B. UN SECTEUR FRAGILISÉ

Malgré l'ensemble des mesures prises tant au niveau national que communautaire, et l'effort financier considérable de l'État, le secteur des pêches maritimes et cultures marines demeure dans une situation préoccupante. D'aucuns résument cette fragilité en parlant de secteur dont les bénéfices sont d'ordre agricole, mais les coûts de nature industrielle.

Ainsi eu égard à l'importance des difficultés et aux résultats mitigés de la filière en 1995, une grande réforme s'impose.

Le graphique ci-dessous atteste de la situation fragile du secteur des pêches.

Évolution de l'offre globale et de la demande globale françaises en produits de la mer (1980-1994)

1. Un secteur à réformer

Si les réponses gouvernementales apportées à la suite du rapport de MM. Mettling et Henaff remis au Premier ministre en février 1995, constituent un premier train de mesures nécessaires, elles n'ont pu, en aucun cas, traiter d'un seul coup l'ensemble des problèmes de la filière.

Ce rapport a trouvé son prolongement dans deux missions du COPERCI (comité permanent des coordinations des inspections du ministère de l'agriculture) confiées à MM. Basset, Porry, Roulon et Mme Quilleriet portant respectivement sur la modernisation du statut de l'entreprise de pêche artisanale et sur le rôle des organisations de producteurs. L'un de ces documents 11 ( * ) envisage, notamment, d'étendre à la pêche le dispositif applicable aux agriculteurs en difficulté, en transposant le dispositif « Agridif , qui repose sur la détection la plus précoce possible des difficultés, afin de déclencher, en temps utile, un plan de redressement adapté.

Les causes multiples de la crise du secteur de la pêche en France nécessitent des solutions adaptées et plurielles en fonction du stade où va s'effectuer l'intervention : il est en effet impossible de régler de manière symétrique les dysfonctionnements du marché de la pêche et les problèmes qui pèsent sur le statut légal, fiscal et social des marins-pêcheurs.

Par rapport à d'autres flottilles européennes, les coûts de production des navires français restent élevés (charges sociales, informatisation parfois excessive -sur un coût de 6 millions de francs on compte parfois 1 million de francs d'électronique-). Ainsi, les contraintes économiques et sociales pèsent lourdement sur la flotte de la pêche artisanale, nécessitant une réforme de grande ampleur.

2. Les pêches maritimes et les cultures marines en 1995 : un secteur fragile

a) La production


Une stabilisation très relative pour la pêche maritime

Le chiffre d'affaires des pêches maritimes françaises s'est élevé en 1995 à 5,6 milliards de francs correspondant à une production de 643.900 tonnes de poissons, de crustacés et mollusques (hors cultures marines) répartie en :

PRODUCTION FRANÇAISE DES PÊCHES MARITIMES ET DES CULTURES MARINES

Les résultats 1995 prolongent globalement la tendance de l'année 1994 : la stagnation des quantités débarquées en criées (- 1 %) s'accompagne d'un recul de la valeur des ventes d'environ - 3 %.

Ainsi, en 1995, si certaines espèces ont contribué à maintenir le chiffre d'affaires total des criées, du fait d'une abondance plus élevée que les années précédentes, d'autres ont, par contre, enregistré un manque à gagner important, soit du fait d'un durcissement de la réglementation (limitation de l'effort de pêche aux filets maillants dérivants), soit en raison des aléas du recrutement, très importants dans le cas du poisson bleu. Cette dépendance à l'égard de la ressource, plus forte dans le cas de flottilles spécialisées, a entraîné de fortes disparités régionales. En 1995, ce sont les entreprises basques et vendéennes qui ont été fragilisées par des mauvaises pêches d'anchois et par les limitations d'effort de pêche imposées à une partie de la flottille germonière.

Sur le début de l'année 1996, le bilan que l'on peut dresser de la situation du secteur pêche est encore réservé. De bons débarquements de bar et de rouget ont permis de compenser des déficits sur d'autres espèces comme le merlu et le merlan. Des signes plus encourageants sont toutefois décelables, avec notamment un retour de l'anchois dans le Golfe de Gascogne, et une meilleure tenue des cours de certaines espèces. La revalorisation des cours de la sole, espèce phare de la pêche française, contribue à accroître le résultat des ventes sous criées.

Selon les prévisions disponibles, le suivi journalier des ventes en criées montre un redressement des différents indicateurs. Une comparaison sur les 9 premiers mois des années 1996 et 1995 indique une augmentation des apports de 3,5 %, du chiffre d'affaires de 5,65 % avec des prix moyens en légère hausse.

Cette reprise paraît toutefois fragile car très sensible aux indicateurs « ressources , la crise du marché ayant accru la pression sur les stocks pêchés et exacerbé le poids des contraintes inhérentes à l'exploitation des ressources.


• La production contrastée des cultures marines

Le chiffre d'affaires des cultures marines s'est élevé pour sa part à 2,79 milliards de francs correspondant à une production de 227.670 tonnes, en 1995.

L'aquaculture marine regroupe deux grands volets : la conchyliculture ou aquaculture traditionnelle et les cultures marines nouvelles. Elle compte 14.085 emplois répartis dans 6.681 entreprises.

La conchyliculture demeure l'activité essentielle pour l'année 1995 avec une production de 215.000 tonnes, dont 147.000 tonnes d'huîtres (144.300 tonnes d'huîtres creuses et 2.700 tonnes d'huîtres plates), 64.000 tonnes de moules et 4.000 tonnes d'autres coquillages (palourdes, bigorneaux, ...). Après une diminution observée en 1991 et 1992 (123.000 tonnes), la production d'huîtres creuses a retrouvé, depuis 1993, son niveau de 1990. Cependant, compte tenu des conditions climatiques exceptionnelles, une forte mortalité a atteint les naissains d'huîtres creuses au cours de l'été 1994. Il en est résulté de fortes diminutions de productions dans certains bassins. La sécheresse et l'apparition d'une algue toxique (gymnodinium) en Bretagne et en Vendée observées au cours de l'été 1995 ont occasionné également des pertes de cheptels. De nouvelles mortalités de juvéniles en 1996 ne peuvent manquer d'inquiéter.

Sur un plan socio-économique, la conchyliculture occupe une place importante dans la plupart des régions littorales, souvent marquées par un taux de chômage supérieur à celui de la moyenne nationale. Elle contribue au maintien du tissu socio-économique.

Les difficultés rencontrées en conchyliculture sont liées essentiellement :

- aux risques d'épizooties, qui peuvent être aggravés, dans certains bassins, par de trop fortes densités du cheptel en élevage ;

- à la dépendance étroite du secteur vis-à-vis de la qualité des eaux augmentée par les nouvelles normes de salubrité des coquillages, plus exigeantes ;

- à l'atomisation des structures de production et de commercialisation face à une concentration de la demande de plus en plus forte qui engendre une baisse des prix et affecte la santé financière des entreprises ;

- au morcellement du parcellaire exploité sur le domaine public maritime qui freine la modernisation des exploitations.

Afin de surmonter ces difficultés, les objectifs rappelés dans le plan de secteur pour la période 1994-1999 restent notamment :

- la modernisation des entreprises, notamment par la mise aux normes sanitaires des établissements conchylicoles ;

- la restructuration des bassins conchylicoles par des aménagements de zones. L'élaboration d'une méthodologie en matière de quantification de la capacité de production des bassins permettra de proposer à la profession des schémas de réaménagement des parcs ostréicoles ou de restructuration des bouchots à moules ;

- la diversification des techniques de production, notamment par le développement de la conchyliculture en mer ouverte qui permet la colonisation de nouveaux sites ;

-l'organisation de la profession, afin de mieux répondre aux contraintes et besoins du marché des produits de la conchyliculture ;

- la poursuite des efforts de recherche en matière de pathologie, génétique et physiologie.

LES ENTREPRISES DE CULTURES MARINES EN 1995

b) Les navires


La flotte française compte environ 6.509 navires en activité au 7 octobre 1996 totalisant une puissance de 991.561 kilowatts et une capacité de 176.356 tjb.

Elle se répartit, au 1er janvier 1996, en 164 navires de plus de 25 mètres correspondant à des navires de pêche semi-industrielle et industrielle, 1.582 navires de pêche artisanale, hauturière et côtière (de 12 à 25 mètres) et 4.847 petits côtiers d'une longueur inférieure à 12 mètres.

La Bretagne représente 41 % de la puissance totale, les trois régions méditerranéennes 17,3 %, chacune des autres régions de la façade Manche-Atlantique de 5 % (Haute-Normandie, Poitou-Charentes, Aquitaine à 10 % (Nord-Pas-de-Calais - Picardie, Basse-Normandie, Pays de Loire).

On recense actuellement 5.955 entreprises d'armement à la pêche dont 138 de type sociétaire (le détail est précisé dans le commentaire de l'article 8).


• Avant 1992, le rythme annuel de construction de navires armés à la pêche artisanale était d'environ 40 à 50 par an. Un record de construction a été atteint en 1988 avec 118 nouveaux bateaux.
Actuellement on compte 2 à 3 constructions par an : ce chiffre est notablement insuffisant puisqu'entre temps la flotte vieillit. Il faudrait dès lors construire une quinzaine au moins de navires chaque année pour ne pas être confronté rapidement à une obsolescence totale de la flottille artisanale.

Par ailleurs, les aides à la construction ont été momentanément gelées en avril 1996.

c) Les effectifs


• Les effectifs pour 1995 (17.565 marins) et les prévisions pour 1996 attestent de la poursuite d'une baisse régulière du nombre de marins en France.

Ce recensement de la population maritime est possible en France grâce à l'inscription maritime et aux fichiers du Centre administratif des affaires maritimes (CAAM). Cette évolution de la diminution des effectifs de marins se retrouve un peu partout en Europe même s'il est extrêmement difficile, par exemple sur l'arc Atlantique, de trouver le nombre d'actifs de la pêche de l'Écosse à l'Andalousie.


• Selon l'UNEDIC, le nombre de demandeurs d'emploi indemnisés à la pêche était de 707 en mars 1990, 576 en mars 1991, 511 en mars 1992, 479 en mars 1993, 477 en mars 1994 et 294 en 1995, soit une baisse continuelle dont le rythme s'est ralenti pour se stabiliser en 1994. Le dernier chiffre, fortement à la baisse, s'explique par la mise en place par l'UNEDIC d'un nouveau système de comptage.

La proportion de chômeurs indemnisés est établie aux environs de 3,25 % de la population active du secteur en 1994 et 1,68 % en 1995 avec le nouveau système. Cependant ces chiffres doivent être maniés avec précaution compte tenu des incertitudes qui reposent sur la comptabilisation du chômage à la pêche.

3. Une tendance lourde à la dégradation des termes de l'échange

a) Un déficit chronique de la balance commerciale

Le déficit commercial de la France, dans ce secteur, est structurel : la production nationale ne couvre qu'environ 50 % de la demande intérieure. Cette situation est d'ailleurs celle de l'ensemble de la Communauté : le déficit de la balance commerciale de l'Union représente, globalement, 45 % du bilan des approvisionnements.

Ce déséquilibre s'explique par la conjonction d'une forte demande communautaire -tant en matière première (poisson frais, réfrigéré et congelé) pour les besoins des industries de transformation, qu'en produits transformés (poissons fumés, conserves...) très prisés par les consommateurs- alors que, dans le même temps, on assiste à la diminution des captures débarquées par les flottilles de l'Union, confrontées à une diminution des ressources.

Comme l'illustre les tableaux ci-après, le déficit commercial enregistré en 1995 (10,7 milliards de francs) est l'un des plus mauvais chiffres enregistrés depuis 1990, dû en partie à une augmentation du flux d'importations.

Évolution du solde de la balance commerciale des produits de la mer de la France
(en milliards de francs par an)

Cette augmentation en valeur du déficit de la balance commerciale est due en partie en 1995 à une progression des flux d'importations conjuguée à un léger repli des exportations, malgré une bonne tenue de leur valeur.

Évolution du solde de la balance commerciale des produits de la mer de la France
(en millions de tonnes par an)

Le déficit de la balance commerciale des produits de la mer n'a cessé de croître au cours des années 1980, passant de sept milliards de francs constants en 1980 à onze milliards de francs constants en 1990. Après un maximum d'onze milliards de francs constants en 1991, on assiste à une relative stagnation de la tendance. Le déficit du commerce extérieur atteint 10,1 milliards de francs en 1994 et 10,76 en 1995.

L'analyse de l'approvisionnement des marchés français de produits de la mer est riche d'enseignements 12 ( * ) (les pourcentages représentent les parts respectives de la pêche nationale et des importations dans l'approvisionnement d'un marché) :

b) Les importations


En 1995, le montant des importations s'est élevé à 15,6 milliards de francs pour 803.000 tonnes.


• Ce déficit est dû en premier lieu aux importations de poissons frais (21 %), de crustacés (21 %), de préparations et conserves de crustacés et mollusques (18 %) et de filets (15 %). Quatre espèces (crevettes, saumons, thon et cabillaud) concentrent 47 % de la valeur des importations en 1995.

Importations françaises de produits de la mer par espèce en 1995


• Nos principaux fournisseurs sont le Royaume-Uni (un peu moins de 2 milliards de francs), la Norvège (1,6 milliard) et le Danemark (1,3 milliard). Cependant l'origine extracommunautaire des importations françaises prédomine (55 %). La progression la plus spectaculaire provient des importations depuis la Côte d'Ivoire qui s'accroissent de 79 % en 1995 par rapport à l'année précédente pour s'établir à 1,18 milliards de francs.

Importations françaises de produits de la mer en 1995 par pays fournisseur

c) Les exportations

En 1995, le montant des exportations atteignait 4,80 milliards de francs pour 376.000 tonnes. Nos principaux clients sont l'Espagne (26 %), l'Italie (15 %), l'Allemagne (11 %), l'UEBL (9 %) et la Côte d'Ivoire (6 %).

Exportations françaises de produits de la mer par espèce en 1995

Exportations françaises de produits de la mer en 1995 par pays client (en millions de tonnes)

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Face à cette situation qui montre la fragilité du secteur, et afin de tracer des perspectives claires et de donner aux professionnels les moyens institutionnels de surmonter la crise actuelle et d'accomplir la mutation que tous reconnaissent aujourd'hui nécessaire, le Gouvernement, après une concertation étroite avec les milieux professionnels et à la lumière de plusieurs rapports, a décidé de présenter au Parlement un projet de loi d'orientation.

* 11 Rapport de mission sur la situation des pêcheurs en difficulté de MM. Daniel Basset, Jean-Louis Porry, Paul Roulon et Mme Annie Quilleriet-Eliez - mai 1995

* 12 Source : H. Bauer, FIOM, 1995

Source : H. Bauer, FIOM, 1995

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