3. L'harmonisation fiscale en Europe

Le processus d'harmonisation de la fiscalité en Europe illustre les principes retenus en ce domaine par les Etats européens et les choix privilégiés par eux.

Les compétences communautaires en matière fiscale sont inégalement développées

a) Les compétences communautaires en fiscalité directe sont réduites

Le chapitre du Traité de Rome consacré aux règles fiscales ne traite pas des impôts directs.

Les fondements juridiques de l'intervention de la Communauté en la matière sont donc les suivants :


Non discrimination selon la nationalité

Le Traité comporte des dispositions visant à assurer la libre circulation des travailleurs (article 48) et des capitaux (article 67) et le libre établissement des entreprises (article 52).

La Cour de Justice des Communautés européennes interprète ces dispositions générales comme ayant une portée fiscale. Elle leur donne ainsi une interprétation extensive : ainsi estime-t-elle que les discriminations en matière de "rémunération", interdites par l'article 48, incluent les discriminations dans le traitement fiscal des rémunérations.

Ces dispositions ne permettent cependant pas de fonder une véritable harmonisation des fiscalités nationales. Elles n'interdisent que les différences de traitement fondées sur la nationalité.

La Cour peut certes aller encore plus loin dans l'extension de ce concept.

Encore faut-il observer que le seul véritable enjeu d'une telle extension est le maintien ou non de la distinction entre résident et non-résident, opérée pour des raisons objectives par toutes les fiscalités.

Or le Traité de Maastricht a conforté cette distinction en introduisant un article 73 D : ce texte prévoit que les Etats membres peuvent appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables ne se trouvant pas dans la même situation quant à leur résidence ou quant au lieu où leurs capitaux sont investis, sous réserve que ces distinctions ne constituent pas une restriction déguisée à la libre circulation.

La France est assez exemplaire en matière de non discrimination parmi les Etats membres. Elle se distingue de plusieurs de ses partenaires en donnant une portée effective au principe de traitement national prévu par le Traité (bénéfice de l'avoir fiscal et du régime mère/fille accordé aux établissements stables en France d'entreprises d'autres Etats membres). Par ailleurs, la législation fiscale française ne connaît pas de dispositions discriminatoires telles que celles qui ont été récemment attaquées devant la CJCE dans les affaires Commerzbank (refus du Royaume-Uni d'accorder aux non-résidents les intérêts moratoires accordés aux résidents) ou Schumackers (refus de l'Allemagne d'accorder aux non-résidents la prise en compte des charges de famille).


L'article 100

Cet article stipule que "le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, arrête des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres qui ont une incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du marché commun".

Il a été admis que cette disposition générale pouvait concerner la fiscalité. Mais elle comporte plusieurs limites :

- cet article ne peut être mis en oeuvre que pour modifier les dispositions nationales qui ont une incidence directe sur le marché commun ;

- ce rapprochement ne peut s'opérer que par la voie de directives (définies par l'article 189 du Traité), à l'exclusion de règlements, ce qui vise à garantir aux Etats membres la maîtrise des modalités d'application du principe retenu au niveau communautaire ;

- la directive ne peut être adoptée qu'à l'unanimité des Etats membres.

L'Acte unique, pour remédier aux difficultés créées par la règle d'unanimité, a prévu à l'article 100 A la possibilité d'adopter certaines directives à la majorité qualifiée. Mais le paragraphe 2 de cet article exclut expressément les dispositions fiscales de cette procédure.

Aux conditions déjà posées par l'article 100, s'ajoute désormais le principe de subsidiarité.


• Le principe de subsidiarité

L'article 3 B du Traité sur l'Union européenne dispose :

"La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité.

"Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire.

"L'action de la Communauté n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité ".

Dès lors que, pour l'essentiel, la fiscalité directe relève de la compétence nationale, mais que la Communauté a, en ce domaine, une compétence en vertu de l'article 100, même si cette compétence est subsidiaire et conditionnelle, la fiscalité directe peut être considérée comme un domaine "qui ne relève pas de la compétence exclusive de la Communauté", soumis en tant que tel au principe de subsidiarité (deuxième et troisième alinéas de l'article 3 B).

La Communauté n'est donc fondée à agir en cette matière que lorsque l'objectif peut être mieux réalisé à son niveau qu'à celui des Etats membres agissant unilatéralement ou par la voie d'accords bilatéraux ou multilatéraux. Les moyens qu'emploie la Communauté doivent, de surcroît, être proportionnés à l'objectif poursuivi.


L'article 220

L'article 220 est la seule disposition du Traité qui vise expressément la fiscalité directe. Il prévoit l'obligation pour les Etats membres d'engager entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue d'assurer en faveur de leurs ressortissants l'élimination de la double imposition à l'intérieur de la Communauté.

Encore est-il difficile de considérer comme juridiquement contraignante une obligation formulée en termes aussi peu impératifs : il y a obligation de négocier mais non de conclure, et encore seulement "en tant que de besoin". Ainsi la Cour n'a-t-elle jamais sanctionné de manquement de la part de la Grèce, du Luxembourg, du Portugal et de l'Irlande, qui n'ont pourtant pas une convention fiscale avec chacun des autres Etats membres. Au demeurant, la France, quant à elle, a un réseau de conventions complet avec les autres Etats membres.

C'est sur cette base qu'a été adoptée la convention d'arbitrage européenne du 23 juillet 1990, qui prévoit un dispositif destiné à résoudre les conflits de double imposition en matière de redressement de bénéfices entre entreprises associées d'Etats membres différents.

b) Les compétences en matière de fiscalité indirecte sont plus étendues

Le traité relatif au Marché commun comportait un chapitre, toujours en vigueur, composé de cinq articles (articles 95 à 99) intitulé "Dispositions fiscales".

Seul l'article 99 peut être considéré comme servant de base à un éventuel processus d'harmonisation européenne.

Les autres articles contiennent en effet des mesures classiques de désarmement fiscal inspirées du principe du traitement national des biens et produits.

L'article 99 stipule :

"Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête les dispositions touchant à l'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, aux droits d'accises et autres impôts indirects, dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur dans le délai prévu à l'article 7 A."

Il est à observer que l'harmonisation est encadrée par la nécessité d'assurer l'établissement et du fonctionnement du marché extérieur".

Cette réserve d'usage est cependant moins contraignante que les conditions de vote requises pour procéder à l'harmonisation. L'unanimité est exigée.

Cette condition restrictive n'a pas empêché que des progrès considérables soient réalisés dans le sens de l'harmonisation en matière de TVA.

Bref rappel du processus d'harmonisation en matière de TVA

Lors de l'établissement du Marché commun, seule la France pratiquait un système de TVA, les autres Etats-membres appliquant un système de taxe sur le chiffre d'affaires en cascade.

Cette modalité d'imposition permettait aux Etats de fausser la concurrence. Comme le montant de l'impôt frappant un bien ou un service ne pouvait être déterminé avec précision, il suffisait à l'Etat de l'exportateur de surévaluer l'imposition à ristourner à son entreprise et à l'Etat d'importation de surévaluer lui-même l'imposition à appliquer au bien ou service importé.

Pour pallier ces difficultés, deux directives du 11 avril 1967 ont été adoptées suivies dix ans plus tard par la directive du 17 mai 1977 qui harmonisait l'ensemble des règles relatives à la TVA, excepté les taux.

Ceux-ci s'étageant de façon disparate, les Etats-membres s'engagèrent en décembre 1989 à ne pas aggraver les disparités de leurs taux de TVA.

Cet objectif fiscal est aujourd'hui juridiquement encadré par la directive n° 92/77/CEE du 19 octobre 1992 qui fixe les règles d'harmonisation des taux de TVA entre les Etats-membres.

En vertu de cette directive, les Etats peuvent appliquer :

- un taux normal, qui ne peut être inférieur à 15 % ;

- un ou deux taux réduits, qui ne peuvent être inférieurs à 5 % et qui ne peuvent s'appliquer qu'aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories énumérées en annexe H de la directive.

Pendant la période transitoire précédant la mise en oeuvre du régime définitif de TVA intra-communautaire, c'est-à-dire en théorie jusqu'au 31 décembre 1996, une tolérance existe en faveur des taux dérogatoires existant dans certains Etats-membres :

- le maintien du taux zéro, ouvrant au remboursement de la TVA facturée en amont, pour les pays qui appliquaient un tel taux avant le 1er janvier 1991 (Belgique, Danemark, Irlande, Royaume-Uni) ;

- le maintien des taux super réduits, inférieurs à 5 %, quand ils existaient avant le 1er janvier 1991 (Belgique, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg).

L'harmonisation en matière de TVA est incomplète :


• les taux sont inégaux selon les Etats ;


• les règles de déduction, les exonérations et les régimes particuliers sont disparates.

Le système concernant la TVA intracommunautaire est donc essentiellement transitoire.

La Commission des Communautés européennes a, dans la perspective du passage à un régime définitif, présenté, le 22 juillet 1996, un document intitulé "Un système commun de TVA. Un programme pour le marché unique".

Il propose une harmonisation des taux laissant subsister un système de fourchettes et évoque des mesures d'harmonisation concernant les divers autres éléments du régime de TVA en Europe.

Mais, surtout, il propose d'abandonner l'attribution directe des recettes des TVA par le système de taxation et d'y substituer un mécanisme de réattribution des recettes.

Les projets de la commission modifient profondément l'impact de notre régime de TVA sur la compétitivité économique nationale puisqu'ils s'accompagneraient de la suppression des mécanismes de détaxation-taxation des échanges entre Etats membres.

En outre, voir supra, ils supposent une harmonisation beaucoup plus poussée des régimes de TVA des Etats membres et une harmonisation concernant les variables essentielles du régime proposé.

En effet, comme celui-ci se fonderait sur une attribution des recettes de TVA en fonction de la consommation taxable dans chaque Etat, il conviendrait de parvenir à une complète harmonisation des conditions de définition de cette variable et donc à une transparence et une sincérité égales à son évaluation statistique.

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Le processus d'harmonisation fiscale est semé d'embûches.

La souveraineté des Etats s'oppose à une harmonisation décidée en dehors d'eux.

Mais elle milite pour que soit menée une harmonisation négociée afin d'éviter qu'une harmonisation imposée à eux ne l'emporte.

Deux dossiers sont prioritaires en matière d'impôts directs :

- l'élimination de la double imposition des revenus transfrontaliers. Cet objectif ne saurait être atteint sans que les revenus en cause ne soient imposés au moins une fois ;

- la question des incitations fiscales en faveur des capitaux à forte mobilité internationale.

La résolution des problèmes posés implique un fort engagement des Etats qu'il convient de soutenir.

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