B. LA RÉGULATION DES TÉLÉCOMMUNICATIONS : UNE NOUVELLE COMPÉTENCE POUR LE CSA ?

Si la régulation est un concept qui s'est développé dans les pays anglo-saxons où elle bénéficiait d'un terreau juridique favorable, force est de constater que sa greffe en Europe occidentale - en France notamment - a permis d'accompagner en douceur depuis une quinzaine d'années le passage du monopole d'État à l'économie de marché dans le secteur de la radiotélévision.

Une des principales différences entre la régulation nord-américaine et la régulation européenne tient à la séparation organique et fonctionnelle de la régulation du secteur des télécommunications et du secteur de l'audiovisuel.

Cette distinction est pourtant mise à l'épreuve en raison d'évolutions majeures qui remettent en cause certaines de ses modalités. La tentation pourrait être grande de créer une instance de régulation unique. Si la gestion séparée des supports et des services a jusqu'à aujourd'hui fait montre de son efficacité, il n'est pas sûr qu'il en soit également ainsi à moyen terme.

En effet, la frontière entre audiovisuel et télécommunication pourrait être retracée et précisée. Elle pourrait s'accompagner d'une évolution des compétences du CSA sans pour autant les étendre au secteur des télécommunications.

1. Le rapprochement des services et des supports

a). Deux régimes aujourd'hui divergents mis en oeuvre par deux organismes distincts

Services et supports de communication audiovisuelle d'une part, et de télécommunications d'autre part, sont aujourd'hui soumis à deux régimes juridiques fondamentalement différents, sous l'égide d'une instance indépendante, le CSA, d'un côté, et d'une émanation ministérielle, la DGPT, de l'autre.

La réglementation audiovisuelle française s'articule aujourd'hui autour de deux grandes catégories de principes : la rareté des ressources de diffusion disponibles impose de soumettre les opérateurs à certaines contraintes, cependant que, du fait de leur qualité de média de masse, leur activité est assujettie au respect de plusieurs principes déontologiques (pluralisme, protection de l'enfance et de l'adolescence, etc.) et économiques (restrictions à l'activité publicitaire, ou à la diffusion d'oeuvres cinématographiques, etc.). En revanche, la réglementation sur les télécommunications (loi de 1990) organise, notamment, les conditions de concurrence entre France Télécom et les autres opérateurs, à l'exception - notable - de la téléphonie vocale entre points fixes.

Le fondement de l'action du CSA réside dans la mise en oeuvre et la sauvegarde de ces principes, certains de valeur constitutionnelle, tel le pluralisme des courants d'expression socioculturels. Cette action se caractérise par son indépendance du pouvoir politique, et son contrôle par le juge. Cette logique s'oppose à celle présidant au fonctionnement de la DGPT, c'est-à-dire à un mode de fonctionnement dépendant du Gouvernement.

Or, la déréglementation des supports de télécommunications, qui intervient postérieurement à celle des supports de communication audiovisuelle, se caractérise par sa très grande rapidité et sa plus grande ampleur. La différence est tout aussi remarquable pour les services : ceux de communication audiovisuelle restent fortement réglementés, cependant que ceux de télécommunications ne sont soumis à aucune règle de contenu.

On comprend qu'il est ainsi primordial de définir avec précision des critères permettant de qualifier de communication audiovisuelle ou de télécommunications un service donné.

A cet égard, les réglementations relatives à la communication audiovisuelle et aux télécommunications reposent traditionnellement sur le caractère de la correspondance privée ou non, ou de la communication vers le public de l'émission.

L'article 2 de la loi du 30 septembre 1986 dispose ainsi :

« On entend par télécommunication toute transmission, émission ou réception de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de renseignements de toute nature, par fil, optique, radioélectricité ou autres systèmes électromagnétiques.

On entend par communication audiovisuelle toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de télécommunication, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée. »

Ainsi, le procédé de télécommunication pourra véhiculer des messages destiné au public en général ou à des catégories de public (communication audiovisuelle), ou bien des messages ayant le caractère de la correspondance privée (télécommunications).

La correspondance privée a ainsi été définie dans une circulaire du Premier ministre du 18 février 1988 : « Il y a correspondance privée lorsque le message est explicitement destiné à une (ou plusieurs) personne, physique ou morale, déterminée et individualisée. »

Au surplus, en droit français, le support de diffusion utilisé n'emporte pas le régime applicable au service diffusé. En revanche, la nature audiovisuelle du service induira l'application de la loi du 30 septembre 1986, et une décision du CSA, cependant que le caractère de correspondance privée du service le soumettra à la compétence de la DGPT.

Des passerelles ont ainsi été créées entre la loi de 1986 et le Code des P et T, de manière à ce que la DGPT autorise les services de télécommunications, y compris ceux empruntant des fréquences audiovisuelles, cependant que le CSA est compétent pour tous les services audiovisuels, y compris ceux empruntant une bande de fréquence affectée à la DGPT.

Une fois le service identifié comme étant de la communication audiovisuelle, il sera, au regard de la loi de 1986 soit soumis à autorisation (chaînes par voie hertzienne terrestre, chaînes diffusées par satellite de diffusion directe), soit soumis à convention (chaînes du câble, chaînes diffusées sur des satellites de télécommunications), soit soumis à simple déclaration auprès du CSA (services de vidéographie diffusés), soit soumis à simple déclaration auprès du Procureur de la République (services télématiques).

b). Un rapprochement progressif des supports et des services

Partout dans le monde, cette frontière traditionnelle est peu à peu remise en cause sous l'effet conjugué de deux évolutions : l'apparition de services d'une nature nouvelle et l'utilisation indifférenciée de l'ensemble des supports de communication existant.

En effet, des services d'une nature nouvelle font leur apparition, au travers de deux grandes tendances non exclusives l'une de l'autre :

la première concerne l'évolution des chaînes traditionnelles qui opteront pour une diffusion décalée de leurs programmes, une programmation de plus en plus ciblée et un recours accru du téléachat sous toutes ses formes, comme source de financement nouvelle ou d'appoint ;

la seconde est liée à l'apparition de nouveaux services proprement dits :

Paiement à la séance et vidéo à la demande : une évolution est prévisible du paiement à la consommation (tel Multivision) vers la télévidéothèque à domicile. Dans le premier cas, il existe une programmation préétablie par le diffuseur, dans le second cas, le téléspectateur sélectionne l'émission qu'il souhaite recevoir au moment de son choix.

Services interactifs sur sites ou sur réseaux : chaînes de jeux permettant de jouer seul ou avec d'autres, services de type télématique, télétravail, banques de données, téléchargement en tous genres (jeux, imagerie médicale, encyclopédies, information, presse, etc.).

Ces modes d'exposition et de commercialisation sont susceptibles de s'appliquer à tout type de services et pas seulement à la diffusion de programmes télévisuels.

Ces nouveaux services, en particulier les services dits « interactifs », entrent difficilement dans seulement l'un ou l'autre de ces deux régimes et jouissent d'une double nature. Ils ont un aspect de correspondance privée indéniable en ce qui concerne l'échange de données personnalisées (acte d'achat, etc.). En revanche, dans la plupart des cas, la présentation des produits sera destinée à un public le plus large possible, relevant ainsi de la communication audiovisuelle.

Par exemple, en sus des données proprement dites, un service de données boursières pourrait diffuser de la publicité et du téléachat. Les cours seront diffusés vers un public le plus large possible et il y aura communication audiovisuelle ; l'ordre de vente ou d'achat par un particulier au vu de ces données ainsi que la visualisation de son portefeuille personnel aura le caractère d'une correspondance privée et relèveront alors des télécommunications.

En matière de support ensuite, la compression numérique fait progressivement disparaître la logique législative de gestion de la rareté des ressources, sur tous les supports. L'architecture de la loi du 30 septembre 1986 aujourd'hui fondée sur le triptyque «  un programme/une fréquence/un service  » devra donc être révisée afin de mettre en place un régime où la régulation des services primerait sur la gestion des supports.

On doit par ailleurs s'attendre, sous l'effet de la compression numérique, à une utilisation de plus en plus indifférenciée des supports de diffusion existants : si, depuis longtemps, les satellites de télécommunications sont utilisés à des fins de communication audiovisuelle, on assistera bientôt à une montée en puissance des services de télécommunications sur les réseaux câblés autorisés par le CSA, comme la téléphonie vocale entre points fixes qui pourra être offerte par les câblo-opérateurs en Europe après 1998, et à une utilisation des réseaux de télécommunications par des services de communication audiovisuelle (exemple : Vidéo à la Demande sur les réseaux autorisés par la DGPT).

c) Une internationalisation croissante des deux secteurs

Ces évolutions s'inscrivent de prime abord dans un contexte d'internationalisation. Si cette internationalisation était depuis longtemps déjà rendue possible par la diffusion satellitaire, le marché français est jusqu'ici resté largement national. Or, la compression numérique va accroître cette évolution sous plusieurs angles :

constitution de bouquets de programmes attractifs visant un marché géographique donné et pouvant, par exemple, entièrement échapper à l'application de la loi française ;

- développement du multilinguisme ;

diffusion de programmes audiovisuels sur des réseaux téléphoniques à large bande ;

développement de réseaux internationaux tels Internet ou American On Line offrant, potentiellement, à destination de terminaux personnels, une offre comparable à l'offre radiodiffusée traditionnelle.

Cette internationalisation est renforcée par la rapide déréglementation du secteur des télécommunications en Europe et dans le monde entier - les dernières conclusions du G 7 vont en ce sens et par une relative libéralisation du secteur audiovisuel, comme le montre la renégociation de la directive « Télévision Sans Frontières ».

Cette évolution minimise toujours plus l'adoption de règles strictement nationales cependant qu'elle renforce l'importance d'accords internationaux (règles du GATS et mise en place de l'OMC) et communautaires (politique européenne de l'audiovisuel).

2. Une frontière précisée

a) L'actualisation des compétences du CSA n'est pas suffisante

Le rapprochement des services et des supports ci-dessus évoqué plaide incontestablement en faveur d'une actualisation des compétences du CSA.

A moyen terme, certaines des compétences actuelles du Conseil vont se trouver atténuées : les quotas de diffusion et obligations de production semblent à terme menacés, en particulier dans leur application aux nouveaux services ; le régime d'autorisation devra prendre en compte la multiplication des capacités de diffusion ; plus généralement la logique de la loi - de l'action même du CSA - fondée sur la gestion de la rareté des ressources de diffusion devrait s'en trouver modifiée, etc.

A l'inverse, ces nouveaux services impliquent de nouvelles formes de protection du citoyen :

en matière de protection du consommateur : déjà une directive sur les contrats négociés à distance s'appliquera au téléachat ; plus généralement, le droit de la consommation trouvera un terrain d'application en matière audiovisuelle avec les nouveaux services par lesquels le consommateur/téléspectateur commande un bien ou un service,

en matière de protection de la vie privée et de confidentialité des données : du fait de l'interactivité, les diffuseurs et autres éditeurs de services sont en possession de nombreuses informations personnelles et confidentielles de leurs abonnés (âge, sexe, goûts et choix effectués, commandes passées, etc.),

en matière d'égalité d'accès et d'universalité (86 ( * )) : l'importance sociale et économique des nouveaux services (télé-enseignement, télé-médecine, services ludiques ou éducatifs en tout genre, etc.) doit susciter une réflexion sur les conditions d'une universalité et d'une égalité d'accès des citoyens aux infrastructures et aux nouveaux services ;

en matière de pédagogie de l'image, une réflexion doit être menée sur la mise en place d'une certaine déontologie dans l'utilisation des nouvelles technologies (utilisation d'images virtuelles dans les journaux d'information par exemple), mais aussi dans leur perception par le public et l'éducation de celui-ci à leur utilisation.

Le toilettage technique de la loi de 1986 est-il toutefois suffisant ?

b) Une classification opératoire entre services de communication audiovisuelle et services de télécommunications doit être affirmée

Aucune classification opératoire n'a en effet été définie à ce jour et cette question semble abordée sans cohérence apparente au niveau international.

Pour ne prendre qu'un exemple, les directives télécommunications du 28 juin 1990 définissent comme services de télécommunications « les services qui consistent, en tout ou partie, en la transmission et l'acheminement de signaux sur un réseau de télécommunications par des procédés de télécommunications, à l'exception de la radiodiffusion et de la télévision.  » Pour autant, le sixième considérant de la directive 90/388/CEE relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications se réfère explicitement aux « services de transaction, par exemple des transactions financières, transfert électronique de données à usage commercial, téléachat et télé-réservation (...) ».

Or, la législation française, comme les autres législations européennes, régit d'abord l'activité de téléachat sous l'angle de la communication audiovisuelle, tout en y appliquant des règles particulières relatives à la protection du consommateur.

Quelle approche envisager ?

Si l'on se rapporte au rapport Breton, on constate que ces « nouveaux services », ont un objet potentiellement le plus vaste : télé-médecine, téléenseignement, vente à distance, télé-bibliothèques, télé-travail, Vidéo à la Demande, téléchargements de jeux, de CD-ROM, de biens et de services en tous genres, etc.

Certains nécessiteront un micro-ordinateur (tels les services accessibles sur Internet), d'autres un simple téléviseur. La nature du terminal de réception n'influe donc pas sur la nature du service véhiculé ou sur la nature du contrôle auquel le service est soumis. Ainsi, le programme TF1 devenant accessible sur micro-ordinateur demeure un programme de communication audiovisuelle, et, a ce titre, continue à relever de la compétence du CSA.

Deux critères primordiaux pourraient être retenus pour poser la frontière entre les services qui devront relever du régime de la communication audiovisuelle et ceux qui ne seront soumis qu'aux règles relatives aux télécommunications : le caractère de destination du message au public en général ou à une catégorie de public, et le contenu des messages transmis qui ne doit pas avoir le caractère de correspondance privée.

Une approche à partir du seul contenu du programme ne peut être retenue dans la mesure où elle permet toutes les interprétations possibles.

Cette approche semble être la seule opératoire, les critères objectifs ainsi posés permettant de couvrir l'ensemble des cas de figure :

Exemples de services relevant de la communication audiovisuelle

1 er exemple : la Vidéo à la Demande : le catalogue est mis à la disposition, du public en général, et relève ainsi de la communication audiovisuelle. L'acte d'achat entre le service et le client est purement privé (carte bleue), et relève pour sa part des télécommunications ; la visualisation du produit acheté est de la communication audiovisuelle puisque le message transmis n'a pas de caractère personnalisé.

2 ème exemple : les services télématiques : depuis 1990, ils ne sont plus soumis qu'à déclaration auprès du Procureur de la République (87 ( * )) . Ces services sont, pour leur majeure partie des services de communication audiovisuelle. La correspondance privée n'y représente en effet qu'une partie marginale de la consultation (exemple : le moment précis de la commande du billet sur la consultation du serveur Air Inter). Une déontologie, en ce qui concerne le contenu, a été définie entre France Télécom et les opérateurs télématiques, et reprise dans les contrats passés.

Or, ces services évoluent aujourd'hui pour inclure de l'image animée, c'est-à-dire des programmes audiovisuels (88 ( * )) . Ils seront diffusés sur le nouveau Minitel, mais aussi sur les réseaux câblés à destination des micro-ordinateurs (projet France Télécom). C'est, par exemple, déjà le cas de certains des services fournis sur Internet. En toute logique, il doit revenir au CSA d'appliquer et de contrôler les règles de contenu à ces services (exemple : publicité, parrainage, protection des mineurs, etc.).

Exemples de services relevant des télécommunications

1 er exemple : un service bancaire : Si le service bancaire (ex : 3615 BNP) n'est accessible qu'aux seuls clients de la banque via un code d'accès, il n'y a que correspondance privée.

2 ème exemple : la diffusion de données : les sous-porteuses de la fréquence FM d'un service de radiodiffusion sonore sont parfois utilisées pour la diffusion de données (exemple : Opérator) : coexistent alors deux régimes distincts, mais les messages transmis par Opérator conservent le caractère de correspondance privée.

3 ème exemple : une visioconférence : les messages transmis ne sont que de la correspondance privée. La liaison entre les interlocuteurs est fournie par un prestataire de télécommunications autorisé par la DGPT.

* 86 . Sur le modèle de l'article L. 32-1-4° du Code des P et T qui dispose : « Dans l'exercice des attributions qui lui sont conférées par le présent titre, le ministre des Télécommunications veille à ce que l'accès au réseau public soit assuré dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires ».

* 87 Alors que jusque-là, cette déclaration était également effectuée auprès du CSA.

* 88 Le Code de la Propriété Intellectuelle dispose en effet que l'on entend par programme audiovisuel toute séquence d'image animée, accompagnée ou non de son.

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