TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION COMMUNE SUR LE THÈME DE L'ATTRACTIVITÉ FINANCIÈRE DE LA FRANCE (3 AVRIL 2024)

Réunie le mercredi 3 avril 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu Mme Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et MM. Didier Martin, membre expert honoraire du Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP), et Jean-Charles Simon, délégué général d'Europlace, sur le thème de l'attractivité financière de la France

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous continuons nos travaux avec la question de l'attractivité financière de la France. Trois ans après l'accord de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, nous cherchons à dresser un bilan de la capacité de la place de Paris comme plus largement de la France à attirer les investissements des acteurs financiers.

Paris est la cinquième place financière la plus attractive du monde, selon le classement de l'Open Financial Ecosystem IndeX (Ofex), et la première place financière de l'Union européenne. En matière de capitalisation boursière, elle a même dépassé Londres, pourtant toujours classée troisième place financière mondiale.

Pour autant, la Cour des comptes avait estimé en 2023 que la fin du passeport européen dont bénéficiaient les acteurs financiers de la City à Londres n'avait eu qu'un effet relativement limité, en permettant la création de seulement 2 800 emplois à Paris.

Ce constat renvoie à des observations formulées par Albéric de Montgolfier en 2017, dans son rapport d'information intitulé Places financières : quelle stratégie française face au Brexit ? Selon les conclusions de ce rapport, la France disposait d'atouts pour attirer des investisseurs financiers déçus du Brexit - elle en dispose encore -, mais des réformes étaient nécessaires pour faire de Paris l'égale de Londres en matière financière.

Certaines recommandations du Sénat se sont d'ailleurs concrétisées. Par exemple, l'Autorité bancaire européenne est localisée à la Défense depuis 2019, ce dont nous pouvons nous réjouir.

La question de l'attractivité financière demeure importante à l'heure où les besoins d'investissement pour la transition écologique sont évalués à 110 milliards d'euros par an à partir de 2030, et où le niveau du déficit public incite à la prudence quant à la capacité de l'État à apporter un soutien pourtant nécessaire.

On peut s'interroger sur le dosage correct entre financements publics et privés, mais, pour garantir une transition rapide ainsi que, plus généralement, la croissance des entreprises, la mobilisation d'investisseurs de tous horizons, dans des conditions encadrées et réglementées, constitue évidemment un atout.

Une proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France a été déposée à l'Assemblée nationale par le député Alexandre Holroyd. Elle doit y être examinée le 9 avril prochain, avant d'être transmise et examinée au Sénat le 7 mai en commission puis le 14 mai en séance publique, M. Albéric de Montgolfier ayant été nommé rapporteur. Cette proposition de loi vise à améliorer l'accès des entreprises aux marchés de capitaux et à moderniser le droit financier français.

La crise de 2008 a toutefois montré de manière flagrante la nécessité d'une régulation du marché financier. L'amélioration de l'attractivité financière de la France passe également par l'encadrement des activités du secteur financier assuré par le régulateur, qui permet de sécuriser le marché pour l'ensemble des acteurs.

Le président du directoire d'Euronext a récemment plaidé pour une supervision unique des marchés en Europe, tout en reconnaissant que celle-ci était plus difficile à mettre en oeuvre que la supervision bancaire. Pourquoi n'arrivons-nous toujours pas à réaliser pour les marchés financiers ce que nous sommes arrivés à mettre en oeuvre en matière bancaire ? Madame la présidente, nous vous avions d'ailleurs posé cette question lors de notre récente visite à l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Par ailleurs, dès que le Gouvernement avait lui-même annoncé son intention de présenter un projet de loi relatif à l'attractivité de la place financière de Paris, banquiers d'affaires et associations professionnelles s'étaient mobilisés pour lui présenter des propositions. J'ai été assez surpris de lire que, parmi leurs priorités, figurait un nouvel assouplissement du droit du travail. Leurs voeux sont en passe d'être exaucés : l'article 12 de la proposition de loi de M. Holroyd prévoit d'actualiser les dispositions relatives aux rémunérations des preneurs de risque, afin d'exclure certains éléments de rémunération du calcul des indemnités de licenciement dues à des personnels des établissements financiers.

L'objectif, clair, est de limiter le coût des licenciements. Selon vous, le coût du travail est-il vraiment un frein à l'attractivité de la place de Paris ? Le droit du travail peut-il être, en soi, un obstacle ?

Pour nous éclairer sur ces enjeux, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'Autorité des marchés financiers, M. Didier Martin, avocat associé du cabinet Bredin Prat, membre expert honoraire du Haut Comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) ainsi que M. Jean-Charles Simon, délégué général de Paris Europlace.

Je vous rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, retransmise en direct sur le site internet du Sénat et sur les réseaux sociaux.

Sans plus tarder, je cède la parole à Mme Marie-Anne Barbat-Layani, pour qu'elle nous donne le point de vue de l'AMF sur cette question. Dans le cadre de ses orientations stratégiques pour la période 2023-2027, l'AMF affirme qu'elle « intégrera pleinement l'enjeu de l'attractivité de la place de Paris [...] dans un contexte d'évolution des canaux de financement des entreprises ». Comment cet objectif doit-il se décliner ? Quelles sont les actions d'ores et déjà mises en oeuvre par l'AMF pour accroître l'attractivité financière de la place de Paris et favoriser le financement des entreprises ?

Mme Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF). - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à participer à ces échanges. Monsieur le président, nous avons évoqué le sujet de l'attractivité financière de la place de Paris lors de votre récente visite à l'AMF et je vous prie par avance de m'excuser de répéter une partie de ce que je vous avais alors indiqué.

Pourquoi et comment, en tant que régulateurs, avons-nous intégré dans nos priorités stratégiques les questions de la compétitivité et de l'attractivité financière de la place de Paris ?

L'AMF est une autorité publique indépendante (API) qui intervient pour protéger les épargnants et les investisseurs, en régulant les marchés financiers et leurs infrastructures. Nos compétences s'étendent notamment aux sociétés cotées au titre de leurs communications financières, aux intermédiaires financiers autorisés à produire ou à distribuer des instruments financiers, c'est-à-dire à toutes les sociétés de gestion de portefeuille, aux prestataires de services d'investissement et aux conseillers en investissement financier, ainsi que, selon une mission qui nous a été confiée plus récemment, aux prestataires de services sur financement participatif. Nous nous occupons également des produits d'épargne collectifs investis dans des instruments financiers, donc des émissions de jetons et des prestataires de services sur actifs numériques qui s'en occupent.

Afin de remplir nos missions, nous disposons d'un certain nombre d'instruments, parmi lesquels figure l'édiction de règles. Le règlement général de l'AMF précise la manière dont sont appliquées les règles fixées à des échelons supérieurs. Nous nous assurons de leur application notamment au moyen d'actions de supervision ainsi que grâce à nos pouvoirs d'enquête et de contrôle. Nous autorisons les entités et les offres financières régulées, et nous disposons d'un pouvoir de sanction et de transaction en cas de manquement à la réglementation.

Parmi les éléments dont nous souhaitons le renforcement législatif au cours des prochains mois figurent certaines propositions visant à rendre notre action répressive plus efficace, sans la moindre contradiction avec notre objectif de renforcer l'attractivité de la place de Paris, bien au contraire.

Pour nous permettre d'exercer nos missions, nous bénéficions de moyens humains et budgétaires fixés annuellement par la loi de finances. Notre budget est d'environ 100 millions d'euros et nous employons plus de 500 collaborateurs. Pour continuer d'assurer notre mission exigeante, nous avons besoin d'un renforcement régulier de nos moyens, acté dans la loi de finances pour 2024 - j'en remercie la représentation nationale. Toutefois, nous aurons besoin de continuer à être accompagnés afin d'intégrer nos nouvelles missions.

L'attractivité de la place de Paris fait partie de nos orientations stratégiques. Elle est pour nous liée à notre positionnement de régulateur exigeant. À grands traits, selon la vision traditionnelle de la place de Paris qui prévaut dans la finance, celle-ci est caractérisée par sa bonne régulation et son intégrité, mais également par son utilité. Nous considérons ainsi, et les acteurs financiers le reconnaissent eux aussi, que l'exigence du régulateur constitue un facteur d'attractivité. Dans le cadre des évolutions post-Brexit, et dans leurs choix de localisation, certains acteurs financiers ont ainsi affirmé venir chercher à Paris une régulation exigeante, condition de leur bon développement.

Monsieur le président, vous m'interrogez sur la manière dont l'AMF perçoit son rôle de régulateur. En conformité avec la tradition française, la régulation a accompagné le développement de la place financière de Paris, devenue selon certains indicateurs la première place financière de l'Union européenne. Historiquement, l'action de ses régulateurs y a permis un haut niveau de régulation et d'exigence, que nous nous attachons à maintenir et à développer.

Le renforcement de l'attractivité de la place de Paris est une priorité stratégique dans un contexte marqué par des besoins de financement très importants. Alors que nous agissons de plus en plus à l'échelon européen, car la réglementation est de plus en plus européenne, il est nécessaire de développer les financements de marché pour répondre à une partie de ces besoins. La question du développement et de l'attractivité des marchés financiers se pose tant au niveau européen, avec la relance du projet d'union des marchés de capitaux (UMC), qu'au niveau national, avec le dépôt à l'Assemblée nationale de la proposition de loi de M. Alexandre Holroyd, qui intègre certaines des évolutions décidées à l'échelon européen.

Au niveau de l'action des régulateurs comme des évolutions législatives, la France n'est pas le seul pays à faire un effort de compétitivité. Un certain nombre de nos partenaires européens se sont récemment dotés de nouvelles législations visant à intégrer des évolutions réglementaires européennes telles que le Listing Act sur la cotation des entreprises ainsi que des évolutions que nous retrouvons dans la proposition de loi précitée.

Pour résumer, l'attractivité est pour nous une question essentielle. Notre marché est bien régulé dans un univers où, grâce au passeport européen, les acteurs financiers peuvent s'adresser aux épargnants et aux investisseurs français depuis l'ensemble des pays européens. Il nous semble important que le plus grand nombre possible d'acteurs soient placés sous notre régulation, pour assurer une application homogène des textes européens et la protection des investisseurs, d'autant plus en raison de l'absence de supervision européenne, et même si d'autres mécanismes de convergence des pratiques existent.

Par ailleurs, les besoins collectifs sont très importants pour financer la transition écologique, la transition numérique des entreprises et l'industrie de la défense. Les manières de répondre à ces besoins de financement se décident bien évidemment à l'échelon européen, mais également à l'échelon français. Nous avons intérêt à ce que les circuits de financement fondés sur l'épargne, abondante en France et en Europe, permettent de financer les besoins des entreprises européennes, notamment au travers de financements longs et comportant une part de risque.

Les financements bancaires traditionnels répondent en partie à ces besoins, mais le diagnostic est clair : nous avons besoin de développer d'autres modes de financement, qui passent par les marchés de capitaux et les fonds d'investissement. L'évolution reste aujourd'hui modeste en Europe sur ce point ;le projet d'union des marchés de capitaux se fonde aussi sur le constat que la part et le volume des financements des marchés peuvent augmenter.

Voilà pourquoi le régulateur français se préoccupe de la compétitivité de la place de Paris, aux échelons tant européen que national. Ces préoccupations sont d'ailleurs partagées par l'Autorité européenne des marchés financiers, également située à Paris, ainsi que par l'Autorité bancaire européenne. Une task force a été montée avec nos collègues de ces institutions afin de trouver les modalités permettant le développement d'une union des marchés de capitaux. Toutefois, ne soyons pas naïfs : la compétition est également intra-européenne, et ces questions doivent être posées à l'échelon national.

- Présidence de M. Stéphane Sautarel, vice-président -

M. Stéphane Sautarel, président. - Je me tourne désormais vers M. Didier Martin pour qu'il livre son expertise juridique sur l'attractivité financière de la place de Paris. Comment améliorer la compétitivité juridique de la place financière de Paris sans nuire à la conformité avec les textes européens et internationaux ?

M. Didier Martin, membre expert honoraire du Haut Comité juridique de la place financière de Paris (HCJP). - Le Haut Comité juridique de la place financière de Paris a été créé en 2015, sur l'initiative de l'AMF, de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), de la Chancellerie, de la Banque de France et du Trésor public. Il réunit des experts, magistrats, universitaires, avocats, représentants d'entreprises et des autorités, autour de divers sujets juridiques, au fur et à mesure des sollicitations des autorités. Nous avons rédigé environ soixante-dix rapports et avis ayant permis à ces autorités d'enrichir leurs réflexions et nous avons également suggéré diverses évolutions législatives et réglementaires, qui figurent d'ailleurs pour partie dans la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France.

La première réponse des étrangers en ce qui concerne l'attractivité d'une place financière est sa stabilité juridique et fiscale. Certes, il s'agit là d'une incantation, mais cet élément est fondamental. Toutefois, une proposition de loi visant à moderniser le droit et à accroître les options disponibles ne peut pas faire pas de mal.

La compétition est européenne, et la France n'est pas le seul pays à vouloir être compétitif. Par exemple, la Belgique a récemment réformé son droit des sociétés afin de renforcer son attractivité ; il est donc tout à fait logique que nous fassions de même en France.

Toutefois, il y a souvent une confusion - je la retrouve dans la proposition de loi précitée - qui consiste à nous parler du droit britannique. Très clairement, la France doit faire quelque chose en matière financière en se positionnant par rapport à ce qu'il se passe au Royaume-Uni depuis le Brexit. Toutefois, sur le plan juridique, nous devons nous tourner non pas vers le Royaume-Uni, mais vers les Pays-Bas : Airbus et Stellantis sont des sociétés néerlandaises ! En 2024, à la suite d'une scission, Sodexo est en partie devenue une société néerlandaise, tout comme la société créée par Vivendi lors de la scission d'Universal ; de même, en 2022, Ferrovial, une des plus grandes sociétés espagnoles, a choisi de transférer son siège social aux Pays-Bas.

Nous devons donc regarder ce qui se passe dans ce pays, non pas pour le copier, mais pour y trouver quelques idées. Les actions à droit de vote multiple, par exemple, y sont autorisées par le droit néerlandais.

Les autres pays européens veulent être compétitifs et attractifs. Les Pays-Bas sont en pointe et cherchent à devenir une sorte de « Delaware de l'Europe ». Le Delaware abrite la quasi-totalité des sièges juridiques des sociétés cotées américaines. Aux États-Unis comme dans de nombreux pays, mais pas en France, le droit permet la dissociation du siège juridique et du siège réel des entreprises. Des sociétés se constituent au Delaware pour profiter des règles du droit, de la jurisprudence et des tribunaux de cet État. Les Pays-Bas ont l'objectif de devenir le Delaware de l'Europe. La compétition juridique est lancée, et nous devons la développer.

Le diable est dans les détails. La proposition de loi de M. Holroyd prévoit d'accorder une compétence exclusive en matière d'arbitrage international à la cour d'appel de Paris. Vous le savez, Paris est peut-être la place mondiale la plus importante en la matière. Les intérêts sont importants : les audiences à Paris sont particulièrement suivies, le monde entier vient s'y réunir. Il y a quelques années, deux chambres commerciales internationales ont été créées, au tribunal de commerce et à la cour d'appel de Paris. En l'état, la proposition de loi dispose que seule la chambre internationale de la cour d'appel de Paris serait compétente en cas de recours contre une sentence arbitrale étrangère.

Récemment, j'ai eu à défendre auprès de la chambre internationale de la cour d'appel de Paris un État étranger condamné à verser plusieurs milliards d'euros, selon la seconde sentence la plus importante de l'histoire. Dans le même temps, se tenait à La Haye une procédure concernant l'exécution de cette sentence par rapport aux actifs de cet État aux Pays-Bas. En raison de l'engorgement de la cour d'appel de Paris, nous avons obtenu quatre heures d'audience, alors que s'y tenait le coeur de la procédure. À La Haye, où elle n'était que périphérique, l'audience a eu lieu toute la journée. On ne peut pas en vouloir à la cour d'appel de Paris, totalement engorgée. Cependant, si l'on parle de donner à la chambre internationale de la cour d'appel de Paris une compétence exclusive en matière d'arbitrage, il faut en assurer le suivi...

Par ailleurs, quelle est la carrière des magistrats qui siègent dans ces chambres ? En matière boursière, cet élément n'a pas été pris en compte. Les magistrats qui avaient passé un certain temps à ces postes n'avaient pas d'autre lieu où aller, et leurs compétences n'ont pas été valorisées. Le président de la chambre internationale de la cour d'appel de Paris part l'année prochaine, après être resté en poste à peine deux ans.

En ce qui concerne l'attractivité, il y a donc bien entendu des mesures législatives, mais il faut aussi un comité de suivi. Le Haut Comité juridique de la place de Paris s'est d'ailleurs chargé d'un tel suivi pour la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris. Nous avons fait plusieurs propositions. Un suivi tous les deux ans des arbitrages internationaux permettrait de s'assurer que l'attractivité des juridictions dans les recours éventuels est bien maintenue à Paris.

M. Stéphane Sautarel, président. - Je m'adresse enfin à M. Jean-Charles Simon qui va pouvoir nous éclairer sur les améliorations souhaitées par les acteurs du marché financier afin d'améliorer encore l'attractivité de Paris. Quels sont les avantages compétitifs de la place de Paris ? Quels obstacles vous semblent devoir encore être levés ?

M. Jean-Charles Simon, délégué général d'Europlace. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité autour de ce sujet, raison d'être de notre organisation, créée en 1993 par les acteurs du marché des métiers financiers de la place de Paris. Depuis plus de trente ans, nous nous mobilisons pour faire de Paris un centre financier européen et mondial de premier plan.

Il faut mesurer à quel point le combat est féroce : la compétition internationale pour attirer ces emplois, ces activités et ces capitaux dépasse celle de tous les autres secteurs économiques. La raison en est simple : ces matières sont extrêmement volatiles. Ces emplois très qualifiés sont très bien rémunérés, les personnels peuvent très facilement déménager d'une capitale à une autre et les capitaux se déplacent également très facilement. Il faut bien le percevoir : face à d'autres villes européennes comme Francfort, Amsterdam, Dublin, Luxembourg ou Milan, la compétition est très intense et nos voisins prennent des initiatives très fortes pour tenter d'attirer ces emplois convoités, porteurs de ressources fiscales et sociales pour les pays concernés.

Avec la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, Londres s'est positionnée pour devenir le Singapour de l'Europe et concurrencer par une moindre régulation les places financières de l'Union européenne. Les acteurs des métiers financiers étudient également d'autres pays extérieurs à l'Europe, notamment les pays du Golfe, que beaucoup choisissent, y compris pour opérer en Europe.

Pour l'instant, Paris mène positivement cette forte compétition, avec des résultats concrets. Le décompte des emplois gagnés depuis le Brexit mentionné par le président de la commission me semble partiel. Entre 2017 et 2022, près de 20 000 emplois ont été créés dans le secteur financier en région parisienne, quasiment exclusivement à Paris même, ce qui montre que ce sont des emplois de siège, des emplois internationaux. Au total, le secteur emploie 360 000 personnes en région parisienne, contre 420 000 personnes à Londres, où ce nombre tend à diminuer. Le rapprochement est donc très fort, notamment si l'attractivité de la place de Paris perdure.

Autre chiffre important, la balance des services financiers a gagné près de trois milliards d'euros durant les cinq dernières années. Pour un pays qui connaît de grandes difficultés dans l'équilibre de sa balance commerciale des biens et des services, cela est très intéressant.

Ces chiffres sont majeurs, mais encore une fois ces emplois et ces capitaux sont très volatils et il faut rester attentif sur ce qui est fait.

Paris bénéficie de points forts structurels relativement durables, même si tout peut malheureusement se dégrader. Nous sommes la seule métropole européenne d'une taille comparable à celle de Londres, notamment en matière de hub de transports internationaux et de conditions de vie, ce qui représente un atout considérable par rapport à d'autres villes européennes plus petites, comme Milan, Madrid, Francfort, Dublin ou Amsterdam.

La concentration de très gros clients de la finance constitue un autre point fort. Même si, comme Didier Martin l'indiquait, les sièges sociaux de certaines entreprises sont établis dans d'autres pays, les forces des quartiers généraux restent - heureusement - pour beaucoup en région parisienne : trente-huit sièges des entreprises du CAC 40 y sont situés. Cela est très important pour le secteur financier, car ces grands clients constituent sa clientèle la plus importante. Les bonnes performances de ces entreprises, notamment dans le secteur du luxe, expliquent que Paris soit devenue, devant Londres, la première place boursière d'Europe en matière de capitalisation.

Il y a également à Paris un pool de talents. La France a un grand avantage du fait de la grande qualité des formations supérieures dispensées dans les grandes écoles scientifiques, les écoles d'ingénieurs et les universités. L'histoire centralisatrice française est à cet égard bien utile à la place financière de Paris : la concentration francilienne de ces grands établissements scientifiques ou de business est peut-être sans équivalent dans le monde. Les trois premiers établissements du classement des masters en finance du Financial Times sont français. Les grandes écoles scientifiques françaises sont également des pourvoyeurs de métiers en rapport à des recherches quantitatives ou à des solutions informatiques, métiers qui sont également extrêmement demandés par les établissements financiers.

Ces points forts structurels jouent en faveur de notre attractivité, mais des choix politiques d'organisation y ont également contribué. La stabilité évoquée par Didier Martin est évidemment extrêmement attendue par ces acteurs, qui ont parfois un siège social en dehors de la France ou même de l'Union européenne, et qui attendent qu'il n'y ait pas de retour en arrière. La proposition de loi de M. Holroyd est un bon point, car elle va de l'avant, mais l'essentiel est de ne pas revenir en arrière et de créer de l'instabilité, en particulier sur les prélèvements fiscaux et sociaux.

Le régime des impatriés est notamment extrêmement utile. Il faut le préserver, et si possible améliorer ses quelques imperfections. Nous regrettons que la proposition de loi ne comporte aucune disposition en ce sens, mais je salue le fait que depuis vingt ans les gouvernements et les majorités parlementaires aient préservé ce régime.

D'autres sujets ont également connu des améliorations ces dernières années, notamment le barème prud'homal. L'instabilité et l'imprévisibilité des coûts de séparation dans le secteur financier étaient identifiées comme un problème majeur pour l'attractivité de la France. D'autres décisions comme la baisse des impôts sur les sociétés et le début de la baisse des impôts de production ont également été favorables à l'attractivité financière de Paris.

Nous considérons, en tant qu'acteurs supervisés, que la réputation de nos superviseurs est très importante. Il s'agit d'un point fort de la France : la qualité des équipes de l'AMF et de l'ACPR, leur capacité d'adaptation en matière de traitement des dossiers et d'efficacité des procédures sont très importants dans des métiers autant régulés. La banque, l'assurance, l'asset management ou l'intermédiation financière sont des domaines où la régulation des activités est très lourde et, pour obtenir la confiance des acteurs, nous avons besoin en contrepartie d'une supervision rapide, efficace et claire, qui fonctionne bien et vite. C'est également l'un des atouts de la place de Paris et nous sommes tout à fait favorables à ce que les moyens nécessaires soient alloués à ces superviseurs et à ces régulateurs, afin que perdure cette qualité, qui avait notamment été très scrutée lors de l'implantation des acteurs à la suite du Brexit.

En revanche, il y a en France des points faibles majeurs. La question du coût du travail revient de manière constante parmi nos adhérents. Pour les métiers qualifiés, le coût du travail est considérable, mais il devient très problématique pour les métiers financiers, aux salaires relativement élevés. Le niveau de contribution sociale et patronale est sans équivalent pour les secteurs comme la finance, qui ne bénéficient pas des allègements sur les bas salaires. C'est normal, mais, par rapport aux pays voisins, les personnels sont à des niveaux de rémunération pour lesquels le niveau des contributions sociales est considérable.

Si l'on compare le taux moyen de cotisation patronale, en fonction de l'échelle des salaires, la courbe pour la France se stabilise au-dessus de 40 % du salaire brut, alors qu'en Italie, en Allemagne ou au Royaume-Uni, lorsqu'on s'éloigne du Smic, les taux moyens effectivement pratiqués sont inférieurs à 15 %. Cela ne suffit pas à rendre compte de tous les prélèvements, puisqu'à ces 40 % de cotisations il faut ajouter la taxe sur les salaires, à hauteur de 13 %. Ce point est totalement dirimant en matière de comparaison du coût du travail. Heureusement que les acteurs ne se prononcent pas qu'en fonction de ce critère... Pour qu'un employé de la finance au salaire moyen de ce secteur touche 100 euros nets après impôt sur le revenu, il faut que son employeur lui verse 250 euros bruts en France, contre 165 euros en Allemagne. Cet écart est majeur pour nos adhérents, notamment pour les étrangers.

Cela ne correspond pas, je le comprends bien, à l'objet de la proposition de loi de M. Holroyd, et ces choses sont structurellement très difficiles à changer. Nous regrettons que le projet de réforme des retraites de 2019-2020, qui prévoyait de baisser assez largement le plafond de cotisation des retraites complémentaires obligatoires pour le rapprocher des plafonds existant dans les pays voisins, n'ait pas eu de suites. Cela aurait pu jouer en faveur de Paris, puisque la retraite complémentaire obligatoire pèse très lourd dans cet écart de cotisations patronales.

Concernant les licenciements ou les ruptures conventionnelles, les dispositions françaises sont très peu compétitives pour les hauts salaires. Les niveaux d'indemnités de départ sont très élevés. L'article 12 de la proposition de loi précitée, qui concerne la rémunération variable des preneurs de risques, propose une avancée intéressante. Il s'agit de ne pas prendre en compte la rémunération variable dans les calculs des barèmes d'indemnisation, pour les indemnités légales et conventionnelles comme pour les indemnités prud'homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il nous semble qu'il faudrait aller au-delà, en proposant un plafond en valeur absolue du barème des indemnités prud'homales, que l'on nomme souvent « barème Macron », qui n'est en réalité pas adapté à ces hautes rémunérations. Ce barème est très apprécié, car il apporte de la lisibilité et de la prévisibilité, et il convient à 99 % des salaires. Mais pour les 1 % des salaires les plus élevés, le coût de la séparation, y compris à la demande du salarié, est parfois dix fois inférieur dans d'autres pays comme le Royaume-Uni qu'en France. Pour ces métiers très facilement délocalisables, ce point constitue un défaut de compétitivité.

Tous ces défauts, en matière de droit et de coût du travail, pourraient freiner la tendance naturelle faisant de la place de Paris la première place financière européenne, au service des besoins de financement de la transition écologique, afin que l'Europe soit le plus possible autonome en matière de stratégie financière.

M. Stéphane Sautarel, président. - Nous vous remercions de vos interventions. Pour ouvrir le débat, je donne la parole à Albéric de Montgolfier, rapporteur au nom de la commission des finances de la proposition visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France.

M. Albéric de Montgolfier. - En 2017, j'avais signé un rapport posant la question de la stratégie financière à adopter face au Brexit. J'avais proposé quelques mesures, parmi lesquelles figurait la proposition d'assouplir le droit des titres, en introduisant les actions à droits de vote multiples. Vous en avez parlé comme l'un des éléments forts d'attractivité. Pourquoi a-t-il fallu attendre 2024 pour que cette proposition devienne une réalité dans la proposition de loi inspirée par Bercy ? Les garanties paraissent-elles suffisantes aujourd'hui ?

Une autre des propositions que j'avais faites à l'époque portait sur l'assurance vie, qui est l'un des moyens d'amener des capitaux dans les entreprises. Vous connaissez la compétitivité de l'assurance vie luxembourgeoise, en raison par exemple de l'autorisation de titres non cotés. Pourquoi y a-t-il toujours des freins en la matière ? Des assouplissements sont-ils à prévoir pour mobiliser ce gisement d'épargne considérable ? La proposition de loi ne les mentionne pas...

Enfin, je profite de la présence de la présidente de l'AMF pour lui poser une question marginale, qui concerne les risques évoqués sur un produit d'épargne très demandé par les Français, à savoir les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI). En raison de la crise immobilière, il y a des problèmes de liquidités et de taux d'emprunt. Cela constitue-t-il un facteur de risques pour l'AMF ? Alors que nous entendons des propos inquiétants quant à la liquidité et à la viabilité de certaines SCPI, avez-vous entériné un assouplissement de vos positions les concernant ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'une des priorités de l'AMF est de renforcer la place de Paris en étant vigilante pour éviter toute réglementation excessive, et notamment la surtransposition. La simplification est à la mode, depuis longtemps d'ailleurs : je me souviens du « choc de simplification » de 2013... Cela étant, les textes se multiplient, du devoir de vigilance au reporting de durabilité en passant par la réforme de l'investissement de détail. Comment l'AMF pense-t-elle pouvoir exercer cette vigilance tout en mettant en oeuvre la simplification attendue ?

Au regard des actions de préférence et de la suppression de l'obligation, pour les sociétés entrant en Bourse, de prévoir une tranche destinée aux investisseurs particuliers, doit-on en conclure que l'attractivité de la place de Paris ne peut se faire que contre la protection des investisseurs non professionnels ?

Enfin, des velléités d'alourdir la fiscalité portant sur les transactions financières se font jour. Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, je remercie M. Simon de sa franchise : merci d'avoir osé mettre les débats sur la table, même si cela crée une forme de dissonance contextuelle par rapport aux débats depuis quelques semaines dans notre pays !

M. Jean-Raymond Hugonet. - On se rappelle bien que les Pays-Bas sont le pays où Carlos Ghosn a pu toucher son complément de salaire... Je me souviens aussi des efforts déployés, lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, pour attirer en France le siège de la Fifa (Fédération internationale de football association), en l'exonérant de charges fiscales. Paris est désormais la première place financière de l'Union européenne et deux banques françaises figurent dans le top 10 mondial. L'AMF exerce une régulation très exigeante. Ne pensez-vous pas que l'état financier particulièrement dégradé, voire débridé, de notre pays, nuit à son attractivité financière ?

M. Michel Canévet. - Monsieur Martin, concernant les avantages comparatifs des Pays-Bas, serait-il pertinent de procéder en France à d'autres aménagements aujourd'hui offerts aux entreprises néerlandaises, au-delà des questions de diligence relatives à l'arbitrage et des actions à droits de vote multiples ?

Vous avez évoqué la nécessaire stabilité fiscale, mais aussi, monsieur Simon, l'impérative compétitivité de nos entreprises. La financiarisation de notre économie me paraît par trop importante. Ne conviendrait-il pas, au vu du poids excessif des charges sociales dans notre pays, de faire évoluer le financement de la protection sociale en France ? Je préconise notamment, pour améliorer notre compétitivité économique, l'institution d'une taxe sur les paiements scripturaux, qui se ferait à due concurrence d'une baisse des cotisations sociales.

M. Hervé Maurey. - Quel est concrètement, selon vous, l'effet de la dégradation de nos finances publiques sur l'attractivité de la place de Paris ? Nos déficits et nos dettes atteignent des niveaux records, les prévisions gouvernementales sont peu fiables, sinon insincères, la conjoncture laisse craindre une augmentation des impôts et des prélèvements sociaux. Ce climat n'est-il pas de nature à compromettre l'attractivité financière de la place de Paris et à réduire les effets positifs de la proposition de loi dont nous aurons bientôt à débattre ?

M. Éric Bocquet. - Le site internet d'Europlace lui donne pour objectif de créer « un environnement propice aux affaires », par une « réduction du coût de la main-d'oeuvre », un « régime fiscal spécifique » et des « dispositions fiscales attrayantes ». Vous avez déjà été servis ces dernières années, avec l'abaissement de l'impôt sur les sociétés, la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou le prélèvement forfaitaire unique ! Mais on en veut « toujours plus », selon la formule de François de Closets... Où est la limite ?

M. Martin a évoqué le petit État du Delaware, qui compte plus de sociétés enregistrées que d'habitants - 1,2 million de sociétés pour environ 1 million d'habitants - et qui est doté de dispositions législatives, mais aussi fiscales, particulièrement intéressantes. Est-ce l'objectif ? La compétition est indéniable, notamment avec les Pays-Bas mais, de nouveau, où est la limite ? L'article Fifa a été retoqué au Sénat, à l'unanimité, mais le Gouvernement l'a remis dans le texte à la faveur du 49.3. Si c'est cela qu'on veut, il faut le dire ! De quelle nature sont les réformes réglementaires annoncées par M. Le Maire en lien avec la proposition de loi visant à accroître l'attractivité financière de la place de Paris ? Correspondent-elles à celles que les acteurs de la finance souhaitent voir mettre en place ?

M. Le Maire parle aussi de mesures fiscales offensives, compréhensibles au vu du modeste déficit qu'il doit gérer, sans parler des 800 milliards d'euros de dette à son actif... Est-il sérieux ? Savez-vous de quoi il pourrait être question ?

Enfin, il ne me semble pas que le coût du travail ait empêché le secteur bancaire de prospérer ces dix dernières années, au vu de sa rentabilité record !

M. Bernard Delcros. - On évoque une évolution de la taxe sur les transactions financières instaurée en 2012, de son taux ou de son assiette. Quel effet cela aurait-il sur l'attractivité de la place de Paris ?

M. Jean-Charles Simon. - Les partisans des actions à droits de vote multiples insistent sur la compétitivité et l'attractivité des places financières, privilégiées dans le modèle américain, qui les encadre très peu, tant en durée qu'en ratio, modèle vers lequel tendent toujours plus le Royaume-Uni, les Pays-Bas et bientôt l'Allemagne. Nombre d'acteurs privés de la place de Paris défendent leur autorisation pour les introductions en bourse uniquement et non pour toutes les entreprises. Cela pourrait convaincre certains créateurs d'entreprise réticents à aller en bourse parce qu'ils craignent de perdre le contrôle de la gestion courante de leur société, crainte qui leur fait privilégier un financement par la dette, qui peut pénaliser leur développement. En face, on trouve beaucoup d'acteurs attachés au principe : « une action, une voix ». Cette opposition a pu laisser croire à une certaine hésitation sur le sujet au sein de la place.

Paris Europlace a néanmoins publié en 2021 une position sur ce sujet, qui, pour la première fois, était en faveur de ces droits de vote multiples. Il importe de trouver le point d'équilibre. La proposition de loi apparaît très offensive en la matière : ainsi, on n'y trouve pas de ratio encadrant les droits de vote multiples pour les actions de préférence sur des marchés réglementés, ce qui nous a surpris. Le point d'équilibre se trouve selon nous dans les propositions publiées par le HCJP en 2022 : un ratio maximum de dix pour un nous paraît pertinent, il permettrait tout de même de contrôler une société avec un peu plus de 5-6 % du capital. Il faudrait aussi limiter dans la durée ces droits de vote multiples : un délai de sept ans, renouvelable une fois si tous les actionnaires en conviennent, nous paraît souhaitable.

Pour ce qui concerne le droit européen, en particulier sur le devoir de vigilance, il nous semble que l'UE ne doit pas devenir un repoussoir pour le monde et les métiers de la finance. Il faut que l'Europe ait conscience de cette exigence de compétitivité et que cela soit au coeur de son action en matière financière. Or, depuis quinze ans, elle décroche par rapport à d'autres ensembles économiques. En valeur, la première banque américaine égale les dix plus grandes banques de l'Union européenne. Ce n'était pas le cas avant 2007 ! C'est regrettable pour l'Union européenne, la crise financière née aux États-Unis a eu pour effet paradoxal de creuser l'écart en faveur des établissements financiers américains.

Quant à la surtransposition, prenons garde à ne pas être moins attractifs que nos voisins. Il en est de même pour le travail des régulateurs. Après le Brexit, le Royaume-Uni a intégré la compétitivité du secteur parmi les objectifs que les régulateurs britanniques doivent prendre en considération. Il en est de même aux États-Unis. Il faudrait aussi le faire figurer explicitement dans le mandat des régulateurs français et européens. C'est notre souveraineté qui est en jeu ! Si, demain, les acteurs non-européens deviennent dominants sur le marché européen, il y aura une perte de souveraineté importante pour l'Union européenne puisque, en cas de conjoncture défavorable, ces acteurs risquent de se replier sur leur marché d'origine, privant l'Europe de capitaux nécessaires au financement de ses transitions.

Monsieur Bocquet, vous nous demandez où est la limite. Nous ne souhaitons pas que la France devienne un paradis fiscal et social ! Nous en sommes d'ailleurs bien loin, il reste des marges de manoeuvre... Je pense plutôt à nous replacer au niveau de l'Allemagne ou de l'Italie en matière de cotisations patronales, sans contester ou remettre en cause le modèle social français.

Il faut toutefois bien prendre conscience que les dépenses sociales publiques, financées par des prélèvements obligatoires, s'élèvent en France à 32 % du PIB ; c'est un record mondial et un vrai handicap. Un changement d'assiette, ou une assiette complémentaire, pourquoi pas, mais il faut surtout réduire la masse de ces dépenses. Même si on adoptait le taux maximal de TVA, à 25 %, on ne pourrait réduire que de 10 % les cotisations sociales. Je pense aussi, je le redis, au plafond des cotisations liées aux retraites complémentaires obligatoires, qui est très élevé - il faut y allouer 25 % du salaire brut jusqu'à 30 000 euros mensuels, contre environ 7 000 euros en Allemagne ! À ces niveaux de salaire, nous ne pouvons pourtant pas dire que ce sont des gens qui ont besoin d'être particulièrement protégés face au risque vieillesse. Nous sommes face à des choix lourds de conséquences, certains ajustements pourraient être très vertueux pour la compétitivité de la France.

M. Didier Martin. - L'attractivité du Delaware n'a rien à voir avec la fiscalité. Il y a une dissociation entre le siège statutaire, qui définit les règles applicables au fonctionnement de la société, et le régime fiscal applicable. Pour les Pays-Bas, c'est exactement la même chose.

Je peux citer l'exemple de Pluxee, la société fondée par Sodexo pour gérer les titres-restaurant. Son siège a été transféré aux Pays-Bas pour lui permettre de distribuer des actions aux actionnaires sans perdre les droits de vote doubles, ce que le droit néerlandais permet, au contraire de la France. Toutefois, la société Pluxee garde sa résidence fiscale en France. Le droit néerlandais est un droit plus pragmatique, qui permet aux entreprises de faire davantage ce qu'elles veulent ; ainsi, elles peuvent avoir deux présidents, ce qui est impossible en France. On peut faire du sur-mesure, sans avoir à s'embarrasser de dispositions d'ordre public censées protéger je ne sais quel intérêt.

La question de la fiscalité est avant tout politique. La Chambre de commerce internationale (CCI), aujourd'hui basée à Paris, s'est vue offrir par la Suisse un régime similaire à celui de la Fifa, pour l'inciter à y déménager. Or la présence en France de cette instance d'arbitrage est très importante pour notre soft power, par le nombre d'acteurs majeurs de tel ou tel secteur, issus de tous les continents, qui sont amenés à visiter Paris. Il y a bien sûr des principes, mais il faut aussi garder à l'esprit les effets pratiques des décisions qui sont prises.

Le devoir de vigilance existe déjà en droit français. Des carences à ce devoir sont invoquées par les parties devant les tribunaux. Cela nous place-t-il dans une situation défavorable par rapport à certains pays étrangers ? Aux Pays-Bas, même en l'absence de telles dispositions dans le droit positif, la chambre des entrepreneurs a enjoint à la société Shell de réduire ses émissions de CO2 en conformité avec l'accord de Paris, appliquant ainsi le même principe. Il ne faut donc pas exagérer le handicap que le devoir de vigilance créerait pour la France par rapport à d'autres pays européens.

La perte de temps que l'on constate en matière d'actions à droits de vote multiples est classique en France ! Chaque loi votée dans ce domaine depuis dix ans comporte des garde-fous, des contraintes telles que le régime proposé s'est révélé inapplicable. Bien des acteurs tiennent toujours au principe « une action, une voix », mais des entrepreneurs, dans le secteur de la tech et de la biotech notamment, souhaitent conserver le contrôle de leurs sociétés, tout en faisant appel aux marchés financiers. Il aura fallu du temps pour dépasser cette opposition. Nous avons pu, au cours de nos travaux, exposer aux investisseurs réticents que nul ne les obligerait à investir dans une société introduite en bourse et qui proposerait des actions à droits de vote multiples !

Cette liberté doit être donnée, mais il faut éviter que des dirigeants s'accrochent à leur pouvoir à un moment où la société va mal. C'est pourquoi nous avons proposé un ratio maximal d'un pour dix ou un système où, avec 30 % du capital, on pourrait avoir jusqu'à 82 % des droits de vote. Telle est la pratique du marché aux Pays-Bas. Le HCJP pourrait d'ailleurs faire un rapport sur l'évolution du droit des sociétés tous les deux ans, document où figureraient de bonnes idées à emprunter à d'autres pays européens. Une telle veille aurait pu alerter sur la nécessité de modifier la loi pour éviter le déménagement de Pluxee...

Là où la proposition de loi tend à limiter à dix ans ces droits de vote multiples, nos travaux proposaient sept ans, soit la durée moyenne d'un business plan. Une autre différence concerne les bénéficiaires possibles de ces droits de vote multiples : nous proposions de le limiter aux personnes exerçant des fonctions dirigeantes au sein de l'entreprise, ce qui ne figure pas dans la proposition de loi. Mais c'est assez compliqué ; je pense notamment au cas de sociétés qui font appel au marché dans un second temps, alors que l'entrepreneur a déjà pris du champ, mais souhaite toujours contrôler la direction de l'entreprise comme investisseur, ce qui arrive souvent aux États-Unis. Quoi qu'il en soit, le problème n'est pas immense, et il nous semble que la proposition de loi va dans le bon sens. Si les contraintes que nous proposions n'étaient pas intégrées au texte, il importerait surtout de faire confiance au marché. L'exemple hollandais montre que cela peut fonctionner, les droits de vote multiples n'étant pas du domaine législatif.

Enfin, pour ce qui est de l'instauration de droits de vote multiples en cours de vie d'une société cotée, certes sur les marchés les moins importants, la limite proposée à 25 pour un ne me paraît pas déraisonnable. Ce cas de figure impose toutefois plus de contraintes que quand la société n'est pas encore cotée, car il y a déjà des actionnaires.

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. - Pourquoi aura-t-il fallu tant de temps pour faire évoluer le droit français ? D'abord, en France, ces dispositions sont de nature législative ; il faut donc trouver le véhicule pertinent, mais les textes ne sont pas si fréquents en matière financière. Une question similaire se pose quant à l'évolution du droit européen : si tant de textes nationaux sont étudiés en ce moment, en France, en Italie ou en Allemagne, c'est aussi parce que le Listing Act rend nécessaire l'introduction de droits de vote multiples dans les législations nationales - chaque pays le fait toutefois à sa manière, ce qui crée un risque de compétition réglementaire.

M. le rapporteur général nous interroge sur la surtransposition et la simplification. Tant en France qu'à l'échelon européen, on est confronté à une question d'agilité réglementaire : à quelle vitesse peut-on rectifier le tir en cas d'erreur, et à quel niveau ? En matière financière, nous sommes largement régis par le droit communautaire, qui met du temps à s'ajuster ; le Royaume-Uni dispose désormais en la matière d'un avantage compétitif. L'harmonisation des pratiques requiert également du temps. Aujourd'hui, à la différence du secteur bancaire, les superviseurs des marchés ne sont pas chapeautés par une autorité européenne des marchés financiers, ce que l'AMF déplore, car cela permettrait d'éviter une partie de cette compétition réglementaire qui peut se montrer malsaine.

L'AMF, dans le cadre de ses orientations stratégiques, s'est engagée à ne plus surtransposer les textes européens, sauf si nous estimons que cela reste nécessaire pour la protection des investisseurs, notamment des épargnants, ce qui est notre priorité. De toute façon, le droit européen est potentiellement très protecteur.

Un exercice de simplification avait été mené par l'AMF en 2019, à la demande notamment du ministre de l'économie et des finances, exercice utile, car il nous a permis d'identifier un certain nombre de règlements que nous avions mis en place et qui ont pu être simplifiés ou adaptés.

L'Union européenne surréglemente-t-elle ? Il faut relativiser. Même s'il faut observer avec vigilance ce qui se passe notamment à Londres, il faut bien souligner que la compétition est largement intra-européenne, dans un cadre convergent et harmonisé.

J'ai été interrogée sur la décision récente de l'AMF de supprimer, lors des introductions en Bourse, l'obligation de prévoir une tranche réservée aux investisseurs particuliers, la tranche retail, élément de surtransposition qui subsistait en France. Soyons clairs, il ne s'agit pas de supprimer la possibilité de prévoir une tranche réservée aux investisseurs particuliers : lors de nouvelles grandes introductions boursières, cette tranche sera probablement prévue par les émetteurs. Il ne s'agit pas non plus d'affaiblir la protection des investisseurs particuliers. D'ailleurs, leur réserver une tranche suffit-elle à toujours les protéger ? Le parcours en Bourse d'un certain nombre d'entreprises tend à montrer qu'il faut regarder les choses d'assez près quand on veut investir...

L'attractivité ne doit pas se faire contre les investisseurs. Ceux-ci pourront toujours profiter de tranches réservées et il leur sera toujours loisible d'acheter en Bourse un titre après introduction, ce qui leur permettra d'échapper à certains phénomènes de baisse brutale de titres. Les particuliers sont moins avertis, par définition, que les grands investisseurs ou les investisseurs institutionnels. Ils peuvent donc avoir un intérêt à attendre un peu avant d'acquérir des titres d'une entreprise.

En quoi cela altérait-il l'attractivité de la place de Paris, notamment par rapport à la place d'Amsterdam ? Parce que, dès lors qu'une tranche est réservée aux investisseurs particuliers, l'offre d'introduction doit durer au moins six jours, contre deux ou trois jours en l'absence de tranche réservée. Cela peut paraître mineur, mais les marchés financiers étant très volatiles, certains émetteurs sont réticents à l'idée de prendre le risque de laisser l'offre ouverte pendant quasiment toute une semaine, préférant alors opérer sur des marchés où cette tranche réservée aux investisseurs particuliers n'existe pas.

La société Planisware, qui sera prochainement introduite à la Bourse de Paris, a clairement indiqué qu'elle n'aurait pas opéré sur le marché français si elle avait dû laisser son offre ouverte pendant plusieurs jours.

Voilà donc un exemple très concret de ce qui se joue en matière de compétitivité et d'attractivité. De plus, les investisseurs particuliers auront accès plus facilement aux titres s'ils sont cotés à Paris. Donc, attractivité et protection des investisseurs ne sont pas antinomiques.

De nombreuses questions ont été posées sur les actions à droits de vote multiples. M. Martin a répondu clairement au nom du HCJP. Ce sujet a été longuement étudié et il n'émerge pas par hasard. Il s'agit d'une disposition européenne, le Listing Act, que la France va transposer, après l'Allemagne et l'Italie. Effectivement, l'objectif de ces droits de vote multiples est de permettre au fondateur d'une entreprise de lever des capitaux sur les marchés financiers, mais sans en perdre trop rapidement le contrôle. Cela permet donc de concilier l'accès aux capitaux, très important pour ces entreprises, et la préservation de leur influence par les dirigeants de ces entreprises.

Par définition, puisque nous en sommes membres, nous approuvons les limites et mesures d'encadrement qui ont été proposées par le HCJP, qui représentent un bon équilibre.

Sur les SCPI et plus généralement sur les fonds immobiliers, nous exerçons depuis quelques mois une vigilance accrue, ces fonds étant, pour beaucoup d'entre eux, investis dans l'immobilier commercial, qui a connu, comme le marché de l'immobilier plus largement, des difficultés relativement importantes, qui ont toujours cours.

Les investisseurs doivent être bien conscients qu'investir dans l'immobilier n'est pas le gage de gains garantis, contrairement à ce que pourrait donner à penser ce qu'on a pu observer ces dernières années. L'AMF a poussé les gestionnaires de fonds à actualiser plus fréquemment les valorisations pour éviter de créer des inégalités entre les investisseurs. En effet, si des investisseurs retirent leur fonds à un moment où les valorisations n'ont pas été actualisées tout en étant orientées à la baisse, ils risquent d'en pâtir. Il est donc nécessaire que la valeur de ces fonds reflète le plus étroitement possible l'évolution du marché.

Autre sujet, celui de la liquidité. Là aussi, il faut veiller à l'égalité entre les porteurs de parts. À cet égard, il est très important que les sociétés de gestion se dotent toutes d'outils de gestion de la liquidité. Ce travail très important a été mené au niveau international au sein du Conseil de stabilité financière et de l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV). Cela doit permettre d'agir dans les périodes de tension sans créer de désordres sur les marchés et en garantissant l'équité entre les porteurs de parts.

Les finances publiques n'étant pas du ressort de l'AMF, vous me permettez de ne pas prendre position.

La taxation des transactions financières est une question légitime. D'ailleurs, elle a été débattue aussi bien devant le Parlement français que devant les instances européennes. Simplement, dans un contexte de compétitivité, il nous semble que cette question doit être traitée au niveau européen au minimum. Il ne faudrait pas provoquer une fuite des transactions, laquelle serait problématique, car nous ne pourrions plus les surveiller.

M. Stéphane Sautarel, président. - Je vous remercie, madame, messieurs, pour ces éléments d'information précieux pour nous à la veille de l'examen de la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France.

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