B. LES HYPOTHÈSES RETENUES PAR LE PROJET DE LOI DE FINANCES : PERTINENCE OU INFLEXIONS

Le Gouvernement anticipe une baisse modeste des taux d'intérêt en 1996, de l'ordre de 0,62 point en moyenne, portant davantage sur le court terme que sur le moyen-long terme.

1. La courbe des taux anticipée pour 1996 est caractéristique d'une économie en croissance

Les hypothèses officielles du Gouvernement sur les taux d'intérêt moyens pour 1996 comportent deux éléments :

Ø une courbe des taux à pente positive :

Ø un net fléchissement du niveau général par rapport à 1995 (janvier à août) mais une stabilité par rapport aux taux actuellement constatés.

Les taux d'intérêt anticipés sont croissants avec l'éloignement des échéances, ce qui est caractéristique d'une courbe des taux normaux.

La courbe des taux de 1996 conserverait ainsi la physionomie actuelle.

Courbe des taux d'intérêt le 12 octobre 1995

Au-delà du niveau absolu des taux nominaux, le sens de la courbe a son importance : une courbe des taux de pente positive permet de prédire que l'économie sera en croissance alors qu'une courbe inversée précède et accompagne généralement les récessions comme ce lut le cas des courbes observables de juillet à mai 1975 et de novembre 1991 à décembre 1993. La courbe inversée traduit en effet à la fois une politique monétaire destinée à décourager le crédit et une appétence limitée des agents économiques pour le crédit à long terme qui finance les investissements.

S'agissant de la prévision de la baisse générale du niveau des taux, il faut remarquer que la justesse de cette anticipation est d'une grande importance : le niveau des taux d'intérêt conditionne la charge de la dette publique et le montant de certaines dépenses, telles que la bonification de la nouvelle mesure d'accession à la propriété. L'hypothèse de 5,75 % sur les taux à court terme devrait permettre une économie de 700 millions de francs sur les charges des BIT. Une erreur d'un point pourrait se traduire par une charge supplémentaire de 4,5 milliards de francs en 1995. L'impact d'une erreur sur les taux longs serait faible sur la charge de la dette en 1996, car les OAT sont souscrites coupon couru inclus.

En revanche, il n'en va pas de même du coût de l'avance à taux nul sur lequel une erreur d'un point sur le rendement des OAT à 10 ans pourrait avoir un impact d'1,3 milliard de francs environ, à moins d'en réduire de façon importante le pouvoir solvabilisateur.

2. Les taux à court terme demeureront sous la contrainte du taux de change

Comme en 1995, et jusqu'à l'avènement de la monnaie unique européenne, le niveau des taux d'intérêt à court terme restera dicté par la contrainte de maintien de la parité avec le deutschemark.

Évolution des taux à court terme en France et en Allemagne

La devise allemande restera en 1996 une monnaie de réserve internationale ; l'évolution des taux d'intérêt français restera donc conditionnée par celle des taux allemands. Dès lors, deux questions peuvent se poser : quelle sera l'évolution des taux allemands, y a t il une marge de réduction de l'écart de taux entre les deux pays ?

Taux directeurs français et allemands le 2 novembre 1995

Bien que les taux allemands soient actuellement à un niveau historiquement bas, on peut penser qu'ils ne seront pas relevés au cours de l'année 1996 pour deux raisons principales. D'une part la croissance outre-Rhin pourrait être modérée 7 ( * ) . D'autre part et surtout les évolutions nominales de salaires et de prix devraient rester contenues à un niveau de l'ordre de 2 %, ne contraignant pas la Bundesbank à restreindre les conditions du crédit.

Dès lors à défaut de fièvres spéculatives imprévisibles mais toujours possibles, la Banque de France pourrait maintenir des taux relativement bas, compatibles avec la prévision du Gouvernement sur les taux courts.

L'existence d'une marge de réduction par rapport aux taux allemands est plus difficile à affirmer. L'écart de taux à court terme se situe aux alentours de 2,2 points le 2 novembre. Ce différentiel est exagéré au regard de l'écart d'inflation entre les deux pays, mais il traduit une prime de risque sur la devise française qui provient de deux facteurs : le premier est que le franc n'a pas le statut de monnaie de réserve ; le second est que le niveau élevé et persistant du chômage laisse penser aux opérateurs qu'une remise en cause de la rigueur monétaire peut intervenir à tout moment en France. Cependant, l'affirmation réitérée par le Gouvernement du maintien de l'orthodoxie monétaire devrait permettre un retour progressif de l'écart des taux à court ternie vers une norme de 0.4 à 0,5 points (comme en 1992, ou de la fin 1993 au début 1995).

Dans ces conditions, la prévision gouvernementale de 5,75 % pour les taux courts paraît raisonnable et peut-être même un peu pessimiste si l'on considère que les titres à trois mois libellés en deutschemark offrent actuellement un rendement d'environ 4 %, et qu'ils devraient rester stables en 1996 2 ( * ) .

3. Les taux à moyen et long terme devraient être orientés favorablement

L'essoufflement de la croissance américaine en 1996 3 ( * ) permet de penser que la Réserve fédérale poursuivra la politique suivie en 1995, à . savoir une stabilité ou une décrue lente des taux directeurs. Dans ces conditions, les marchés obligataires européens ne devraient pas craindre de subir à nouveau le choc de 1994. Il est en effet peu probable que la banque centrale américaine utilise l'arme des taux pour soutenir le dollar ce qu'elle n'a jamais fait.

Dès lors les taux d'intérêt à long terme européens et parmi eux les taux français, devraient pouvoir se maintenir à un niveau proche de celui qu'on observe actuellement.

Taux des emprunts d'État à 10 et 30 ans le 30 octobre 1995

Cependant, la prévision en ce domaine est toujours extrêmement délicate, et les surprises sont fréquentes. On ne peut donc exclure un mouvement d'ensemble des taux d'intérêt des grands États industriels vers le haut ou vers le bas.

Plus pertinente est la question de la place relative de la France dans cet ensemble. D'ores et déjà, elle bénéficie des taux les moins élevés d'Europe, à l'exception des pays de la zone deutschemark (Allemagne. Pays-Bas, Belgique, Autriche) et de la Suisse. Ses marges de progression dépendent essentiellement de trois facteurs : l'inflation le déficit public et la balance des transactions courantes. Les graphiques suivants illustrent parfaitement l'étroite corrélation entre le niveau à moyen terme de certains grands équilibres et celui des taux d'intérêt à long terme.

En ce qui concerne l'inflation, la France fait partie des pays les plus vertueux du monde, à l'exception du Japon, du fait d'une politique monétaire intransigeante sur le niveau général des prix. De ce point de vue, elle ne bénéficie pas des taux réels à long terme qu'elle mérite, ainsi que l'illustre la courbe centrale. L'inflation restera modérée en 1996, aux alentours de 2 %. Aucun progrès sur le front des taux d'intérêt n'est à attendre de ce facteur, ni aucune détérioration à craindre.

Inflation : écart à la moyenne de l'Union européenne

Plus préoccupante -et souvent mise en avant- est la situation des déficits publics. Un quasi-consensus parmi les économistes s'est fait jour pour reconnaître l'influence de ce facteur en l'occurrence néfaste pour la France dans la période récente 8 ( * ). I1 est incontestable que, par rapport à l'Allemagne notamment, les taux d'intérêt à long terme ont souffert en France d'une tenue relativement plus mauvaise des finances publiques.

Le graphique suivant illustre les effets d'une détérioration des déficits publics sur la croissance des taux d'intérêt à long terme. On y voit que l'Allemagne est payée de son effort d'assainissement, alors que la France paie l'absence d'un tel effort.

Les mécanismes à l'oeuvre dans cette détérioration sont de deux natures.

D'une part, l'accroissement du besoin de financement des administrations entraîne une sollicitation accrue de l'épargne disponible qu'il faut donc rémunérer davantage. D'autre part, l'aggravation de la dette publique qui résulte de déficits importants fait craindre un retour de l'inflation aux marchés financiers.

L'inflation, provoquée par un financement monétaire des déficits publics est en effet un moyen commode d'effacer la dette. Les États impécunieux sont toujours tentés de l'employer. Les marchés incorporent donc ce risque dans le niveau des rendements exigés des titres de ces États.

L'influence de la balance des transactions courantes est en revanche généralement négligée. Pourtant, le salut des taux d'intérêt français pourrait bien en provenir. La balance courante traduit en effet davantage que les déficits publics le besoin ou la capacité de financement de la nation tout entière.

Sur les sept premiers mois de l'année 1995, la Banque de France a constaté un excédent de 71 milliards de francs, ce qui est un record, et l'exercice 1995 se terminera sur un quatrième excédent consécutif, ce qui est un autre record. L'année 1996 sera vraisemblablement moins flamboyante, mais les comptes extérieurs de la France resteront positifs 9 ( * ) .

De ce point de vue, notre pays est dans une meilleure situation que l'Allemagne, qui connaît depuis la réunification un déficit persistant de ses comptes courants.

Le déséquilibre s'établit à 5,4 milliards de deutschemark sur les six premiers mois de 1995. Les excédents commerciaux ne parvenant pas à compenser le déficit des services et l'accroissement de la charge des intérêts d'emprunts versés à l'étranger.

C'est pourquoi l'écart des taux à long terme entre la France et l'Allemagne est beaucoup plus étroit que celui des taux à court terme (0,8 point contre 2,5 point le 30 octobre). Et pour les mêmes raisons, on peut supposer qu'il va se réduire en 1996 10 ( * ) . L'écart en faveur de l'Allemagne se maintient parce que la France reste débitrice à l'égard du monde, l'Allemagne bénéficiant des excédents accumulés avant la réunification.

Le très bas niveau des taux d'intérêt à long terme de la Suisse et du Japon ne s'explique pas autrement : ils sont créditeurs nets vis-à-vis du reste du monde. Peu à peu, la France s'approche de cette situation, et finira par en recevoir les fruits sur le niveau de ses taux d'intérêt. Cependant, lorsqu'un pays est initialement endetté, la route est souvent longue avant d'atteindre une position nette créditrice et c'est pourquoi l'effet sur les taux tarde à se manifester.

L'inflation maîtrisée, les déficits publics résolument combattus, et la balance des transactions courante positive, la France devrait progresser encore au sein du peloton de tête des pays dont les taux à moyen et à long terme sont les plus bas. La prévision du Gouvernement paraît donc réaliste. Il est cependant plus facile de situer la France en termes relatifs que d'anticiper un niveau absolu de taux. Ce dernier dépend de la situation d'ensemble des marchés obligataires mondiaux. Ceux-ci sont toujours très sensibles à des chocs par nature imprévisibles.

* 7 Aux alentours de 2,3 % selon l'OFCE et le CEPII, prévision effectuée pour le Sénat le 27 septembre 1995

* 2 Le Crédit Lyonnais anticipe 3,8 % sur l'eurodeutschemark 3 mois et 5,5 % sur l'eurofranc 3 mois fin 1995.

* 3 L'OFCE et le CEPII anticipent un repli : de 3,7 % en 1995 à 2,9 % en 1996.

* 8 Voir l'audition des principaux instituts de prévision pour la commission des finances le jeudi 19 octobre 1995. Bulletin des commissions n° 3 du samedi 21 octobre 1995 pp 243 à 295.

* 9 Le Crédit Lyonnais anticipait début octobre 65 milliards de francs d'excédent courant en 1996, le Gouvernement 63 milliards de francs.

* 10 Le Crédit Lyonnais anticipe une hausse des taux allemands à dix ans en 1996, et une réduction de l'écart avec la France, qui passerait de 0,9 point en décembre 1995 à 0,8 en mars 1996 et 0,65 en septembre 1996.

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