III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

La plupart des personnes entendues par votre commission et votre rapporteur, si elles ont approuvé le projet de loi dans son principe, se sont inquiétées des moyens de son application effective.

Ce souci est également celui de votre commission qui regrette que Mme le Garde des Sceaux, qui a pris l'engagement louable de ne jamais engager de réforme sans s'assurer au préalable des moyens nécessaires à son application, n'ait pas fait réaliser d'étude d'impact complète sur les conséquences budgétaires du projet de loi, se contentant de reprendre l'étude réalisée dans la perspective du premier projet et qui ne portait que sur le coût pour le ministère de la justice.

A cet égard, on observera que le coût budgétaire pour le ministère de la santé sera considérable. En effet, une première estimation a conduit celui-ci à évaluer :

- à 35,6 MF le coût annuel du suivi thérapeutique en milieu libre à compter de l'an 2000 (coût estimé sur la base de 6 200 personnes suivies) ;

- entre 42,75 et 56,43 MF le coût sur trois ans de la prise en charge par l'assurance maladie des victimes d'abus sexuels (coût estimé sur la base de 15 000 bénéficiaires sur les trois années) ;

- à 21 MF le coût annuel du recours aux médecins coordonnateurs à compter de l'an 2002 (coût estimé sur la base de 12 000 condamnés à suivre).

Il convient d'y ajouter le coût de formation de 10 000 médecins qui (à raison de trois jours de session par an pour des groupes de 20 personnes, au coût moyen de 3 000 F la journée) représenterait plus de 100 MF sur cinq ans.

Or, la charge pour le ministère de la justice sera déjà lourde :

- 80 travailleurs sociaux supplémentaires d'ici 2002 (soit 14,4 MF de rémunération) et 107 d'ici 2008 au titre de l'augmentation de la population prise en charge par les CPAL ;

- 5 à 10 MF par an pour le financement de l'expertise psychiatrique avant le jugement des délinquants sexuels ;

- 0,8 MF par an pour l'expertise psychiatrique préalable à la libération d'une personne ayant exécuté une peine de prison ;

- 2,6 MF par an pour les expertises réalisées au cours de l'exécution du suivi socio-judiciaire et lors de la présentation d'une demande de relèvement.

S'ajouteront à ces frais ceux, non déterminés, générés par l'assistance du mineur par un psychologue et par un administrateur ad hoc

Votre commission a pris note de l'engagement du Gouvernement, réitéré par Mme le Garde des Sceaux lors de son audition, de consacrer les moyens nécessaires à cette réforme. Dans le souci de ne pas accroître le coût global de celle-ci, elle vous proposera des amendements tendant à le réduire (suppression d'une double expertise, allégement des charges des JAP...). Ces amendements permettront de réaliser de substantielles économies.

A. RENFORCER L'EFFICACITÉ DU SUIVI SOCIO-JUDICIAIRE

1. Allonger la durée du suivi socio-judiciaire

Plusieurs personnes auditionnées ont dénoncé le caractère arbitraire de la durée prévue pour le suivi socio-judiciaire (cinq ans maximum en cas de délit, dix ans en cas de crime)  :

- d'abord, une telle durée peut se révéler trop courte, d'autant plus que les médecins s'accordent pour affirmer que les soins n'ont pas d'effet curatif mais seulement symptomatique : le délinquant peut redevenir aussi dangereux qu'avant dès qu'il cesse le traitement ;

- en second lieu, il est paradoxal que la durée de la peine la moins contraignante (le suivi socio-judiciaire) soit inférieure à celle de la peine la plus lourde (la prison). Ainsi, l'auteur d'un crime pourrait être condamné à trente ans de réclusion ou à perpétuité, mais ne serait pas tenu à être suivi plus de dix années.

Le paradoxe est peut-être encore plus patent pour les délits puisque le suivi socio-judiciaire peut se substituer à la prison : imagine-t-on à la limite que la juridiction remplace dix ans de prison par cinq ans de suivi socio-judiciaire ?

Inversement, il paraît difficilement concevable qu'une personne puisse être suivie toute sa vie par un médecin traitant, en relation avec un médecin coordonnateur et sous le contrôle du juge de l'application des peines.

C'est pourquoi, il semble souhaitable d'augmenter sensiblement la durée maximale du suivi socio-judiciaire sans pour autant que celui-ci puisse être illimité.

Votre commission vous propose donc un amendement tendant à ce que la durée de la peine de suivi socio-judiciaire puisse être au plus égale à dix ans en cas de délit ou à vingt ans en cas de crime.

2. Assurer l'effectivité du suivi socio-judiciaire

a) Aggraver les peines prévues en cas d'inobservation du suivi socio-judiciaire

Afin de mieux assurer l'effectivité du suivi socio-judiciaire, votre commission vous propose d'aggraver le maximum de la peine encourue pour inobservation du suivi socio-judiciaire lorsque la personne assujettie a été condamnée pour délit.

Il lui semble en effet qu'une durée maximale de deux ans risque, dans certaines hypothèses, de se révéler insuffisante et ce d'autant plus que deux juridictions pourraient décider de la réduire :

- la juridiction de condamnation tout d'abord, pour laquelle cette peine ne constitue qu'un maximum, conformément aux principes généraux du nouveau code pénal ;

- le juge de l'application des peines en second lieu, qui peut décider de ne mettre à exécution qu'une partie de la peine fixée par la juridiction.

Dans ces conditions, le condamné au suivi socio-judiciaire pourrait préférer encourir le risque d'une peine de prison plutôt que respecter ses obligations pour une durée qui lui paraîtrait trop longue (surtout si était retenue la proposition de votre commission tendant à allonger la durée du suivi socio-judiciaire). Ainsi un délinquant condamné à dix ans de suivi socio-judiciaire pourrait préférer prendre le risque de subir deux ans (au pire) de prison plutôt que d'être soumis à des obligations certes moins contraignantes que la privation de liberté mais d'une durée cinq fois plus longue.

Certes, on peut légitimement escompter qu'un tel choix sera exceptionnel. Néanmoins, pour éviter autant que possible qu'un calcul " coût-avantages " ne conduise le délinquant sexuel à retenir la plus mauvaise solution pour la société, votre commission vous propose de porter à cinq ans le maximum de l'emprisonnement prévu en cas d'inobservation du suivi socio-judiciaire sans plus distinguer selon que le condamné l'a été pour un crime ou un délit.

b) Remettre à exécution l'emprisonnement prévu en cas de nouveau manquement aux obligations du suivi socio-judiciaire

Même s'il précise que le suivi socio-judiciaire est suspendu par toute détention intervenue au cours de son exécution (ce qui paraît sous-entendre que même un emprisonnement pour inobservation du suivi socio-judiciaire ne dispense pas le condamné d'accomplir ses obligations à sa sortie de prison), le projet de loi n'indique pas expressément que, sauf relèvement, le suivi socio-judiciaire doit être exécuté dans sa totalité.

Or, votre commission estime nécessaire d'éviter que le condamné soit dégagé de ses obligations au seul motif qu'il aurait exécuté au moins en partie l'emprisonnement prévu par la juridiction de jugement.

Aussi vous propose-t-elle un amendement précisant que le juge de l'application des peines peut de nouveau mettre à exécution la peine d'emprisonnement en cas de nouveau manquement aux obligations du suivi, à condition toutefois que la durée totale des incarcérations ainsi subies n'excède pas le maximum de celle fixée par la juridiction de jugement.

3. Inciter davantage le condamné à suivre un traitement en prison

Si un large consensus paraît s'être dégagé pour considérer qu'un condamné ne saurait être astreint à suivre un traitement en prison, l'ensemble des personnes entendues par votre commission et votre rapporteur ont estimé souhaitable de tout mettre en oeuvre pour inciter un condamné à se soigner dès son incarcération.

Diverses propositions ont d'ailleurs été émises pour aller au-delà du simple rappel par le juge de l'application des peines, tous les six mois, de la faculté pour le condamné de suivre un traitement. C'est ainsi que le Barreau de Paris a suggéré d'exclure du bénéfice de la libération conditionnelle les auteurs d'infractions sexuelles qui refuseraient de se soigner en prison.

Votre commission considère également indispensable d'inciter au suivi d'un traitement lors de l'exécution de la peine privative de liberté. Il lui paraît toutefois souhaitable d'éviter une solution trop rigide, qui priverait en toute hypothèse le juge de l'application des peines de son pouvoir d'appréciation.

Aussi vous propose-t-elle de poser en principe que les personnes condamnées à un suivi socio-judiciaire comprenant une injonction de soins et qui refusent un traitement pendant leur incarcération ne pourront bénéficier des réductions de peine supplémentaires de l'article 721-1 du code de procédure pénale.

Néanmoins, afin de conférer une certaine souplesse à ce dispositif, notamment pour tenir compte du fait que le suivi d'un traitement médical en prison peut ne pas être nécessaire, il vous est proposé de permettre au juge de l'application des peines, sur avis conforme de la commission de l'application des peines (au sein de laquelle siège le psychiatre), d'accorder le bénéfice des réductions de peines supplémentaires nonobstant l'absence de soins.

Il convient de préciser que le fait pour un condamné d'accepter d'être soigné en prison ne saurait ipso jure le conduire à bénéficier des réductions de peine. Si le refus de soins lui interdira de prétendre à ce bénéfice, leur acceptation ne sera qu'un élément parmi d'autres pour l'appréciation par le juge de l'application des peines des " efforts sérieux de réadaptation sociale " que doit manifester le condamné pour obtenir des réductions de peine supplémentaires.

B. ASSURER UNE MEILLEURE RÉPRESSION DES INFRACTIONS SEXUELLES ET DES ATTEINTES AUX MINEURS

Votre commission vous propose plusieurs amendements, touchant soit au droit pénal de fond soit à la procédure pénale, afin d'assurer, dans le respect des droits fondamentaux de la personne, une meilleure répression des infractions sexuelles et des atteintes aux mineurs.

1. Les réductions de peine en cas de récidive

Plusieurs personnes entendues par votre commission ou votre rapporteur ont fait part de leur scepticisme sur l'opportunité d'accorder des réductions de peine aux auteurs d'infractions sexuelles. Certaines ont même proposé de les supprimer tout au moins pour les récidivistes.

Comme précédemment, votre commission estime nécessaire de distinguer entre les réductions de peine pour bonne conduite (article 721 du code de procédure pénale) et les réductions de peines supplémentaires (article 721-1).

Il lui paraît en effet difficile de supprimer purement et simplement les premières dont la perspective constitue un gage de bon comportement du condamné en prison.

Il lui semble en revanche opportun d'agir sur les réductions prévues par l'article 721-1 dont l'octroi est subordonné à un comportement actif du condamné (à la différence des réductions pour bonne conduite, accordées dès lors que celui-ci ne commet pas d'infraction en prison). Il lui appartient en effet de manifester " des efforts sérieux de réadaptation sociale ".

L'appréciation, forcément subjective, de ces efforts sérieux doit se faire in concreto , en tenant compte notamment de la dangerosité du condamné. Il n'y aurait donc rien d'anormal à exiger, en cas de récidive, que l'opportunité d'accorder des réductions de peine supplémentaire fût appréciée plus sévèrement que lors de la première incarcération.

Aussi votre commission vous propose-t-elle de poser le principe selon lequel les récidivistes d'infractions sexuelles ne bénéficieront plus des réductions de l'article 721-1, le JAP ne pouvant y déroger que sur avis conforme de la commission de l'application des peines.

2. Le problème des messages pornographiques ou pédophiles diffusés sur l'Internet

Votre commission est fort sensible au problème de la diffusion des messages pornographiques ou pédophiles sur l'Internet.

Certes, elle constate que les articles 227-23 et 227-24 du code pénal permettent de sanctionner les diffuseurs de tels messages. La création d'une circonstance aggravante en cas d'utilisation d'un réseau de télécommunications devrait d'ailleurs renforcer le caractère dissuasif de ces dispositions, étant entendu qu'elle ne saurait s'analyser comme une preuve de méfiance vis-à-vis d'un procédé moderne. Loin de marquer le début d'un harcèlement législatif, la répression des abus commis sur l'Internet doit précisément faciliter son entrée dans les moeurs en évitant de l'utiliser à des fins illicites, faute de quoi le risque serait grand de voir jeter l'opprobre sur ce procédé et de tenir la France à l'écart de la modernité. C'est d'ailleurs dans le but de concilier ce souci de ne pas jeter le discrédit sur ce procédé avec celui de protéger les enfants contre les abus auxquels il pourrait donner lieu que votre commission vous propose de limiter le champ de cette nouvelle circonstance aggravante aux infractions commises sur des mineurs.

Mais, en amont de la diffusion, se pose la question de la responsabilité pénale de l'offreur d'un site Internet à des fins pornographiques ou pédophiles. En l'état actuel du droit, cette responsabilité ne peut être mise en jeu que sur le fondement de la complicité, ce qui suppose que soit apportée la preuve, impossible en pratique, que l'offreur de site savait que son cocontractant diffuserait de tels messages.

Votre commission n'a pas souhaité revenir sur ce dispositif dans le cadre du présent projet de loi, Mme le Garde des Sceaux ayant indiqué qu'une réflexion serait engagée par le ministère chargé de la communication.

Elle a en revanche jugé nécessaire de prévoir un mécanisme d'information de l'offreur de site permettant à celui-ci d'avoir connaissance des activités de son cocontractant et donc de mettre fin au contrat, sous peine de tomber sous le coup de la complicité.

Ainsi, elle vous propose un dispositif s'inspirant directement de celui prévu par la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication en cas d'infraction aux règles d'émission en matière audiovisuelle. Il s'agit de confier à des agents du Conseil supérieur de l'audiovisuel et habilités à cet effet la possibilité de constater les infractions aux articles 227-23 et 227-24 du code pénal. Cette faculté concernerait notamment les infractions commises sur l'Internet, service de communication audiovisuelle au sens de la loi de 1986. Une copie des procès-verbaux constatant les infractions serait alors transmise, via le procureur de la République (qui doit en être informé), à l'offreur de site qui aurait alors connaissance du comportement illicite de son cocontractant.

Ce dispositif serait inséré au sein de l'article 15 de la loi de 1986 qui confie au CSA le soin de veiller " à la protection de l'enfance et de l'adolescence dans la programmation des émissions diffusées par un service de communication audiovisuelle ".

3. La procédure applicable à la répression des infractions sexuelles

a) Le fichier des empreintes génétiques

Votre commission approuve le principe de la création d'un fichier national des empreintes génétiques des auteurs d'infractions sexuelles étant bien précisé qu'il s'agira d'un fichier de police judiciaire, destiné uniquement à l'identification et à la recherche de ces délinquants.

Afin d'éviter toute autre utilisation, elle vous propose de préciser que :

- ce fichier sera placé sous le contrôle d'un magistrat (qui pourra par exemple être le procureur général près la cour d'appel de Paris, comme il en est pour le fichier des empreintes digitales, ou le procureur général près la Cour de cassation) ;

- seules pourront accéder à ce fichier des personnes dûment habilitées, sans préjudice du droit d'accès reconnu par la loi " informatique et libertés " aux personnes nominativement désignées ;

- ce décret devra fixer une durée maximale de conservation des informations enregistrées.

b) La prescription de l'action publique des infractions sur les mineurs

Ainsi qu'il a été indiqué précédemment, le point de départ spécifique du délai de prescription de l'action publique des infractions contre les mineurs (à savoir l'âge de la majorité de la victime) ne concernerait désormais que des infractions strictement énumérées mais s'appliquerait quel que soit l'auteur, quand bien même celui-ci n'aurait pas autorité sur le mineur.

Votre commission approuve le principe d'une telle modification qui vise à cantonner le régime spécifique de la prescription à des infractions relevant effectivement des mauvais traitements à enfant (et exclut notamment les infractions commises involontairement).

Il lui paraît toutefois peu justifié de distinguer parmi les crimes, qui sont par hypothèse les atteintes les plus graves.

Elle observe au surplus que le dispositif proposé par le projet de loi conduirait en pratique à des situations pour le moins paradoxales. Ainsi, en cas d'assassinat (ou de tentative) sur un enfant de sept ans, la prescription serait acquise dix ans plus tard (l'assassinat, ou le meurtre, n'étant pas visés par les règles spécifiques de prescription). En revanche, une violence légère (article 222-13 du code pénal) commise sur le même enfant serait prescrite trois ans après sa majorité, soit quatorze ans après les faits ; pour l'atteinte sexuelle sans contrainte (dont le délai de prescription est porté à dix ans) la prescription serait acquise vingt-et-un ans après les faits.

Votre commission juge donc cohérent de prévoir que pour tous les crimes (qui, comme les atteintes sexuelles, peuvent avoir un grave effet traumatisant sur l'enfant) le délai de prescription de l'action publique ne commencera à courir qu'à la majorité de la victime.

C. AMÉLIORER LA PROTECTION DU MINEUR VICTIME

1. La désignation de l'administrateur ad hoc

L'élargissement du recours à l'administrateur ad hoc a reçu une large adhésion de la part des personnes entendues par votre commission et votre rapporteur. Il a même été proposé d'aller plus loin en permettant de le désigner dès le stade de l'enquête et en élargissant ses missions.

a) La possibilité de désigner un administrateur ad hoc dès le stade de l'enquête

La désignation d'un administrateur ad hoc dès le stade de l'enquête préliminaire a notamment été demandée par l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille.

De même, Mme Anne-Marie Vignaud, juge des enfants à Bordeaux, a proposé d'insérer dans le code de procédure pénale un article ainsi rédigé :

" Dès le début de l'enquête ou de l'instruction et jusqu'à la décision définitive, les actes concernant le mineur victime de l'une des infractions mentionnées à l'article 706-48 seront réalisés en présence d'un titulaire de l'autorité parentale sur la demande d'un des parents de l'enfant.

Si la protection des titulaires de l'autorité parentale apparaît insuffisante, ou si les faits dénoncés visent une personne titulaire, en tout ou partie, de l'exercice de l'autorité parentale, ces actes seront réalisés en présence d'une personne spécialement désignée (...).

Cette personne, tenue au secret professionnel, ne pourra être entendue sur les faits de la procédure pénale
".

Votre commission partage cette préoccupation et vous propose donc de préciser que le procureur de la République pourra désigner un administrateur ad hoc dès le début de l'enquête (cette précision paraît d'ailleurs conforme à l'esprit du projet de loi puisque celui-ci évoque la possibilité d'entendre, dès l'enquête, l'enfant en présence de l'administrateur ad hoc ).

b) Elargir le rôle de l'administrateur ad hoc

Reprenant sur ce point le dispositif prévu actuellement par l'article 87-1 du code de procédure pénale, le projet de loi cantonne le rôle de l'administrateur ad hoc à l'exercice, au nom de l'enfant, des droits reconnus à la partie civile.

Comme l'a notamment souligné Mme Vignaud, ce rôle devrait être étendu à la protection des intérêts du mineur dans leur ensemble, et en particulier sur le plan psychologique.

Tel est également le sentiment de votre commission qui vous propose donc d'élargir à cette fin le rôle de l'administrateur ad hoc. Celui-ci serait ainsi en mesure de faire véritablement fonction d'accompagnateur de l'enfant tout au long de la procédure puisque, comme le prévoit le futur article 706-54, il est appelé à assister aux auditions et confrontations du mineur.

2. L'assistance du mineur victime par un avocat

Plusieurs personnes entendues par votre commission ou votre rapporteur se sont déclarées partisans de ce que Mme Christiane Berkani a appelé le parallélisme des formes entre le mineur délinquant et le mineur victime, qui consisterait à prévoir que, comme le premier, le second doit toujours être assisté d'un avocat dans le cadre d'une procédure pénale et ce, dès le début de l'enquête.

Désireuse de donner suite à ce sujet légitime, votre commission vous propose donc de prévoir que l'enfant victime d'une infraction sexuelle (puisque les dispositions de procédure du projet de loi concernent cette hypothèse) sera toujours assisté d'un avocat, dès le début de l'enquête. A défaut de choix d'un avocat par le mineur ou son représentant légal, le procureur de la République ou le juge d'instruction en fera désigner un d'office par le bâtonnier, comme le prévoit l'ordonnance du 2 février 1945 pour le mineur poursuivi.

3. La levée des difficultés soulevées par l'enregistrement audiovisuel de la première déposition du mineur

Votre commission partage pleinement le souci de Mme le Garde des Sceaux de limiter autant que faire se peut les confrontations ou auditions des mineurs victimes d'infractions sexuelles. Comme l'a fait observer M. Philippe Jeannin, procureur de la République à Meaux, cet enregistrement pourra constituer l'unique audition du mineur, évitant ainsi la multiplication d'entretiens pouvant être traumatisants, dans les nombreux cas où l'auteur reconnaît les faits.

Toutefois, les personnes entendues lors de la journée d'auditions publiques ont soulevé deux séries de difficultés susceptibles de résulter de cet enregistrement.

a) Les droits des parties

Si l'enregistrement ne devrait pas soulever de difficulté dans les affaires simples, il pourrait en aller tout autrement dans les cas où la personne poursuivie nierait les faits, comme l'a souligné M. le Président M. Jacques Larché. Dans une telle hypothèse, il serait dangereux de considérer que l'enregistrement permet de se passer de nouvelles auditions du mineur : pour les droits de la défense tout d'abord car, en cas d'affabulation, la déposition de l'enfant serait difficile à contester sans confrontation (d'autant plus que, selon Mme Christiane Berkani, la France, à la différence du Canada, ne dispose pas de psychiatres formés à l'expertise de crédibilité des enregistrements) ; pour l'enfant lui-même qui, impressionné lors de sa première audition, peut se révéler incapable de décrire les faits ou d'exprimer ses sentiments.

C'est pourquoi votre commission vous propose :

- d'une part, de préciser que la nécessité de l'audition du mineur s'appréciera indépendamment de la réalisation d'un enregistrement ; ainsi, le juge d'instruction saisi d'une demande d'audition ou de confrontation ne saurait se fonder exclusivement sur l'existence de l'enregistrement pour refuser d'y faire droit ;

- d'autre part, de limiter à la phase d'instruction la possibilité de substituer la consultation de l'enregistrement à une nouvelle audition. Conformément au principe de l'oralité des débats, le mineur devrait donc déposer devant les magistrats et les jurés de la cour d'assises.

Cet enregistrement donnera toutefois lieu à une transcription écrite qui sera versée au dossier. Cette transcription rend, semble-t-il, inutile l'exigence d'une copie de l'enregistrement que votre commission vous propose donc de supprimer.

b) La confidentialité de l'enregistrement

Cette question a été soulevée par plusieurs personnes entendues par votre commission, qui se sont pourtant déclarées favorables au principe de l'enregistrement. Ainsi, pour Mme Christiane Berkani, il convient de prendre garde à l'utilisation susceptible d'être faite de cet enregistrement et en limiter l'accès aux professionnels concernés pour empêcher tout risque de diffusion à l'extérieur du tribunal. De même, M. Yvon Tallec, qui a jugé utile d'étendre ce procédé à l'ensemble des cas de maltraitance des mineurs, a toutefois marqué une réserve à l'égard de l'impact des images et souhaité voir préciser plusieurs points concernant notamment l'utilisation et la consultation des copies et originaux.

Dans le souci d'assurer la plus grande confidentialité à ces enregistrements, sur laquelle M. Alain Boulay, président de l'Association d'aide aux parents d'enfants victimes, a également mis l'accent, votre commission vous propose :

- de prévoir que seules certaines personnes, en l'occurrence les parties, leurs avocats et les experts, pourront visionner les cassettes, et ce en présence du juge d'instruction ou de son greffier. Votre rapporteur a trouvé fort opportune la suggestion formulée par M. Yvon Tallec consistant à exiger que ces cassettes ne soient visionnées que dans le cabinet du juge d'instruction mais craint que, compte tenu de l'insuffisance de moyens de la justice, une telle exigence ne puisse en pratique être respectée faute d'équipement adéquat au sein de chaque cabinet d'instruction ;

- de sanctionner d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende le fait de diffuser l'enregistrement, ou la copie, de la déposition du mineur étant précisé que cette sanction a pour objectif premier la protection de la dignité de l'enfant lui-même. Elle pourra donc être prononcée quel que soit le moment de la diffusion, que celle-ci intervienne en cours de procédure (enquête, instruction, procès) ou après le jugement ;

- de prévoir la destruction des enregistrements et copies à l'issue d'un délai de cinq ans à compter de la date d'extinction de l'action publique. La destruction au bout de quelques années avait été notamment suggérée par le Dr Michel Lacour qui, bien que favorable à l'enregistrement vidéoscopique, a mis en garde contre le risque de le voir resurgir longtemps après, avec tout ce que ceci pourrait avoir de traumatisant pour les victimes devenues adultes depuis lors. Bien entendu, cette destruction ne saurait conduire à celle de la transcription de l'enregistrement.

4. Le remboursement des soins dispensés aux mineurs victimes de sévices sexuels

Reprenant une proposition émise par les associations d'aide aux victimes et à leur famille, et traduite dans un avis de la commission des droits de l'homme, votre commission vous propose d'étendre à tous les mineurs victimes d'abus sexuels (et non seulement à ceux âgés de moins de quinze ans) la possibilité de bénéficier d'un remboursement intégral par l'assurance maladie de soins qui leur sont dispensés à la suite de ces sévices.

En revanche, elle n'a pas souhaité, dans le cadre du présent projet de loi, étendre ce remboursement à la famille de la victime, les conséquences d'une telle extension lui paraissant difficiles à évaluer, indépendamment même de toute considération financière. Ainsi, dans le cas d'inceste, l'auteur des faits bénéficierait de la prise en charge des soins. A cet égard, votre commission croit utile de rappeler que, selon les informations fournies par Mme Anne-Marie Vignaud, 80 à 90 % des infractions sexuelles sur des mineurs sont le fait d'un proche de celui-ci.

D. VEILLER AU CARACTÈRE NÉCESSAIRE DES DISPOSITIONS PROPOSÉES

Comme l'écrivait Montesquieu, il ne faut pas faire de lois inutiles, elles affaiblissent les lois nécessaires. Votre commission des lois approuve cette maxime, qui ne doit pas rester un simple thème de colloque, et s'efforce de lutter en pratique contre l'inflation législative en veillant à la nécessité des dispositions soumises à son examen (et à leur précision, essentielle en matière pénale) et au respect du domaine du pouvoir réglementaire.

1. Le bizutage

Tout en approuvant la volonté des auteurs du projet de loi de parvenir à une répression plus efficace de certains abus préoccupants constatés au cours de séances de " bizutage ", votre commission s'est interrogée sur la nécessité de créer un nouveau délit spécifique pour réprimer les formes répréhensibles du bizutage.

Elle constate en effet que le code pénal comporte d'ores et déjà de nombreuses infractions susceptibles d'être retenues pour qualifier certaines pratiques déplorables de bizutage, parmi lesquelles figurent notamment les violences, les agressions sexuelles, la mise en danger d'autrui, l'administration de substances nuisibles...

En particulier, l'interprétation jurisprudentielle de la notion de violences permet de sanctionner même celles qui, sans atteindre matériellement la personne qui en est victime, sont de nature à provoquer un choc émotif.

Il appartient en outre aux autorités compétente d'engager les poursuites disciplinaires qui s'imposent à l'égard des auteurs de faits répréhensibles de bizutage.

D'autre part, la notion de " comportements portant atteinte à la dignité de la personne humaine " figurant dans la définition proposée pour le délit de bizutage appellerait une appréciation subjective de la part du juge faute d'être clairement caractérisée, alors que le droit pénal est d'interprétation stricte.

Un texte pénal aussi vague, d'ordre " comportemental ", pourrait au surplus être dangereusement détourné de son objet initial.

Son adoption ne saurait donc se justifier pour de seules raisons d'affichage ou de pédagogie.

Aussi votre commission vous propose-t-elle de supprimer l'article 10 du projet de loi, l'objectif recherché par cet article pouvant être atteint par une application plus rigoureuse des sanctions pénales et disciplinaires existantes.

2. Le harcèlement sexuel

Dans un souci d'harmonisation avec la rédaction retenue par le code du travail pour sanctionner les agissements de harcèlement sexuel, l'article 7 du projet de loi tend à compléter la définition du délit de harcèlement sexuel figurant à l'article 222-33 du code pénal en ajoutant à l'usage d'ordres, de menaces ou de contraintes l'exercice de " pressions de toute nature " par une personne abusant de sa position d'autorité dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle.

Or, la notion de " pressions de toute nature " est peu précise et risque d'être difficile à caractériser.

C'est pourquoi votre commission vous propose d'en rester à la définition actuelle du délit de harcèlement sexuel qui lui paraît satisfaisante, étant entendu que les dispositions des articles 225-1 et suivants du code pénal permettent par ailleurs de sanctionner toute discrimination qui serait opérée à l'encontre d'une personne en raison de son sexe.

3. Le respect du domaine réglementaire

Dans le même esprit, votre commission vous propose de supprimer des précisions, pour la plupart ajoutées par l'Assemblée nationale, qui lui paraissent relever du domaine réglementaire. A titre d'illustration de ces amendements, dont le détail sera présenté dans l'examen des articles, votre rapporteur citera les dispositions relatives aux modalités de désignation de l'administrateur ad hoc ou l'exigence d'une mise à jour régulière de la liste des médecins coordonnateurs.

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Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter le présent projet de loi.

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