C. LES MOYENS FINANCIERS DE L'ACTION AUDIOVISUELLE EXTÉRIEURE

1. La France consacre un effort financier inférieur à celui consenti par d'autres nations

Comme l'a mis en lumière le rapport Balle, la France consacre moins à son action audiovisuelle extérieure que ses partenaires, lesquels tiennent parfois un discours plus libéral et hostile - en apparence - à l'intervention de l'État dans le secteur audiovisuel.


• Dans le seul domaine de la radio , la comparaison paraît en effet sans appel : le budget de RFI s'élevait en 1995 à 654 millions de francs, soit une fraction modeste des budgets respectifs de Voice of America (2 150 millions de francs), du service mondial de la BBC (1 758 millions de francs, dont 1 029 millions de francs de subventions publiques), ou du service mondial de la Deutsche Welle (1 410 millions de francs).

Cette différence de ressources se traduit logiquement par une inégalité tout aussi flagrante dans le nombre des émetteurs et des points d'émission utilisés pour la diffusion en ondes courtes, dans la variété des langues pratiquées à l'antenne. Le rapport Balle cite en exemple la BBC qui a pu se doter d'un service de marketing spécialisé dans la connaissance de ses différents auditoires régionaux, faisant travailler quinze cadres supérieurs, pour un coût de 6,5 millions de francs, alors que la radio française n'emploie à cette tâche que deux personnes, pour une enveloppe de 1,3 million de francs.


• S'agissant de la télévision , les comparaisons sont plus délicates, compte tenu des spécificités de chaque opérateur, français ou étranger. Les budgets de CFI et de TV5 s'élevaient respectivement en 1995 à 176 millions de francs (dont 164 millions de francs de subventions publiques) et à 322 millions de francs (pour une contribution française de 201 millions de francs). L'Allemagne consacrait cette même année 615 millions de francs au service télévision de la Deutsche Welle, sans préjudice des coûts liés à la participation de ses chaînes publiques (ARD et ZDF) à la chaîne germanophone multilatérale « Drei Sat » . Il est vrai que la DeutscheWelle, créée en 1992, diffuse pour l'essentiel des programmes originaux (information et magazines), et non pas cédés par des radiodiffuseurs partenaires : elle émet par ailleurs en trois langues : l'allemand (9 heures quotidiennes), mais aussi l'anglais (3 heures) et l'espagnol (2 heures).

Quant au service mondial de télévision de la BBC, il a pour particularité d'être financé sur une base exclusivement commerciale (publicité, parrainage et abonnements en Europe). Ce succès remarquable doit sans doute beaucoup aux facilités offertes par l'anglais comme langue internationale, à la notoriété et à la qualité des émissions d'information de la BBC, ainsi qu'à une stratégie précoce de régionalisation de l'offre : le « BBC World Service TV » est en effet composé de quatre services régionaux respectivement destinés à l'Europe, à l'Asie, à l'Afrique et à l'Amérique. Il faut enfin remarquer que la grille de cette chaîne fait appel aux programmes de BBCI et ITV (principalement pour sa diffusion en Europe), en complément des bulletins d'information internationale qu'elle produit directement.

La division créée pour attaquer le marché mondial, BBC Worldwide , financée à la fois par la redevance et la publicité, a sérieusement progressé en 1995-1996. Présente dans plus de 140 pays, elle a vu son chiffre d'affaires progresser de 19 %, à 305 millions de livres. En partenariat avec Pearson et Cox, BBC Worldwide a lancé en 1994 deux chaînes sur l'Europe, BBC World, un programme d'information en continu, et BBC Prime (divertissements), qui sont diffusées par câble ou satellite. De plus, la BBC espère tripler en quinze ans des profits réalisés grâce à sa politique de diversification (ventes de programmes, vidéocassettes et édition), qui ont représenté pour 1994-1995 quelque 67 millions de livres de bénéfices !

Pour se conformer à son plan de restructuration et réduire à zéro son endettement au cours de l'exercice 1996-1997 (contre 78 millions de livres actuellement), la BBC a poursuivi sa politique de rigueur en 1995. Ainsi, le service mondial de la BBC s'est résolu, pour des raisons budgétaires, à fermer deux de ses services radiophoniques, dont BBC Infos, un programme destiné à 80 radios commerciales FM françaises qui a fermé ses portes le 31 décembre 1995. Le même sort sera réservé au service magazine de Radio International, destiné aux radios anglophones du monde entier.

2. L'évaluation de cet effort reste néanmoins incertaine

Comme votre rapporteur l'avait déjà relevé, il est difficile d'évaluer avec précision le budget de la politique audiovisuelle extérieure de la France.

Le rapport Balle indique, comme élément d'explication « que son périmètre est flou, que les méthodes sont incertaines (doit-on se limiter au budget de l'État ou inclure les apports propres des opérateurs mais selon quelle méthode de comptabilité analytique ?) et enfin que les crédits sont dispersés entre divers titres de divers ministères et quelques comptes spéciaux, dont la redevance (ce qui est critiquable car les usagers du service public national participent à des actions de souveraineté dont la couverture devrait normalement relever du budget général de l'État). »

On peut néanmoins estimer que les crédits affectés à l'action audiovisuelle extérieure se sont accrus de manière importante.

En 1987, M. Michel Péricard évaluait à 750 millions de francs le budget consacré à la politique audiovisuelle extérieure. Il déplorait à cette occasion l'impossibilité d'obtenir des services des chiffres concordants et appelait à un effort de recensement sérieux des crédits affectés à cette politique.

En 1993, votre rapporteur évaluait à 806,1 millions de francs les ressources publiques affectées à l'action audiovisuelle extérieure.

Un effort plus substantiel est réalisé à partir de 1994 et 1995, puisque le volume des ressources progresse de plus en plus rapidement atteignant 959 millions de francs en 1994 et 1 076,7 millions de francs pour 1995, traduisant par là-même la nouvelle impulsion donnée en 1994.

Les Conseils audiovisuels extérieurs de la France de 1994 ont prévu une augmentation importante des crédits publics affectés à l'audiovisuel extérieur . Ceux-ci doivent passer en cinq ans, entre 1994 et 1999, de moins de 1 000 millions de francs à environ 1 500 millions de francs (+ 50 %) pour amener les moyens consacrés à un niveau, certes encore inférieur à celui de nos principaux voisins (2 500 millions de francs pour la DeutscheWelle et BBC Worldwide), mais néanmoins prometteur d'effets satisfaisants.

Globalement pour la période 1990-1995, les crédits budgétaires affectés à l'audiovisuel extérieur, mesurés à travers le budget de la direction de l'audiovisuel extérieur du ministère des affaires étrangères, ont progressé plus rapidement que les crédits affectés à la Direction Générale des Relations Culturelles, Scientifiques et Techniques, au sein de ce ministère et que le budget de l'État.

Cet objectif est ambitieux. Sera-t-il réellement atteint ? À dresser le bilan des précédents rapports consacrés à l'action audiovisuelle extérieure et qui, bien entendu, réclamaient une augmentation des crédits affectés à cette politique publique, on peut en douter .


• Le rapport Péricard demandait, en effet, un accroissement du budget de l'audiovisuel extérieur de 250 millions de francs en trois ans pour porter ce budget à un milliard de francs. Or, ce montant n'a été atteint qu'en 1995, soit avec un retard de quatre ans.


• Le rapport Decaux demandait de même un accroissement substantiel du budget consacré à l'action télévisuelle extérieure lui permettant d'atteindre 500 millions de francs en cinq ans. Cet objectif n'était toujours pas atteint en 1995. On peut estimer en effet les ressources budgétaires consacrées à cette action à 400 millions de francs.

Il faut, par ailleurs, relativiser l'importance de cet effort dans le budget de l'État. Le budget de la direction de l'action audiovisuelle extérieure ne représentait en effet, en 1996, que 16,8% du budget de la direction générale des relations culturelles scientifiques et technologiques, 5,93 % de celui du ministère des Affaires étrangères et 0,06 % du budget de l'État. Les ressources affectées à l'action audiovisuelle extérieure ne représentaient que 9,3 % du financement public de l'audiovisuel.

Pour sa part, le rapport Balle va plus loin et propose que la France consacre autant de moyens financiers à l'action audiovisuelle extérieure que la Grande-Bretagne ou l'Allemagne.

Après avoir rappelé que, malgré les ambitions affichées et les priorités rappelées, l'effort consenti par la collectivité nationale en faveur de l'audiovisuel extérieur restait insuffisant et très en deçà des ressources allouées aux opérateurs publics concurrents comme BBC ou DeutscheWelle et que le plan d'action audiovisuelle extérieure, arrêté en 1994, avait prévu des financements budgétaires complémentaires à hauteur de 442 millions de francs en 1998, le rapport Balle souligne que, même si on y ajoutait la part croissante de la redevance dans le financement de RFI (170 millions de francs prévus pour 1996), cet effort restait néanmoins insuffisant pour combler le retard par rapport à nos principaux concurrents et pour préparer l'adaptation de notre outil audiovisuel aux mutations technologiques et du marché audiovisuel.

M. Balle se prononce pour un effort supplémentaire de l'ordre de 500 millions de francs pour atteindre un budget global de l'audiovisuel extérieur de 2 milliards de francs pour le budget de l'an 2000. À l'horizon 2000, le budget global devrait se répartir entre un milliard de francs pour la télévision (contre 400 millions de francs en 1995), 900 millions de francs pour la radio (contre 700 millions de francs en 1995) et 100 millions de francs pour la promotion des exportations et l'aide aux industries connexes (doublage, sous-titrage, reformatage).

Concédant que la situation budgétaire et financière ne permettait qu'un effort budgétaire limité au profit de l'action audiovisuelle extérieure, il considère que le financement de l'effort complémentaire (500 millions de francs à l'horizon 2000) devrait être réalisé pour une large part par redéploiement, dans deux directions :


• au sein du budget des Affaires étrangères par des économies sur le financement d'actions culturelles. Mais il est vrai qu'une large partie de l'effort prévu dans le plan d'action arrêté par le Conseil audiovisuel extérieur de la France a déjà été financée par le redéploiement de ces crédits.


• au sein des financements publics affectés à l'audiovisuel public, un effort de redéploiement peut être consenti à hauteur de 3 à 400 millions de francs par une participation plus grande des grands opérateurs nationaux à la politique audiovisuelle extérieure (leur participation significative au capital des holding de tête a ce sens).

Pour sa part, votre rapporteur estime que l'effort de l'État représente déjà, dans un contexte de ralentissement de la dépense publique, un effort très important. Avant de réclamer de nouveaux crédits budgétaires, il conviendrait d'obtenir la réalisation rigoureuse des promesses affichées. Par ailleurs, le recours à des financements non publics de l'action audiovisuelle extérieure devrait être encouragé et développé.

Le rapport ajoute que cet effort pourrait être renforcé par le versement de dotations en capital aux principaux opérateurs actuellement sous capitalisés et donc extrêmement sensibles à tout incident dans le versement régulier des subventions. La privatisation de RMC aurait pu permettre de réaliser cette opération importante pour les entreprises qui interviennent dans ce secteur. Hélas, elle n'a toujours pas eu lieu.

3. Les moyens financiers de l'action audiovisuelle extérieure doivent faire l'objet d'une présentation nette et d'une application rigoureuse

a) Améliorer les conditions d'intervention de l'autorisation parlementaire.

La rénovation de la discussion budgétaire relative à l'action audiovisuelle extérieure est nécessaire.

Elle passe tout d'abord par une approche moins administrative et plus « entreprenariale » de la phase de préparation budgétaire.

La difficulté que rencontre le ministère des Affaires étrangères à respecter la logique d'entreprise des opérateurs et à garantir la mise en place des mesures nouvelles arrêtées par le Conseil audiovisuel extérieur de la France rend indispensable cette nouvelle approche.

Actuellement, la conférence budgétaire du ministère ne permet pas d'examiner globalement l'ensemble des crédits affectés aux opérateurs qui peuvent avoir d'autres sources. En outre, les charges des sociétés ne sont pas examinées en tant que telles, comme c'est le cas pour les entreprises du secteur public national.

On ne raisonne que sur les dépenses du ministère, qui sont des ressources pour les opérateurs de l'action audiovisuelle extérieure, ce qui revient à opérer des abattements sur les subventions, sans tenir compte de la nature des charges qu'elles couvrent et qui sont pour une large part, soit des charges de fonctionnement difficilement compressible d'un exercice sur l'autre (charges de personnel, charges de fonctionnement des équipements), soit des priorités arbitrées en Conseil audiovisuel extérieur de la France.

Il serait en conséquence plus judicieux d'adopter une méthode de travail comparable à celle des conférences budgétaires du SJTIC qui ne traite que des budgets des sociétés nationales de programme et consiste à examiner d'abord les dépenses des sociétés en distinguant : la base de reconduction (en général le budget voté par le dernier conseil d'administration), les mesures d'ajustement (glissements techniques, décisions prises en cours d'exercice, contrats de diffusion, augmentation de la fiscalité...) et les mesures nouvelles correspondant aux dépenses supplémentaires que les sociétés doivent engager pour répondre aux objectifs assignés par les pouvoirs publics.

b) Appliquer rigoureusement les financements autorisés par le Parlement

Comme en toute autre matière, l'autorisation budgétaire parlementaire doit être respectée.

Or, l'action audiovisuelle extérieure a souffert ces dernières années de la logique des négociations budgétaires et du caractère parfois optimiste ou artificiel des projections budgétaires. Le rapport Balle a ainsi pu relever que les projets de loi de finances sont devenus « plus des actes de foi que des actes de prévision » .

Cette « logique » conduit, d'une part, à des mesures de gel qui interdisent l'affectation de tout ou partie des crédits en début d'exercice, ce qui est contraignant pour les opérateurs, dont certains, alimentés par les seuls financements budgétaires et insuffisamment dotés en capital, ont une trésorerie insuffisante ; d'autre part, à des mesures importantes de régulation.

Les mesures de régulation de l'Action audiovisuelle extérieure entre 1991 et 1995

(En millions de francs courants)

1991

1992

1993

1994

1995

Loi de Finances initiale

750,5

845,0

972,0

837,0

900,0

Après régulation

513,5

817,0

862,2

824,8

884,0

Régulée/initiale

68,5 %

96,7 %

88,7 %

98,5%

98,2 %

Ces mesures de régulation sont extrêmement pénalisantes pour les opérateurs qui sont obligés de différer des programmes d'investissement ou de laisser croître leurs charges financières. Elles montrent bien la difficulté qu'il y a de garantir aux opérateurs des ressources pérennes (incertitude de la reconduction en loi de finances, incertitude de la régulation en cours d'exercice), alors qu'ils exercent leur activité dans le secteur concurrentiel et selon des modalités de sociétés commerciales, soumises, elles, à d'autres contraintes.

Il faudrait donc envisager la création d'une ligne budgétaire unique rassemblant les crédits de l'action audiovisuelle extérieure.

La dispersion actuelle des crédits sur plusieurs chapitres budgétaires ne permet ni une bonne lisibilité de la politique audiovisuelle extérieure, ni une bonne gestion. Il serait donc nécessaire d'opérer une centralisation des dotations budgétaires par la création d'une ligne budgétaire unique « audiovisuel extérieur » au budget du ministère des Affaires étrangères, regroupant l'ensemble des crédits affectés à cette action et actuellement dispersés sur plusieurs budgets et comptes spéciaux du Trésor (notamment CNC) et un renforcement de l'utilisation des mécanismes financiers du commerce extérieur.

Cette ligne budgétaire constituerait le budget annuel d'une Agence audiovisuelle internationale, qui aurait pour mission d'affecter les subventions vers les pôles radio et télévision/exportation, puis vers les opérateurs, en fonction des priorités définies et en respectant l'autonomie des différents acteurs.

Dès lors que l'Action audiovisuelle extérieure fait l'objet d'une priorité, elle devrait être protégée des mécanismes de régulation en cours d'exercice budgétaire.

Le rapport Balle propose en conséquence, au moins pendant la phase de montée en puissance, que le Gouvernement renonce à opérer des régulations sur ces crédits. Cet engagement pourrait être inscrit dans une loi de programmation .

Même s'il ne garantit pas formellement l'affectation des crédits toujours prévisionnels à l'Action audiovisuelle extérieure, le vote d'une loi de programmation est toujours un acte politique qui légitime la constance d'un effort financier de l'État. Il a pour effet d'inverser la conversation, il ne s'agit plus de justifier la dépense, mais de justifier la « coupe » devant le Parlement.

Lors de l'examen de chaque projet de loi de finances, il serait également judicieux, comme le suggère le rapport Balle, de publier un « jaune » explicitant l'utilisation de la ligne budgétaire « audiovisuel extérieur » et les Financements complémentaires (redevance, ressources propres de chaque opérateur public). Ceci accroîtrait la visibilité politique des financements audiovisuels extérieurs. Il existe déjà des documents de ce type qui regroupent les dépenses relatives à l'Action culturelle extérieure d'une part, les financements du secteur public de la communication audiovisuelle d'autre part.

Votre rapporteur déposera un amendement dans ce sens.

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