B. L'INSERTION DANS LES POLITIQUES D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

S'agissant de la partie du tracé située en France, sans méconnaître la nécessaire distinction à opérer entre la " section internationale ", qui, seule, fait l'objet du projet de loi, et une future ligne à grande vitesse reliant Perpignan à Montpellier, il est indispensable de prendre la mesure de l'insertion de ces projets dans une logique non seulement française mais aussi européenne.

1. La logique européenne

Selon l'exposé des motifs du projet de loi, l'accord du 10 octobre 1995 " concrétise la volonté des deux gouvernements de développer le réseau ferroviaire dans le cadre du réseau trans-européen de transports " .

Le sommet européen des chefs d'Etats et de gouvernements à Corfou, les 24 et 25 juin 1994, avait placé la ligne à grande vitesse Madrid-Montpellier parmi les projets trans-européens prioritaires.

Le sommet européen d'Essen devait confirmer ce classement parmi les quatorze priorités.

Ce projet s'inscrit logiquement dans le schéma directeur du réseau européen de trains à grande vitesse qui a été présenté au Conseil européen en décembre 1990.

Ainsi, avec le lien fixe trans-Manche et le TGV " Nord " qui existent déjà, et les projets du TGV " Est européen " et du TGV mixte " Lyon-Turin ", la section internationale à grande vitesse Perpignan-Figueras, constitue un des cinq noeuds du maillage ferroviaire inter-européen.

2. La logique française

a) " L'arc méditerranéen "

Votre Commission des Affaires économiques a pris une part trop active dans la réflexion d'ensemble et dans le débat national sur l'aménagement du territoire [1] , puis dans l'élaboration de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire [2] , pour ne pas examiner avec attention, les conditions d'insertion de l'accord du 10 octobre 1995, dans la politique française d'aménagement du territoire .

A cet égard, le projet apparaît clairement lié au concept " d'arc méditerranéen " qui regroupe les régions Midi-Pyrénées , Languedoc-Roussillon , P.A.C.A. et Catalogne .

Comme zone où se développent des technicités nouvelles, l'arc méditerranéen " n'a pas manqué de séduire économistes, aménageurs et élus locaux, qui parfois, ont évoqué un " arc latin ", allant de l'Andalousie au Latium [3] .

M. Roger Brunet affirmait [4] ainsi :

" Peu à peu s'esquisse un arc méditerranéen, de Valence à Florence (...) la Mégapole y réactive des bases anciennes, comme à Barcelone ; elle y trouve, avec les avantages du milieu écologique et social déjà mentionnés, une source de qualité grâce à une solide tradition de formation universitaire et de recherche, qui assure le départ de la nouvelle révolution industrielle, celle des technologies avancées. L'arc n'est pas seulement un espace de rattrapage, une périphérie récupérée : c'est un espace nouveau, de caractère pionnier, y compris dans les turbulences associées ; un espace d'avenir, fragile et dur, prometteur et difficile, qui vend de la " high tech " et de la matière grise, et pas seulement son soleil et ses bras bon marché ".

Cette remarque fut d'une certaine façon, relayée par la Commission de la Communauté européenne lorsqu'elle délimita des " régions de croissance ".

Certes, la réalité de ce concept ne doit pas être surévaluée. S'il est exact que la portion orientale de l'arc méditerranéen, de Nice à Marseille, connaît un développement incontestable, c'est probablement parce qu'elle tend à se raccrocher -du fait de la difficulté de franchir les Alpes- à la partie méridionale -c'est-à-dire italienne- de la dorsale du développement qui court de Londres à Milan et que certains ont qualifiée de " banane bleue ". Pour la partie occidentale, le développement reste plus diffus.

Une telle observation a, pourtant, été reprise par les experts de l'IFRN dans une récente étude, qui constatait :

" En France, la question se pose dans des termes différents : Languedoc-Roussillon et PACA apparaissent paradoxalement comme des régions parmi les plus développées de l'arc mais également comme des maillons faibles de l'intégration, en raison de la fragilité et de la forte dépendance de leurs économies " .

Mais, on peut raisonnablement conclure, comme l'avait fait une étude destinée au ministre espagnol des transports :

" Une DEUXIEME EUROPE est en voie d'apparition, l'Europe méditerranéenne " [5] .

Or, au sein de cette Europe, la France méditerranéenne a un rôle à jouer. Ainsi que l'exprimait le projet " Euroméditerranée " élaboré par la ville de Marseille, en mai 1993 :

" C'est, en tout cas, l'intérêt majeur de la France qui jouit en Europe d'une situation très privilégiée due à sa position géographique et aux spécificités de son territoire, parcouru par de grands axes de circulation historique comme le couloir rhodanien et la façade méditerranéenne. La France est le seul grand État du " Nord " à pouvoir afficher une politique méditerranéenne et il est donc fondamental pour elle d'orienter l'Europe dans cette direction. Il s'agit de construire sur la Méditerranée française une grande région économique, compétitive, facteur de rééquilibrage du territoire français, susceptible de s'intégrer à un marché européen et mondial, large et ouvert " .

Ainsi, au-delà du projet concerné par l'accord de Madrid, un projet global consisterait en la création d'une ligne ferroviaire nouvelle pour trains à grande vitesse prolongeant la ligne TGV Méditerranée Valence-Avignon-Nîmes-Montpellier, de Montpellier au Perthus, et se poursuivant par la ligne à grande vitesse Le Perthus-Barcelone-Madrid. Il se coulerait ainsi parfaitement dans " l'arc méditerranéen ", favorisant les échanges avec l'ensemble de l'Europe et rapprochant ainsi le marché européen des forces industrielles, viticoles et agricoles du Languedoc-Roussillon et de Midi Pyrénées.

La ligne comporterait des raccordements avec le réseau existant , notamment vers Carcassonne et Toulouse. Le réseau ferroviaire permet la desserte en centre ville, de Nîmes, Montpellier, Sète, Agde, Béziers, Narbonne, et de là, vers Port-La Nouvelle, Leucate et Perpignan, la Catalogne et l'Espagne d'une part, ainsi que Carcassonne, Toulouse et Midi-Pyrénées d'autre part.

La ligne TGV Languedoc-Roussillon, tout en allant de Montpellier vers Barcelone, constituerait ainsi, grâce au tronçon Montpellier-Narbonne avec ses raccordements, une partie de la relation transversale à grande vitesse " Grand Sud " de Montpellier vers Toulouse et inversement.

Des aménagements devront donc être réalisés sur cette dernière liaison pour parvenir à des vitesses (220 km/h), supérieures à celles pratiquées actuellement.

• Dès lors, il ne fait donc aucun doute que l'effet TGV, en divisant par deux les temps de parcours, depuis l'Europe du Nord (Londres-Bruxelles-Paris-Francfort), aura un impact considérable en matière de tourisme et dans d'autres domaines, pour le Languedoc-Roussillon et la région Midi-Pyrénées.

A l'horizon 2010 et dans l'hypothèse où le schéma européen des lignes à grande vitesse serait achevé, les temps de parcours au départ de Montpellier seraient les suivants :

- 1 heures 30 en direction de Barcelone, au lieu de 4 heures 40 ;

- 3 heures en direction de Paris, au lieu de 5 heures ;

- 4 heures 10 en direction de Bruxelles, au lieu de 9 heures.

Il ne faudra, à un homme d'affaires ou à un touriste, que :

- 5 heures 50 pour rapplier Narbonne depuis Londres ;

- un peu moins de 5 heures pour se rendre à Lézignan depuis Bruxelles ;

- environ 4 heures pour rallier Carcassonne depuis Paris ;

- et 4 heures 20 pour se rendre à Castelnaudary depuis Genève.

Par ailleurs, la liaison Toulouse-Barcelone pourrait être ramenée à 2 heures 15, la liaison Toulouse-Marseille 3 heures et la liaison Toulouse-Turin 4 heures.

b) Les consultations successives

Dès le Conseil des Ministres du 31 janvier 1989, le gouvernement français a pris en considération la ligne TGV " Méditerranée " Valence-Marseille-Montpellier et la ligne TGV, en Languedoc-Roussillon, Montpellier-Le Perthus.

De 1989 à 1991, la SNCF et la mission " Querrien " ont conduit deux concertations :

- la consultation des services déconcentrés de l'Etat aux niveaux régional et départemental a permis de rassembler leurs observations et de cerner les questions relatives à la compatibilité du projet avec les dispositions légales et réglementaires ;

- la consultation des élus, des acteurs socio-économiques et des associations représentatives concernées par le projet, a été ensuite engagée sur la base d'un découpage territorial de la ligne correspondant aux limites de départements ou d'arrondissements.

Le ministre chargé des transports a décidé d'engager les études préalables à la déclaration d'utilité publique de Valence à Marseille et à Montpellier le 14 mai 1991.

Conformément à la circulaire n° 91-61 du 2 août 1991, la consultation s'est déroulée sous l'égide des préfets des trois départements concernés par le tracé de la ligne nouvelle : Hérault, Aude, et Pyrénées orientales.

Au vu des études préliminaires et de la décision du ministre sur le principe du tracé, les préfets des départements ont notifié des arrêtés de prise en considération et un périmètre d'études, à toutes les communes concernées (arrêtés préfectoraux du 27 décembre 1991 dans l'Hérault, du 3 janvier 1992 dans l'Aude, 27 décembre 1991 dans les Pyrénées orientales). La SNCF a alors poursuivi les concertations avec les communes, les collectivités territoriales et les services.

Le comité interministériel du 23 septembre 1993, suivant le comité interministériel d'aménagement du territoire (CIAT) de Mende du 12 juillet 1993, a décidé d'engager les études d'avant projet sommaire (APS) de Montpellier au Perthus.

Les études de l'avant-projet ont été conduites dans le cadre de la circulaire n° 91-61 du 2 août 1991 relative à l'établissement des projets de lignes nouvelles ferroviaires à grande vitesse. Par référence à l'article 26 du contrat de plan passé entre l'Etat et la SNCF, l'Etat et les collectivités territoriales concernées ont décidé de participer au financement de ces études. Une convention tripartite, élaborée à cet effet, a été signée le 18 janvier 1994. Les collectivités territoriales ont participé au financement des études à la hauteur de 50 %, et ont pu contrôler le déroulement de celles-ci et l'utilisation des crédits publics en étant membres d'un comité de pilotage présidé par le préfet de région.

A partir des décisions de l'Etat, et de la signature de la convention d'études de l'avant-projet le 18 janvier 1994, tenant compte de la circulaire ministérielle n° 92-71 du 31 décembre 1992 , ont eu lieu sous l'égide des préfets de région et de départements et sur l'ensemble du tracé Monptellier-Le Perthus :

•  un débat public organisé par voie de presse. Il est ressorti de ce débat que le projet était globalement bien accepté et la desserte TGV attendue, mais aussi que la population concernée par le tracé souhaitait avoir rapidement des précisions ;

•  un débat avec les partenaires socio-économiques, tenu en mars 1994, avec le conseil économique et social, les chambres régionales de commerce et d'industrie, des métiers, d'agriculture, a abouti aux mêmes conclusions, à savoir que le TGV était attendu, le tracé bien accepté, et que la concertation devrait aboutir et fixer les riverains de façon précise et définive par une déclaration d'utilité publique ;

•  un débat avec les parlementaires, les présidents du conseil régional et des conseils généraux et les maires des grandes villes a été tenu le 29 avril 1994. Il a abouti, à l'unanimité, à la conclusion qu'il convenait de parvenir rapidement à une déclaration d'utilité publique .

•  des concertations locales, dans chaque commune, de janvier à novembre 1994, avec les maires, les conseils municipaux, les riverains, le monde viticole et les syndicats agricoles, les associations (d'environnement, pêche, chasse, ...), la Fédération des usagers des transports, l'Union des consommateurs, ont marqué que le tracé, l'emplacement des gares nouvelles et des raccordements, étaient acceptés mais des renseignements précis au-delà de l'avant projet sommaire étaient exigés par la population qui exprimait le souhait de voir figer le tracé définitif.

Ces débats et réunions avaient été précédés de la diffusion préalable d'un dossier d'information aux interlocuteurs concernés.

Les réunions -souvent publiques- se sont déroulées dans un climat jugé " constructif et positif ". Elles ont mis en évidence les préoccupations des populations et de leurs élus : aménagement du territoire, nécessité d'un transport performant, besoin d'un outil participant au développement économique d'une région excentrée, opportunités et contraintes vis-à-vis de l'agriculture, et volonté de sortir de la situation d'incertitude qu'a engendré le projet en matière foncière.

Les questions évoquées lors de la consultation d'avant-projet ont porté d'une part sur les fonctionnalités du projet (dessertes, gares, liaisons), d'autre part sur le tracé de la ligne nouvelle proprement dite. Elles ont donné lieu à des études complémentaires de modification portant sur quelque 25 % du tracé initial (voir, pour exemple, en annexe 5 les modifications du tracé sur la ville de Narbonne).

La concertation, au niveau local, a donné lieu à la tenue de 505 réunions jusqu'en novembre  1994 et a permis d'aborder les conditions générales d'insertion du projet, notamment sur les thèmes suivants : protections acoustiques à terme ; rétablissement des communications et questions agricoles ; insertion paysagère ; interférences avec d'autres projets : urbanisme, routes, protection des milieux naturels.

• Votre rapporteur tient à faire remarquer, à titre d'exemple, qu'à hauteur de la plaine de Livière, près de Narbonne, une meilleure intégration paysagère de la ligne électrique à Très Haute Tension pourrait être obtenue en corrélant cette ligne électrique avec le tracé du TGV. Il s'agit là, d'ailleurs, d'un engagement pris par EDF en 1992 à l'égard des riverains.

Un partenariat actif avec la profession agricole a permis d'esquisser les premières orientations en matière de réaménagement foncier et de cultures spécialisées (vignes, vergers). Enfin, les questions de rétablissement et de passage pour la faune ont été abordées avec l'Office National de la Chasse et les organismes qualifiés en matière de milieu naturel.

L'information des élus et des populations a été complétée par l'organisation de visites sur les lignes TGV " Atlantique " et TGV " Nord " qui ont permis à 268 participants de se rendre compte par eux-mêmes des conditions d'insertion, des aménagements servant l'environnement, et de l'impact sonore d'une ligne nouvelle en service.

La presse a rendu compte de l'avancement des consultations, après avoir assisté soit aux réunions elles-mêmes, soit aux conférences de presse organisées par les maires, ou par le préfet coordonnateur à l'issue de chaque comité de pilotage .

En application de la circulaire ministérielle n° 92-71 et de la convention du 18 janvier 1994, le comité de pilotage des études comprenait : des représentants de l'Etat, le préfet de région étant président du comité, deux représentants de la SNCF, un représentant désigné par chacune des collectivités partenaires : conseils régionaux du Languedoc-Roussillon et de Midi-Pyrénées, conseils généraux du Gard, de l'Hérault, de l'Aude, des Pyrénées-Orientales et de la Lozère et la ville de Perpignan.

Le comité de pilotage s'est réuni le 18 janvier 1994 à Montpellier, le 7 avril 1994 à Perpignan, le 7 juin 1994 à Carcassonne, les 13 septembre et 2 décembre 1994 et le 10 janvier 1995 à Montpellier. Il a été régulièrement informé. Chaque réunion donnait lieu à une ou deux réunions intermédiaires du comité technique, comprenant des techniciens des collectivités concernées, et à un procès verbal de réunion, ainsi qu'à une conférence de presse.

La commission de suivi a participé au débat et analysé les remarques, lettres et réponses : 95 lettres ont été adressées au préfet de région, 42 % sont favorables au projet, 50 % sont neutres (demandes de renseignements notamment), 8 % seulement sont défavorables. Il s'agit d'un résultat considéré par certains commentateurs comme " remarquable ". Dans de nombreux cas, la réponse définitive et complète reste cependant subordonnée à l'achèvement de l'avant-projet puis à la déclaration d'utilité publique. Les membres de la commission de suivi se sont inquiétés d'une possible évolution de l'opinion publique au fil du temps et ont suggéré de veiller rapidement aux problèmes fonciers et immobiliers particuliers.

Qu'il soit permis d'ailleurs à votre rapporteur de souligner que trois départements concernés par la ligne à grande vitesse ont avancé et rappelé, à juste raison, une exigence forte. Selon eux, la mise en oeuvre de la déclaration d'utilité publique doit être globale et porter sur l'ensemble du tracé (Montpellier-Le Perthus) et non pas seulement, sur la partie Perpignan-Barcelone. Cette demande des départements a été renouvelée, à plusieurs reprises, sans que le préfet de région en ait, semble-t-il, tenu compte. Aussi serait-il souhaitable que cette question puisse trouver sa solution.

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