ARTICLE 54 - Paiement de la TVA dans le cadre du travail à façon

Commentaire : cet article tend à instaurer, dans le cadre du travail à façon, une solidarité entre le donneur d'ordre et le façonnier pour le paiement de la TVA .

Le travail à façon est un régime de sous-traitance très particulier, dans lequel le donneur d'ordre fournit et reste propriétaire de la matière première transformée par le façonnier.

Au regard de la TVA, le façonnier n'est tenu de facturer au donneur d'ordre que la valeur de sa prestation de service et des matières qu'il ajoute éventuellement. Le donneur d'ordre, lorsqu'il vend la marchandise façonnée, acquitte la TVA sur la totalité de la valeur de celle-ci, qui inclut la matière première et sa transformation.

Ce mécanisme se prête à certaines fraudes . Le façonnier peut ne pas reverser au Trésor la TVA qu'il a facturé au donneur d'ordre et disparaître dans la nature. Si le donneur d'ordre est complice du façonnier, il bénéficie alors de manière frauduleuse de droits à déduction au titre de la TVA payée sur la transformation de la marchandise.

Le Gouvernement propose donc d'instaurer une solidarité de paiement automatique entre le donneur d'ordre et le façonnier pour décourager toute tentation de collusion de fraude.

Une telle solidarité de paiement est assez rare en droit fiscal, et est généralement justifiée par des motifs impératifs. En matière de TVA, il n'existe de solidarité de paiement que dans deux cas :

- dans le cadre du régime intracommunautaire, le vendeur ou le prestataire est solidairement tenue au paiement de la TVA lorsque l'acquéreur redevable est établi hors de France (22 bis et 2 ter de l'article 28) du code général des impôts) ;

- lorsqu'une personne établie hors de France est redevable de la TVA ou doit accomplir des obligations déclaratives, elle est tenue de faire accréditer auprès du service des impôts un représentant assujetti établi en France qui s'engage à remplir les formalités lui incombant et, en cas d'opérations imposables, à acquitter la taxe à sa place : à défaut la TVA est due par le destinataire de l'opération imposable.

Ainsi, dans ces deux cas, la solidarité de paiement est justifiée par le caractère international de l'opération imposable à la TVA et de l'impossibilité juridique et pratique dans laquelle se trouve l'administration fiscale française de contrôler le redevable de la taxe qui se trouve à l'étranger. L'hypothèse envisagée dans le présent article n'est en rien comparable.

La commission des finances de l'Assemblée nationale a donc estimé que le souci légitime de prévenir la fraude ne pouvait pas justifier une telle mesure, qui instaure une présomption irréfragable de complicité de fraude aux dépens du donneur d'ordre.

Une solidarité de paiement aussi générale apparaît contraire aux principes généraux du droit, et particulièrement aux règles protectrices des contribuables.

Le donneur d'ordre serait tenu au paiement de la TVA, même si le défaut de paiement ne résulte pas d'une fraude du façonnier , mais d'une simple défaillance de celui-ci. Par ailleurs, en cas de fraude avérée du façonnier, le donneur d'ordre serait tenu au paiement de la TVA, même s'il n'en est pas complice .

Les députés ont donc voté en première délibération, contre l'avis du Gouvernement, deux amendements tendant à préciser, d'une part, que le défaut de paiement de la TVA doit résulter d'une fraude du façonnier et, d'autre part, que la mauvaise foi du donneur d'ordre doit être avérée.

La vigoureuse intervention du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, lors du vote de ces amendements, mérite d'être citée 31 ( * ) :

" M. Henri Emmanuelli , président de la commission : Monsieur le secrétaire d'État, je regrette votre conclusion. Nous réfléchissons toujours avec le double souci de permettre à l'administration fiscale de lutter contre des abus qui sont condamnés sur l'ensemble de ces bancs, mais aussi de faire respecter un certain nombre de principes de droit, et je dirai même les principes généraux du droit.

Je ne pense pas qu'on puisse inscrire dans la loi, fût-ce une loi fiscale, fût-ce à l'occasion d'une loi de finances, d'un amendement, un principe de présomption de culpabilité générale.

Nous sommes devant une de ces dispositions qui, à onze heures du soir, peuvent paraître marginales et qui pourtant ne sont pas admissibles (...).

Je vois bien ce que vous cherchez, monsieur le secrétaire d'État et je n'ai aucun doute sur vos intentions. Vous pensez au façonnier qui disparaît au moment de payer, à l'atelier clandestin qui fonctionne trois semaines ou un mois le temps d'honorer une commande, puis se déplace dans une autre rue, un autre immeuble ou un autre sous-sol. Je comprends ce que vous voulez faire. Mais je vous conjure de ne pas inscrire dans nos principes législatifs, au motif qu'il existe un problème particulier, un principe qui, à mon avis, n'est pas compatible avec un État de droit. "

Cependant, le Gouvernement a imposé en seconde délibération une nouvelle rédaction revenant à la solidarité de paiement automatique , mais prévoyant que celle-ci ne jouerait que lorsque le façonnier réalise plus de 50 % de son chiffre d'affaires avec le même donneur d'ordre.

Cette solution apparaît tout aussi peu satisfaisante, pour deux raisons :

- premièrement, elle pose les mêmes problèmes au regard des principes généraux du droit que la version initiale ;

- deuxièmement, elle concerne en fait la quasi totalité des façonniers , qui travaillent le plus souvent avec un donneur d'ordre principal, sinon exclusif.

En pratique, la mesure proposée apparaît de nature à porter une grave atteinte économique au système du travail à façon. En effet, les donneurs d'ordre seront découragés de recourir à cette technique au regard du risque auquel ils s'exposent, faute de pouvoir contrôler la solidité financière et la moralité des façonniers. Ils préféreront alors recourir à une sous-traitance traditionnelle.

Or, le travail à façon est indispensable au bon fonctionnement de certains secteurs économiques. Il est évidemment très développé dans le secteur du textile, où interviennent d'ailleurs la plupart des fraudes visées par le présent article. Mais il est également important dans les secteurs de l'équipement automobile ou de la transformation des métaux précieux. Dans ces secteurs, la valeur des matières premières façonnée est telle que les PME ou les artisans concernés ne pourraient que très difficilement travailler en sous-traitants ordinaires, c'est-à-dire en étant propriétaires de leurs stocks.

Il convient d'ailleurs de souligner que, sur le fond, la nouvelle rédaction proposée par le Gouvernement n'a pas reçu l'approbation de la commission des finances de l'Assemblée nationale.

En effet, cette rédaction a été votée en même temps que de nombreux autres amendements de seconde délibération, selon la procédure du vote bloquée prévue par l'article 44-3 de la Constitution.

Mais le rapporteur général de l'Assemblée nationale, M. Didier Migaud, a expressément indiqué au Ministre qu'il n'était pas certain que la solution proposée répondait aux préoccupations exprimées par les députés, et a souhaité parvenir à une meilleure rédaction en deuxième lecture.

Pour sa part, votre commission des finances partage l'analyse des députés, et vous propose de rétablir le texte qu'ils avaient adopté en première délibération .

Décision de la commission : votre commission vous demande d'adopter cet article dans la rédaction qu'elle vous propose .

* 31 JO Débats AN - 3e séance du 17 novembre 1997 - pages 6021-6022

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