III. LE SECTEUR PUBLIC ET LA TÉLÉVISION NUMÉRIQUE

A. LES BATAILLES DU NUMÉRIQUE EN EUROPE

Avant d'étudier les projets du secteur audiovisuel public français pour l'introduction de la télévision numérique diffusée par satellite, il est nécessaire de dresser un tableau des alliances, des renversements d'alliance, des stratégies, et des batailles, menées de janvier à septembre 1996, qui ont eu pour enjeu de dessiner le futur paysage de la télévision européenne de demain. Tout en sachant que tout cela est fluctuant et que les évolutions sont...difficilement prévisibles.

1. L'ambition de Canal + : être l'opérateur dominant de la télévision numérique en Europe

Fin 1996, Canal + domine les marchés français et espagnol de la télévision à péage. Sa participation dans la chaîne à péage allemande Premiere lui assure, en outre, une position sur le marché germanophone, le premier marché audiovisuel d'Europe.

Le groupe est aujourd'hui présent directement ou par le biais de sa filiale CanalSatellite sur l'ensemble de la chaîne de l'image : production, achat de programmes, de droits de diffusion, organisation de bouquets de programmes, diffusion et création d'un parc de terminaux.

Canal + est ainsi devenu un interlocuteur obligé de la télévision numérique en France et en Europe. S'il a acquis une position forte et assurée, des revers furent aussi subis, au printemps 1996, jusqu'à son alliance avec Nethold.

a) Les atouts de Canal + : l'expérience et l'anticipation

Présent depuis dix ans dans la télévision hertzienne à péage, assuré d'une position forte - plus de quatre millions d'abonnés - et disposant de moyens financiers importants - 7 milliards de fonds propres -, Canal + est le premier opérateur audiovisuel à avoir pris position en France sur le marché de la réception directe par satellite avec CanalSatellite, dont le bouquet compte aujourd'hui 290 000 abonnés.

La stratégie de Canal + est tout d'abord marquée par le choix de la diffusion de son projet de bouquet numérique sur les satellites de la Société européenne de satellite plutôt que ceux de France Télécom.

Mécontent du peu d'empressement que lui manifestait l'opérateur public, France Télécom, et regrettant le manque de souplesse de l'organisation Eutelsat, Canal + annonçait, le 1er novembre 1994, la location de six répéteurs sur le satellite Astra.

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L'histoire d'un mariage raté du fait de l'interventionnisme abusif des pouvoirs publics

Les pouvoirs publics ont toujours usé de leur pouvoir de tutelle pour peser sur révolution du secteur audiovisuel. Cette politique pouvait avoir une efficacité réelle dans un cadre national quasi monopolistique ; elle ne l'est plus dans le secteur concurrentiel dominé par de grands groupes de communication de l'audiovisuel numérique.

Canal + et France Télécom ont fait les frais de cet interventionnisme à mauvais escient, comme le rapport Vanderchmitt l'a souligné :

« Le marché français de la réception directe par satellite aurait dû être façonné par l'accord entre France Télécom et Canal +, l'un apportant une capacité de diffusion essentiellement adaptée au territoire national, l'autre un bouquet attractif et des capacités technico-commerciales de gestion d'un parc d'abonnés. Sur le marché émergent de la télévision numérique, ces qualités sont en effet déterminantes. Or, l'avènement de la télévision numérique a aussi été l'occasion de la rupture entre les deux principaux acteurs du marché français.

« France Télécom n'a sans doute pas mesuré la fragilité de sa situation face à Canal +, sur un marché de la capacité satellitaire devenu européen et dont l'offre s'est considérablement élargie : le marché était « demandeur », il est devenu « offreur », Canal +, au démarrage des programmes CanalSatellite sur Télécom 2 en 1992, était demandeur d'une coopération avec France Télécom qui détenait alors le seul vecteur capable de couvrir correctement la France. Le lancement des programmes Hot Bird, le succès d'Astra, l'incertitude sur la continuité des programmes de France Télécom ont renversé le rapport de forces.

« S'il est vrai que France Télécom n'a pas pu anticiper ce renversement, l'entreprise n'a pas non plus bénéficié d'une liberté de manoeuvre comparable à la SES 1 dans une négociation difficile avec un acteur dominant. En particulier, alors que se dessinait la perspective de la diffusion numérique, la tutelle n'a pas su choisir entre le risque de monopole créé par les relations privilégiées entre France Télécom et Canal +, et le risque de faire perdre à l'opérateur public le seul client qui avait développé un projet sérieux sur le marché français.

Cette ambiguïté s'est traduite par l'impossibilité pour France Télécom de mener une négociation équilibrée sur des bases commerciales. En l'absence d'une réglementation adaptée au satellite dont on a vu les difficultés d'élaboration, les pouvoirs publics ont pu craindre l'établissement d'un quasi monopole sur la télévision à péage en France dont le titulaire aurait été Canal +. Pour limiter ce risque, les pouvoirs publics ont cherché en 1992 à imposer à CanalSatellite l'utilisation du système d'accès conditionnel normalisé Eurocrypt. Cette tentative a échoué devant la détermination de Canal + d'utiliser son propre système d'accès conditionnel Syster.

Ce faisant, les négociations n'ont pas été conduites par France Télécom directement, mais par les ministères de tutelle qui ont finalement signé un protocole d'accord en septembre 1992 autorisant la montée du bouquet analogique de CanalSatellite sur Télécom 2A avec un système d'accès prioritaire en contrepartie d'engagements de Canal + sur le D2-Mac et le 16/9.

« Pour le futur bouquet numérique, les négociations entamées en 1993 entre France Télécom et Canal + se sont heurtées au même interventionnisme contreproductif : l'annonce en juin 1993 par le ministre de l'Industrie du lancement de Télécom 2C et 2D a tué dans l'oeuf la première phase des négociations, pour lesquelles ces lancements étaient un argument majeur de la partie publique.

« En octobre 1993, le lancement d'un appel d'offres pour l'octroi des canaux de Télécom 2D et de certains canaux libérés sur Télécom 2A répondait au même objectif des pouvoirs publics d'éviter un monopole de Canal + sur ces futurs canaux numériques. Cette annonce a conduit Canal + à rompre ses négociations avec France Télécom et à décider de monter sur Astra, la chaîne cryptée estimant ne pas disposer du nombre suffisant de canaux pour lancer son programme numérique ».

Source : rapport Vanderchmitt, décembre 1995

En outre, l'acquisition de droits audiovisuels, qui constituent le « contenu » indispensable pour alimenter les « tuyaux » utilisés par les chaînes numériques, doit être considérée comme un autre atout puissant de Canal +. La chaîne a lancé, le 7 juin 1996, une offre publique d'échange amicale sur la société de droits audiovisuels UGC-DA .

Créé en 1985, Canal + est progressivement devenu le premier groupe français de droits audiovisuels et le deuxième groupe européen, notamment après le rachat du catalogue Lumière. Il dispose des droits mondiaux pour plus de 5 000 heures de programmes, tournés surtout vers le marché domestique français.

Cette acquisition complète opportunément celle du catalogue de droits audiovisuels de Carolco , en mars 1996, pour 300 millions de francs, ce dernier catalogue étant essentiellement composé de films internationaux à succès.

Ces achats sont stratégiques, car la société qui aura les meilleurs programmes dominera le marché de la télévision numérique.

Fort de son expérience sur le marché de la télévision payante, des droits audiovisuels qu'il a acquis et des alliances qu'il a nouées, le groupe Canal + est le deuxième, après le bouquet du groupe AB Production, à se lancer sur le marché de la télévision numérique par satellite, payante, en démarrant, le 27 avril 1996, la commercialisation du bouquet de programmes CanalSatellite, diffusé sur le satellite Astra 1E.

b) Le développement d'une technologie numérique propre et l'alliance avec Bertelsmann

Canal + a développé avec Bertelsmann, depuis son alliance conclue le 23 juillet 1994, un système propre d'accès conditionnel et a lancé la pré-production de terminaux numériques.

Cette technologie fut partagée avec le groupe Bertelsmann ( ( * )31) au sein d'une filiale commune, la SECA, Société européenne de contrôle d'accès. Le procédé a été adopté par plusieurs partenaires européens dans le cadre d'une société de droit allemand créée à cet effet, la Multimédia Betriebsgesellschaft, ou MMBG.

La technologie développée par le groupe privé français fut transformée en standard de la télévision numérique en Allemagne lorsque Deutsche Telekom s'est prononcée, le 17 août 1995, en faveur du système de contrôle d'accès de la SECA .

Deutsche Telekom, en tant que propriétaire du plus important réseau câblé d'Europe (16 millions de foyers) et Vebacom, filiale du groupe allemand d'électricité Veba et du britannique Cable & Wireless, premier propriétaire privé de réseaux câblés en Allemagne détiennent à eux deux la majorité de la MMBG -51%-, tandis que les diffuseurs se répartissent les 49 % restants : Canal +, Bertelsmann, CLT, RTL, ainsi que les chaînes publiques ARD et ZDF, à hauteur de 11 % .

En décembre 1995, le groupe allemand Kirch, spécialisé dans le négoce de droits audiovisuels et qui ambitionnait de jouer un rôle majeur sur le marché de la télévision numérique, rejoignait le consortium.

Une société commune détenue à parts égales par la SECA et Betatechnik, filiale du groupe Kirch, permettra aux partenaires de percevoir des dividendes sur les ventes des logiciels d'accès de la SECA. Cet accord a été analysé comme une compensation financière en faveur du groupe Kirch, qui avait engagé près de 350 millions de francs en frais de développement et 3,5 milliards de francs pour la commande d'un million de décodeurs au groupe finlandais Nokia.

Mais Kirch ne restera pas longtemps dans cette alliance, qu'il quittera au début du mois de mars 1996.

c) Le temps des alliances (janvier-mars 1996)

Au début de l'année 1996, le groupe de Rupert Murdoch, News Corp, a mené, via sa filiale anglaise BSkyB - qu'il contrôle à hauteur de 40 % -, des négociations avec la CLT pour la constitution d'un éventuel bouquet numérique.

Comme News Corp possède un studio de production à Hollywood et d'importants catalogues de films américains, ces tractations ont été sévèrement critiquées par ceux qui voient dans le groupe Murdoch le « cheval de Troie » des programmes américains en Europe. Un projet d'alliance était même évoqué au conseil d'administration de la CLT tenu le 5 février 1996.

Cet accord aurait pu constituer un risque important pour l'alliance Canal + - Bertelsmann. La chaîne BSkyB occupe, en effet, sur le marché britannique une position équivalente à celle de Canal + sur le marché français.

Après la rupture des négociations entre les partenaires de la MMBG et Kirch, Bertelsmann et Canal +, Havas et le groupe Murdoch ont annoncé, le 6 mars 1996, la constitution d'une vaste alliance afin de lancer un bouquet de télévision numérique sur le marché allemand.

Elle se concrétiserait par la création d'une société détenue à 30 % par Canal +, BSkyB, Bertelsmann et, à hauteur de 10 %, par Havas.

Cette alliance a eu pour effet de placer la CLT et Havas dans une position difficile : parce qu'elle se retrouvait ainsi exclue d'un projet numérique fondamental, et en raison de ses participations à la fois dans Canal + et dans la CLT.

L'accord, ressenti par M. Albert Frère, président du Groupe Bruxelles-Lambert, principal actionnaire de la CLT, comme une trahison, eut ainsi pour effet de creuser le fossé entre Havas et le groupe luxembourgeois. Le groupe Bruxelles-Lambert a, en outre, annoncé la vente de sa participation (4,3 %) qu'il détenait, par le biais d'Audiofina, dans le groupe français, lequel détient lui-même l'exclusivité des contrats de régie publicitaire de la CLT, via la société IP. Pour Havas, la perte de la régie publicitaire de la CLT signifierait une perte considérable de marché, sans doute de plusieurs milliards de francs.

Au delà de la télévision numérique, cet accord pourrait remettre en cause le pacte économique et politique de 1974 qui a partagé la CLT présente en France, en Belgique et au Luxembourg. Havas, alors entreprise publique, représentait, avec 20 % du capital, les intérêts français, le Groupe Bruxelles-Lambert, avec 30 %, les intérêts belges, alors que le Luxembourg obtenait que la moitié des administrateurs de la CLT soient de nationalité luxembourgeoise.

L'alliance ne concerne toutefois que le marché allemand, puisque l'accord n'est pas transposable en France, où Canal + souhaite garder sa position dominante, pas plus qu'en Grande-Bretagne, pour les mêmes raisons et pour BSkyB.

Elle pourrait avoir comme conséquences, à moyen terme, la cession par Kirch de ses parts dans la chaîne Premiere par BSkyB et la relance des efforts de la part de la CLT et de Bertelsmann pour contrôler seuls la première chaîne privée allemande, RTL.

A long terme, l'entrée du groupe Murdoch, dont les liens avec l'industrie cinématographique et audiovisuelle américaine sont étroits, au sein d'une alliance numérique européenne pourrait dédouaner les autres opérateurs audiovisuels européens des réactions suscitées par la recherche d'alliances avec les groupes américains, comme Viacom ou Disney. Le silence de ceux qui dénonçaient les discussions entre la CLT et Murdoch, considéré comme le « cheval de Troie de l'impérialisme culturel américain » en dit long sur leurs réelles motivations...

Pour Canal +, l'alliance a eu un avantage économique immédiat et considérable. Elle lui a, en effet, permis de voir sa capitalisation boursière gagner 3 milliards de francs en quelques jours, le titre passant de 850 à 1 200 francs environ...

2. Les revers de la stratégie de Canal + au printemps 1996

Canal +, dont la majorité des abonnés continuent de recevoir les programmes en mode analogique, s'est vu, au printemps 1996, fermer l'accès au marché allemand au terme d'une succession de volte-face dont le groupe Kirch a tiré profit.

a) La transition de l'analogique au numérique

Le nombre d'abonnés qui reçoivent les programmes de Canal + en mode analogique à partir des satellites Télécom 2A et 2B a progressé de façon spectaculaire, étant multiplié par dix en trois ans et passant de 20 000 à 215 000. Ce chiffre reste encore élevé, puisque l'on comptait 320 000 abonnés en mars 1996.

En outre. 40 000 abonnés reçoivent les programmes de la chaîne cryptée à partir des satellites TDF1-TDF2.

Dès lors, la transition de ce parc vers les satellites Astra, qui occupent une autre position orbitale - ce qui suppose de changer ou de modifier l'orientation des paraboles - va poser un grave problème de gestion à Canal +, qui dispose aujourd'hui de trois positions orbitales différentes pour diffuser ses programmes.

Canal + ne commettra certainement pas l'erreur commerciale du groupe hollandais Holland média groep , filiale de la CLT, qui a brusquement cessé de diffuser en mode analogique, en juillet 1996, trois chaînes généralistes en clair, RTL4, RTL5 et Veronica, contraignant les téléspectateurs à changer leur décodeur analogique pour acquérir un décodeur numérique...

b) Le départ de Kirch

Après plusieurs semaines d'atermoiements, le groupe Kirch a annoncé, le 5 mars 1996, la constitution d'un bouquet concurrent de celui de Bertelsmann et Canal +.

Il a entraîné dans son départ de la MMBG le groupe Vebacom. La chaîne suisse de grands magasins Metro a apporté, dans cette alliance, son réseau commercial afin de constituer un réseau de commercialisation et de recouvrement des abonnements. Sur le plan organique cependant, le groupe Kirch est resté à l'écart de la société constituée par Metro et Vebacom et se contentera de fournir les programmes, à partir de son catalogue de 50 000 heures de programmes, et les décodeurs, grâce au brevet qu'il possède pour le « D-Box », construits par le groupe sud-africain Nethold.

Il a, le 11 juin 1996, annoncé les futurs programmes de la société Digitales Fernsehen 1 et de douze chaînes à péage qui ont émis à partir du 28 juillet 1996, et qui sont accessibles pour environ 75 francs par mois. D'ici fin 1996, le groupe compte lancer une trentaine de chaînes et recueillir 200 000 abonnés.

Ce revirement du groupe Kirch pèse sur l'avenir de la structure de Premiere, seule chaîne cryptée allemande, qui sera le noyau dur d'un bouquet de programmes numériques. Son capital est, en effet, partagé entre Bertelsmann et Canal +, qui disposent de 37,5 % du capital chacun, et le groupe Kirch, qui possède les 25 % restants. Or les bouquets de ces opérateurs vont utiliser deux décodeurs différents : le Mediabox pour Bertelsmann - Canal +, ou le D-Box.

c) L'alliance des exclus

L'alliance Murdoch-Canal +-Bertelsmann-Havas, laissant la CLT à l'écart, a suscité de la part de cette dernière une contre-offensive vigoureuse.

Sur le marché français, un accord était conclu, le 6 mars 1996, pour lancer un bouquet numérique en Allemagne et dans d'autres pays européens.

Mais au bout de trois mois, les partenaires français et britannique « déchantaient » devant le manque de progrès de l'alliance qu'ils attribuèrent à l'inertie de Bertelsmann. Le géant allemand convoitait en effet la CLT, grande exclue de cette alliance, afin de créer le premier groupe audiovisuel européen.

d) L'accord Bertelsmann - CLT

Le 2 avril 1996, Bertelsmann et Audiofina s'associaient à parité au sein de la CLT.

Les deux parties contrôleront, aux termes de cet accord, 97 % de la CLT. La nouvelle entité, CLT-UFA, regroupera alors l'ensemble des participations et activités audiovisuelles de la CLT et toutes les activités audiovisuelles de Bertelsmann.

e) La volte-face de Murdoch et le retrait de Bertelsmann

Le 6 juin 1996, le groupe britannique BSkyB se retirait de l'alliance Bertelsmann-Canal +-Havas pour s'allier, le 8 juillet 1996, avec le groupe Kirch sur le marché de la télévision numérique en Allemagne et prenait une participation au bouquet numérique DF1 (à hauteur de 49 %).

Le groupe de Murdoch, qui prend pied en Europe continentale de façon plus confortable qu'avec l'accord conclu avec Bertelsmann (dans lequel il était minoritaire) a apporté 1,6 milliard de francs dans la plate-forme numérique DF1 et a aidé le groupe Kirch à financer sa chaîne sportive DSF. Les deux alliés bénéficient d'atouts importants pour les programmes de la télévision numérique : les droits de retransmission du sport et une offre abondante en matière de films. Kirch a acquis les droits de retransmission des coupes du monde de football de 2002 et de 2006 - pour le prix de 11 milliards de francs - et l'exclusivité des droits de retransmission pendant cinq ans des films de la Paramount, et Murdoch est propriétaire des studios de la 20th Century Fox.

Ce nouveau retournement d'alliance est consécutif au rapprochement entre Bertelsmann et la CLT. Il allait entraîner le retrait définitif du groupe allemand du marché numérique, le 18 septembre 1996.

Le groupe allemand ayant versé à Audiofina une soulte de 5 milliards de francs, correspondant au montant des investissements projetés pour le développement dans le numérique, le projet de bouquet numérique Club RTL fut abandonné dès juin 1996 . La culture d'entreprise du groupe allemand n'était pas axée sur la télévision. En outre, la lenteur des premiers retours sur investissement - huit ans - ont effrayé les dirigeants de Bertelsmann. L'opérateur reste présent dans Premiere, mais il doit compter avec le groupe Kirch, qui a profité du refus de Bertelsmann de conclure des accords avec les studios américains Warner et MCA-Universal pour signer des accords de longue durée avec les principaux majors américains.

3. L'alliance avec Nethold (septembre 1996)

Canal + (7 millions d'abonnés en Europe) et le groupe sud-africain Nethold (1,5 million d'abonnés en Scandinavie, Italie, Bénélux, Europe centrale) ont annoncé, le 6 septembre 1996, leur décision de fusionner.

Grâce à une émission de 6,1 millions d'actions à laquelle s'ajoute une soulte de 45 millions de dollars (225 millions de francs), Canal + prendra le contrôle à 100 % des filiales audiovisuelles européennes de Nethold. Les chaînes extra-européennes resteront la propriété des actionnaires de Nethold, MIH et Richemont entrent dans le capital de la chaîne française à hauteur de 5 et 15 % respectivement.

Cet accord consolide la chaîne comme le premier distributeur de programmes payants en Europe devant Rupert Murdoch , qui domine la diffusion satellitaire en Grande-Bretagne avec plus de 5 millions d'abonnés, et Leo Kirch, qui s'est imposé comme le principal acteur du jeu numérique en Allemagne, Canal + est présent à lui seul dans le reste de l'Europe. Avec cette alliance, il s'est enrichi d'un actionnaire de poids et expérimenté.

Il est désormais difficile à un opérateur américain de s'installer comme distributeur d'images en Europe et de venir déstabiliser les marchés, alors que Disney-ABC, TCI, premier câblo-opérateur mondial, Hughes, propriétaire de DirecTV, et qui s'intéressait à Nethold commençaient à prospecter le marché européen et projetaient de lancer leurs propres bouquets numériques.

L'accord avec Nethold règle également la guerre des décodeurs numériques. Après s'être entendus pour imposer une norme officielle de codage en Europe, les deux groupes se disputaient les territoires pour imposer chacun leur système de contrôle. L'absorption de l'un par l'autre met fin à la guerre technologique.

Cette acquisition permet aussi à Canal + de prendre pied dans des pays où il était auparavant totalement absent, comme l'Italie où domine Telepiu, unique chaîne payante contrôlée par Léo Kirch (45 %) et Silvio Berlusconi (10 %).

LE NUMÉRIQUE EN EUROPE

(Janvier - Septembre 1996)

4 janvier : Philippe Douste-Blazy, ministre de la Culture, et François Fillon, ministre délégué à La Poste, aux Télécommunications et à l'Espace, confient à M. Philippe Levrier une mission sur le devenir de la diffusion numérique terrestre, afin d'éclairer les pouvoirs publics sur l'opportunité et les conditions possibles de développement technologique du numérique comme support audiovisuel.

7 janvier : lors de la présentation de ses voeux, Jean-Pierre Elkabbach, alors président de France Télévision, annonce qu'un bouquet numérique comprenant TF1, France 2, France 3, France Supervision, ARTE et La Cinquième sera lancé en mars, à titre expérimental et en clair, sur Eutelsat.

22 janvier : la société MMBG, qui commercialisera les décodeurs pour la télévision numérique en Allemagne, finalise son tour de table : 26,8 % pour Deutsche Telekom, 23,9 % pour Vebacom, 9 % pour Leo Kirch comme pour Bertelsmann. Le reste du capital est détenu par la CLT et les chaînes RTL, ZDF, ARD et Canal +.

1er février : TF1 présente son système de vidéo à la demande. La Télé à la carte. Une offre de programmes interactifs qui permet au téléspectateur de sélectionner le programme qu'il souhaite regarder, quand il veut et à son rythme. L'opération est testée dans un hôtel parisien.

5 février : la CLT et Rupert Murdoch concluent un accord de principe pour développer un bouquet de chaînes numériques en Allemagne, face au tandem Canal +/ Bertelsmann.

12 février : le ton monte entre les groupes Kirch et Bertelsmann au sujet du décodeur numérique que doit choisir MMBG. Le premier défend son D-box (développé avec Nokia), le second milite pour Mediabox (celui de Canal +). Rapprochement, quelques jours plus tard, de Leo Kirch avec Metro. Debis (Daimler-Benz Interservices). Veba et Nethold pour commercialiser D-Box. Riposte de Bertelsmann qui affirme que Deutsche Telekom a commandé cent mille Mediabox.

16 février : Canal + dévoile sa politique en matière de pay per view pour le football, disponible dès le mois de septembre 1996 sur CanalSatellite numérique.

25 février : deux mois après avoir annoncé son arrivée dans le numérique, AB Sat réserve un deuxième canal sur le satellite Eutelsat II F1 et prévoit d'élargir son bouquet de chaînes thématiques à trente programmes d'ici à 1997.

5 mars : Vebacom et Metro créent une société commune pour commercialiser le décodeur D-Box. Dans la foulée, Kirch se retire de MMBG.

6 mars : les groupes Canal +, Bertelsmann, BSkyB (Rupert Murdoch) et Havas montent une société (détenue à hauteur de 30 % par les trois premiers et de 10 % par le groupe Havas) pour le lancement d'un bouquet de télévision numérique en Allemagne. Dans le même temps, BskyB déclare vouloir acquérir 25 % du capital de Premiere pour 270 millions de dollars (environ 1,4 milliard de francs).

7. mars : Canal + prévoit le lancement de son bouquet numérique pour le 27 avril. De son côté, MMBG annonce que France Télécom, RWE, Thyssen, British Telecom et Debis entrent dans son capital.

8. mars : l'alliance Murdoch-Bertelsmann-Havas-Canal + entraîne une brouille féroce entre Albert Frère, président du groupe Bruxelles-Lambert et principal actionnaire de la CLT, et Pierre Dauzier, président-directeur général d'Havas, l'autre actionnaire de référence de la CLT.

27 mars : AB-Sat signe un accord avec France Télécom concernant l'utilisation de son système de contrôle d'accès Viaccess.

1 er avril : Leo Kirch teste de façon expérimentale, avec certaines personnes de son groupe, une opération de diffusion de dix chaînes numériques en Allemagne, dans le cadre de la société DF1.

2 avril : Audiofina et Bertelsmann s'associent à parité au sein de la CLT. Les deux parties contrôleront, aux termes de cet accord, 97 % de la CLT. La nouvelle entité, CLT-UFA, regroupera alors l'ensemble des participations et activités audiovisuelles de la CLT et toutes les activités audiovisuelles de Bertelsmann. Le groupe allemand verse également à Audiofina une soulte de 5 milliards de francs.

2 avril : AB Sat lance les six premières chaînes de son bouquet numérique (AB 1, Animaux, AB Cartons, Musique classique, Encyclopedia et Polar) sur une partie du réseau câblé suisse.

4 avril : les conseils d'administration de France 2 et France 3 donnent leur aval pour une participation au futur bouquet numérique que préparent France Télévision, TF 1 et la CLT.

8 avril : Leo Kirch et Viacom concluent une alliance qui accorde au premier les droits de télédiffusion des productions audiovisuelles de Paramount Pictures dans les pays de langue allemande pendant une durée de cinq ans.

9 avril : Canal + et Walt Disney Channel France sur CanalSatellite numérique.

11 avril : France Télévision, TF1, la CLT, M6 et la Lyonnaise des Eaux donnent le coup d'envoi de leur bouquet numérique. Baptisée Télévision par satellite (TPS), cette société a pour actionnaires TF1 (25 %), France 2 et France 3 (25 %), M6 (20 %), la CLT (20 %) et la Lyonnaise des Eaux (10 %). Ceux-ci s'engagent à investir 1,5 milliard de francs sur deux ans.

8 mai : la chaîne allemande de télévision à péage Premiere teste le décodeur Mediabox mis au point par Bertelsmann et Canal +.

20 mai : invité du Grand Jury RTL/Le Monde , Hervé Bourges, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, met en doute la viabilité de plusieurs bouquets numériques en France.

6 juin : News Corp rompt l'alliance formée au début du mois de mars avec Bertelsmann, Havas et Canal +.

19 juin : la CLT annonce le départ, effectif au 1er juillet, de son administrateur délégué, Michel Delloye, qui conteste la mise en place de la nouvelle organisation de la CLT-UFA. Il est remplacé par Rémy Sautter.

1er juillet : la fusion de la CLT et d'UFA est effective. Le nouveau groupe conserve son siège opérationnel à Luxembourg. Il est désormais coprésidé par Didier Bellens (groupe Bruxelles-Lambert) et Michael Dornemann (Bertelsmann) et il est codirigé par Rémy Sautter et Rolf Schmidt-Holz. Le même jour, une chaîne du bouquet d'AB intègre le bouquet de base des réseaux de Lyonnaise Communications.

3 juillet : le premier conseil d'administration de TPS (Télévision par satellite) réunit les représentants de TF1, France Télévision, France Télécom, la CLT, M6 et la Lyonnaise des Eaux pour entériner les choix techniques de son bouquet numérique (notamment le décodeur Viaccess). Dotée d'un capital de 12 millions de francs, TPS est présidée par Patrick Le Lay et dirigée par Cyril du Peloux.

8 juillet : Rupert Murdoch s'allie avec Leo Kirch sur le marché de la télévision numérique payante en Allemagne. BSkyB devrait même prendre 49 % de DF1, la plate-forme créée par le groupe Kirch pour la télévision numérique.

19 juillet : Canal +, la Générale d'images et l'Association des constructeurs de formule 1 (Foca) signent un accord exclusif pour la commercialisation d'un nouveau programme de pay per view sur la formule 1.

26 juillet : les groupes Bertelsmann et Kirch concluent un accord de collaboration technique. Notamment pour la fabrication de décodeurs différents mais compatibles. Toutefois, chacun poursuit de son côté le développement de son propre bouquet.

27 juillet : Leo Kirch rachète les droits de diffusion du catalogue de Warner Bros pour la télévision payante en Allemagne. Quatre jours après, il réalise la même opération avec MCA Universal.

28. juillet : Leo Kirch lance officiellement son bouquet numérique en Allemagne. Sans téléspectateurs, car la société Primus Digital, chargée de commercialiser les décodeurs D-Box,. n'a pas écoulé le moindre boîtier auprès des détaillants spécialisés.

6 août : l'Office fédéral des cartels allemands s'inquiète de l'accord conclu entre Kirch et Bertelsmann sur le marché de la télévision numérique payante.

22 août : le groupe espagnol Téléfonica engage avec Leo Kirch des négociations en vue de créer en Espagne une société conjointe offrant des services dans le secteur de la télévision numérique.

6 septembre : fusion entre Canal + et Nethold, troisième opérateur du satellite en Europe

16 septembre : Deutsche Telekom quitte la MMBG suivi de Bertelsmann.

18 septembre : Alors que le bouquet numérique Club RTL devait démarrer le

17 novembre, Bertelsmann et la CLT abandonnent le marché de la télévision numérique, suivis par Pro 7. Le groupe Kirch est désormais le seul opérateur sur le marché allemand.

* (28) Foyers recevant un service de base de l'ordre de 15 chaînes, qu'il s'agisse d'un abonnement souscrit individuellement ou collectivement.

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