QUATRIÈME PARTIE

LES PROPOSITIONS DE
VOTRE COMMISSION DES LOIS

Votre commission des Lois approuve l'initiative prise par M. le Garde des Sceaux pour instituer un double degré de juridiction en matière criminelle -ou, plus exactement, pour créer un premier degré et ériger la cour d'assises en juridiction d'appel-.

Elle approuve dans une large mesure les modalités proposées à cette fin par le projet de loi : le maintien du jury populaire aux deux degrés, la création d'un tribunal d'assises départemental comprenant cinq jurés et trois magistrats, la transformation de la cour d'assises en juridiction d'appel ou la suppression du double degré obligatoire d'instruction.

Cette analyse a d'ailleurs été partagée par la plupart des personnes entendues soit par votre commission, lors de la journée d'auditions publiques du 12 mars 1997, soit par votre rapporteur.

Aussi, votre commission vous proposera-t-elle des aménagements certes importants mais qui ne remettent aucunement en question l'architecture générale du projet de loi.

A cet égard, votre rapporteur tient à préciser que les nombreux amendements de suppression ne sauraient être interprétés comme traduisant une opposition sur le fond aux articles concernés. Dans la plupart des cas, il s'agit en effet d'alléger un texte particulièrement dense (car comprenant plus de quatre cents dispositions) afin d'en faciliter la compréhension. A cette fin, votre commission vous propose de supprimer notamment :

- les dispositions qui ne relèvent pas du domaine de la loi ;

- les dispositions qui apportent des précisions sans véritable utilité, soit que ces précisions figurent dans d'autres articles soit qu'elles reconnaissent expressément des facultés qui, en vertu du principe selon lequel tout ce qui n'est pas interdit est permis, existeraient même dans le silence de la loi ;

- les dispositions qui, pour éviter d'allonger le débat sur des questions périphériques, pourraient être reprises dans un autre projet de loi (et notamment dans le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre judiciaire, qui devrait d'ailleurs entrer en vigueur avant celui présentement soumis à notre examen).

Sur le fond, votre commission vous propose trois séries de modifications. La plupart touchent à la fois le tribunal d'assises et la cour d'assises ; certaines sont propres à cette dernière juridiction ; d'autres ont trait à la procédure antérieure au jugement, qu'il s'agisse de l'instruction ou de la phase préparatoire au procès.

Enfin, conformément à son souci constant de veiller au bon fonctionnement de la justice et à la bonne application des réformes la concernant, elle vous soumet un amendement prévoyant que les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de la présente réforme ne sauraient être prélevés sur ceux prévus par le programme pluriannuel pour la justice.

I. LES MODIFICATIONS RELATIVES AU TRIBUNAL D'ASSISES ET À LA COUR D'ASSISES

A. L'ÂGE MINIMUM DES JURÉS

Votre commission comprend le souci du Garde des Sceaux de mieux associer les jeunes à la justice. Elle considère cependant que l'abaissement à dix-huit ans de l'âge minimal requis pour exercer les fonctions de juré ne saurait à cet égard constituer une solution satisfaisante.

D'abord parce que, comme l'a d'ailleurs reconnu M. Jacques Toubon, Garde des Sceaux, ministre de la justice, lors de son audition devant votre commission des Lois, une forte majorité de jeunes de dix-huit à vingt-trois ans ne souhaitent pas exercer ces fonctions.

C'est ce que confirme l'enquête effectuée à la demande de M. le Président Jacques Larché auprès des élèves de terminale de trois lycées : Suger à Saint-Denis, Amyot à Melun et Fresnel à Caen.

Il résulte de cette enquête que, même s'ils ne sont pas opposés à tout abaissement de la condition d'âge, plus des trois-quarts des lycéens interrogés répondent négativement à la question " estimez-vous souhaitable qu'un jeune de dix-huit ans puisse exercer les fonctions de juré ? ".

Le tableau ci-après retrace les résultats globaux de cette enquête :


Votants (1) Oui Non
595 146

(24,6 %)

445

(75,4 %)

dont :

19 ans : 7 (1,6 %)
20 ans : 104 (23,4 %)
21 ans : 84 (18,9 %)
22 ans : 40 (9 %)
23 ans : 210 (47,1 %)

(1) Certains élèves ayant coché à la fois oui et non, leurs réponses n'ont pas été prises en compte.

La comparaison des résultats par établissement montre par ailleurs que ces proportions se retrouvent approximativement dans chaque lycée.

- Lycée Jacques Amyot, Melun, Seine-et-Marne :

Non : 166 75,7 %

Oui : 53 24,3 %

Total : 219

Parmi les réponses négatives, l'âge à partir duquel on peut être apte à exercer les fonctions de juré est estimé à :

19 ans : 6 3,6 %

20 ans : 23 13,8 %

21 ans : 35 21 %

22 ans : 19 11,4 %

23 ans ou plus : 82 49,4 %

- Lycée Augustin Fresnel, Caen :

Non : 247 76,47 %

Oui : 76 23,53 %

Total : 323

Parmi les réponses négatives, l'âge à partir duquel on peut être apte à exercer les fonctions de juré est estimé à :

20 ans : 75 30,36%

21 ans : 43 17,41 %

22 ans : 21 8,5%

23 ans ou plus : 108 43,72%

- Lycée Suger, Saint-Denis :

Non : 33 66 %

Oui : 17 34 %

Total : 50

Parmi les réponses négatives, l'âge à partir duquel on peut être apte à exercer les fonctions de juré est estimé à :

19 ans : 1 3 %

20 ans : 6 18 %

21 ans : 6 18 %

23 ans ou plus : 20 60 %

Ce sentiment est partagé par des adolescents plus jeunes. Ainsi, à l'occasion de la journée " Sénateur-Junior ", organisée le samedi 8 mars, M. le Président Jacques Larché a consulté les 26 membres (de quatorze à quinze ans) de la " commission Liberté " : 22 contre 2 se sont déclarés opposés à l'abaissement de la condition d'âge.

Ce refus (qui montre d'ailleurs que le Garde des Sceaux n'a en aucune manière souhaité émettre une proposition démagogique) suffirait en lui-même à faire tomber l'argument selon lequel les jeunes majeurs, susceptibles de subir la justice, devraient également pouvoir y participer. Car cette participation prendrait alors la forme de la contrainte, ce qui ne serait certainement pas la meilleure façon de renforcer la compréhension de la justice par les intéressés.

Mais, au-delà de ces considérations téléologiques, c'est la spécificité même des débats d'assises qui rend inopportun l'abaissement de l'âge requis.

La cour d'assises (et demain le tribunal d'assises) est appelée à juger des affaires graves (viols, incestes, infanticides...) dans une atmosphère souvent empreinte d'une forte émotivité qui peut la conduire à siéger à huis clos ou à interdire l'accès des mineurs à la salle d'audience. Il s'agit fréquemment (pour plus de 80 % des affaires à Caen, selon M. Eric Enquebecq, avocat général près la cour d'assises du Calvados) de procès liés aux moeurs.

Lors de son audition par votre commission des Lois, M. Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de cassation, a indiqué que des conversations avec des jurés montraient que la participation à une session de cour d'assises pouvait être la cause d'un trouble et d'un traumatisme profonds et difficiles à assumer pour de jeunes majeurs.

Par ailleurs, comme l'a notamment fait observer Me Hervé Témime, président de l'association des avocats pénalistes, vingt-trois ans peut déjà représenter un âge à peine suffisant pour comprendre et assumer tous les enjeux et la gravité des décisions d'une cour d'assises.

Tel est d'ailleurs le sentiment quasi-unanime des anciens jurés et des praticiens des cours d'assises.

Ainsi, M. Pierre Copie, président de l'association des anciens jurés de la cour d'assises du Nord (qui rassemble 500 personnes), a indiqué que son association s'était prononcée à l'unanimité contre l'âge de dix-huit ans.

M. Dominique Riboulleau, président de la cour d'assises des Landes, a également souligné que, selon une enquête réalisée auprès des anciens jurés de ce département, l'unanimité s'était dégagée en faveur du maintien du droit actuel.

Comme l'a rappelé notre très estimé collègue M. Christian Bonnet, des études sociologiques ont établi que les individus deviendraient aujourd'hui adolescents de plus en plus tôt mais adultes de plus en plus tard.

Des considérations pratiques ont également été avancées, notamment par Me Bernard Vatier, bâtonnier de Paris, qui a fait observer que faire siéger plusieurs jours, voire plusieurs semaines, des jeunes gens scolarisés ou poursuivant des études universitaires risquait de leur poser de nombreuses difficultés pratiques.

Enfin, le parallèle avec le droit de vote a d'une manière générale été considéré comme peu pertinent. Au demeurant, comme l'a fait valoir M. Jean-François Deniau, si un parallèle devait être établi, il conviendrait de le faire par référence à l'âge exigé pour l'accès à certaines fonctions électives plutôt que par référence à l'âge conférant le droit de vote.

Toutes ces considérations conduisent votre commission à vous proposer de maintenir à vingt-trois ans l'âge minimum requis pour exercer les fonctions de juré.

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