Annexe - La télévision publique est-elle un service public ?

La télévision est-elle un service public ? Existe-t-il des missions de service public pour le secteur public de l'audiovisuel ? On croyait ces questions dépassées, réservées à des spécialistes, à des juristes. Or, la concurrence croissante entre TF1 et France 2, le rapprochement progressif de leurs « grilles » de programmes, mais également les interrogations de l'Union européenne sur la notion de « service public à la française » amènent à s'interroger de nouveau sur les rapports entre communication audiovisuelle -pour reprendre un terme à la fois plus générique et plus précis- et service public, notion bien connue de notre droit public.

Nul mieux que Duguit n'a défini cette notion qui est au coeur de la construction de l'État en France : « Le service public est toute activité dont l'accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants parce que l'accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l'interdépendance sociale et qu'elle est de telle nature qu'elle ne peut être réalisée complètement que par l'intervention de la force gouvernementale ».

Avant 1970, la France a connu vingt ans de télévision de service public dont les liens avec le pouvoir politique n'étaient ni dissimulés ni même contestés, même dans l'opposition de l'époque. Après l'introduction de la concurrence et de la diversité au sein du secteur public, sans renoncer au monopole, du statut de 1974, il ne faut pas dix ans pour que service public et secteur public de l'audiovisuel soient remis en cause. Paradoxalement c'est la gauche qui portera atteinte au service public -en autorisant les télévisions privées-, tandis que le droite redéfinira le secteur public en l'allégeant.

Depuis 1986, le service public ne constitue plus le fondement essentiel de l'action des entreprises qui le compose. En 1982, le service public est le principe fondateur qui justifie le renforcement du secteur public de la communication audiovisuelle. La loi de 1982 est en effet profondément inspirée par la notion de service public : les sociétés nationales de programme ont des cahiers des charges contenant des obligations générales de service public et des obligations particulières. Le champ du secteur public de l'audiovisuel s'enrichit et se diversifie avec des créations de filiales et des prises de participation dans des sociétés extérieures. La liberté de communication reste strictement encadrée : l'article premier de la loi consacre l'abandon du monopole et institue la liberté de s'exprimer et d'entreprendre par tout procédé de communication. Cependant, le secteur privé est assimilé au secteur public en raison de son identité d'objet ; il est aménagé en service public et assujetti aux mêmes obligations : son lien avec le service public justifie la limitation de ses libertés. Pour preuve, les télévisions privées ne peuvent exister que sous la forme de concession de service public. Cette hypocrisie cessera avec la loi de 1986.

La loi de 1986 consacre, en revanche, l'abandon de la notion organique de service public. Le secteur public n'est plus l'instrument privilégié de la communication audiovisuelle, qui connaît désormais un double secteur public et privé. Le titre III de la loi de 1982 intitulés « Le service public de la radiodiffusion sonore et de la télévision » devient en 1986 « Du secteur public de la communication audiovisuelle », et il vient après le titre consacré au secteur privé alors qu'il le précédait dans la loi de 1982. Une logique de concurrence est introduite dans l'audiovisuel. L'abandon de la notion organique de service public doit permettre de redéfinir le rôle du secteur public de la communication audiovisuelle sans empêcher que des missions de service public soient assignées à ces organismes. Le concept de secteur public présente la particularité de ne pas être défini en droit français, contrairement à celui de service public. Le secteur public est conçu comme le pendant du secteur privé entre lesquels le législateur a institué une logique de concurrence. En outre, il s'est resserré dans son périmètre, avec la privatisation de TF1, la suppression de France Média International -société chargée de la commercialisation de programmes audiovisuels- ou encore la transformation de TDF et de la SFP en sociétés anonymes. Le financement du secteur public est également moins dépendant de la redevance, puisque la SFP n'en bénéficie plus, et que la part des recettes de la redevance attribuée à TDF est uniquement destiné à financer ses missions de service public. En ne faisant plus référence au service public, même dans les missions du secteur public, la loi de 1986 va probablement trop loin.

La loi de 1989 redonne un contenu aux exigences des missions de service public. L'intérêt général -fondement de la notion de service public- est réaffirmé : la loi distingue plus clairement les préoccupations justifiant des limitations à la liberté de communication : le respect des droits fondamentaux, d'une part, la défense de certains intérêts majeurs, d'autre part, que sont les contraintes techniques ou la nécessité de développer une industrie des programmes audiovisuels. La loi précise le cadre juridique de l'exercice de l'activité audiovisuelle en décidant que l'utilisation des fréquences radioélectriques constitue un mode d'occupation privatif du domaine public de l'État. Ceci permet de fonder juridiquement l'idée selon laquelle l'audiovisuel n'est plus exploité par un régime de service public dans tous les cas, l'ensemble des exploitants participent au moins à la mise en oeuvre d'une mission d'intérêt général. Enfin, la loi renforce les prérogatives de l'autorité de régulation : le CSA se voit doté d'une fonction générale de contrôle du secteur public, au nom de sa responsabilité de veiller au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, et délivre des autorisations au secteur privé.

Le secteur public de la communication audiovisuelle est aujourd'hui confronté à un double défi. Tout d'abord, la notion de service public s'est diluée.

Certains éléments de la notion de service public sont effectivement appliqués. L'article premier de la loi du 30 septembre 1986 modifiée précise que la liberté de communication peut être limitée par « les exigences du service public », qui ne sont cependant pas précisés. Les chaînes publiques doivent respecter un cahier des charges, qui rappelle les éléments fondamentaux du service public, égalité de traitement, droit d'accès du Gouvernement, et se voient assignées des missions de service public en matière d'éducation et de culture, de défense de la langue française, de développement de la culture française à l'étranger... Les employés du secteur public bénéficient d'une convention collective qui les rapproche du statut de la fonction publique. Les fréquences appartiennent au domaine public. Le financement du secteur public est partiellement assuré par la redevance. Enfin, les actions en matière d'audiovisuel extérieur, inspirées par une logique régalienne et de service public, se développent. En revanche, d'autres éléments de la notion de service public sont absents. Le service minimum en cas de grève n'a jamais été précisé, alors que la continuité du service public est un principe à valeur constitutionnelle. Surtout, les chaînes du secteur public sont de plus en plus financées par la publicité. Le secteur public se rétrécit avec les perspectives de privatisation de la SFP, de RMC. Ensuite, la qualification de « service public de l'audiovisuel » est doublement critiquée. Les diffuseurs privés estiment qu'il faut appliquer à l'audiovisuel la maxime « au secteur public, fonds publics », ne permettant plus à France Télévision de recourir à la publicité. Les autorités communautaires pourraient estimer que la qualification de « service public » pour l'audiovisuel est contestable.

En définitive, l'absence de coupure des oeuvres demeure la principale obligation de service public imposée aux chaînes publiques.

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