ARTICLE 56 - Renforcement du dispositif des amendes fiscales

Commentaire : cet article, modifié par l'Assemblée nationale, tend à renforcer le dispositif des amendes fiscales destinées à réprimer d'une part les manquements en matière de facturation pour l'établissement de la TVA et, d'autre part, les fausses facturations .

I. LE DROIT D'ENQUÊTE : SES ORIGINES ET SA NATURE

A. LE CONTEXTE DE LA CRÉATION DU DROIT D'ENQUÊTE

La mise en place du marché unique à partir du 1er janvier 1993 impliquait la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux à l'intérieur du territoire communautaire ainsi que la suppression des barrières fiscales et douanières.

Pourtant, le fonctionnement harmonieux du régime communautaire, et par voie de conséquence, l'élimination des principaux risques de fraude, supposaient que trois conditions se trouvassent simultanément réunies :

- donner au vendeur les moyens d'apprécier la qualité de son cocontractant, et donc sa situation au regard de la TVA ;

- assurer un échange d'informations entre les différents États membres, afin de vérifier que toute livraison exonérée trouve, dans un autre pays, sa contrepartie sous la forme d'une acquisition taxée ;

- mettre en place une procédure permettant, si nécessaire, de contrôler la cohérence entre les factures reçues ou émises par une entreprise et les stocks qu'elle détient.

Les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre les deux premiers objectifs ont été définis par la directive du 16 décembre 1991 et par un règlement du conseil en date du 27 janvier 1992, relatif à la coopération administrative dans le domaine des impôts indirects.

En revanche, le respect de la troisième condition relevait exclusivement de dispositions internes et dépendait des moyens de contrôle accordés à l'administration fiscale.

C'est pour répondre à ces besoins que l'article 106 de la loi n° 92-677 du 17 juillet 1992 a créé le droit d'enquête.

B. L'ESPRIT DU DISPOSITIF CRÉANT LE DROIT D'ENQUÊTE

Le droit d'enquête donne à l'administration l'instrument lui permettant d'intervenir de manière inopinée dans une entreprise afin de procéder au seul contrôle des règles de facturation.

Il convient de rappeler que lors des débats relatifs à la création du droit d'enquête, la commission des finances du Sénat avait insisté sur le caractère strictement limité de son objet (à savoir les manquements aux règles de facturation) et sur le fait qu'il ne s'apparentait pas à une procédure de contrôle fiscal.

En outre, la commission des finances avait souligné que les éventuels manquements relevés au cours du droit d'enquête faisaient l'objet d'un procès-verbal et non de sanctions immédiates, toute possibilité de redressement s'appuyant sur ces faits étant subordonnées à la mise en oeuvre ultérieure d'une procédure de droit commun. Le droit d'enquête se distingue donc bien de la vérification de comptabilité ou de l'examen contradictoire de la situation personnelle.

II. LA DENATURATION DU DROIT D'ENQUÊTE PAR LE DISPOSITIF PROPOSÉ PAR LE GOUVERNEMENT

Or, le texte proposé initialement par le Gouvernement visait à faire du droit d'enquête une nouvelle procédure de contrôle fiscal.

A. LE RENVERSEMENT DE LA CHARGE DE LA PREUVE

Le paragraphe II du présent article modifiait la rédaction de l'article L. 80 H du livre des procédures fiscales relatif aux conclusions et aux suites de l'enquête. Il disposait que « les constatations du procès-verbal non contestées par l'assujetti dans le délai qui lui est imparti à l'alinéa précédent pour faire valoir ses observations font foi jusqu'à preuve du contraire » .

En réalité, cette rédaction revenait à renverser la charge de la preuve de l'administration vers le contribuable pour tous les manquements constates s'il ne contestait pas les constatations du procès-verbal dans un délai de quinze jours suivant la signature du procès-verbal.

Jusqu'à présent, l'exercice du droit d'enquête ne pouvait donner lieu qu'à l'application de l'amende prévue à l'article 1725 A, qui sanctionne le défaut de présentation ou de tenue des registres prévus à l'article 286 quater du code général des impôts.

Le paragraphe II de cet article proposait d'élargir cette procédure aux amendes prévues par l'article 1740 ter (qui sanctionne le travestissement ou la dissimulation par une personne, à l'occasion de l'exercice de ses activités professionnelles, de l'identité ou de l'adresse de ses fournisseurs) et l'article 1740 ter A nouveau (qui sanctionne le défaut de présentation des documents prévus à l'article 289 et 290 quinquies du code général des impôts).

Or, pour l'application de ces amendes, il aurait appartenu au contribuable d'apporter la preuve de l'inexactitude des faits retenus contre lui dans les procès-verbaux.

B. L'OPPOSABILITÉ AUX TIERS DES CONSTATATIONS NON CONTESTÉES PAR L'ASSUJETTI

Le paragraphe II du présent article disposait que les constatations du procès-verbal « ne peuvent être opposées à cet assujetti ainsi qu'aux tiers concernés par la facturation que dans le cadre des procédures de contrôle mentionnées à l'article L. 47 au regard des impositions de toute nature et de la procédure d'enquête prévue à l'article L. 80 F » .

Il étendait ainsi l'opposabilité aux tiers concernés par la facturation des constatations non contestées par l'assujetti dans le cadre des contrôles prévus à l'article L. et de la procédure d'enquête. Il permettait en outre d'infliger à un tiers, dans le cadre d'une autre procédure qui lui était destinée, les amendes prévues aux articles 1725 A, 1740 ter et 1740 ter A du code général des impôts.

III. UN DISPOSITIF QUI RESTE INACCEPTABLE EN LA MATIÈRE

Votre rapporteur n'aurait pu émettre qu'un avis défavorable si ce texte avait été présenté au Sénat dans sa rédaction initiale. Non seulement il dénaturait entièrement la notion de droit d'enquête, sans pour autant oser l'affirmer clairement, mais il violait le principe constitutionnel des droits de la défense.

Toutefois, l'Assemblée nationale a gommé les aspects les plus choquants de cet article.

A. UN DISPOSITIF ÉPURE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

L'Assemblée a apporté trois modifications qui vise, d'une part, à désamorcer la tentative du Gouvernement de créer une nouvelle procédure de contrôle fiscal et, d'autre part, à mieux garantir les droits de la défense :

- le premier amendement interdit que le procès-verbal puisse être opposé à un tiers qui n'a aucune influence sur sa rédaction. En outre, il porte à trente jours, au lieu de quinze, le délai permettant au contribuable faisant l'objet d'un procès-verbal dans le cadre du droit d'enquête. Votre rapporteur ne peut qu'approuver cet amendement qui empêchera que des tiers, sans enquête préalable les concernant et sans vérification de leur propre comptabilité, se voient opposer les constatations faites chez un redevable qui peut n'avoir avec eux aucune relation réelle ou des relations épisodiques qui n'impliquent aucune participation concertée à la fraude ;

- le second amendement dispose que les constatations du procès-verbal établies lors d'une procédure d'enquête ne pourront pas être opposées à l'occasion d'une nouvelle procédure d'enquête ;

- le troisième amendement entoure les amendes fiscales de l'article 1740 ter A du code général des impôts, instituées par le présent article, des mêmes garanties que celles prévues à l'article 1740 ter , et notamment la possibilité pour l'intéressé de présenter ses observations.

B. UN DISPOSITIF ENCORE À PARFAIRE

Certes, l'Assemblée nationale a contribué à l'amélioration du présent article. Toutefois, certaines dispositions restent inacceptables.

Votre rapporteur a relevé quatre améliorations indispensables.

D'une part, il tient à rappeler que l'enquête a pour seul objet de rechercher les manquements aux règles de facturation et, en conséquence, permet seulement d'ouvrir la voie à d'autres procédures plus lourdes. Or, le texte actuel donne à l'enquêteur un droit de communication portant sur l'ensemble des documents comptables et professionnels de l'entreprise.

Déjà en 1992, la commission des finances du Sénat avait souligné qu'un tel décalage entre objectif et moyens faisait planer le risque d'une dérive du droit d'enquête, qui, de procédure de constat matériel, pourrait insensiblement se transformer en examen fiscal préalable. La commission avait donc proposé de définir de manière plus précise l'étendue de ce droit de communication. Elle avait estimé que s'il devait bien porter sur les factures et la comptabilité matière, il paraissait souhaitable de la limiter aux seules pièces directement liées aux opérations contrôlées, tels les bons de transport ou de commande, les livres d'achats ou de ventes, ainsi que la liste des clients. Tous les documents non liés à l'application des règles de facturation, en particulier les documents comptables de synthèse, doivent rester en dehors du champ d'investigation de l'enquêteur.

Le ministre du budget de l'époque, M. Michel Charasse, avait refusé cet amendement, estimant qu'il ne fallait pas priver les enquêteurs des indices qui pourraient être décelés par l'examen d'autres documents, naturellement de nature professionnelle.

Pourtant, la tentative du Gouvernement de transformer le droit d'enquête en une nouvelle procédure de contrôle fiscal confirme les craintes émises en 1992. En effet, si le Gouvernement estime que les constatations relevées par procès-verbal durant l'enquête pourraient faire foi jusqu'à preuve du contraire, c'est parce que les informations recueillies à partir de l'ensemble des documents professionnels de l'entreprise sont tellement larges que l'administration, après en avoir eu connaissance, pourrait faire l'économie de la vérification de comptabilité.

C'est pourquoi votre rapporteur propose de limiter le droit d'enquête aux seules pièces directement liées aux opérations contrôlées.

Votre rapporteur propose également d'interdire l'application des amendes prévues à l'article 1740 ter suite à la mise en oeuvre du droit d'enquête.

En effet, comme il l'a été souligné à plusieurs reprises dans ce commentaire, le droit d'enquête ne s'apparente pas à une procédure de contrôle fiscal. Les éventuels manquements relevés dans son cadre font l'objet d'un procès-verbal et non de sanctions immédiates. À l'origine, le projet de loi prévoyait toutefois que la mise en oeuvre du droit d'enquête pouvait donner lieu à l'application de l'amende prévue à l'article 1725 A du code général des impôts, c'est-à-dire en cas de défaut de présentation ou de tenue des registres obligatoires en matière de TVA.

Le présent article propose d'élargir le champ des amendes applicables suite à la mise en oeuvre d'un droit d'enquête. Or, cette extension est contestable.

Votre rapporteur accepte que cette procédure autorise l'administration fiscale à sanctionner le défaut de présentation soit des factures ou documents délivrés pour les biens livrés ou les services rendus à un autre assujetti, soit des documents comptables permettant d'identifier l'exécution de travaux immobiliers.

En revanche, il s'oppose à ce que la mise en oeuvre du droit d'enquête puisse avoir comme conséquence directe de sanctionner, sans recours préalable à une véritable procédure de contrôle fiscal, les fausses facturations ou la dissimulation d'identité ou d'adresse. En effet, votre rapporteur estime que le droit d'enquête ne permet aux vérificateurs d'établir que dans tel ou tel cas, il y a eu fausse facturation ou manoeuvre frauduleuse. Pour arriver à ce résultat, l'administration fiscale est obligée d'examiner l'ensemble des documents comptables. En outre, elle dépasse le cadre des constations purement formelles pour porter un jugement de valeur sur les factures examinées. C'est d'ailleurs la position de la Cour de cassation qui, dans une décision du 12 décembre 1995, estime que la preuve de la fausse facturation ne peut être recherchée que dans les conditions prévues à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales.

Par ailleurs, votre rapporteur propose d'améliorer la rédaction de l'alinéa additionnel que le présent article propose d'insérer dans l'article 1740 ter du code général des impôts pour préciser que la charge de la preuve incombe à l'administration.

De même, votre rapporteur propose une rédaction différente de l'article 1740 ter A afin de renforcer les droits de la défense et de moduler le plafond de l'amende prévue dans cet article.

Décision de la commission : la commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé .

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