DEUXIÈME PARTIE -

EXAMEN DES ARTICLES

I. ARTICLE PREMIER -

CRÉATION ET OBJET DE " RÉSEAU FERRÉ NATIONAL "

• Le premier alinéa du projet de loi s'inspire assez étroitement du premier alinéa de l'article 18 de la LOTI.

" Réseau Ferré National " (R.F.N.) est créé à la date du 1er janvier 1997. Cette échéance imprime un caractère d'urgence évident à l'examen du projet qui nous est soumis. Sans méconnaître les effets de la rétroactivité que le projet de loi postule ainsi, votre commission a jugé que l'urgence d'une mise en oeuvre impliquait, en première lecture, de ne pas modifier cette date.

R.F.N. aura pour objet l'aménagement et le développement mais aussi la " mise en valeur " -terme sur le contenu duquel on peut s'interroger- de l'infrastructure du réseau ferré national.

En cela, est consacré -par différence avec le régime actuel issu de la LOTI- la séparation de la gestion de l'infrastructure ferroviaire et de l'exploitation des services de transport des entreprises ferroviaires prévue à l'article premier de la directive n°91-440 (CEE) du Conseil en date du 29 juillet 1991 relative au développement des chemins de fer communautaires.

Le contenu du concept d'infrastructure est précisé dans la seconde phrase du premier alinéa de l'article 4 du projet selon lequel l'infrastructure comprend " notamment les voies, les quais, les triages, les réseaux, les installations et bâtiments techniques " . On observera que cette énumération n'est pas exhaustive. Peut-être conviendrait-il de la préciser.

Votre commission incline à se référer, de même que l'a fait le Conseil économique et social [9] , à la définition de l'infrastructure donnée par le réglementation européenne (règlement n° 2598/70 du 18 décembre 1970 et article 3 de la directive n° 91-440), qui vise :

- les voies, y compris les appareillages fixes associés (aiguilles, freins de voies, systèmes de commande, etc.) ;

- les terrains ;

- les superstructures ;

- les installations électriques (caténaires, sous-stations) ;

- les ouvrages d'art ;

- les quais à voyageurs et à marchandises (et donc ni les " bâtiments voyageurs " des gares, ni les installations logistiques du fret) ;

- les cours et pistes ;

- la signalisation et les passages à niveau ;

- les bâtiments, liés soit à l'entretien (brigades de l'équipement), soit à la commande des installations (postes d'aiguillage), soit à la régulation des circulations (postes de commandement).

La forme juridique retenue pour R.F.N. est, comme pour la SNCF sous l'empire de la LOTI, celle de l'établissement public industriel et commercial (EPIC). Il convient de rappeler de façon synthétique les principaux éléments du régime juridique des EPIC.

La notion d'établissement public -une des plus controversée de notre droit administratif- a été dégagée au cours du XIXe siècle. Il convient de rappeler quelques caractères communs aux établissements publics :

- la personnalité juridique de droit public, fondée sur l'existence d'un patrimoine, d'un personnel, sur l'affectation à une activité d'intérêt général ;

- la gestion d'un service public ;

- la soumission à un certain nombre des autorités de l'État, notamment en matière financière ;

- la nomination des autorités placées à leur tête.

Par rapport au texte de l'article 18 de la LOTI, une lacune apparaît en revanche dans l'absence de référence aux " principes du service public ". Peut-être y aurait-il là matière à compléter la rédaction proposée à l'article 4.

L'établissement public industriel ou commercial est celui qui gère un (ou plusieurs) services publics industriels ou commerciaux;

C'est-à-dire que l'établissement :

- dans un but d'intérêt général ;

- délivre, contre rémunération, des biens et des services dans des conditions analogues à celles dans lesquelles le ferait une entreprise privée.

L'établissement public industriel ou commercial se distingue de l'établissement public administratif par la nature de son activité.

Le critère de la distinction qui a été longtemps controversé fait appel, selon la jurisprudence récente à trois éléments :

- la mission de l'établissement (cet élément est prédominant ; il a permis, par exemple, au Conseil d'État, de reconnaître le caractère administratif à l'Office national interprofessionnel des céréales : CE, 20 décembre 1995, ONIC) ;

- l'origine des ressources ;

- les modalités de fonctionnement.

L'établissement public industriel ou commercial entre dans la catégorie des entreprises publiques. Ces entreprises se caractérisent par deux éléments :

- il s'agit d'entreprises, c'est-à-dire d'institutions destinées à la production économique. Ces institutions ont une certaine autonomie et elles sont gérées selon les règles et les méthodes du commerce ;

- il s'agit d'entreprises publiques, c'est-à-dire que les intérêts publics l'emportent sur les intérêts privés dans la finalité de ces entreprises.

Plusieurs auteurs se sont demandés si la distinction entre EPIC et établissement public administratif est bien valable.

- la qualification donnée à un établissement par un texte n'est pas déterminante. Le juge peut la rectifier (sauf si elle résulte d'une loi formelle) (V. à propos du Forma : TC, 24 juin 1968, Ste Distillerie bretonnes : bien que qualifié par les textes d'établissement à caractère industriel, le Fonds d'orientation des marchés agricoles n'a que des fonctions administratives).

Le Conseil constitutionnel a même admis que des établissements qualifiés administratifs ou industriels pouvaient faire partie de la même catégorie au sens de l'article 34 de la Constitution ( Cour de Cassation, 25 juillet 1979).

- un établissement administratif peut gérer un service public industriel ou commercial (CE, 25 janvier 1952, Bouglione (Chambre de commerce et d'industrie) ; CE, 20 décembre 1985, ONIC (Office national interprofessionnel des céréales) ;

- il existe des établissements publics " mixtes ", " à double visage ", qui ont des activités administratives et des activités industrielles ou commerciales sans que certaines d'entre elles soient prédominantes.

C'est le cas de l'Office de la navigation (TC, 10 février 1949, Guis), des ports maritimes autonomes (CE, 17 avril 1959, Abadie), du Fonds d'intervention et d'organisation de la pêche maritime et de la conchyliculture (TC, 12 novembre 1984, St Interfrost).

La loi du 26 juillet 1983 (modifiée par L. 25 juillet 1985) sur la démocratisation du secteur public a visé cette catégorie d'établissements mixtes (article 1er).

- Le régime juridique varie non selon la qualification de l'établissement mais selon celle de l'activité qu'il exerce.

Cependant, les textes (par exemple, sur le régime comptable, sur le contrôle de l'État) consacrent cette distinction. Il convient donc de la maintenir tout en reconnaissant que sa portée s'est beaucoup affaiblie.

• Le deuxième alinéa de l'article premier du projet a pour objet de consacrer la compétence double de la SNCF au terme de la réforme, en tant que :

- gestionnaire délégué de l'infrastructure (fonctionnement et entretien des installations techniques et de sécurité) ;

- transporteur.

On peut observer toutefois que l'expression " gestion du trafic et des circulations " n'est pas dépourvue de toute ambiguïté si on la rapproche de la nouvelle rédaction proposée pour définir les compétences de la SNCF à l'article 18 (premier alinéa) de la LOTI par le I de l'article 13 du présent projet, rédaction qui, certes, évoque la " gestion de l'infrastructure ", mais aussi l'exploitation des " services de transport ferroviaire ".

Plus clairement, les compétences de la SNCF apparaissent triples :

- l'exploitation des services de transport ferroviaire ;

- le fonctionnement et l'entretien des installations techniques et de sécurité pour le compte et selon les règles définies par R.F.N. ;

- la gestion du trafic et des circulations. C'est sur cette dernière compétence qu'il faut insister dans la mesure où est fondée une exclusivité du rôle de la SNCF. C'est dans ce cadre strict d'exclusivité accordée à la SNCF pour l'attribution des sillons que s'appliquera la directive n° 91-440.

Il convient de rappeler à ce stade de l'examen du texte que la directive 91-440 (CEE) déjà citée prévoyait, à son article premier, " la garantie de droits d'accès aux réseaux ferroviaires des Etats-membres pour les regroupements internationaux d'entreprises ferroviaires effectuant des transports combinés internationaux de marchandises ". Cette disposition est précisée à l'article 10 de la même directive qui dispose :

1. Les regroupements internationaux se voient reconnaître des droits d'accès et de transit dans les Etats-membres où sont établies les entreprises ferroviaires qui les constituent, ainsi que des droits de transport internationaux entre les Etats-membres où sont établies les entreprises constituant lesdits regroupements. 2. Les entreprises ferroviaires relevant du champ d'application de l'article 2 se voient accorder un droit d'accès, à des conditions équitables, à l'infrastructure des autres Etats-membres aux fins de l'exploitation de services de transports combinés internationaux de marchandises. 3. Les regroupements internationaux et les entreprises ferroviaires effectuant des transports combinés internationaux de marchandises concluent les accords administratifs, techniques et financiers requis avec les gestionnaires de l'infrastructure ferroviaire utilisée afin de régler les questions de régulation et de sécurité de trafic relatives aux services de transports internationaux visés aux paragraphes 1 et 2. Les conditions régissant ces accords doivent être non discriminatoires ".

Il est prévu que R.F.N. rémunère la SNCF au titre du fonctionnement et de l'entretien des installations techniques et de sécurité du réseau. On remarquera qu'une telle rémunération viendra, en quelque sorte, en déduction des redevances d'utilisation que la SNCF sera susceptible de lui verser au titre des circulations de ses trains sur le réseau ferré national en vertu de l'article 12 du projet de loi.

• L'explicitation des modalités d'exercice des missions de Réseau Ferré National est renvoyée, par le troisième alinéa de l'article premier du projet, à un décret en Conseil d'État, précaution qui ne semble pas inutile.

Ce décret est censé prévoir la conclusion d'une convention.

Une telle procédure est assez insolite et lourde. L'idée de faire du décret le vecteur d'un véritable cahier des charges aurait, en outre, mérité d'être examinée.

• Le quatrième alinéa de l'article premier du projet renvoie enfin à un décret en Conseil d'État le soin de déterminer les modalités selon lesquelles R.F.N. confie, par dérogation à la législation sur la maîtrise d'ouvrage publique, des mandats de maîtrise d'ouvrage pouvant porter sur des ensembles d'opérations.

La loi -dite " Sapin " n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, applicable aux établissements publics de l'État serait, théoriquement extensible à RFN. Or, cette loi prévoit une procédure, ouvrage par ouvrage et opération par opération, c'est-à-dire pour des opérations identifiées. La dérogation proposée permettrait donc d'affranchir du cadre de cette loi les ensembles d'opération -par exemple, sur une ligne de bout en bout- dont la maîtrise d'ouvrage pourrait être confiée par RFN à la SNCF.

Certains commentateurs ont crû pouvoir avancer qu'une telle disposition pourrait, à terme, être génératrice de contentieux. On observera toutefois que cette disposition a survécu à l'examen du Conseil d'État. S'agissant des normes européennes, le risque de contentieux paraît faible à votre rapporteur.

Une telle précision présente un intérêt dans le cas de la réalisation d'équipements tels que des rénovations de ponts ou de tunnels sur une même ligne. Elle serait donc facteur de souplesse.

Votre commission vous propose d'adopter l'article premier sous réserve de neuf amendements, tendant respectivement :

- à supprimer le mot " national " pour qualifier l'établissement public RFN ;

- à substituer le nom " France Rail " au sigle RFN ;

- à faire référence aux principes du service public, à la promotion du transport ferroviaire et au développement durable ;

- à confier à RFN le soin de mettre en oeuvre le schéma du réseau ferroviaire ;

- à affirmer les impératifs de sécurité et de continuité du service public ;

- à évoquer les objectifs et principes de gestion définis par RFN ;

- à faire référence au décret pour la convention à conclure entre RFN et la SNCF ;

- à affirmer la maîtrise d'ouvrage détenue par RFN.

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