B. UNE RÉGULATION ACTUELLEMENT INEFFICACE

1. Un dispositif institutionnel émietté et conflictuel

Le dispositif institutionnel de gestion du système de santé aboutit à une confusion des rôles et une dilution des responsabilités finalement préjudiciable à son équilibre global.

Au niveau de l'État, le Parlement ne joue qu'un rôle résiduel. Le partage des responsabilités entre le Gouvernement et l'assurance maladie conduit à des conflits récurrents. Le Gouvernement assume la responsabilité de l'équilibre financier des régimes en fixant le taux des cotisations et la nature des prestations mais ne s'implique pas directement dans la gestion, assurée par les partenaires sociaux. Il ne peut pas, par exemple, intervenir directement dans les négociations avec les professions de santé.

Les partages sectoriels de fait, l'hôpital public étant géré directement par l'État, le reste du système de soins étant sous la tutelle de l'assurance maladie, ne facilitent pas la coordination.

L'organisation interne même de l'État (éclatement des administrations centrales et des services déconcentrés entre la santé publique, la sécurité sociale et les hôpitaux ; difficultés d'articulation entre le niveau régional et le niveau départemental) et de l'assurance maladie (autonomie des caisses locales et régionales entre elles et vis-à-vis de la caisse nationale ; autonomie du service médical par rapport aux services administratifs) suscite également des dysfonctionnements.

2. Des systèmes d'information insuffisants

Les difficultés de la régulation du système de santé sont également liées aux insuffisances et aux dysfonctionnements du système d'information. En France, les informations sur la santé peuvent être regroupées en trois grandes catégories : les informations sur l'état de santé de la population ; les informations sur la consommation de soins et de prestations ; les informations sur les moyens et les coûts du système de soins.

Ce système d'information souffre de défauts majeurs : éclatement et hétérogénéité des sources d'information ; multiplicité des modes de collecte et de traitements des données ; faiblesses conceptuelles et méthodologiques ; inadaptation des informations à la régulation ; faiblesse de la médicalisation des données.

Dans son état actuel, il n'est pas en mesure d'apporter des réponses précises à des questions aussi essentielles que les coûts des pathologies ou la nature des prestations apportées aux malades en fonction de leurs caractéristiques démographiques ou de leur pathologie.

Ces insuffisances rendent difficile la gestion du risque maladie et les évaluations des pratiques médicales et des filières de soins. Elles expliquent en partie l'échec de certaines mesures comme le contrôle conventionnel de l'activité des médecins (le tableau statistique d'activité des praticiens donne une information de qualité insuffisante pour détecter les comportements anormaux) ou le redéploiement des marges de manoeuvre dans le cadre du budget global hospitalier (mauvaise information sur l'évolution de l'activité médicale depuis la mise en oeuvre du budget global en 1983).

L'amélioration du système d'information est donc devenue un enjeu majeur pour la mise en place d'une politique efficace de régulation du système. L'achèvement des projets en cours n'en est que plus urgent : système commun d'information entre l'État et l'assurance maladie prévu par la réforme hospitalière de 1991, programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) engagé dans le secteur hospitalier depuis le début des années 1980 ; codage des actes et des pathologies prévu par la loi du 4 janvier 1993.

3. Des mécanismes de contrôle et de responsabilisation inadaptés

a) Le contrôle des tarifs génère des effets pervers sur les volumes

Le contrôle des tarifs concerne l'ensemble des éléments de la consommation médicale : prix de journée hospitalière, prix des médicaments, prix des actes des praticiens et des appareillages.

La fixation de prix bas, dans le souci de modérer la croissance des dépenses remboursées d'assurance maladie a pour effet de stimuler la croissance des volumes en incitant les producteurs de soins, dans la mesure où ils ont une influence sur la demande (cas des médecins) et que la demande est inélastique au prix (cas des hôpitaux), à multiplier les actes ou le nombre de journées afin d'atteindre le niveau de revenu souhaité, voire à agir sur la structure des actes et des prescriptions par la substitution de pratiques plus coûteuses.

Cet effet expansif du contrôle par les tarifs sur les volumes et leur structure est particulièrement fort : ainsi, le nombre d'actes médicaux ambulatoires par médecin a connu une croissance continue (4.697 actes par médecin en 1994 contre 4.331 en 1980) qui ne peut être rattachée exclusivement à la croissance de la population (4.9 actes par habitant et par an en 1994 contre 3.5 en 1980).

L'exemple le plus net de cet effet pervers de la tarification est le secteur du médicament, où la politique de Fixation des tarifs a toujours été très stricte. De 1980 à 1993 l'indice des prix des médicaments a évolué moins vite que l'indice du coût de la vie. Comparés aux prix étrangers, les prix en France apparaissent particulièrement bas : pour un indice 100 en France, le prix moyen des médicaments atteint 119 en Allemagne et 173 en Italie. En revanche, les volumes de consommation sont particulièrement élevés. Ceci s'expliquerait par une stratégie d'adaptation au prix bas de la part des laboratoires pharmaceutiques : ces derniers ont été incités à développer une politique commerciale dynamique, reposant sur des contacts réguliers des visiteurs médicaux avec les médecins. En 1992, les dépenses de promotion représentaient près de 14 % du chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutiques française, niveau supérieur à son effort de recherche et développement.

b) Le contrôle quantitatif de l'offre tarde à se traduire dans les faits

Le contrôle qualitatif de l'offre concerne essentiellement le secteur hospitalier. Mais la carte sanitaire instituée en 1970 s'est révélée peu adaptée au pilotage de l'offre hospitalière face à la complexité des enjeux, au poids des situations acquises et à la résistance au changement des acteurs locaux.

Depuis 1991, la réforme de la planification hospitalière par la création de schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS) privilégiant une approche qualitative de l'organisation géographique de l'offre de soins hospitalière et une démarche contractuelle dans la mise en oeuvre des restructurations, n'a eu pour l'instant qu'un impact opérationnel limité. De même, l'adoption en 1994 de mesures plus autoritaires permettant à l'État de fermer des structures sous-utilisées n'a pas eu les résultats escomptés.

Dans le secteur ambulatoire, les seuls éléments de planification concernent le contrôle de la démographie médicale, à travers l'instauration d'un numerus clausus. Celui-ci n'est cependant restrictif que depuis la fin des années 1970, avec un effet sur la démographie décalé aux années 1980, compte tenu de la durée des études de médecine. Le numerus clausus devrait entraîner la stabilisation du nombre des médecins vers les années 2000-2010, puis sa diminution.

c) Les mécanismes de responsabilisation sont inopérants

La responsabilisation des consommateurs de soins passe par le ticket modérateur, le forfait hospitalier et sauf exception, l'absence de tiers payant. Toutefois, compte tenu de l'importance croissante des systèmes de protection complémentaire et de l'échec des tentatives d'introduction d'un ticket modérateur d'ordre public, le maniement de ces instruments a beaucoup plus joué sur la maîtrise des dépenses remboursées par l'assurance maladie que sur la maîtrise des dépenses de santé totales. Le taux de prise en charge des dépenses de santé par l'assurance maladie est ainsi passé de 76.5% en 1980 à 73.5% en 1994.

La responsabilisation des producteurs de soins passe par les conventions médicales qui se sont succédé depuis 1971. Tout en confortant le caractère libéral de l'organisation du système de soins ambulatoire, ces conventions ont consacré l'engagement des médecins à faire preuve d'une plus grande mesure dans leurs prescriptions et instauré un premier mécanisme de contrôle de l'activité et de sanction en cas de comportement aberrant. Les résultats de cette politique ont été décevants et le mécanisme de contrôle, faute d'un système d'information incontestable, est resté largement lettre morte.

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