II LE CHOIX D'UN STATUT PRIS PAR ORDONNANCE

A. UNE PRA TIQUE COURANTE S'AGISSANT DE MA YOTTE

1. Les précédents

Depuis 1976, date à laquelle Mayotte a été érigée en collectivité territoriale, quatre lois d'habilitation ont contribué à l'extension et à l'adaptation à Mayotte de lois nouvelles, dont l'article 10 de la loi du 24 décembre 1976 précise qu'elles ne lui sont applicables que sur mention expresse.

La première habilitation figure aux articles 6 et 7 de la même loi qui concernent respectivement le régime administratif et financier, à déterminer avant le 1er octobre 1977, et « toutes mesures tendant à étendre et à adapter les textes intervenus dans le domaine législatif et qui ne sont pas applicables à Mayotte » , jusqu'au 1er juillet 1979, délai ramené au 30 avril 1977 en matière d'administration communale et de code électoral.

Cinq ordonnances furent prises en application de ces textes. Elles concernaient les élections, le fonctionnement du conseil général et des communes ainsi que l'organisation judiciaire.

La deuxième habilitation résulte de l'article 3 de la loi du 22 décembre 1979 relative à Mayotte qui autorise le gouvernement « à étendre par ordonnances avant le 30 septembre 1982, les textes intervenus dans le domaine législatif en y apportant, en tant que de besoin, les adaptations nécessitées par la situation particulière de Mayotte » .

Pour la première fois la consultation du conseil général sur les ordonnances est prévue.

Trois ordonnances relatives au régime fiscal et douanier, à la création d'une chambre professionnelle et aux règles budgétaires et comptables ont ainsi été prises le 1er avril 1981.

La loi d'habilitation du 23 décembre 1989 prévoit dans son article unique un ambitieux champ d'application.

Elle autorise le gouvernement « à prendre par ordonnances, avant le 15 septembre 1991, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation du droit applicable (à) Mayotte et à l'extension à cette collectivité de la législation métropolitaine avec les adaptations rendues nécessaires par sa situation particulière » dans huit domaines : régime budgétaire et comptable, mesures fiscales et douanières, droit pénal et procédure pénale, urbanisme, droit rural et des marchés publics, droit social et du travail, circulation et assurance automobile, environnement.

Les conditions dans lesquelles l'avis du conseil général est donné sont précisées : délai d'un mois au-delà duquel l'avis est réputé donné.

Sept ordonnances furent ainsi prises entre le 25 juin 1990 et le 5 septembre 1991. Elles portaient sur la santé publique, le code de l'urbanisme, la protection de la nature (code rural), le code pénal et la procédure pénale, le code du travail, les dispositions budgétaires et comptables et le code de la famille et de l'aide sociale.

Elles furent ratifiées par la loi n° 91-1379 du 28 décembre 1991.

Le même jour paraissait la quatrième habilitation ouverte jusqu'au 15 octobre 1992. Elle utilisait, mot pour mot, la même formule et reprenait un champ d'application similaire : n'y figuraient plus le régime budgétaire et comptable, l'urbanisme et le pénal ; étaient ajoutées l'organisation judiciaire, l'aide juridictionnelle et les victimes d'infractions.

Seize ordonnances parurent ainsi entre le 4 mars et le 12 octobre 1992. Ratifiées par la loi du 31 décembre 1992, elles concernent : les marchés publics, le code des assurances, le code de la route, la suite du code rural (animaux et végétaux), les victimes d'accidents de la circulation, la lutte contre la pollution, le cadastre, la santé publique, l'environnement, la lutte contre l'alcoolisme, le domaine public, le code forestier, l'organisation judiciaire, le code des douanes, l'aide juridictionnelle, les victimes d'infraction.

2. Le bilan

Ce rapport succinct permet de constater une réelle montée en puissance de la volonté et de la capacité du gouvernement d'étendre et d'adapter la législation applicable à la collectivité territoriale de Mayotte.

Autant les habilitations très vagues des premières années furent peu fructueuses, autant l'habilitation quasi-continue et ciblée entre 1989 et 1992 a permis à de nombreux domaines d'être traités.

Or, certaines de ces ordonnances comprennent des dizaines d'articles et n'auraient pu être examinées dans les mêmes délais par le Parlement. En revanche, parallèlement, celui-ci adoptait par la voie législative normale certaines dispositions applicables à Mayotte, soit au travers de textes généraux prévoyant expressément l'extension, soit par des textes portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer, soit par des lois spécifiques, notamment en matière d'élections.

Toutefois, certains domaines sont restés en friche, ou plus exactement ont fait l'objet d'une réglementation par arrêté comme la fonction publique territoriale, en marge de l'évolution structurée qui était menée en métropole et dans les départements d'outre-mer à l'occasion de la décentralisation.

D'autres ont pris du retard, comme la loi pénale, en partie par incapacité de mettre matériellement en oeuvre des réformes nécessitant un accroissement des capacités humaines et matérielles de la justice.

B. L'HABILITATION EST-ELLE JUSTIFIÉE POUR LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE ?

1. Un domaine législatif par excellence

Bien que la fonction publique territoriale de Mayotte ait été régie depuis 1976 par des textes d'origine variée, l'article 34 de la Constitution de 1958 ne laisse guère de doute sur le caractère législatif du domaine : en effet si l'article 34 ne cite que les fonctionnaires de l'État en ce qui concerne les règles fixées par la loi, il prévoit bien que la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources. En outre, l'article 72 énonce que les collectivités territoriales « s'administrent librement (...) dans les conditions prévues par la loi » .

En conséquence, à l'issue des lois de décentralisation, les règles applicables à la fonction publique territoriale ont été fixées, en ce qui concerne les principes généraux, par la loi du 13 juillet 1983 et, pour les dispositions spécifiques, par la loi du 26 janvier 1984 (devenues respectivement les titres I et III du statut général de la fonction publique).

Ces textes ont été modifiés plusieurs fois sans que soit prévue par un texte de nature législative, une adaptation à Mayotte.

En tout état de cause, quelle que soit la procédure suivie pour adopter un statut général de la fonction publique territoriale de Mayotte, le texte devra respecter les principes constitutionnels d'égale admission aux emplois publics (ce qui n'implique pas nécessairement un concours) et d'égalité de traitement dans le déroulement des carrières duquel découle la nécessité de mettre en place des mécanismes statutaires transparents pour les rémunérations, l'avancement et la discipline.

Des adaptations assez nombreuses devront néanmoins être prévues : par exemple, pour les rémunérations, des grilles spécifiques tenant compte du niveau local du salaire minimum (2 500 F) et, dans un premier temps, l'absence de passage organisé avec la fonction publique de l'État et les autres fonctions publiques territoriales. Un centre de gestion des fonctionnaires pourrait être institué. Ce statut devra en outre tenir compte du cadre législatif mahorais en matière de prestations sociales et de certaines données particulières comme l'espérance de vie (62 ans aujourd'hui) pour fixer la durée des carrières.

2. Le projet de loi d'habilitation

L'article premier du projet de loi autorise le gouvernement « à prendre par ordonnance, avant le 15 septembre 1996, les mesures législatives relatives à la détermination du statut général des fonctionnaires de la collectivité territoriale, des communes et des établissements publics de Mayotte » .

Il prévoit l'avis du conseil général sur le projet d'ordonnance dans les mêmes conditions qu'en 1989 et 1991 : dans un délai d'un mois au-delà duquel il est réputé donné.

L'article 2 fixe au 2 novembre 1996 la date de dépôt du projet de loi de ratification, accompagné dudit avis.

N.B . - Le texte initial prévoyait « des avis » du conseil général, l'Assemblée nationale a adopté un amendement précisant, puisqu'il n'y aura qu'une ordonnance, qu'il n'y aurait qu'un avis.

Si les dates prévues par l'ordonnance répondent aux exigences fixées par l'article 38 de la Constitution ( ( * )1) (délai limité et inclusion de la date de dépôt du projet de ratification), en revanche la commission des lois s'est interrogée sur la formulation retenue pour le champ de l'habilitation.

En effet, le Conseil constitutionnel (décision n° 86-207 DC des 25-26 juin 1986 sur les privatisations) considère que le premier alinéa de l'article 38 « doit être entendu comme faisant obligation au gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement quelle est la finalité des mesures qu'il se propose de prendre et leurs domaines d'intervention » .

Or, si le domaine est précisé (« détermination du statut général des fonctionnaires... »), la finalité manque quelque peu, notamment au regard des formulations retenues par les lois d'habilitation de 1989 et 1991 qui parlaient des « mesures nécessaires à l'actualisation » et de « l'extension dans cette collectivité de la législation métropolitaine avec les adaptations rendues nécessaires par sa situation particulière » .

La commission des Lois vous proposera donc, dans un unique amendement à l'article premier, d'en préciser la finalité qui sera de tenir compte des adaptations nécessitées par la situation particulière de Mayotte et d'indiquer qu'il s'agira d'établir un statut général des fonctionnaires de Mayotte, formulation qui laisse mieux place à de futures évolutions.

Sur le fond, la commission reconnaît l'urgence de ne pas laisser perdurer la situation anarchique de la fonction publique territoriale de Mayotte et souhaite que l'habilitation permette l'élaboration rapide d'un statut reposant sur le respect des principes et des modalités habituels de la fonction publique.

Sous la réserve de cet amendement et sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose d'adopter le projet de loi.

* (1) Art. 38 de la Constitution Le gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.

Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. A l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif

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