D. LES QUESTIONS COMMUNES

1. Le siège

Les travaux de construction du siège commun de France 2 et de France 3 se poursuivent. L'abandon du projet n'est plus possible.

Cette solution eût pu être tentée il y a un an. Il paraît aujourd'hui trop tard pour l'envisager, vu l'état d'avancement d'un bâtiment qui n'est pas un immeuble de bureaux ordinaire et dont les spécificités compliqueraient sans doute la cession, sans pertes financières, à des repreneurs du contrat et des marchés en cours.

Au surplus et à supposer que pareille demande puisse aboutir rapidement, abandon, à ce stade, du projet de siège commun serait interprété comme le signe symbolique d'un changement de cap concernant le rapprochement des deux premières chaînes publiques.

Pour votre rapporteur, cette opération immobilière doit se faire sans surcoût par rapport à la situation locative actuelle . L'amortissement financier annuel du nouveau siège devrait être inférieur ou égal au montant annuel des loyers - soit environ 158 millions de francs - acquittés en 1994 pour les quelque 16 implantations du groupe.

La gestion financière de ce dossier apparaît saine.

À la fin juillet 1996, le budget paraissait pouvoir être tenu : les aléas s'élevaient à 54 millions de francs, pour un budget technique, hors charges foncières et frais financiers, de 1 109 millions de francs, soit 4,7 % du total. Ce chiffre peut être considéré comme satisfaisant par comparaison à d'autres opérations de cette nature et de cette ampleur.

À la même date, la maîtrise d'ouvrage disposait d'une marge de réserve de 70 millions de francs - dont 40 millions de francs provenant du solde d'une provision initiale pour aléas et 30 millions de francs provenant d'économies réalisées grâce à des « swaps » sur préfinancement - très supérieure au coût de travaux supplémentaires effectués au 31 juillet.

Plusieurs augmentations des dépenses ont été décidées :

1. Une surévaluation de l'enveloppe de crédit-bail prévue initialement, qui s'explique par la difficulté d'appréhender l'incidence d'une réglementation très pointue sur la mise en oeuvre d'un projet relativement complexe, est estimée à 33,1 millions de francs. Celle-ci a pour conséquence à terme une diminution des futurs loyers, mais dans l'immédiat une impasse à financer pour laquelle deux solutions ont été utilisées : le recours à l'autofinancement (+ 15,4 millions de francs) et une proposition de recours au crédit-bail immobilier.

2. Une revalorisation des ressources propres a été décidée pour répondre au point précédent, ainsi qu'à un rééquilibrage des apports en fonds propres entre France 2 et France 3. Initialement, le montant des ressources propres était fixé globalement à 263,3 millions de francs. Il a été porté à 284,6 millions de francs, soit une majoration de 1,3 % par rapport à l'enveloppe globale du projet de 1 738,5 millions de francs. Cette évolution s'est accompagnée d'un rééquilibrage des apports entre France 2 et France 3 pour la partie qui concerne les apports en fonds propres exceptionnels.

3. Enfin, l'enveloppe du crédit-bail mobilier passerait de 40,3 millions de francs à 52,5 millions de francs.

La transformation du contrat de maîtrise d'ouvrage délégué en contrat général s'est traduite par une légère économie chiffrée, dans l'état actuel du dossier, à 4,732 millions de francs.

La diminution de l'enveloppe prévisionnelle de frais financiers résulte des contrats d'échange de taux d'intérêts passés avec le Crédit lyonnais pour la durée du préfinancement et avec la Société générale pour celle qui couvre le crédit-bail. Ces contrats se traduisent par une économie estimée à 26,3 millions de francs.

4. L'existence d'une paroi moulée destinée à protéger l'immeuble de France Télévision des vibrations produites par la ligne RER C n'était pas initialement prévue.

Mais la SNCF ayant fait connaître en cours de négociations son intention de ne plus procéder, avant le 31 décembre 1997, à la pose de voies « STEDEF », France Télévision obtenait en contrepartie :

- l'autorisation de construire une paroi moulée, capable de la protéger de toute nuisance,

- le financement de cette paroi moyennant un prix budgété à 23,5 millions de francs. Pour la SNCF, ce prix est global et forfaitaire. Il vient en déduction du prix du terrain.

Le câblage du réseau Voie-Donnée-Image initialement écarté de cette phase a, dans un souci de rationalité, été réintroduit. La planification très en amont du câblage permet d'éviter des surcoûts inévitables.

L'avenant n° 2, qui a été soumis à l'approbation des conseils du 19 et 20 juin 1996, s'élève à 18 millions de francs H.T. en francs 1998. En conséquence, le marché « Meunier Promotion » est passé de 577,7 millions de francs (H.T.) à 593,6 millions de francs (H.T.), ce montant incluant une prime de risque globale de 24,1 millions de francs (H.T.). L'autorisation d'engagement inscrite au budget d'avril 1995 est de 598,3 millions de francs.

Des risques techniques demeurent. Mais ils devraient être assez aisément contrôlés. Il faut relever que l'on y a mis le prix. Selon la maîtrise d'oeuvre, le volume construit pour les studios a « nécessité des raffinements techniques qui sont comparables à ceux des centrales nucléaires : séparation, interposition de blocs de ressorts des parois extérieures de l'immeuble, contiguës à la ligne de RER et des parois du bâtiment ; coffrage intérieur de l'espace de studios nécessaire pour conjurer des trépidations de fréquences soniques » .

En revanche, on peut regretter que le projet ait été conçu sur la base d'une reconduction des surfaces existantes, sans réexamen de l'ensemble des besoins, notamment pour ce qui concerne les studios : France 2 dispose actuellement de trois studios et France 3, de deux studios. Additionner ces chiffres au sein du nouvel immeuble ne relève pas d'un grand souci de bonne gestion, ni d'un bon esprit d'économies... Et c'est pourtant ce qui s'est fait. Qui en porte la responsabilité ?

Le mot d'ordre a été de recréer, quasiment à l'identique, les conditions d'établissement de France 2 et France 3. Par souci de paix professionnelle, on n'a guère recherché, en amont de la programmation, les rationalisations envisageables. Un bureau spécialisé a été chargé de recenser les surfaces occupées par les deux chaînes et de les transposer dans le futur bâtiment commun. Les services concernés n'ont été consultés que sur l'exactitude de la transposition. Ce n'est qu'à la fin 1995 qu'une réflexion et Une consultation sur les besoins d'aménagement, activité par activité, ont été menées.

Le second principe retenu a été que le nouveau siège abriterait l'ensemble du groupe France Télévision. On peut s'interroger sur l'opportunité d'installer France Espace (la régie) et France Télé Distribution dans le futur site commun. Or ces deux entités travaillent pour d'autres clients que France Télévision, et cherchent à cultiver une image distincte.

Certains estiment même que l'on va manquer de place (pour 3 000 m 2 , soit 10 % de la surface) alors que l'immeuble est en cours de construction. C'est ce qui fait apparaître une insuffisance de préparation : ne pouvait-on prévoir que « le bâtiment n'a pas la rentabilité de surface attendue, certains compartiments de l'immeuble, de forme triangulaire, posant des difficultés d'aménagement » ?... Ne faudrait-il pas éviter une nouvelle affaire de LA VILLETTE !

Pour régler ce problème d'espace, il conviendrait de ne pas installer dans le futur siège commun la régie France Espace et France Télé Distribution.

2. Le personnel

a) L'absence de marge de manoeuvre

Le sauvetage financier du secteur public en 1990 avait eu pour contrepartie un plan social à France 2 et à France 3, en 1991-1992, dont le rapport de la mission d'audit constate que les effets ont été limités. À France 2, ils ont été contrebalancés par un plan de rattrapage des rémunérations des journalistes intervenu en 1994 ; à France 3, les effectifs ont augmenté de 23 % en 1991-1995 et la masse salariale de 25 % pendant cette même période.

Cette évolution est, sinon légitime, du moins largement explicable. L'extension des missions des chaînes (filiales de commercialisation, développement local, développement dans le numérique), l'intégration des structures de production, les requalifications d'emplois précaires en emplois permanents constituent autant de justifications non contestables.

Le poids de la masse salariale de France 3 s'explique également par le profil de ses journalistes, plus spécialisés et plus nombreux compte tenu des implantations régionales.

Toutefois, le poids de la masse salariale des chaînes publiques par rapport à leur chiffre d'affaires ou à leurs charges d'exploitation est tel qu'il confère au secteur public une grande inertie.

Le pourcentage des frais de personnel par rapport au chiffre d'affaires dépasse 50 % pour l'INA (61,5 %), RFO et Radio France, il est de 39,5 % pour RFI, 31 % pour France 3 et 14,7 % pour France 2. Seules les chaînes du cinquième réseau se rapprochent du ratio de TF1 (7,8 %) avec 7,6 % pour ARTE et 8,6 % pour La Cinquième.

b) La convention collective nationale unique

S'ajoute aux coûts de personnel le système ankylosant de la convention, négociée, en 1982, alors que le secteur public était en position de monopole, qu'il n'existait que trois chaînes hertziennes et alors que ni la diffusion par câble ni celle par satellite n'existaient. D'une certaine façon, la convention date de la préhistoire de l'audiovisuel...

La convention pénalise d'abord les salariés du secteur audiovisuel public.

La convention collective des personnels techniques et administratifs est une dérive du statut de l'ex-ORTF dont elle a hérité des défauts et les a conservés. Les rigidités les plus nocives concernent la classification des métiers et la très faible marge (0,70 % de la masse salariale) disponible pour assurer les promotions individuelles dont l'insuffisance, qui freine la valorisation des compétences, est démoralisante .

À France Télévision comme à Radio France, les emplois temporaires , pour des raisons inhérentes à la nature même de l'activité du secteur, représentent une part importante des effectifs employés. Une pression croissante s'exerce pour obtenir des tribunaux la requalification de ces emplois en contrats à durée indéterminée. La convention oblige à un recours important aux heures supplémentaires . Cette conséquence revêt trois défauts majeurs : elle est financièrement coûteuse, expose les sociétés à un risque d'illégalité corrélé à l'insuffisance de repos compensatoire, et pourrait contribuer à accroître les risques d'accidents de travail. Enfin, elle expose le secteur public à un risque de dénonciation de la convention de l'UNEDIC. Ce risque concerne le régime des cachetiers . La disproportion entre les indemnités versées et les cotisations perçues - respectivement 2,6 milliards de francs et 0,6 milliard de francs en 1994 - suscite des tensions avec l'UNEDIC.

Son caractère obsolète et stérilisant est un constat qui fait l'unanimité.

Le maintien en l'état de la convention collective perpétue des classifications professionnelles dépassées par l'évolution technologique ; et freine le secteur public dans des investissements techniques permettant au secteur privé de prendre une avance croissante en matière de productivité et l'adaptation aux réalités du temps présent.

À l'heure du numérique, le secteur public doit prendre conscience qu'il est désormais en compétition avec les diffuseurs, publics mais surtout privés, du monde entier . Si le secteur public ne veut pas être balayé dans les prochaines années, si les chaînes publiques ne veulent pas s'éteindre comme ce fut le cas des dinosaures, elles doivent s'adapter et moderniser leurs relations de travail, et, au premier chef, revoir cette convention.

Les techniques numériques révolutionnent les métiers de l'audiovisuel. À l'ancienne distinction entre le journaliste et les techniciens se substitue désormais la profession de journaliste-reporter, qui filme, monte et conduit l'entretien.

La convention handicape l'ensemble du secteur public . Les structures les plus dynamiques. La Cinquième, les opérateurs de l'audiovisuel extérieur, sont en dehors de son champ d'application. Les rigidités de la convention semblent, en effet, particulièrement inadaptées à l'action audiovisuelle extérieure.

c) Comment réviser la convention

Les lourdeurs et les risques d'une opération de dénonciation de la convention collective expliquent que la tutelle et les directions des sociétés excluent de l'engager, bien qu'on s'accorde à reconnaître que le statut quo présente des inconvénients d'une gravité croissante.

Plutôt que de dénoncer la convention, il faut donc la réviser. Ce ne serait pas une tâche simple. L'objectif serait de transformer le dispositif actuel en une convention de branche applicable à l'ensemble du secteur audiovisuel, public comme privé . Pareille réforme aurait l'avantage d'établir un certain nombre de dispositions minimales générales, à partir et au-delà desquelles chaque entreprise aurait la latitude et le devoir de régler ses problèmes spécifiques par des négociations particulières.

Pour progresser dans cette voie, trois difficultés principales sont à surmonter.

La première est d'ordre institutionnel : le partenariat syndical se situe au niveau de la branche alors que du côté des employeurs, il se situe au niveau du secteur.

La seconde tient à la réticence du secteur privé à entrer dans la concertation souhaitable.

La troisième tient au sous-dimensionnement fonctionnel des sociétés dans l'ordre des services de direction des ressources humaines ; il y aurait lieu d'en renforcer beaucoup les motivations et l'organisation, afin d'aider les dirigeants dans l'exercice de leurs responsabilités de gestion sociale.

Le choc provoqué par la dérive des contrats-vedettes, les préoccupations que crée la nécessaire rigueur budgétaire, les interrogations liées au développement du numérique et aux perspectives d'accroissement du nombre des canaux de diffusion se conjuguent entre autres facteurs, pour offrir une occasion momentanée et propice de réflexion approfondie et concertée, susceptible de déboucher sur une bonne réforme. Il serait dommage de la laisser passer.

Les tergiversations des employeurs du secteur audiovisuel public depuis plus d'un an s'expliquent mais ne se justifient pas . Il conviendrait désormais d'entamer une réelle négociation et de la conclure avant la fin de l'année 1997. La méthode adoptée jusqu'à présent n'est toutefois pas la bonne. Le regroupement des employeurs du secteur public au sein d'une association et la négociation au niveau de l'ensemble du secteur semblent des facteurs paralysants. Une démarche au sein de chaque entreprise devrait être parallèlement menée.

Mais la convention peut-elle être renégociée ? Les économies imposées ont drastiquement réduit les marges de manoeuvre : d'éventuelles revendications salariales (ou l'évolution des coûts salariaux en raison de reclassifications) ne pourront pas être financées par des redéploiements internes, mais par un appel au budget de l'État...

La qualité et la motivation des personnels répondant à la volonté politique d'affirmer la nécessité et l'identité du secteur public de l'audiovisuel devraient permettre de lever les obstacles, tout à fait compréhensibles, et chacun a bien conscience qu'il ne faut pas recommencer les erreurs qui, ailleurs, ont coûté si cher à la France.

Des écarts notables de rémunération existent entre France 2 et France 3, s'agissant des journalistes, permanents ou temporaires. L'établissement d'un siège commun ajoutera un critère à ceux retenus par les juges pour décider de l'existence d'une « unité économique et sociale ».

La revendication égalitariste est forte au sein de France Télévision ; elle pourrait, dans certains scénarios, s'étendre à Radio France. Ces revendications d'alignement s'accroîtront bien évidemment lorsque les deux sociétés se retrouveront dans le siège commun. C'est pourquoi la convention doit être renégociée avant le déménagement !

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page