RAPPORT

I. LA VOCATION DE LA « FONDATION DU PATRIMOINE »

La « Fondation du patrimoine » aura vocation à exercer des missions nouvelles, qui ne sont assumées aujourd'hui ni par la direction du patrimoine du ministère de la culture, ni par la Caisse nationale des monuments historiques et des sites. Pour autant, elle ne sera pas appelée à se substituer aux initiatives privées qui ont éclos dans la sphère non couverte par les pouvoirs publics. Bien au contraire, son ambition est de s'appuyer sur l'expérience acquise par le tissu associatif ou les collectivités locales pour mobiliser l'ensemble des amateurs du patrimoine en faveur de cette cause commune. La « Fondation du patrimoine » doit être l'aboutissement et l'expression de ce que votre rapporteur se plaît à qualifier de « mouvement montant » en faveur du patrimoine et qui repose à sa base sur des initiatives individuelles ou associatives.

A. COMBLER LES LACUNES DU DISPOSITIF DE PROTECTION ET DE VALORISATION DU PATRIMOINE NATIONAL

Telles qu'elles sont définies à l'article 2 du projet de loi, les missions confiées à la future « Fondation du patrimoine » visent précisément à combler les lacunes du dispositif actuel de protection et de valorisation du patrimoine national. Ces lacunes ont été successivement mises en évidence par votre rapporteur dans les conclusions remises en janvier 1994 à M. Jacques Toubon, alors ministre de la culture et de la francophonie, sur l'opportunité de la création d'une fondation du patrimoine, et en octobre 1994 à M. Michel Barnier, alors ministre de l'environnement, sur la protection et la valorisation des espaces naturels et des paysages.

1. Pourvoir à la reconnaissance et à la mise en valeur du patrimoine de proximité


• Depuis plus d'un siècle, le législateur est intervenu pour assurer la protection et la sauvegarde des éléments les plus remarquables du patrimoine national. La loi du 30 mars 1887 offrait au ministre chargé de l'instruction publique et des beaux-arts la faculté de classer les immeubles, appartenant à des personnes publiques ou privées, dont la conservation revêtait du point de vue de l'histoire ou de l'art un « intérêt national », de même que les objets mobiliers détenus par une collectivité publique.

La loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques, plus audacieuse que la précédente puisqu'elle offre à l'État la possibilité de classer un bien sans le consentement de son propriétaire, devait, quelques années plus tard, consacrer l'ensemble des principes élaborés au cours du XIXe siècle, sous l'impulsion en particulier de Guizot, de Ludovic Vitet ou de Prosper Mérimée. Complétée notamment par la loi du 4 août 1962 instituant les secteurs sauvegardés et par la loi du 23 décembre 1970 relative aux objets mobiliers, cette loi constitue toujours aujourd'hui la charte de la protection des monuments historiques en France.

Sur le fondement de cette loi, 14.000 immeubles ont été classés à ce jour 1 ( * ) , et 27.000 autres 2 ( * ) inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Plus de 220.000 objets mobiliers ont été protégés (130.000 classés et 90.000 inscrits).

Le classement ou l'inscription d'un bien à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques impose au propriétaire le respect d'un certain nombre de servitudes, parmi lesquelles l'interdiction de détruire, de déplacer ou de modifier, même partiellement, de restaurer ou de réparer le bien considéré sans avoir obtenu l'accord du ministère de la culture dans le premier cas ou sans l'en avoir préalablement informé dans le second cas. Il emporte également une protection des abords du monument, sur un périmètre de 500 mètres.

En contrepartie, la protection comme monument historique fonde l'intervention de l'État en faveur de la restauration ou de l'entretien de ce patrimoine, soit directement par l'attribution de subventions, soit indirectement par l'octroi d'avantages fiscaux aux propriétaires.

En 1996, le budget de l'État consacrera près de 1,7 milliard de francs en autorisations de programme à la restauration et à l'entretien du patrimoine monumental. Cet effort s'inscrit depuis 1988 dans le cadre de lois de programmation pluriannuelle 3 ( * ) tendant à garantir la continuité de l'action de l'État.


• En revanche, dès lors que l'on excepte la dotation symbolique inscrite depuis 1981 sur la ligne budgétaire « patrimoine rural non protégé », l'intervention de l'État en faveur des monuments non protégés se réduit quasiment à néant.

Or, si l'on se livre à une rapide extrapolation à partir des travaux du service de l'inventaire général, l'on peut estimer entre 400.000 et 500.000 le nombre d'édifices qui, sans justifier d'une protection au titre des monuments historiques, présentent un intérêt artistique, historique ou ethnologique rendant souhaitable leur conservation.

Désignés le plus souvent sous les termes de patrimoine vernaculaire (de vernaculus : indigène, domestique), de petit patrimoine ou de patrimoine de proximité, ces édifices (églises, lavoirs, pigeonniers, maisons typiques, ...), qui émaillent le paysage français, lui donnent son cachet et en font une source inépuisable d'exploitation touristique, constituent plus généralement, selon l'expression de M. Jacques Rigaud, « le tissu conjonctif du patrimoine ».

À ces édifices s'ajoutent également les éléments patrimoniaux qui restent encore aujourd'hui insuffisamment pris en compte par l'État, parmi lesquels notamment les friches industrielles, le patrimoine du XXe siècle, les parcs et jardins ou les sites naturels.

C'est au souci d'identification, de reconnaissance, de préservation et de mise en valeur de ce patrimoine de proximité que la « Fondation du patrimoine » aura vocation à répondre en priorité.


• L'instrument de cette reconnaissance devrait être l'attribution, par la « Fondation du patrimoine », d'un label de qualité.

Ce label n'emportera aucune conséquence juridique : ni servitude imposée au propriétaire, ni protection des abords 1 ( * ) . Il consacrera la reconnaissance, à l'échelon national, de l'intérêt historique, artistique, naturel ou ethnologique particulier de l'édifice ou du site labellisé, justifiant qu'il soit conservé et mis en valeur comme élément du patrimoine national.

Les critères de reconnaissance du patrimoine de proximité, qui seront définis par la « Fondation du patrimoine », devraient logiquement différer de ceux qui président à la protection des monuments historiques. On peut imaginer en particulier que la mobilisation de la population locale, d'une association ou d'une collectivité territoriale en faveur de la sauvegarde d'un édifice ou d'un site constituera, indépendamment de son intérêt propre, un facteur digne de considération pour l'attribution du label. Par ailleurs, la démarche de la « Fondation du patrimoine » pourrait utilement compléter l'action de l'État, notamment dans les domaines où ce dernier vise uniquement à assurer la préservation de quelques monuments témoins particulièrement représentatifs d'une époque, comme c'est le cas par exemple en matière de patrimoine industriel.


• La « Fondation du patrimoine » pourra concourir à la préservation et à la mise en valeur de ce patrimoine de proximité, en apportant son concours financier aux propriétaires, publics ou privés, sous forme d'aides, d'avances remboursables ou de garanties d'emprunts.

Elle pourra également soutenir leur action par ses conseils.

En définissant, de concert avec les associations, les collectivités territoriales et les propriétaires, des opérations de promotion touristique du patrimoine de proximité, la future « Fondation » devrait enfin contribuer à une répartition plus harmonieuse des flux touristiques sur l'ensemble du territoire.

2. Participer au sauvetage des monuments historiques ou des sites naturels menacés

L'article 6 de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques offre à l'État la faculté de procéder à l'expropriation d'un immeuble classé ou en instance de classement, en raison de l'intérêt public qu'il présente du point de vue de l'histoire ou de l'art. La même faculté est ouverte aux communes ou aux départements. L'objectif recherché est d'assurer la sauvegarde d'un immeuble classé menacé de destruction en permettant à une collectivité publique de se substituer, en dernier recours, à son propriétaire défaillant.

L'article 16 de la loi du 2 mai 1930 ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites à caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque confère la même prérogative à l'État en ce qui concerne les monuments naturels et les sites non classés dont il entend poursuivre le classement.

Dans les deux cas, la déclaration d'utilité publique, à laquelle est subordonnée l'expropriation, est prononcée dans les conditions prévues par le code de l'expropriation, sous le contrôle du juge administratif. Depuis 1971 1 ( * ) , celui-ci s'attache notamment à vérifier que les atteintes portées à des intérêts privés ou généraux ne soient pas d'une importance telle qu'elles neutralisent le caractère d'utilité publique de l'opération considérée.

Dans la pratique, l'État a usé avec la plus grande parcimonie des prérogatives qui lui étaient offertes, ne souhaitant pas, sauf exception, accroître son parc de monuments historiques (il gère actuellement près de 900 immeubles classés).

ï À l'image du National Trust britannique, la « Fondation du patrimoine » aura vocation à acquérir les éléments remarquables du patrimoine national menacés de péril.

Créé en 1895 pour protéger les monuments historiques et les sites naturels d'Angleterre, du pays de Galles et d'Irlande du Nord, cet établissement privé est devenu, un siècle plus tard, le plus important propriétaire foncier du Royaume-Uni. Le National Trust Act de 1907 lui interdit en effet d'aliéner ses biens. Il possède désormais 238.000 hectares de terrains, 885 kilomètres de côtes, 220 demeures accessibles au public, 162 parcs et jardins, 940 bâtiments industriels, 446 sites naturels et 40.000 sites archéologiques.

Pour gérer ses propriétés, le National Trust est devenu au fil des ans et par la force des choses, une immense entreprise employant 2.700 salariés et bénéficiant du concours de 28.000 bénévoles (pour l'équivalent de 1,6 million d'heures de travail par an). De nombreux observateurs s'accordent aujourd'hui à reconnaître que le National Trust « croule » de plus en plus sous le poids de ses tâches de gestion.

C'est la raison pour laquelle, si l'exemple britannique sert incontestablement de référence à la « Fondation du patrimoine », il ne saurait être question de rendre inaliénables les biens qu'elle sera amenée à acquérir dans l'exercice de sa mission de sauvetage du patrimoine national ou à recevoir par donations ou par legs.

Cette différence fondamentale avec le National Trust mérite d'être soulignée. La vocation de la « Fondation du patrimoine » sera d'assurer le portage temporaire des monuments ou des sites en péril, l'objectif poursuivi étant qu'elle puisse à terme revendre le bien à une personne publique ou privée capable d'en assumer la restauration et l'entretien.

3. Contribuer à la valorisation et à la présentation au public du patrimoine national

La « Fondation du patrimoine » aura enfin vocation à intervenir pour favoriser la mise en valeur et la présentation au public du patrimoine national.

Sans préjuger des décisions qui seront prises à cette fin par la future « Fondation », on peut imaginer qu'elle participe à la réalisation de guides touristiques présentant tout à la fois le patrimoine protégé, les sites naturels et le patrimoine de proximité d'une région. Elle pourrait aussi, à l'instar du National Trust, se doter d'une petite structure commerciale remplissant en quelque sorte le rôle d'une centrale d'achat, afin d'aider les propriétaires, publics ou privés, à se doter de supports promotionnels. Elle pourrait enfin encourager les propriétaires à améliorer les conditions d'accueil du public (aménagement de comptoirs, par exemple).

* 1 Parmi ceux-ci 700 monuments n'ont fait l'objet que d'un classement partiel (façade, escalier, cheminées...).

* 2 dont 3000 font l'objet d'une inscription partielle.

* 3 Loi de programme n° 88-12 du 5 janvier 1988, pour la période 1988-1993. Loi de programme n° 93-1437 du 31 décembre 1993, pour les années 1994-1998.

* 1 Cette dernière, s'exerçant de façon uniforme sur un périmètre de 500 mètres autour du monument, rendait particulièrement dissuasive et inadaptée toute mesure de classement ou d'inscription pour assurer la protection de ces édifices.

* 1 Conseil d'État, Ass, 28 mai 1971, Ministre de l'équipement et du logement contre fédération de défense des personnes concernées par le projet actuellement dénommé « Ville nouvelle Est ».

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