C. LES QUESTIONS SENSIBLES

1. La gestion des droits

L'acquisition de droits de retransmission télévisuelle est à la source même de l'activité de diffusion de toutes les chaînes de télévision. Ce marché est organisé autour de droits incorporels généralement exclusifs sur des programmes clairement identifiés. Ce marché fait donc l'objet d'une réelle concurrence car certains types de programmes sont soumis à une relative rareté et font, par conséquent, de plus en plus l'objet d'enjeux financiers importants.

Trois types de programmes sont ainsi particulièrement recherchés par les chaînes de télévision : les programmes sportifs, les oeuvres cinématographiques et les oeuvres audiovisuelles.

· Les événements sportifs

Le sport est un programme très populaire à la télévision, et donc recherché tant par les chaînes généralistes en clair que par les chaînes à péage. En proposant les événements sportifs les plus porteurs, les premières espèrent doper leur audience et les secondes espèrent augmenter leur nombre d'abonnés.

La concurrence entre les chaînes pour l'acquisition de ces programmes ne cesse de se renforcer, ce qui explique l'augmentation du prix des droits de diffusion pour les sports les plus attractifs.

A la différence des oeuvres audiovisuelles ou cinématographiques, la diffusion des événements sportifs met en concurrence l'ensemble des chaînes quel que soit leur support de diffusion. En effet, il n'existe aucune chronologie de diffusion des événements sportifs. Par conséquent, les chaînes à péage, les services de paiement à la séance, les chaînes du câble ou du satellite, les chaînes nationales hertziennes en clair sont toutes en concurrence. Cela explique en partie la surenchère dont font actuellement l'objet les droits des principales manifestations sportives.

La loi du 16 juillet 1984 dans son article 18-1 précise que " le droit d'exploitation d'une manifestation sportive appartient à l'organisateur de cet événement ". Ainsi la fédération sportive, les clubs ou l'organisateur de l'événement sont-ils les titulaires originels des droits. La situation de la titularité des droits est extrêmement complexe et variée selon les sports. En effet, la cession des droits peut, selon la situation, être négociée par la fédération, les clubs ou des sociétés commerciales intermédiaires. A cet égard, l'exemple du football illustre l'ensemble des cas de figure.

Pour les matches entre équipes étrangères se déroulant à l'étranger, les chaînes de télévision ne négocient pas directement les droits de retransmission avec les clubs ou les fédérations étrangères, du fait du rôle joué par l'UER qui détient, directement ou indirectement, l'exclusivité d'un grand nombre de rencontres.

L'UER, l'Union Européenne de radiodiffusion, qui regroupe principalement les chaînes publiques européennes, joue un rôle important dans le négoce des droits sportifs. En effet, cet organisme acquiert, pour le compte de ses membres, les droits de diffusion pour l'Europe des principales manifestations sportives. C'est elle qui, par exemple, détient les droits de diffusion des Jeux olympiques, ainsi que ceux de la Coupe du monde de football qui sera organisée en 1998 en France. Elle joue le rôle d'une centrale d'achat et d'une bourse d'échanges au bénéfice de ses membres.

Le marché des droits sportifs, qui se caractérisait par un petit nombre de vendeurs, les fédérations, et un gros acheteur, l'UER, évolue vers un marché comportant un grand nombre de vendeurs et d'acheteurs. Ce mouvement n'a pas eu pour effet une baisse des prix, mais, au contraire, il a des effets inflationnistes . C'est pourquoi l'UER a désormais des difficultés à acquérir les droits des manifestations les plus importantes. En effet, de plus en plus, les grands groupes audiovisuels internationaux concurrencent l'organisme européen en proposant de fortes sommes pour l'acquisition des droits des grands événements sportifs de dimension mondiale. Ainsi, Bertelsmann a essayé, sans succès, d'acquérir les droits de diffusion des Jeux olympiques pour l'an 2000. Les droits ont finalement été vendus à l'UER. En revanche, le groupe Kirch a acheté les droits mondiaux de diffusion de la Coupe du Monde de football de 2002 et de 2006.

Cette ouverture du marché permet dorénavant à chaque opérateur, à condition qu'il en ait les moyens, d'avoir accès aux événements sportifs. Il est cependant prévisible que les groupes qui ont des participations à la fois dans des chaînes en clair, dans des chaînes payantes et dans des services de paiement à la séance seront avantagés. En effet, ils pourront négocier au mieux des droits sportifs groupés et les diffuser sur l'une ou l'autre de leurs chaînes selon les potentialités de chaque événement.

Ces exemples illustrent bien les évolutions du marché de l'acquisition des droits sportifs. Ainsi, les téléspectateurs risquent de ne plus avoir accès gratuitement aux grands événements sportifs mondiaux . En matière sportive, l'appropriation exclusive par les chaînes à péage des droits de retransmission de rencontres sportives est susceptible de contrarier le droit à l'information du public.

Pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, il n'est évidemment pas question de remettre en cause la négociation de droits exclusifs, pratique ancienne et nécessaire qui participe d'une concurrence logique entre diffuseurs. En revanche, il ne semble guère satisfaisant que les épreuves intéressant le plus grand nombre ne soient accessibles qu'aux seuls abonnés d'un bouquet de programmes cryptés.

Il apparaît donc primordial que les pouvoirs publics français prennent des dispositions tendant à favoriser l'accès de l'ensemble des téléspectateurs à des manifestations sportives présentant objectivement un intérêt certain.

Il serait, par exemple, intéressant d'intégrer dans la loi du 16 juillet 1984, modifiée notamment par la loi du 13 juillet 1992, relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, la disposition suivante : "Un décret en Conseil d'Etat fixe la liste des manifestations sportives ne pouvant faire l'objet d'une cession en exclusivité à des chaînes payantes". Le Conseil supérieur de l'audiovisuel semblerait très favorable à une telle disposition qui s'inspire à la fois de l'article 9 de la convention du Conseil de l'Europe sur la télévision transfrontière du 5 mai 1989, et de la nouvelle directive " Télévision Sans Frontières ".

Enfin, d'une manière plus générale et comme pour les oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles, le dépôt des contrats de retransmission négociés auprès d'un registre national pourrait être rendu obligatoire. Ces contrats seraient ainsi consultables, ce qui favoriserait la transparence des négociations.

· Les oeuvres audiovisuelles et cinématographiques

L'accès de l'ensemble des opérateurs à ce type de programmes, et cela dans un contexte de libre concurrence, apparaît comme une dimension essentielle au développement de ce nouveau secteur, pour assurer à la fois le pluralisme de l'offre et la diversité des acteurs.

Or les droits sur les oeuvres audiovisuelles peuvent se révéler, pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, des entraves à la concurrence. Les producteurs bénéficient d'une cession de droits sur les oeuvres qu'ils ont produites pour une durée qui est définie contractuellement avec les auteurs et les ayants droit, et qui est généralement de 30 ans. Les oeuvres sont, dans la très grande majorité des cas, financées et coproduites par les chaînes hertziennes. Les droits de diffusion exclusifs sur tout support de ces coproductions sont systématiquement acquis par les chaînes coproductrices pour une durée variable, négociée contractuellement.

Cet " accaparement " des droits sur période longue par les diffuseurs hertziens est un frein à la circulation des oeuvres et à l'émergence d'un véritable second marché qui pourrait s'instaurer avec les chaînes satellitaires. C'est pourquoi, les pouvoirs publics ont introduit des mécanismes visant à favoriser la circulation des droits sur les oeuvres audiovisuelles.

Les commandes d'oeuvres audiovisuelles d'expression originale française ou européenne que les chaînes hertziennes nationales diffusées en clair sont tenues d'exécuter doivent, conformément à l'article 10 du décret n° 90-67 du 17 janvier 1990 modifié, à concurrence d'au moins 10 % du chiffre d'affaires annuel net de l'exercice précédent, remplir trois conditions. Outre que les contrats doivent être conclus avec une entreprise de production indépendante du diffuseur et que ce dernier ne peut prendre l'initiative et la responsabilité financière, technique et artistique de la réalisation des oeuvres, la dernière condition est ainsi rédigée : " la durée des droits de diffusion exclusifs cédés à la société ou au service n'est pas supérieure à quatre ans à compter de la livraison de l'oeuvre; elle peut être de cinq ans au total lorsque plusieurs sociétés ou services participent au financement de l'oeuvre ".

Le décret n° 95-1162 du 6 novembre 1995 est venu modifier cet article en prévoyant la disposition suivante : " Toutefois, les conventions ou les cahiers des charges visés à l'article 9-1 ci-dessus peuvent porter ces durées respectivement à cinq et sept ans ". Cette possibilité offerte aux diffuseurs d'acquérir pour une durée plus longue les droits de diffusion des oeuvres coproduites est conditionnée par l'engagement d'investir dans la production d'oeuvres audiovisuelles au-delà de l'investissement minimum de 15 % du chiffre d'affaires inscrit dans les textes (article 9-1 du décret). TF1 excepté, France 2, France 3, La Cinquième et M6, bénéficient de cette nouvelle disposition.

De plus, un type d'oeuvre est particulièrement " protégé ", ce sont les oeuvres d'animation. En effet, TF1 et M6 s'engagent dans leurs conventions respectives " à ce que pour les deux tiers des commandes d'oeuvres d'animation européennes ou d'expression originale française, la durée des droits de diffusion qu'elle détient ne dépasse pas celles fixées par le 3° de l'article 10 du décret n° 90-67 du 17 janvier 1990 modifié ", soit respectivement pour chacune des chaînes, quatre et cinq ans, et cinq et sept ans.

Il convient cependant de signaler qu'un avenant aux accords signés entre l'USPA et France Télévision le 7 octobre 1994 a été signé fin janvier 1997. L'application de cet avenant, dès le 1er janvier 1997, est assujettie à la modification du cahier des missions et des charges de chaque chaîne par son autorité de tutelle. Il ramène pour France 2 la durée des droits d'exploitation terrestre acquis à une durée de trois ans 19( * ) . Par ailleurs, la durée des droits correspondant à la première multidiffusion câble et satellite acquise par France 2 et par France 3, simultanément aux droits terrestres, est limitée à deux ans, les deux chaînes conservant néanmoins un droit de priorité d'achat pour toute cession intervenant ultérieurement.

Les dispositions réglementaires précisées ci-dessus sont importantes. En effet, la durée des droits câble et satellite inscrite dans les contrats d'achat de droits des chaînes hertziennes en clair est, dans la plupart des cas, identique à celle des droits hertziens. Les conventions de TF1 et M6 rendent cet alignement obligatoire en précisant que " la société s'engage, lorsqu'elle acquiert des droits de diffusion d'oeuvres audiovisuelles par voie hertzienne terrestre, par satellite et par câble, à les acquérir pour la même durée ".

Le Code de la propriété intellectuelle, qui dans son article L 131-3 du titre III consacré à l'exploitation des droits, dispose que " la transmission des droits d'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ".

Les chaînes de télévision hertziennes ne procèdent pas systématiquement à une valorisation claire et précise des droits qu'elles acquièrent. Dans les contrats d'achats de droits, les chaînes avaient coutume d'acquérir les droits de diffusion sur tout support pour un territoire donné pour un montant global.

Dorénavant, les contrats que les chaînes concluent en vue de l'acquisition de droits de diffusion doivent comporter un chiffrage de chaque droit acquis, individualiser chaque support de diffusion, le nombre de passage, leur durée de détention et les territoires concernés. Ces obligations sont inscrites dans le cahier des missions et des charges des chaînes publiques et dans les conventions conclues entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et TF1 et M6 à compter du 1er janvier 1997 pour 5 ans. Les contrats signés par France 2 et France 3 répondent d'ores et déjà à ces dispositions.

Après l'exercice de cette multidiffusion, la chaîne coproductrice perd l'exclusivité de la diffusion mais peut conserver un droit de priorité pour l'acquisition des droits de rediffusion. Le producteur est lié par contrat et doit informer préalablement la chaîne coproductrice des éventuelles offres qu'il reçoit des réseaux de distribution. Lorsque la durée d'exercice des droits est échue, le producteur soit se charge directement de leur commercialisation, soit confie un mandat de commercialisation à un distributeur. Ces derniers sont très nombreux. Les principaux seraient AB (qui a notamment racheté le catalogue Télécip ainsi que plus récemment Hamster), Canal + Distribution, Telfrance, l'INA, Technisonor, Europe Image, Son et Lumière, Expand, M5, la SFP, l'INA, FTD (France Télévision Distribution). Aucune étude n'a été menée jusqu'ici précisant le poids respectif de ces différents catalogues.

Cette organisation du marché confère un rôle clé aux diffuseurs hertziens en clair dans la circulation des programmes audiovisuels sur le câble et le satellite, et cela pour trois raisons essentielles :

- Ils ont le pouvoir de décider quelle chaîne payante diffusera en premier lieu les oeuvres audiovisuelles coproduites, dont elles ont les droits ;

- Ils jouent un rôle clé dans les décisions de rediffusion, pendant la durée d'exercice des droits hertziens ;

- Ils peuvent " orienter " les décisions de vente des diffusions ultérieures par le biais de leur filiale de production ou de distribution.

Au regard de ces trois constatations, il est important de rappeler que :

- TPS, dont le capital est détenu par quatre chaînes hertziennes en clair, aurait quelques facilités pour négocier l'achat de programmes en première diffusion cryptée. En effet, il paraîtrait surprenant que TF1, France 2, France 3 et M6 refusent de vendre les droits câble et satellite qu'elles possèdent aux chaînes thématiques présentes sur TPS.

Cependant, des incertitudes pèsent sur le rang de diffusion de ces programmes : seront-ils diffusés sur une chaîne payante, avant ou après leur première diffusion en clair ? Actuellement, la chaîne Festival, filiale de France Télévision, diffuse quelques programmes avant leur diffusion en clair sur France 2 ou sur France 3. Il serait utile que cette pratique s'étende. En effet, cela permettrait d'accélérer l'apparition sur le second marché d'oeuvres récentes, et cela dans l'hypothèse où se généralisent sur toutes les chaînes les achats de droits câble et satellite par la chaîne coproductrice d'une seule multidiffusion.

- Canal + a jusqu'ici joué un rôle secondaire dans la commande d'oeuvres audiovisuelles, n'ayant jusqu'en 1995 aucune obligation de production. Cette situation est appelée à changer. En effet, à l'instar des autres chaînes hertziennes, elle est assujettie depuis 1996 à une obligation de production d'oeuvres audiovisuelles européennes, qui est de 2,5% de son chiffre d'affaires pour 1996. Ce pourcentage devra être de 4,5% en l'an 2000. Les oeuvres qu'elle coproduit ont souvent un second diffuseur hertzien en clair. Jusqu'ici, ce dernier gardait les droits câble et satellite. Cette situation pourrait également évoluer.

- Tant Canal + que TF1 et M6 ont engagé depuis quelques années une politique active de prises de participation dans des sociétés de production audiovisuelle 20( * ) . Canal + a des participations souvent majoritaires dans une douzaine de sociétés de production de programmes de fiction, d'animation comme de documentaires. Ces sociétés travaillent pour la plupart avec les chaînes hertziennes en clair qui actuellement pré-achètent systématiquement les droits de diffusion câble et satellite.

Les filiales de production dépendantes de TF1 et de M6 produisent, quant à elles, très majoritairement pour leur maison mère.

TPS et Canal + pourraient, grâce à leurs filiales de production, se voir assurer l'accès aux droits satellitaires à long terme d'un volant non négligeable de productions audiovisuelles. AB Productions (premier producteur de fictions en volume horaire) a pris une participation majoritaire dans la société de production Hamster, premier producteur de fictions " lourdes " par nature facilement rediffusables comme " Navarro " ou " L'instit ".

· Droits sur les oeuvres cinématographiques

Les oeuvres cinématographiques sont sans conteste les produits phares des bouquets satellitaires numériques en développement. Cette abondance de chaînes thématiques diffusées par satellite crée une forte demande d'oeuvres cinématographiques sans que pour autant le marché soit suffisamment développé pour offrir aujourd'hui les conditions nécessaires à l'amortissement de ces oeuvres sur le marché du satellite seul.

Les films français récents

Comme la production audiovisuelle, la production cinématographique est largement financée par les chaînes de télévision.

En effet, les chaînes hertziennes en clair ont l'obligation d'investir 3 % de leur chiffre d'affaires dans la production cinématographique 21( * ) et Canal + doit consacrer 9 % de son chiffre d'affaires à l'acquisition d'oeuvres cinématographiques d'expression originale française. La chaîne cryptée remplit notamment cette obligation en pré-achetant de nombreux films français.

Les chaînes acquièrent les droits - mais les contrats sont parfois peu clairs - de diffusion des oeuvres cinématographiques pour une durée qui est négociée avec le producteur.

Néanmoins la directive " Télévision Sans Frontière " dispose dans son article 7 que " les états membres veillent à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle ne procèdent à aucune diffusion d'oeuvre cinématographique avant l'expiration d'un délai de deux ans après le début de l'exploitation de cette oeuvre dans les salles de cinéma dans un des Etats membres de la Communauté ; dans le cas d'oeuvres cinématographiques coproduites par l'organisme de radiodiffusion télévisuelle, ce délai est d'un an ".

En France, les règles concernant la chronologie des médias résultent tant des textes 22( * ) que de la pratique et en particulier des accords signés entre les chaînes à péage et le Bureau de Liaison des Industries Cinématographiques (BLIC).

Elles peuvent être résumée comme suit :

Chronologie des médias

Source : Conseil supérieur de l'audiovisuel

Chaque mode de communication au public bénéficie d'une fenêtre de diffusion particulière lui conférant une exclusivité d'exploitation afin que les recettes de chaque support soient maximisées et que les producteurs puissent exploiter successivement au mieux ces différents marchés. Cette chronologie n'est bien entendu importante que pour les oeuvres cinématographiques récentes.

L'analyse des contrats d'achats de droits de diffusion passés entre les diffuseurs en clair et les producteurs indique que ces derniers acquièrent rarement les droits de diffusion câble et satellite. Néanmoins, compte tenu des enjeux sur le satellite, il est probable que cette situation évoluera. C'est pourquoi, comme pour les droits sur les oeuvres audiovisuelles, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a inscrit dans les conventions passées avec TF1 et M6, l'obligation pour ces dernières d'individualiser et de chiffrer ces droits dans les contrats d'achats de droits.

De plus, Canal + joue un rôle prépondérant sur le marché des droits cinématographiques tant par le nombre de films pré-achetés que par l'étendue des droits qu'elle se réserve dans ses contrats de pré-achat. En effet, les droits de première diffusion sur une télévision à péage de l'essentiel de la production française sont actuellement détenus par Canal +. 80 % de la production française, sont pré-achetés 23( * ) par Canal + chaque année, ce qui représente pour 1995 un investissement de plus de 720 millions de francs.

La situation n'est cependant pas figée. Rien n'interdit en effet aux autres opérateurs de pré-acheter également des films français et ainsi de disposer des droits câble et satellite, avec cependant un handicap de taille : devoir s'aligner sur les prix actuellement pratiqués par Canal + (7 millions de francs en moyenne pour les pré-achats en 1995, et pouvant aller jusqu'à 20 millions de francs pour des films comme Beaumarchais et La belle Verte ) pour un nombre d'abonnés largement inférieur. Une telle solution apparaît donc très onéreuse.

Concernant le marché actuel des droits de diffusion sur les chaînes en paiement à la séance, les producteurs peuvent vendre d'une part les droits de diffusion à une télévision payante et d'autre part à une ou plusieurs chaînes en paiement à la séance.

En effet, la notion d'exclusivité pour ce type de droits peut ne pas jouer, et l'on peut imaginer plusieurs chaînes de pay per view proposant au même moment la diffusion d'un même film. Le pay per view peut se rapprocher dans son mode d'exploitation de la vidéo ayant de plus la même fenêtre d'exploitation. Lors de la sortie en vidéocassette d'un film, ce dernier est distribué dans plusieurs points de vente, il n'est pas envisageable de donner à un loueur de vidéocassettes l'exclusivité de la location. Ce même raisonnement peut être élargi au paiement à la séance, ce qui est fait actuellement aux États-Unis. On peut par ailleurs rappeler que la MGM a récemment vendu à TPS les droits de paiement à la séance de ses films de façon non exclusive.

Jusqu'ici cependant, il semblerait que Canal + ait refusé de pré-acheter un film dont les droits de pay per view aurait été préalablement vendus. C'est une des raisons pour lesquelles Multivision 24( * ) , premier service de paiement à la séance apparu sur le marché français (création en 1994), a rencontré de très grandes difficultés à diffuser des films français récents. De même il semblerait que Kiosque, chaîne en paiement à la séance présente sur Canalsatellite depuis mars 1996 n'ait pas non plus eu accès aux films français récents, Canal + préférant garder pour elle la première diffusion télévisuelle nationale des films français récents.

Afin de faire évoluer la situation, il serait souhaitable, selon le Conseil supérieur de l'audiovisuel, que Canal + accepte de " laisser vendre " les droits de paiement à la séance des films qu'elle a pré-achetés. En effet, cela pénalise les films français, les majors américaines ayant toujours vendu séparément et simultanément leurs films récents aux chaînes de pay per view et aux télévisions payantes.


Pour remédier à ces difficultés, des négociations sont actuellement menées entre le BLIC et les représentants de TPS afin d'ouvrir une seconde fenêtre de diffusion payante, fenêtre située après celle de Canal + et avant celle des chaînes hertziennes en clair.

Pour les films plus anciens, qui ont déjà fait l'objet d'une première diffusion sur une chaîne en clair, les programmateurs devront s'approvisionner soit auprès des producteurs qui ont récupéré les droits de leurs films après une première diffusion, soit auprès de gestionnaires de droits audiovisuels. Les opérateurs peuvent théoriquement avoir librement accès à ces deux sources d'approvisionnement.

De plus, le catalogue le plus important de droits de films français (2 000 titres), UGC DA, est depuis peu dans le groupe Canal +. Pour mesurer son importance, il faut rappeler que 50 % des films achetés par TF1 et France 2 pour une diffusion, en première partie de soirée, proviennent de ce catalogue. Il ne faudrait donc pas, selon le Conseil supérieur de l'audiovisuel, que Canal + ayant une position privilégiée dans le commerce de droits de films français, abuse de cette position et entrave la libre circulation des oeuvres.

Le cinéma américain est appelé à occuper une place stratégique et déterminante dans l'offre de programmes des bouquets numériques. Les droits de ces films sont pour la plupart détenus par les Majors. Afin de sécuriser leur approvisionnement en films américains, les deux principaux opérateurs satellitaires français ont conclu avec ces entreprises des accords de grande envergure.

L'essentiel de la production américaine est donc actuellement entre les mains de deux opérateurs, Canal + et TPS, ce qui limiterait les capacités d'approvisionnement en programmes américains de tout nouvel entrant ainsi que d'AB Sat.

L'amélioration des conditions de la concurrence en matière satellitaire impliquerait de préciser les règles du jeu concernant la détention des droits et leur exploitation, dans une double perspective : favoriser un développement pluraliste de l'offre, préserver un secteur indépendant des diffuseurs en matière de production et de distribution.

Plusieurs propositions , plus ou moins contraignantes et plus ou moins réalistes, ont déjà été avancées dans ce sens par les organismes représentatifs des producteurs :

- Limiter les droits des diffuseurs hertziens aux seuls droits de diffusion gratuite en clair.

Le mode de production des oeuvres audiovisuelles, ainsi que d'ailleurs de la production cinématographique, permet aux diffuseurs en clair de jouer un rôle prépondérant dans le négoce des droits satellitaires. Les mesures prises dernièrement obligeant le diffuseur coproducteur à valoriser ses droits, et ne lui permettant plus de les inclure dans le calcul de ses obligations de production ne semblent pas suffisantes. Compte tenu du prix modique actuellement pratiqué pour le pré-achat de ces droits audiovisuels, les deux mesures énoncées ci-dessus ne jouent pas de rôle dissuasif permettant le libre jeu de la concurrence dans l'acquisition de ces droits. C'est pourquoi, il pourrait être décidé de limiter l'accès des diffuseurs hertziens aux seuls droits hertziens.

- Limiter la durée des droits.

Afin de voir apparaître rapidement sur le second marché des productions récentes dont les droits satellitaires sont libres, il serait nécessaire de limiter, par exemple, à deux ans la durée des droits d'exclusivité acquis par les diffuseurs hertziens.

- Rendre obligatoire la signature de contrats distincts pour chaque type de support et chaque mode d'exploitation.

Il apparaît en effet absolument nécessaire de clarifier les contrats d'achat de droits et de susciter une vraie négociation pour chaque droit. Ainsi, les producteurs pourraient valoriser au mieux la cession de leur droits de diffusion tout en évitant les contestations sur l'étendue de la cession de ces droits.

- Limiter les participations des diffuseurs dans des sociétés de production audiovisuelles ou cinématographiques.

La présence dans le capital d'une société de production d'un opérateur satellitaire, peut conduire à des pratiques commerciales non concurrentielles. En effet, le producteur peut pratiquer une politique de prix élevé, pouvant avoir un effet dissuasif, pour la vente des droits à un bouquet concurrent, tout en vendant à moindre coût pour les chaînes liées.

- Assurer la transparence des prix pratiqués par les diffuseurs et des catalogues de droits .

Il pourrait, dans cette perspective, être utile d'envisager l'inscription au registre public de la cinématographie et de l'audiovisuel de tous les actes d'achat de programmes, de manière à pouvoir relever toutes les pratiques anti-concurrentielles.

2. Le contrôle d'accès

Le développement de la télévision payante s'est accompagné d'une grande sophistication des systèmes permettant de gérer l'accès des seuls téléspectateurs abonnés au contenu des programmes diffusés. A cet effet, le signal est embrouillé dès son émission par le diffuseur (les signaux sont ainsi rendus inintelligibles pour des tiers), le désembrouillage s'effectuant chez l'abonné au moyen d'un boîtier spécifique. Ce boîtier est activé au moyen d'un code, d'une clé ou d'une carte correspondant aux droits d'accès au programme détenus par l'abonné.

Le contrôle d'accès consiste à gérer le désembrouillage et la gestion des droits d'accès du téléspectateur. A la fonction d'embrouillage s'ajoute ainsi celle de produire des clés secrètes nécessaires au désembrouillage et bénéficiant elles-mêmes d'une protection particulière. Certaines clés sont liées au programme et identiques pour tous les abonnés. D'autres sont spécifiques à chaque abonné, mais toutes sont émises avec le signal et changées régulièrement. L'abonné dispose d'un moyen d'identification (carte à puce qui diffère d'un consommateur à l'autre) permettant d'activer une clé.

Il existe aujourd'hui une dizaine de systèmes de contrôle d'accès. Associés aux normes analogiques en vigueur, les principaux systèmes en Europe sont le Vidéocrypt (cryptage du bouquet BSkyB), Nagravision (Syster de Canal +), Eurocrypt (Visiopass développé par France Télécom associé au D2-Mac et utilisable pour le Pal et le Secam) et le Smartcrypt. En numérique sont notamment utilisés Irdeto, Mediaguard, Viaccess, News Data Com, etc.

Pour l'éditeur de programmes, le gestionnaire du bouquet de programmes, le titulaire des droits de propriété industrielle du contrôle d'accès, le gestionnaire des abonnements, l'industriel et, in fine , le téléspectateur, la problématique du contrôle d'accès ne se pose pas dans les mêmes termes.

Comment coexistent ces différents systèmes sur le marché français, entre bouquets et entre supports ? Quels risques cette coexistence emporte-t-elle pour la fluidité du marché ?

La directive du 24 octobre 1995 se contente de reprendre les dispositions du code de bonne conduite, défini entre opérateurs, destiné à gérer l'absence de normalisation, due au développement de la concurrence entre opérateurs.

Elle impose, notamment, que les services entièrement numériques utilisent un système de transmission normalisé par un organisme européen reconnu. Le système de transmission comporte les éléments suivants : codage de source des signaux audio et vidéo, multiplexage des signaux, codage de canal, modulation (article 2,c).

Pour la première fois, un cadre européen est imposé aux systèmes d'accès conditionnels (article 4) :

- tous les équipements commercialisés au sein de l'Union européenne doivent permettre le désembrouillage des signaux avec un procédé normalisé au niveau européen. Seule la fonction embrouillage/désembrouillage est donc normalisée, les systèmes de contrôle d'accès pouvant rester propriétaires ;

- les fournisseurs de systèmes de contrôle d'accès doivent proposer à tous les diffuseurs " à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires " l'utilisation de leurs systèmes d'accès et " doivent se conformer au droit communautaire de la concurrence, notamment dans le cas où une position dominante apparaît. " ;

- lorsque les fournisseurs de services de contrôle d'accès accordent des licences pour la fabrication de décodeurs aux industriels, ils doivent le faire " à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires " . L'octroi de telles licences ne peut être subordonné à des " conditions interdisant, dissuadant ou décourageant " l'inclusion, dans le décodeur, d'une interface commune permettant la connexion de systèmes d'accès autres que celui objet de la licence, ou de moyens propres à un autre système d'accès, dès lors que n'est pas mise en cause la sécurité des transactions opérées. L'objectif est là aussi de favoriser, sans l'imposer pour autant, la commercialisation des décodeurs dans le public dans des conditions transparentes, par des opérateurs autres que les diffuseurs.

Ces dispositions sont en cours de transposition en droit français. Elles avaient été comprises dans le projet de loi modifiant la loi du 30 septembre 1986, débattu en première lecture en 1997 par le Parlement français.

· La gestion des systèmes de contrôle d'accès

Compte tenu du caractère irréaliste d'un système de contrôle d'accès unique et/ou normalisé, utilisé par tous et afin d'éviter un empilement des décodeurs chez l'abonné, le groupe Digital Video Broadcasting, qui rassemble tous les acteurs du numérique en Europe, a proposé deux solutions intermédiaires ; une gestion autonome et individuelle des différents systèmes de contrôle d'accès ; le Simulcrypt ; le Multicrypt.

- Système de contrôle d'accès unique et/ou normalisé

Cette solution serait idéale pour le téléspectateur. Elle doit pourtant être écartée dans la mesure où aucun accord n'a pu intervenir au sein du DVB. Elle semble dès lors, même à terme, peu probable.

- Gestion autonome des différents systèmes de contrôle d'accès

A l'opposé, une gestion autonome, par leurs exploitants, des différents systèmes de contrôle d'accès présents sur le marché peut être envisagée : chacun commercialise ses propres décodeurs et gère ses propres abonnés. Les décodeurs mis en place ne permettent pas à l'abonné de pouvoir accéder aux programmes d'opérateurs tiers.

Ainsi, celui qui souhaite s'abonner à la fois à Canalsatellite Numérique et à TPS doit se procurer les deux décodeurs.

- Le Simulcrypt

Le Simulcrypt consiste en un accord entre un opérateur de services utilisant un système de contrôle d'accès " A " et l'exploitant d'un système de contrôle d'accès " B " pour pouvoir ajouter dans le signal de l'opérateur de services les informations nécessaires au désembrouillage par le deuxième système de contrôle d'accès (" B "). Ainsi, les abonnés possédant le décodeur "B " peuvent désembrouiller les programmes de l'opérateur, initialement prévus pour le seul système " A ". Techniquement, le Simulcrypt consiste à diffuser simultanément les données du contrôle d'accès de chacun des deux systèmes, chaque décodeur ne prélevant que les informations le concernant.

Telle est la nature de l'accord passé entre AB Sat et CanalSatellite Numérique, le décodeur des abonnés de CanalSatellite Numérique étant désormais capable de désembrouiller les programmes AB Sat. L'abonné Canal + Numérique peut ainsi s'abonner au bouquet AB Sat, sans avoir à acquérir le décodeur correspondant.

- Le Multicrypt

Le Multicrypt est une solution consistant soit à intégrer les différents systèmes de contrôle d'accès dans le même boîtier, soit, de préférence, à le munir d'une interface commune permettant l'adjonction à un boîtier unique et normalisé de plusieurs modules de contrôle d'accès extérieurs correspondant aux différents systèmes. Le terminal est ainsi capable de " comprendre " les différents systèmes, sans qu'un quelconque accord commercial soit nécessaire.

Afin de faciliter le développement de cette solution, le groupe DVB a normalisé une interface commune.

Avantages et inconvénients comparés du Simulcrypt et du Multicrypt


 

SIMULCRYPT

MULTICRYPT

Architecture

Fermée : système propriétaire, accord commercial

Ouverte : interface commune

 
 
 

Développement

A l'initiative des diffuseurs de services privées

Système rendu obligatoire par les pouvoirs publics nationaux

 
 
 

Principes de fonctionnement

Système de contrôle d'accès exclusif associé à un parc de décodeurs.

Les opérateurs privés propriétaires du contrôle d'accès s'engagent par un " code de bonne conduite " à permettre aux autres chaînes de télévision d'accéder à leur parc d'abonnés dans des termes commerciaux " équitables et non discriminatoires " à la condition de ne pas porter atteinte à la sécurité du système.

Interface européenne commune permettant le raccordement de tous les systèmes de contrôle d'accès différents

 
 
 

Avantages

- plus grande sécurité face au piratage

- maîtrise de la commercialisation

- grande transparence du système quels que soient les rapports entre les concurrents

- unicité du décodeur chez l'abonné complètement garantie

 
 
 

Inconvénients

- renforcement des monopoles des chaînes propriétaires des systèmes de contrôle d'accès

- risque de " guerre des boîtiers " en cas de violation des règles de bonne conduite relatives au respect de la concurrence

- délai de mise en oeuvre

- renforcement des monopoles nationaux si le système est mis en place par un opérateur dominant

 
 
 

· L'articulation avec les réseaux câblés

La situation la plus simple est celle des réseaux câblés " transparents " qui assurent un simple transport des signaux reçus des satellites sans aucune intervention sur les éléments concernant le contrôle d'accès (exemple : transport en bande BIS). L'abonné doit donc s'adresser aux exploitants de systèmes de contrôle d'accès comme s'il recevait ses programmes directement par voie satellitaire. Cette hypothèse semble réservée aux réseaux de petite taille sans exploitation commerciale.

La situation opposée est celle où un câblo-opérateur désembrouille et ré-embrouille avec son propre système de contrôle d'accès. Il peut également se contenter de substituer ses propres messages de contrôle d'accès à ceux des éditeurs de service sans désembrouiller le signal. Il gère ainsi son parc d'abonnés avec l'accord des éditeurs de service. L'abonné se trouve alors avec un système de contrôle d'accès unique (du moins s'il ne cherche pas à recevoir des programmes autres que ceux distribués sur le réseau câblé), et dispose d'un décodeur numérique câble.

Des discussions entre les opérateurs concernés ont lieu actuellement. Il semble cependant probable que les câblo-opérateurs chercheront à avoir la maîtrise des abonnements sur leurs réseaux. Ainsi devrait l'emporter la solution consistant à substituer ou ajouter (sans désembrouillage-réembrouillage) les messages de contrôle d'accès propres à l'opérateur du réseau câblé. L'abonné au câble devrait ainsi être muni d'un décodeur numérique câble. Les opérateurs satellitaires y ont d'ailleurs sans doute intérêt s'ils souhaitent directement pouvoir bénéficier de la clientèle du câble.

· Contrôle d'accès et fluidité du marché

Les risques liés à la gestion des différents systèmes de contrôle d'accès sont principalement de deux ordres :

L'un des principaux risques de position dominante sur le marché de la télévision à péage par satellite apparaît ici clairement. Si l'un des trois bouquets satellitaires français se retrouve à terme en position dominante sur ce marché, l'absence de normalisation des systèmes de contrôle d'accès, de développement d'une interface commune et de standardisation des systèmes d'interactivité, constituera une barrière technique dissuasive pour tout nouvel entrant. De la même manière que Canal + ou BSkyB bénéficient d'une position dominante sur leurs marchés nationaux de la télévision payante par satellite en analogique, cette situation peut se reproduire à terme en numérique.

Ainsi, l'irruption de deux nouveaux opérateurs sur le marché français de la télévision par satellite est extrêmement positive au regard des impératifs du développement de la concurrence et de l'offre de programmes au téléspectateur et du développement du secteur audiovisuel français dans son ensemble. Rien ne permet pourtant de garantir que cette situation actuelle n'aboutira pas à la constitution de nouveaux monopoles de fait.

Les situations précédemment exposées retentissent, naturellement, sur l'offre de programmes à la disposition du téléspectateur. Ainsi, le nombre et la nature des accords de Simulcrypt passés entre les opérateurs influent directement sur l'accès du téléspectateur à l'offre globale de programmes.

Ce risque tient en une question unique : est-il souhaitable que le développement de la concurrence entre bouquets de programmes se traduise par la constitution de parcs de terminaux incompatibles entre eux ?

La réponse est assurément négative au regard des seuls intérêts du téléspectateur. Chacun s'accorde à reconnaître qu'il est nécessaire d'éviter un " empilement des décodeurs " chez l'abonné. Dans son rapport à F. Fillon 25( * ) , G. Vanderchmitt écrit : " La constitution d'un parc de décodeurs (ou terminaux) propriétaires constitue l'un des risques principaux de fermeture du marché de la télévision à péage. (...) L'empilage des terminaux dans les foyers (un par bouquet de programmes) apparaît à tous comme une absurdité. Le marché sera simple ou ne sera pas. "

Il est d'ailleurs frappant de constater que, pour la reprise de leurs programmes sur le câble, les opérateurs satellitaires ne semblent pas vouloir reproduire les choix opérés en matière satellitaire et laisseront au câblo-opérateur le soin de substituer son propre contrôle d'accès aux leurs et de gérer l'abonnement.

L'intérêt à long terme des opérateurs actuels de la télévision payante par satellite ne réside sans doute pas dans le développement de systèmes concurrents.

En effet, les systèmes de contrôle d'accès ne sont pas spécifiques à la télévision, au satellite ou même à la communication audiovisuelle. La convergence chez l'abonné de services de toute nature nécessite une approche plus globale de la question.

Au regard de ces enjeux, le cadre juridique actuel semble bien pauvre. Les garanties introduites par la directive 95/47 restent tout à fait insuffisantes pour plusieurs raisons :

- Elles portent sur les systèmes de contrôle d'accès et ne règlent en rien la question des systèmes d'interactivité ;

- Elles ne s'appliquent qu'aux services de télévision et donc ni aux services de radiodiffusion sonore, ni aux services de communication audiovisuelle autres ;

- Ses dispositions se contentant d'un simple rappel du droit de la concurrence, leur pertinence paraît nulle. Dans l'ensemble de leurs relations commerciales, les opérateurs des systèmes de contrôle d'accès sont naturellement déjà soumis au respect du droit de la concurrence.

C'est pourquoi le Conseil supérieur de l'audiovisuel avait pour sa part souhaité que l'exercice de transposition de cette directive aille plus loin. Dans l'avis qu'il a rendu le 8 octobre 1996 sur le projet de loi modifiant la loi de 1986 26( * ) , le Conseil supérieur de l'audiovisuel a formulé des propositions concrètes en ce sens. " Il remarque que le projet de loi ne prévoit ni l'autorité en charge de mettre en oeuvre ces dispositions des articles L. 363-1 à L. 363-5, ni la nature du contrôle exercé ou de quelconques sanctions de leur non respect. Le Conseil estime qu'il sera nécessaire de définir les conditions de mise en oeuvre de ces dispositions. Il estime pouvoir y contribuer et, par la suite, jouer un rôle opérationnel dans leur application. "

Ainsi, le Conseil supérieur de l'audiovisuel souhaite disposer du cadre juridique et des moyens indispensables à l'exercice d'une régulation efficace en matière de télévision à péage par satellite.

3. La sauvegarde du pluralisme

Il est frappant de constater que la Cour de Justice des Communautés européennes, lorsqu'elle applique un droit économique, parle de " consommateurs " et non pas de " téléspectateurs ". Toute la différence entre le respect du pluralisme et le libre jeu de la concurrence se résout dans cette différence sémantique. A un droit de nature économique, réglant les relations concurrentielles entre opérateurs d'un marché donné au profit du consommateur, le droit de l'audiovisuel emporte des particularités liées soit à une problématique culturelle, soit à la sauvegarde du pluralisme, au profit du téléspectateur. Le meilleur service doit être fourni au consommateur, une offre de services diversifiée, représentative et garante de la liberté d'expression doit être présentée au téléspectateur.

Ainsi, un opérateur pourra contrevenir au droit de la concurrence tout en offrant une offre pluraliste de programmes au téléspectateur. A l'inverse, une parfaite concurrence entre opérateurs ne garantira pas nécessairement une offre pluraliste de programmes.

Ce principe est naturellement valable pour la télévision par satellite, à péage ou pas, numérique et analogique, pour le support comme pour les services. Il est cependant frappant de constater que, pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, la mise en place de l'offre numérique par satellite s'effectue dans un vide juridique important, à un double niveau, celui des supports et celui des services.

Le dispositif anti-concentration actuel en matière satellitaire apparaît à la fois dual, disparate et insuffisant, tant au niveau des modalités nationales d'attribution de la ressource satellitaire, qu'au niveau de la gestion des systèmes satellitaires et des assignations de fréquences, ainsi que par comparaison avec celui du câble.

· Les modalités d'attribution de la ressource satellitaire

Le Règlement des radiocommunications (RR), texte établi par l'UIT - Union Internationale des Télécommunications 27( * ) - et ayant valeur de Traité international, définit un certain nombre de "services de radiocommunication" et leur attribue des bandes de fréquences.

Schématiquement, la réglementation française 28( * ) découle directement de deux catégories de principes :

- Répartition de la ressource en fonction de la nature du service au sens UIT (article 21) : service fixe ou service de radiodiffusion, qui se traduisent au niveau de la répartition des compétences en droit français entre administrations gestionnaires d'activités de télécommunications et autorité gestionnaire de la communication audiovisuelle ;

- Distinction entre deux modes d'attribution des ressources disponibles : appel aux candidatures sur les canaux affectés à la France en matière de services de radiodiffusion (article 31) ou simple gestion France Télécom pour les canaux du service fixe. Dans les deux cas, les services doivent conclure une convention avec le Conseil, sur des bases réglementaires cependant différentes (décrets d'application de l'article 27 pour les satellites SRS, décret d'application de l'article 24 pour les satellites SFS).

En réalité, les frontières définies ci-dessus deviennent de plus en plus artificielles.

En outre, ce double régime ne permet pas de prendre en compte l'ensemble des situations. Ainsi, on voit mal comment justifier le recours à deux procédures distinctes, l'une lourde et destinée à assurer le respect du pluralisme, l'autre simplement soumise au jeu des règles commerciales, alors que l'ensemble des services ainsi autorisés/conventionnés pourrait être reçu par une parabole unique. C'est la raison pour laquelle le Conseil a souhaité à de nombreuses reprises un alignement des régimes des articles 24 et 31 de la loi de 1986, alignement dont on ignore s'il sera opéré par la modification de la loi de 1986 actuellement en cours.

En premier lieu, contrairement aux autres supports de diffusion, aucun statut particulier n'a juridiquement été accordé au satellite. Appartenant soit à un opérateur privé (SES pour Astra), soit à un opérateur public (France Télécom pour Télécom 2), soit à un ensemble d'opérateurs nationaux (Eutelsat, Intelsat), il utilise des fréquences assignées par l'Etat duquel il relève, ce dernier en étant attributaire aux termes des accords UIT. L'UIT attribue en effet aux Etats des assignations de fréquences en respectant les procédures de coordination destinées à protéger les assignations déjà attribuées à d'autres Etats.

Ces procédures sont différentes pour les bandes attribuées au service de radiodiffusion par satellite et pour les bandes attribuées au service fixe par satellite.

- Dans le premier cas, l'UIT a établi en 1977 un plan de fréquences garantissant une certaine ressource à tous les Etats (5 canaux par pays). De nouvelles assignations ne sont acceptées que si elles ne perturbent aucune des assignations du Plan. Ce Plan sera revu à l'automne 1997, sans que ces principes soient remis en question.

- Dans le second cas, la règle est celle du " premier arrivé/premier servi " . Seules les assignations déjà inscrites par d'autres pays et déjà mises en service ou devant l'être à court terme sont protégées.

L'existence de ces différentes fonctions brouille les conditions d'attribution des capacités de diffusion : attribution systématique à l'opérateur de satellites national des capacités de diffusion ; possibilité pour un diffuseur de faire une option d'achat sur l'ensemble des capacités d'un futur satellite ; choix des services admis à utiliser le satellite, notamment au niveau de la composition des bouquets ; conditions d'entrée d'une chaîne non liée au groupe constituant le bouquet. L'esprit dans lequel sont attribuées les capacités au niveau international (premier arrivé-premier servi) se retrouve ainsi au niveau national dans la manière dont l'opérateur technique national (presque toujours unique) contracte entièrement librement avec les diffuseurs de son choix, ou avec un commercialisateur unique, lui-même sélectionnant librement les diffuseurs. Tant que la puissance publique n'impose pas des conditions de transparence dans les procédures d'attribution des capacités de diffusion, le pluralisme ne sera pas assuré de façon certaine.

Ainsi, le " marché des fréquences " semble à première vue entièrement libre. Pour autant, le rôle de l'Etat reste déterminant par le biais des négociations au sein de l'UIT et la répartition des ressources satellitaires, mais aussi par la constitution, sous son égide, de monopoles nationaux ou transnationaux, publics ou privés, d'opérateurs de satellites.

Ce qui pouvait être admissible en analogique (faible nombre de capacités de diffusion, coût élevé de la diffusion par satellite, équilibre entre secteur public et secteur privé dans les programmes, etc.), et le marché peu développé jusqu'alors de la télévision par satellite, le semble moins avec le numérique. L'augmentation des capacités de diffusion, du nombre d'opérateurs, de la demande du public et le développement de la télévision et de la radio payantes rendent en effet inévitables à la fois un certain désengagement de l'Etat et, parallèlement, l'adoption de règles destinées à assurer le pluralisme, la libre concurrence et la transparence dans le fonctionnement du marché de la radio et de la télévision par satellite.

Dans ce contexte, le Conseil est favorable à la proposition formulée par G. Vanderchmitt 29( * ) de mise en place d'une " veille stratégique et prospective sur la question de la réservation de ces positions et des fréquences associées... " .

· Un dispositif anti-concentration inadapté

Les régimes du câble et du satellite sont étonnamment disparates en matière de dispositif anti-concentration. S'agissant du câble, le dispositif anti-concentration est tourné vers le seul câblo-opérateur, soit directement (interdiction de dépasser un seuil de 8 millions d'abonnés par câblo-opérateur), soit indirectement par le biais de prérogatives dont dispose le Conseil supérieur de l'audiovisuel vis-à-vis du câblo-opérateur en vue de garantir une offre pluraliste de programmes 30( * ) . Le décret n° 92-881 du 1er septembre 1992 sur la base duquel le Conseil autorise l'exploitation des réseaux câblés dispose en effet, en son article 2, que " le Conseil supérieur de l'audiovisuel vérifie que l'ensemble des services distribués sur un réseau permet d'assurer l'expression pluraliste des courants d'opinion " . Dans le même temps, l'article 34 de la loi du 30 septembre 1986 permet au Conseil d'imposer certaines obligations au câblo-opérateur dans le même objectif de sauvegarde du pluralisme (obligation de reprise de chaînes indépendantes par exemple). Combiné avec l'application par les communes de la loi n° 92-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi " Sapin " 31( * ) , ce dispositif apparaît au Conseil supérieur de l'audiovisuel relativement complet au niveau de l'attribution des marchés par les collectivités publiques, de la répartition des parts de marché entre les différents câblo-opérateurs et de l'offre pluraliste de programmes au téléspectateur.

Sans même évoquer le dispositif anti-concentration nettement plus contraignant pour la diffusion par voie hertzienne terrestre, le régime du satellite est à la fois dual et beaucoup plus souple. Schématiquement, le dispositif anti-concentration en matière satellitaire ne concerne, jusqu'à la modification de la loi de 1986, que les seules chaînes 32( * ) . Ainsi en première analyse, dans la mesure où les mêmes bouquets de programme seront diffusés par satellite et redistribués sur le câble, cette disparité de traitement sans véritable raison d'être devrait être atténuée au regard du dispositif anti-concentration. Un allégement du régime du câble apparaît sans doute nécessaire.

· Garantir une offre pluraliste

Il convient en premier lieu de rappeler les limites et difficultés de mise en oeuvre d'un dispositif anti-concentration en matière satellitaire qui tiennent, pour l'essentiel, au caractère transnational de la diffusion. Dans tous les cas de figure, on s'aperçoit en effet qu'une régulation strictement nationale est difficile à mettre en oeuvre . Ainsi, la régulation des programmes est en soi organisable pour les services français, pris individuellement ou par bouquet, mais pour autant inefficace quant à la réception individuelle des programmes en provenance d'autres Etats et d'une manière générale, pour tout service ne relevant pas de la loi française, c'est-à-dire d'un régime conventionnel avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Elle est de même très difficilement organisable pour la réception collective de ces mêmes programmes. La Commission européenne doit précisément présenter un projet de directive destinée à assurer le pluralisme et la transparence dans les médias en Europe.

Si l'on considère que ce n'est pas le cas, il est nécessaire de préciser les modalités de respect du pluralisme dans une offre donnée, à trois niveaux.

Cette obligation doit-elle s'appliquer à l'ensemblier technique ou commercial, à l'opérateur satellite lui-même, au câblo-opérateur qui reprend le bouquet, à l'éditeur d'un ensemble de services ? La question est essentielle (surtout si son non-respect doit faire l'objet de sanctions pénales) mais difficile à résoudre dans la mesure où les cas de figure diffèrent sensiblement les uns des autres. De ce point de vue, la modification en cours de la loi de 1986 apportera certainement des éléments nouveaux.

Toutes les chaînes de radio et de télévision se valent-elles pour offrir une offre pluraliste ? Doit-on prendre en compte toutes les chaînes, quelle que soit leur origine ? Ou à l'inverse, n'en prendre en compte que certaines, par exemple, celles diffusées en français ? Doit-on établir une distinction par genre de programmes ? Par ailleurs, seuls les services de radio et de télévision doivent-ils être concernés, ou l'ensemble des services de communication audiovisuelle ?

Comment garantir l'indépendance des uns par rapport aux autres ? Différents critères peuvent en effet être utilisés : ceux, traditionnels de loi de 1986 33( * ) , de nouveaux critères fondés sur l'audience (réelle ou potentielle) ou des parts de marché, une offre indépendante dans l'offre globale, par exemple. Le projet de modification de la loi de 1986 disposait à cet égard : " Toute personne physique ou morale, mettant à la disposition du public une offre commune de services de radiodiffusion sonore ou de télévision par satellite ou par câble ou en utilisant les fréquences ou les bandes de fréquences visées à l'article L.321-5, doit réserver au moins 20 % de la capacité qu'elle utilise pour la diffusion de cette offre, à des services français ou relevant de la compétence d'un État membre de la Communauté européenne, qu'elle ne contrôle pas directement ou indirectement. "

Dans l'avis qu'il a rendu sur le projet de loi modifiant les dispositions du code de la communication audiovisuelle et du cinéma relatives à la communication audiovisuelle 34( * ) , le Conseil indique ainsi, à propos de la nouvelle disposition en la matière :

"En l'état de sa rédaction, [ce nouveau dispositif] est susceptible de s'appliquer tant à l'opérateur satellitaire ou au câblo-opérateur, qu'à l'ensemblier technique ou commercial ou à l'éditeur d'un ensemble de programmes. Par ailleurs, le Conseil supérieur de l'audiovisuel relève que cette obligation de réserver 20 % de la ressource à des éditeurs indépendants peut aisément être remplie par la seule inclusion de chaînes étrangères transnationales. Il semblerait donc opportun de préciser que cette ressource devrait majoritairement être réservée à des éditeurs de programmes francophones. En outre, la notion " d'offre commune " pourrait également être complétée afin de déterminer si elle concerne l'offre d'un opérateur commercial ou l'offre globale sur un support donné.

Dans un paysage satellitaire en pleine composition, il convient d'aborder cette question avec prudence et de légiférer pour le long terme. A cet égard, un pouvoir inspiré de la faculté laissée à l'instance de régulation d'imposer, en matière de câble, à un opérateur donné le respect d'obligations propres à assurer le pluralisme serait probablement le meilleur moyen d'opérer. Face à des situations toujours plus complexes et changeant très rapidement, une régulation souple est le meilleur moyen d'atteindre cet objectif, à deux niveaux.

Pour les raisons exposées ci-dessus, liées à la diversité de l'organisation de l'offre de programmes satellitaires, l'existence d'un "must carry" pour le satellite apparaît comme le moyen le plus souple d'adapter l'objectif de pluralisme aux différents cas de figure : tant vis-à-vis du destinataire de cette obligation que de son contenu.

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