N° 109

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SÉNAT

PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1992-1993

Annexe au procès-verbal de la séance du 10 décembre 1992.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur les propositions de résolution :

1°) de MM. Michel PONIATOWSKI, Jean DELANEAU, Ambroise DUPONT, Roland du LUART et Philippe NACHBAR tendant à modifier le Règlement du Sénat pour l'application de l 'article 88-4 de la Constitution ;

2°) de M. Jacques LARCHÉ tendant à insérer dans le Règlement du Sénat les dispositions nécessaires à la mise en oeuvre de /'article 88-4 de la Constitution sur les résolutions européennes ;

3°) de Mme Hélène LUC, MM. Charles LEDERMAN, Robert PAGÈS, Jean GARCIA, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Michelle DEMESSINE, Paulette FOST, Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, MM. Félix LEYZOUR, Louis MINETTI, Ivan RENAR, Robert VIZET et Henri BANGOU tendant à insérer dans le Règlement du Sénat les dispositions nécessaires à la mise en oeuvre de l 'article 88-4 de la Constitution relatif à l 'examen des actes communautaires par le Parlement.

Par M. Étienne DAILLY,

Sénateur.

(1) (Cette commission est composée de :MM. Jacques Larché, président ; Charles de Cuttoli, François Giacobbi, Germain Authié, Bernard Laurent, vice-présidents ; Charles Lederman, René-Georges Laurin, Raymond Bouvier, Claude Pradille, secrétaires ; Guy Allouche, Alphonse Arzel, Jacques Bérard, Pierre Biarnès, Christian Bonnet, Didier Borotra, Philippe de Bourgoing, Camille Cabana, Guy Cabanel, Jean Chaînant, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Etienne Dailly, Luc Dejoie, Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Jean-Marie Girault, Paul Graziani, Hubert Haenel, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Pierre Lagourgue, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Lucien Neuwirth, Charles Ornano, Georges Othily, Robert Pages, Michel Rufin, Jean-Pierre Tizon, Georges Treille, Alex Türk, André Vallet.

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi de trois propositions de résolution successives qui tendent à introduire dans son Règlement les procédures nécessaires à la mise en oeuvre du nouvel article 88-4 de la Constitution. Votre commission des Lois, qui a la charge de rapporter ces trois propositions de résolution, a jugé souhaitable de vous en présenter un Rapport commun.

Ce Rapport portera donc sur :

la Proposition de Résolution (1992-1993, n° 20) déposée le 21 octobre 1992 par MM. Michel Poniatowski, Jean Delaneau, Ambroise Dupont, Roland du Luart et Philippe Nachbar, tendant « à modifier le Règlement du Sénat pour l'application de l'article 88-4 de la Constitution » ;

la Proposition de Résolution (1992-1993, n° 36) déposée le 5 novembre 1992 par le Président de notre Commission des Lois, M. Jacques Larché, tendant « à insérer dans le Règlement du Sénat les dispositions nécessaires à la mise en oeuvre de l'article 88-4 de la Constitution sur les résolutions européennes » ;

la Proposition de Résolution (1992-1993, n°47) déposée le 17 novembre 1992 par Mme Hélène Luc et les Membres du Groupe Communiste, tendant « à insérer dans le Règlement du Sénat les dispositions nécessaires à la mise en oeuvre de l'article 88-4 de la Constitution relatif à l'examen des actes communautaires par le Parlement ».

Rappelons d'abord le texte de l'article 88-4 de la Constitution auquel ces trois propositions de résolution font référence, à savoir :

« Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil des Communautés, les propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative.

« Pendant les sessions ou en dehors d'elles, des résolutions peuvent être votées dans le cadre du présent article, selon les modalités déterminées par le Règlement de chaque assemblée. »

Les débats au terme desquels cette disposition a finalement été introduite dans notre Constitution sont trop récents pour ne pas être encore présents dans toutes les mémoires. Aussi n'est-il pas nécessaire d'en rappeler dans le détail la teneur. Tout au plus convient-il de souligner que, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, ces débats ont mis en relief l'urgente nécessité de combler l'actuel « déficit démocratique » qui menace dangereusement la construction de l'Europe et, donc, son avenir.

À la veille de la mise en oeuvre du Marché Unique et compte tenu de la place, de ce fait chaque jour croissante, des normes européennes dans le droit des États membres, il est anormal, sinon même choquant, que le Parlement, représentant de la Souveraineté Nationale, soit entièrement écarté du processus d'élaboration de ces normes. Ce l'est d'autant plus que, chaque fois qu'il s'agit de matières relevant du domaine de la Loi, nos Assemblées Parlementaires sont ensuite invitées à harmoniser le Droit interne avec des Directives Communautaires à l'égard desquelles leur marge d'intervention est alors souvent très limitée.

Le dispositif constitutionnel élaboré au printemps dernier devrait remédier dans une mesure non négligeable à cette inacceptable situation, puisque le Parlement se trouvera désormais en mesure d'exprimer en amont son sentiment sur les propositions d'acte communautaire dont il aura à connaître en aval.

On ne peut manquer de relever le caractère original de ce mécanisme, puisque, pour la première fois, il associe le Parlement à la négociation internationale, - en l'espèce la négociation des normes européennes -, sans toutefois porter préjudice aux compétences constitutionnelles du Gouvernement dans ce domaine. Ce mécanisme ne conduit pas en effet à l'adoption par le Parlement d'un texte à valeur impérative mais confère à nos Assemblées la possibilité de s'assurer du respect du principe de subsidiarité, - le cas échéant de protester auprès du Gouvernement contre son inobservation -, puisqu'elles pourront désormais intervenir avant que la norme européenne soit devenue définitive et, comme telle, appelée à s'incorporer dans notre Droit positif.

Lors des débats de révision constitutionnelle, le Sénat, - puis l'Assemblée Nationale qui s'y est finalement ralliée -, ont à cet égard clairement marqué qu'ils entendaient bien que nos deux Assemblées Parlementaires soient à même de pouvoir faire connaître leur position autrement que sous forme d'un simple avis, donc par le vote de résolutions lesquelles, sans avoir, certes, de caractère obligatoire, ne pourront néanmoins pas être ignorées du Gouvernement et devraient même constituer pour lui de précieuses indications, voire d'utiles mises en garde.

Nous rappellerons d'abord, - et qui peut donc mieux les connaître que le Sénat puisque c'est lui qui en est l'auteur -, les orientations générales pour la mise en oeuvre de cet article 88-4 nouveau de la Constitution.

Nous résumerons ensuite les préoccupations de votre commission des Lois, ses objectifs, les principes qui devraient sous-tendre la Proposition de Résolution que le Sénat doit adopter pour modifier son Règlement et les impératifs auxquels elle devrait satisfaire.

Nous procéderons alors à une analyse détaillée des trois Propositions de Résolution dont le Sénat est saisi à cet effet et nous verrons dans quelle mesure chacune d'entre elles répond à ces préoccupations et satisfait à ces impératifs.

Nous exposerons enfin les conclusions qui résultent des travaux de votre commission des Lois et la proposition de résolution qu'elle vous présente pour modifier le Règlement du Sénat

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I. LES ORIENTATIONS GÉNÉRALES DU SÉNAT POUR LA MISE EN OEUVRE DE L'ARTICLE 88-4 NOUVEAU DE LA CONSTITUTION

Avant même d'entrer dans le détail des conclusions de la Commission des Lois sur les trois propositions dont nous sommes saisis, votre Rapporteur tient à formuler quelques observations qui portent moins sur les modifications réglementaires qu'entraîne cet article 88-4 que sur cet article lui-même et sur son incidence pratique pour les Assemblées du Parlement.

A. L'ARTICLE 88-4 NOUVEAU DE LA CONSTITUTION SUPPOSE UNE NÉCESSAIRE COOPÉRATION DU GOUVERNEMENT ET DU PARLEMENT

Il convient d'observer en premier lieu que conformément au premier alinéa de cet article 88-4 nouveau de la Constitution, le Gouvernement est tenu de « soumettre à l'Assemblée nationale et au Sénat dès leur transmission au Conseil des Communautés, les propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative ». Le Constituant n'en a pas pour autant organisé de procédure de contrôle sur la façon dont le Gouvernement s'acquittera de cette obligation.

Votre Commission ne peut donc qu'exprimer l'espoir que les Gouvernements veilleront scrupuleusement à bien soumettre au Parlement et dans les délais prescrits, l'ensemble des Propositions d'acte communautaire comportant des dispositions de nature législative et que, dans la négative, les Présidents de la République, qui ont la charge de veiller au respect de la Constitution, sauront exiger d'eux qu'ils respectent les obligations qui résultent pour eux de cet article 88-4 nouveau de la Constitution.

Du fait que conformément à l'article 6 bis de l'Ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des Assemblées Parlementaires, lui sont communiqués, « dès leur transmission au Conseil des Communautés, les projets de Directive et de Règlement et autres actes communautaires ainsi que tout document nécessaire établi par les différentes institutions des Communautés Européennes », la Délégation pour les Communautés Européennes sera, certes, en mesure d'alerter le Sénat si, pour un motif ou un autre, le Gouvernement ne soumettait pas à notre Haute Assemblée et dans les délais prévus, une Proposition d'Acte Communautaire comportant des dispositions de nature législative.

C'est d'ailleurs cette considération qui, lors de ses travaux, a amené votre Commission à reconnaître que la Délégation du Sénat pour les Communautés européennes serait la mieux à même de veiller à l'exacte application par le Gouvernement des prescriptions du premier alinéa de l'article 88-4 de la Constitution et à en tenir compte dans la proposition qui vous sera présentée dans le chapitre IV du présent Rapport.

Il serait par ailleurs hautement souhaitable que, pour chacune des Propositions d'Actes Communautaires ainsi soumises aux Assemblées, le Gouvernement prenne soin d'indiquer clairement celles des dispositions qu'il considère comme de nature législative et qui justifient ainsi la mise en oeuvre de la procédure prévue au nouvel article 88-4 de la Constitution.

Beaucoup de Propositions d'acte communautaire comportent en effet, souvent pêle-mêle, des dispositions qui, pour nous, sont d'ordre purement réglementaire au sens de l'article 37 de la Constitution et des dispositions qui, pour nous, entrent dans le domaine de la Loi selon l'article 34 de la Constitution, alors que la distinction entre ces deux domaines n'existe pas en Droit Communautaire. Aussi, compte tenu du nombre élevé des Propositions d'acte communautaire élaborées chaque année et de leur ampleur parfois considérable, les Assemblées du Parlement doivent être mises à même de pouvoir identifier immédiatement dans cet ensemble les dispositions qui doivent leur être soumises, c'est-à-dire celles dont le Gouvernement estime qu'elles comportent effectivement des dispositions de nature législative.

Certes, une telle indication ne lierait ni l'une ni l'autre des Assemblées, mais elle ne leur en serait pas moins très utile pour orienter efficacement leurs travaux. Quoique très récente, l'expérience démontre en effet cette nécessité, puisque, depuis l'entrée en vigueur de l'article 88-4 nouveau de la Constitution, le Gouvernement a déjà soumis aux Assemblées une série de Propositions d'acte communautaire sans autre mention que cette formule par trop laconique selon laquelle elles lui « paraissaient toucher au domaine législatif ».

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