B. FAVORISER LA MOBILISATION DES INITIATIVES ET DES VOLONTÉS PUBLIQUES ET PRIVÉES

Bien loin de se substituer aux différents acteurs intervenant en faveur de la défense ou de la mise en valeur du patrimoine, la « Fondation du patrimoine » vise à rassembler les énergies, à valoriser les expériences et, pour la réalisation de nombre de projets, à prendre appui sur le monde associatif. Elle devrait également pouvoir se faire l'interprète des propriétaires et des associations auprès des pouvoirs publics.

1. Fédérer et valoriser les expériences acquises par les associations et les collectivités locales

La sauvegarde du patrimoine mobilise depuis longtemps de nombreuses associations. Certaines d'entre elles ont une audience et un champ d'action national ; d'autres se constituent autour d'une thématique (patrimoine industriel, parcs et jardins, ...), d'autres encore pour sauver tel ou tel monument. On estime aujourd'hui à plus de six mille le nombre de ces associations.

Parmi les plus anciennes figure la Demeure historique, créée en 1924 à l'initiative du Docteur Carvallo, propriétaire du château de Villandry. Ce « syndicat » de propriétaires rassemble aujourd'hui plus de 2.000 monuments classés ou inscrits. Il joue un rôle considérable de réflexion et de représentation des monuments historiques, et encourage, par l'attribution de prix, leur restauration.

Plusieurs associations mènent des actions de sensibilisation du public à l'égard du patrimoine. Parmi celles-ci, il faut citer en premier lieu l'action des Vieilles maisons françaises (VMF). Fondée en 1958, elle compte aujourd'hui 16.000 adhérents. Les VMF éditent une revue de grande qualité (cinq numéros par an dont la plupart présente le caractère d'une monographie sur un département) ; elles organisent des visites (2 à 3 par an) à l'aide de leurs délégués départementaux. Elles participent aux COREPHAE 1 ( * ) et aux commissions des sites. Jeunesse et Patrimoine concourt également à cette sensibilisation, en organisant des stages et un concours national depuis une douzaine d'années.

On peut citer également l'action de la Ligue Urbaine et Rurale, créée voici plus d'un demi-siècle et qui compte 2.500 membres, prodigue des conseils pour la défense du patrimoine et des activités de visite. Elle organise chaque année un « concours du maire » dont l'objectif est d'encourager les élus des petites communes rurales à préserver leur patrimoine (11 prix sont ainsi remis pour un total de 280.000 F).

Créée en 1901 à l'initiative du poète Jean Lahor, la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France s'est fixé pour objectif la défense des sites naturels et urbains menacés d'être détruits ou défigurés. Elle intervient essentiellement comme un organe d'alerte auprès des pouvoirs publics, mais contribue également à la sensibilisation du public au patrimoine par l'édition d'une revue trimestrielle « Sites et monuments » et par l'organisation d'une campagne nationale sur le thème « Sauvons notre patrimoine ».

Les Maisons Paysannes de France oeuvrent dans la même sphère d'activité. Créées en 1965, elles rassemblent aujourd'hui 6.000 adhérents et comptent une soixantaine de délégations départementales. Elles se sont fixé pour objectif la sauvegarde de patrimoine rural privé : maisons paysannes, bâtiments de ferme, pigeonniers... Elles prodiguent à cet effet des conseils de restauration ou des conseils juridiques et administratifs (démarches à accomplir, possibilité de subventions,...), organisent des stages pratiques, des visites de maisons rurales et un concours de restauration des maisons paysannes. L'une des réussites essentielles des Maisons Paysannes de France réside dans la création d'un label tendant à la reconnaissance du patrimoine rural sauvegardé.

C'est aussi au patrimoine rural, mais religieux que se consacre la Sauvegarde de l'Art français, fondée en 1921 par la marquise de Maillé et le duc de Trévise et qui, avec un budget d'intervention annuel de 7 à 10 millions de francs, a contribué à sauver à ce jour plus de 1.200 églises rurales, essentiellement en subventionnant des associations ou des propriétaires locaux (en tout premier lieu les communes) afin qu'ils puissent mener des travaux de restauration.

D'autres associations mènent directement des travaux de restauration : il en est ainsi du Club du Vieux Manoir, qui a acquis une expérience quarantenaire et, fort de 4.700 membres, mène des travaux de restauration sur des monuments, de préférence classés. Le Club totalise annuellement 80.000 journées de travail. Il a réhabilité 205 monuments. Les chantiers sont ouverts au public et attirent environ 100.000 visiteurs par an. La restauration des monuments achevée, le Club du Vieux Manoir les cède à un repreneur, collectivité locale ou association, susceptible d'en assumer l'entretien. L'on doit également citer l'action de l'association pour la Fondation des parcs de France, en instance de reconnaissance d'utilité publique, qui s'est fixée pour objectif de recueillir le mécénat destiné à la restauration de jardins privés.

D'autres associations visent plus généralement à fédérer des associations d'intérêt local, en offrant à leurs adhérents des conseils techniques, une assistance juridico-administrative, et un service de relations publiques (relations presse, télévision). C'est le cas par exemple de la FNASSEM (Fédération nationale des associations de sauvegarde des sites et des monuments) qui regroupe aujourd'hui six cents associations sans toutefois couvrir la totalité du territoire national. L'association REMPART réunit 27 associations organisant des chantiers de bénévoles (et totalisant 100.000 journées de travail par an), en leur offrant un cadre commun pour les techniques de restauration, l'accueil des bénévoles sur le chantier et la définition d'actions de formation.

Les collectivités locales, et particulièrement les communes, propriétaires de nombreux édifices, protégés ou non protégés, ont également acquis en ce domaine une expérience et un savoir-faire dont ne saurait se passer la « Fondation du patrimoine ».

À moins de courir à l'échec, la future fondation devra donc s'appuyer sur les associations et les collectivités territoriales. Elle interviendra pour fédérer et valoriser les expériences acquises sur le terrain, et non pour se substituer aux intervenants actuels. On peut en effet imaginer qu'une expérience de sauvetage conduite avec succès par telle ou telle association ou collectivité locale du Gard ou du Maine-et-Loire puisse être transposée avec la même chance de réussite dans le Nord ou en Lorraine. Le rôle de la « Fondation du patrimoine » ne sera pas tant dans cette hypothèse de monter la nouvelle opération que de faire connaître les expériences réussies et de tenir à la disposition des acteurs intéressés un dossier présentant le montage juridique et les caractéristiques techniques éprouvées. Elle pourra bien sûr compléter cette information par la délivrance de conseils, et, le cas échéant, soutenir financièrement la nouvelle opération.

2. Jouer un rôle d'intermédiaire entre les acteurs du terrain et les pouvoirs publics

Des nombreuses auditions auxquelles il a procédé en 1993 avant de remettre ses conclusions à M. Jacques Toubon, votre rapporteur a retiré le sentiment qu'il manquait actuellement aux associations, et dans une moindre mesure aux collectivités locales, un partenaire unique susceptible de relayer leurs préoccupations auprès des pouvoirs publics. La « Fondation du patrimoine » pourrait jouer ce rôle de porte-parole des acteurs du patrimoine auprès de l'État. Il lui serait en effet possible de réunir et d'agréger les différentes demandes et suggestions, de mettre en valeur les difficultés rencontrées, d'en réaliser la synthèse, et de retransmettre ces informations ou revendications auprès de la direction du patrimoine. L'audience et la force de persuasion exercée par diverses associations auprès des pouvoirs publics ne pourraient s'en trouver que renforcées.

3. Permettre aux particuliers et aux entreprises d'exprimer leur élan en faveur du patrimoine

Les journées du patrimoine qui se sont déroulées en septembre dernier ont, une nouvelle fois, démontré l'engouement de nos concitoyens pour les témoignages du passé. Près de sept millions de visiteurs se sont pressés aux portes des monuments historiques, palais, bibliothèques, châteaux ou demeures ouverts au public pour cette circonstance.

On estime aujourd'hui que près de cinquante mille personnes versent une cotisation aux quelque six mille associations oeuvrant en France en faveur du patrimoine. Si l'on compare ce chiffre à celui des adhérents du National Trust (2,2 millions de personnes), il y a fort à penser que le patrimoine français n'a pas encore réussi à mobiliser l'ensemble des particuliers sensibles à cette cause.

Ce sentiment est corroboré par les résultats d'un sondage réalisé par l'Institut Louis-Harris en juillet 1993. Il révèle que 34 % des Français seraient prêts à contribuer à l'action d'organismes chargés de recueillir des fonds pour la préservation et la mise en valeur du patrimoine, dont 19 % par le versement de cotisations ou de dons.

La « Fondation du patrimoine », qui permettra aux particuliers, aux collectivités publiques ou aux entreprises d'adhérer à la cause qu'elle défend en versant une cotisation annuelle, devrait être l'instrument de cette mobilisation nationale.

La contribution des particuliers à la cause commune pourra également prendre la forme de dons ou de legs, ou encore celle de services rendus bénévolement. On rappellera que l'inventaire général, lancé par André Malraux en 1964, a reposé à ses débuts sur la participation de près de 2.200 bénévoles. Outre-manche, 28.000 personnes prêtent aujourd'hui bénévolement main forte au National Trust, pour l'équivalent de 1,6 million d'heures de travail.

La « Fondation du patrimoine » pourra enfin servir de réceptacle au mécénat des entreprises. Plusieurs possibilités leur seront offertes qui correspondent à des niveaux d'engagement différents. Le statut de fondateur sera réservé aux quelques entreprises qui choisiront de s'investir durablement au sein de la future « Fondation ». En contrepartie de leur engagement, le projet de loi garantit aux quelques entreprises fondatrices la maîtrise du pouvoir de décision au sein du conseil d'administration. Les entreprises pourront également, au même titre que les particuliers, devenir membres de la « Fondation du patrimoine », en versant une cotisation annuelle. Elles pourront enfin effectuer de simples dons à la fondation et bénéficier dans ce cadre des avantages fiscaux prévus à l'article 238 bis du code général des impôts.

* 1 Commissions régionales du patrimoine historique, archéologique et ethnologique.

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