, les modifications proposées par l'article 6. Elle a toutefois procédé à deux modifications :

- d'une part, par cohérence avec la position exprimée sur les articles 1er et 2 du projet de loi, elle a restreint le champ d'application de cette procédure aux seules poursuites exercées sur le fondement de l'article 222-15-2 du code pénal, qui réprime l'abus de faiblesse (amendement COM-23 du rapporteur) ;

- d'autre part, afin de lever toute incertitude quant à l'atteinte au droit à un procès équitable que peut constituer la détention par le ministère public ou la juridiction d'une information écrite non communiquée à l'ensemble des parties, elle a adopté un amendement précisant que toute information transmise par écrit à l'autorité judiciaire par un service de l'État dans le cadre de cette nouvelle procédure doit être soumise au contradictoire (amendement COM-24 du rapporteur).

Après avoir sécurisé cette procédure au caractère écrit inédit en matière pénale, la commission a adopté l'article 6, considérant qu'il apporterait un renforcement bienvenu des facultés ouvertes à la Miviludes pour éclairer des décisions judiciaires impliquant des mouvements ou organisations sectaires.

La commission a adopté l'article 6 ainsi modifié.


* 31 Étude d'impact du projet de loi, p. 98.

* 32 Ibidem.

* 33 Avis du Conseil d'État, p. 6.

* 34 R. Godet, La participation des autorités administratives indépendantes aux règlements des litiges juridictionnels : l'exemple des autorités de marché, RFDA 2002.957

* 35 En matière civile, l'article L. 431-3-1 du code de l'organisation judiciaire dispose que « lors de l'examen du pourvoi, la Cour de cassation peut inviter toute personne dont la compétence ou les connaissances sont de nature à l'éclairer utilement sur la solution à donner à un litige à produire des observations d'ordre général sur les points qu'elle détermine ».

* 36 En matière administrative, l'article R. 625-3 du code de justice administrative prévoit que « la formation chargée de l'instruction peut inviter toute personne, dont la compétence ou les connaissances seraient de nature à l'éclairer utilement sur la solution à donner à un litige, à produire des observations d'ordre général sur les points qu'elle détermine ».

* 37 Conseil d'État, 6 mai 2015, Caous, req., n° 375036.

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