B. UN FACTEUR AGGRAVANT : LES DÉCISIONS DU NOUVEAU GOUVERNEMENT

L'accélération de la croissance en 1998 proviendrait, on l'a vu, d'un regain de dynamisme de la demande intérieure.

1. La reprise de la consommation des ménages est conditionnée par l'amélioration de l'emploi et contrainte par l'alourdissement des charges fiscales globales

Les ménages seraient mieux à même de consommer et leur comportement s'adapterait à leurs capacités : la consommation des ménages progresserait presque parallèlement à leurs gains de pouvoir d'achat, de 2 % contre 2,3 % pour ces derniers.

Cette prévision marque une rupture avec les évolutions récemment observées.

C'est d'abord le cas si on la compare avec les données tendancielles des années 1990 à 1996 où le volume de la consommation des ménages s'est accru de seulement 1 % par an.

Mais ce l'est aussi dès lors qu'on a à l'esprit le défaut de parallélisme entre la progression du revenu des ménages et celle de leur consommation. En 1995, malgré un taux de croissance en volume du revenu disponible de 2,8 %, la consommation des ménages n'avait progressé que de 1,7 %. Inversement, en 1996, à une progression du revenu des ménages de 0,2 % avait correspondu un accroissement de leur consommation de 2,1 %. De la même manière en 1997, le supplément de pouvoir d'achat des ménages, + 2 %, ne devrait s'accompagner que d'un surcroît modeste de leur consommation (+ 0,9 %).

En bref, alors que la consommation des ménages est apparue fort peu corrélée avec les évolutions de pouvoir d'achat ces dernières années, la prévision du gouvernement table sur un retour à une étroite corrélation entre variation du pouvoir d'achat des ménages et de leur consommation.

Il s'agit là d'une hypothèse importante au regard de la prévision de croissance économique mais aussi de l'équilibre des finances publiques.


Elle s'appuie principalement sur la prévision d'une évolution dynamique de la masse salariale -+ 3,5 %- sous l'effet conjoint d'une augmentation des emplois et du salaire par tête, ces deux facteurs étant dans une certaine mesure dépendants l'un de l'autre.

La croissance du nombre d'emplois prévue pour l'année prochaine dans le secteur marchand s'élève à 210.000 unités, à comparer avec une augmentation du nombre d'emplois estimée à 135.000 unités en 1997.

La variation du nombre des emplois traduirait donc une croissance des effectifs de 0,8 % en 1997 et de l'ordre de 1,2 % en 1998. S'y ajouteraient les "emplois des jeunes", pour 50.000 unités en 1997 et 100.000 unités supplémentaires en 1998.

Ces résultats s'appuient sur une hypothèse de gains de productivité par tête inchangés en 1997 et 1998, estimés à 1,8 % dans les entreprises non financières non agricoles et, au total, de l'ordre de 1,6 %.

Cette hypothèse suppose que la rupture avec l'évolution de long terme de la productivité apparente du travail observée depuis le début des années 1990 se poursuive.

L'évolution de la productivité apparente du travail

Gains de productivité à long terme (1979-1990, % par an)

Industrie

Services

Etats-Unis

3,7

0,3

Allemagne

2,2

1,5

France

2,8

2,0

Royaume-Uni

4,3

0,9

Japon

3,5

2,9

Source : OCDE

Sur le long terme, entre 1979 et 1990, la France a enregistré des gains annuels de productivité du travail de 2,8 % dans l'industrie et de 2 % dans le secteur des services. Cette situation manifeste un retard dans l'industrie que d'ailleurs partage l'Allemagne par rapport aux autres pays industrialisés et, au contraire une avance dans les services où les gains d'efficience ont été plus élevés en France que dans les pays comparables, excepté le Japon.

Les tableaux qui suivent démontrent cependant qu'une double rupture s'est produite au tournant des années 1980 et 1990.

Productivité horaire apparente du travail

(en % par rapport à l'année précédente)

Années

Ensemble des secteurs

1981

1982

1983

1984

1985

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

3,1

6,2

1,5

2,3

3,7

2,7

1,6

3,0

2,9

2,1

1,2

2,6

1,0

3,0

0,8

1,1

Les gains de productivité du travail se sont globalement ralentis.

Productivité apparente du travail (en % et par an) entre 1992 et 1995

1992-1995

Industrie

Industrie manufacturière

BGCA

Commerce + transports
Télécommunications + services marchands
4,0

4,2

- 0,4

0,0

Source : INSEE

Cette évolution n'est toutefois pas générale, l'industrie accroissant ses gains de productivité, le secteur des services au sens large connaissant un net ralentissement des siens.

La signification de ces évolutions doit être précisée.

La productivité apparente du travail apparaît comme un résultat qui peut être considéré comme un indicateur du contenu de la croissance en emplois. Ainsi, compte tenu d'un niveau de croissance du PIB donné, les gains de productivité du travail apparaîtront d'autant plus bas que le nombre des emplois créés sera plus élevé et inversement. Comme il est difficile de construire des équations expliquant l'évolution de la productivité du travail, il faut la poser en hypothèse compte tenu d'évolutions observées dans le passé. Cette méthode est évidemment décevante si l'on considère que les progrès de productivité s'expliquent par des variables économiques et sociales identifiables comme l'investissement ou le niveau de l'éducation. Elle l'est encore plus et les résultats de ces dernières années avec elle, si l'on pense que de forts progrès de productivité sont susceptibles de favoriser la croissance en en améliorant par exemple l'efficience 2( * ) .

Elle fait place à un certain arbitraire comme le démontre semble-t-il la prévision du gouvernement. En effet, l'hypothèse privilégiée par celle-ci d'un gain de productivité moyen de 1,8 % apparaît discutable. On rappelle qu'existe un "cycle de productivité" qui traduit le fait qu'en période de reprise économique, le supplément d'embauches provoqué par celle-ci est retardé, les entreprises ne percevant pas immédiatement la reprise et s'efforçant de faire face à l'activité supplémentaire avec les moyens en place. L'accroissement de la productivité du travail observé en 1994 -voir tableau ci-dessus- s'est inscrit dans le cadre de ce phénomène.

C'est d'ailleurs sur des gains de productivité beaucoup plus importants, de 2,3 % en 1997 et de 2,7 % en 1998, qu'est bâtie la projection à moyen terme réalisée par l'Observatoire français des conjonctures économiques pour la Délégation du Sénat pour la planification.

Ces écarts ne sont pas seulement théoriques puisqu'ils exercent une influence directe sur le niveau des emplois qu'on peut associer à une prévision : soit un point supplémentaire de gains de productivité, l'emploi marchand salarié ne s'accroîtrait plus que de l'ordre de 0,1 % 3( * ) .

Dans ces conditions, le chômage s'aggraverait un peu plus et les dépenses liées à lui également. Un tel "appauvrissement" de la croissance en emplois pourrait d'autant plus survenir que le gouvernement entend supprimer certaines mesures d'allégements de charges qui ont favorisé l'enrichissement de la croissance en emplois et que l'importante progression du travail à temps partiel, qui concerne 16,5 % des salariés, pourrait s'interrompre.

La formation des salaires en serait moins favorable aux salariés : le salaire par tête s'accroîtrait moins et la masse salariale serait, par construction, moins dynamique. L'ensemble des salaires progresse dans la prévision du gouvernement de 3,5 % en niveau. Les salaires distribués par secteur marchand non agricole augmentent un peu plus vite du fait d'une progression des effectifs (+ 1,4 %) plus rapide que dans le secteur non marchand.

Le salaire moyen par tête, au sujet duquel manquent d'ailleurs les informations statistiques complètes nécessaires à une estimation robuste, pourrait progresser moins vite que prévu.

Mais l'essentiel est ailleurs : un facteur d'incertitude considérable pèse sur la prévision, l'évolution de la durée légale du travail . Facteur d'incertitude pour la prévision, mais aussi pour les entreprises que les perspectives en la matière pourraient inciter à rechercher des gains de productivité peu favorables à l'emploi.

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