CHAPITRE IV - LES SOCIÉTÉS DU SECTEUR PUBLIC DE L'AUDIOVISUEL

En dépit de performances remarquables parce qu'elles se trouvent dans un environnement très compétitif, les chaînes publiques restent fragiles : fragilité financière du fait des restrictions de crédits publics ou d'une dépendance excessive vis-à-vis des recettes publicitaires ; vulnérabilité aux " affaires ", à vrai dire, trop nombreuses ; incertitudes, enfin, sur l'aptitude du secteur public à trouver sa place, faute de moyens financiers assurés et de directives claires des pouvoirs publics (c'est le problème des cahiers des charges), dans le nouveau paysage marqué par la montée des chaînes thématiques du câble et du satellite.

A cela s'ajoute une instabilité plus institutionnelle due à la brièveté des mandats des responsables des chaînes qui ont à peine le temps de se familiariser avec les commandes qu'ils doivent se préparer à céder la place.

I. FRANCE TÉLÉVISION

Après la crise de 1986, qui a entraîné le départ de M. Jean-Pierre Elkabbach et son remplacement par M. Xavier Gouyou Beauchamps, France Télévision a retrouvé une certaine sérénité due, notamment, à la réussite confirmée de France 3.

L'équilibre du budget reste cependant précaire, tandis que les questions communes sont pour certaines autant de problèmes qui pourraient déstabiliser l'ensemble de l'édifice.

A. LES QUESTIONS COMMUNES

Une affaire chassant l'autre, à peine la crise dite des animateurs-producteurs semblait s'estomper, que l'on en voit poindre d'autres avec les problèmes liés à la construction du siège commun, et aux dépréciations de programmes, questions moins médiatisées, mais non moins importantes.

A cela s'ajoutent des problèmes comme celui de la nécessaire adaptation de la convention collective (unique pour l'ensemble des personnels de l'audiovisuel).

1. La cicatrisation de l'affaire dite des animateurs-producteurs

Le rapport de décembre 1995 avait consacré d'importants développements à cette question.

On peut rappeler que la crise, qui a souligné les conditions peu transparentes de la passation de certains contrats conclus avec des animateurs-producteurs et les défaillances de la tutelle, trouve son origine dans la nécessité pour des chaînes de faire de l'audience, et plus fondamentalement dans la structure de financement qui fait une trop large part aux ressources publicitaires.

a) Dérives commerciales

Une politique de programmation fondée sur un rapport coût-audience a conduit les responsables à mener une stratégie ambitieuse où la fin voulait justifier les moyens. C'est ainsi que France 2 a fait appel à des animateurs-vedettes, souvent en provenance de chaînes concurrentes, afin de rajeunir sa grille et toucher de nouveaux publics. Résultat : six contrats avaient été signés pour un montant supérieur à 600 millions de francs pour 500 heures de programmes.

Des arguments avaient été développés pour expliquer de telles pratiques : position de force de certaines vedettes, nécessité de faire aboutir rapidement des négociations compte tenu de la durée du mandat des présidents, utilité, enfin, de ce type d'émission pour dégager des moyens financiers affectés à la création audiovisuelle.

Mais votre rapporteur avait souligné, au contraire, à la suite de la mission d'audit du secteur public audiovisuel de 1995, un certain nombre de dérives graves liées à un contexte de concurrence exacerbée avec TF1.

Dérive dans les méthodes de gestion : le goût du secret volontiers cultivé, voire la volonté délibérée de s'affranchir des services juridiques des chaînes par un usage de consultants extérieurs, ont multiplié les risques de dérapages ;

Dysfonctionnements dans les contrôles, sans que l'on ait, stricto sensu, contrevenu aux règles juridiques en vigueur :

· le conseil d'administration avait en application de l'article 17 des statuts de la société, donné, le 7 janvier 1994, tous pouvoirs au président sans limitation de montant, pour conclure, modifier, résilier tout contrat de programmes et de commandes d'émission ;

· le contrôle d'État " a priori " ne s'exerce que sur les rémunérations salariales et non sur les contrats de ce type qui n'ont donc pas été visés ;

· les conseils d'administration doivent être informés en application des dispositions des articles 33 - pour France 2- et 36 - pour France 3 - des cahiers des charges 51( * ) . Cette disposition a été respectée pour France 2 mais sans débat interne ;

· le Conseil supérieur de l'audiovisuel n'a pas compétence pour contrôler la gestion des sociétés qui incombe à l'État. Il peut seulement  - à la majorité absolue de ses membres - révoquer leur président.

b) Les conséquences administratives

La crise eut d'abord pour conséquence la démission de M. Jean-Pierre Elkabbach et son remplacement, le 2 juin 1996, par M. Xavier Gouyou Beauchamps, alors directeur général de France 3. Mais elle s'est aussi traduite sur le plan des structures par :

· la renégociation des contrats, sur la base des indications fournies par la mission d'audit ; elle a conduit à la diminution des engagements pluriannuels de France 2 de 347 millions de francs pour un montant total de 850 millions de francs. Les économies nettes se montent seulement à près de 70 millions de francs, compte tenu du coût des émissions de remplacement ;

·  le renforcement du contrôle d'État en fonction d'un arrêté du 26 septembre 1996.

Sont désormais adressées au contrôleur d'État, les évaluations des coûts des projets de grilles de programmes, la situation des effectifs, la situation de trésorerie, les états d'exécution du budget et les états périodiques de suivi du coût des grilles de programmes, les projets de contrats, conventions et marchés ainsi que leurs avenants, supérieurs à un seuil fixé par le contrôle d'État après consultation du président de conseil d'administration de la société concernée, ainsi que toutes les décisions portant sur les rémunérations et indemnités de toute nature supérieures à un seuil fixé selon les mêmes modalités.

Le rapport d'instruction de la Cour des Comptes sur la gestion de France Télévision entre 1993 et 1996 aurait, selon des informations publiées dans la presse en mars 1997, souligné une nette dérive commerciale.

La Cour aurait noté que la plupart des sociétés d'animateurs-producteurs n'ont vu le jour que grâce à l'argent public dont elles ont bénéficié et n'ont fonctionné que pour la commande publique. Elle attire également l'attention sur les avantages anormaux dont ont bénéficié certaines sociétés de production :

· avances de trésorerie, alors que la trésorerie de France 2 ayant été généralement négative, la chaîne a dû emprunter pour réaliser elle-même ces avances et que la plupart des sociétés de production avouent elles-mêmes une trésorerie plus que florissante.

· les rémunérations concédées aux animateurs et aux membres de leur famille étaient considérables.

Le prérapport mettait également l'accent sur la différence entre le coût de production de ces types d'émission et le prix facturé à la chaîne : un rapport du simple au double.

Enfin, le rôle d'un cabinet d'expert comptable extérieur était mis en cause pour la perception d'avantages indus.

Pour votre rapporteur, l'affaire des animateurs-producteurs confirme une réelle confusion des genres, dont on a vu d'autres exemples récents qui ont donné lieu à une enquête interne confiée à M. Jean-Charles Paracuellos :

· La diffusion dans l'émission " Culture pub " de M6 d'un faux journal télévisé de France 3, présenté par une ex-présentatrice de ce journal, tourné au bénéfice d'un laboratoire pharmaceutique par l'un des réalisateurs titulaires avec les décors originaux, a brutalement attiré l'attention sur les problèmes posés par la participation des journalistes de sociétés du secteur public à des manifestations commerciales.

· Un autre exemple, concernant également un laboratoire pharmaceutique peut être donné avec le tournage - même à l'insu du présentateur-vedette - d'une " marche du siècle " sur le plateau et par la société de production de l'émission.

On retrouve ici des abus de même nature que ceux de la publicité clandestine. Il n'est d'ailleurs pas sûr que ceux-ci aient totalement disparu comme le montre le fait que certains animateurs négocient directement avec les annonceurs - sans passer par France Espace - les cadeaux de l'émission dont ils portent la responsabilité.

c) Les leçons de la crise

S'il y a une leçon à tirer de cette crise, c'est que la pression publicitaire qui résulte d'un désengagement important de l'État sur le plan financier, place les chaînes publiques à cheval entre deux logiques, celle du service public et celle de l'entreprise .

La situation est d'autant plus inconfortable que, par un effet de boomerang, la logique publique, souvent il est vrai perdue de vue, est susceptible d'être invoquée de façon imprévue au risque de déstabiliser l'ensemble que constituent France 2 et France 3.

Il existe, en effet, une éthique du service public que l'évolution actuelle a tendance à occulter pour des raisons d'efficacité commerciale. Pour l'avoir oublié, certains ont dû quitter prématurément leur poste. Mais plutôt que de s'en souvenir à intervalles irréguliers, à l'occasion de telle ou telle affaire, ne devrait-on pas chercher à mettre en place des structures qui ne favoriseraient pas cette dérive commerciale dénoncée par tous ?

On peut se demander si la pratique qui consiste à substituer au cachet traditionnel le contrat avec des sociétés de production n'est pas en elle-même la cause de ces dérives. Non seulement parce qu'elle permet aux animateurs-producteurs d'obtenir des avantages directs et indirects excessifs, mais encore parce qu'elle leur permet de faire monter les enchères en menaçant de partir avec armes et bagages chez le concurrent. Le suspense des " transferts ", préalables à la présentation des grilles de rentrée, ne serait pas possible sans la généralisation de ces sociétés de production indépendantes.

Sans doute le retour aux principes d'origine du service public est-il utopique. Mais il convenait d'attirer l'attention sur le fait que les chaînes publiques ont un mode de fonctionnement et des structures juridiques qui les mettent en situation de faiblesse dans la négociation, aboutissant à une surenchère générale qui pousse les prix à la hausse sans gains véritables pour le téléspectateur.

Ne faudrait-il pas au contraire se demander si les chaînes publiques ne se privent pas de l'atout que constitue leur position de force à l'achat - les économistes parlent " d'oligopsone " - au détriment et de leurs intérêts commerciaux et de ceux du service public ?

La confusion des genres, on la retrouve aussi au niveau de la structure juridique d'ensemble. Tout se passe comme si le recours accru aux ressources publicitaires avait conduit France 2 dans sa concurrence frontale avec TF1, à fonctionner comme une entreprise privée mais sans les contraintes et les sanctions du marché, sans les contrôles qui résultent du droit des sociétés .

2. Deux réformes urgentes : la procédure de nomination des présidents de chaînes et la transformation de France Télévision en holding

C'est ce genre de dérapage qui fait regretter à votre rapporteur que l'on n'ait pas donné à la présidence commune de France 2 et France 3 voulue par la loi du 2 août 1989, la personnalité juridique et les structures de pilotage et donc de contrôle qui en découlent, comme il le demandait dans sa proposition de loi n° 477 du 27 juin 1996.

Actuellement, France Télévision constitue une fiction juridique. Il est nécessaire de le rappeler. Elle n'a ni personnalité morale, ni budget propre. Le groupe dit " France Télévision " résulte d'une sorte " d'union personnelle " à la manière de l'ancienne Autriche-Hongrie où l'empereur d'Autriche était également roi de Hongrie.

La création d'une société holding s'accompagnerait de la mise en place d'un conseil d'administration et donc naturellement d'un renforcement des contrôles et d'une responsabilisation accrue du président. Ce qui supposerait cependant que ce conseil d'administration soit un vrai conseil d'administration, mais c'est un autre problème !

On doit souligner que cette réorganisation devrait s'accompagner d'une clarification de la procédure de nomination de président de France Télévision.

Les dispositions actuelles de la loi du 30 septembre 1986 ne fixent aucune condition pour révoquer un président d'une société nationale de programme. Elles n'opèrent, en particulier, aucun lien entre la constatation d'un manquement grave au cahier des charges et l'adoption d'une telle décision.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel dispose d'une totale liberté d'appréciation quant à l'opportunité d'une révocation. Celle-ci s'opère néanmoins sous le contrôle que pourrait exercer le Conseil d'État.

L'éviction d'un président de chaîne doit constituer la sanction majeure du non respect par celle-ci de ses obligations ou d'une faute lourde de gestion de la part du président. En réalité, la révocation est d'un maniement délicat et d'un usage improbable, dans la mesure où le Conseil supérieur de l'audiovisuel n'est que consulté pour la rédaction du cahier des charges des chaînes publiques et où il ne dispose pas de compétence pour contrôler leur exécution, y compris sous l'angle de la gestion. Le contrôle des actes de gestion est, en effet, de la responsabilité des conseils d'administration où siègent quatre représentants de l'État-actionnaire.

L'État, unique actionnaire, se trouve dans la situation paradoxale de devoir contrôler la gestion d'un président d'une entreprise publique qu'il ne peut ni nommer ni révoquer, tandis que l'instance qui le nomme et peut le révoquer, ne peut contrôler sa gestion.

L'État fixe déjà les statuts, approuve les comptes, joue un rôle prépondérant au sein du conseil d'administration de France 2 et de France 3, contrôle, via le contrôle d'État et la direction du Budget, la gestion de ces deux entreprises. Il détermine le montant des ressources publiques, approuvées par le Parlement, et établit les charges et les missions de chaque chaîne.

L'affaire sera à reprendre lorsque le Gouvernement déposera un projet de loi sur la communication audiovisuelle. Il faut espérer que ce texte tiendra compte de l'ensemble des analyses et des propositions du Sénat.

Corrélativement, l'allongement de la durée du mandat des responsables est une nécessité pour bien clarifier les responsabilités.

Le Sénat (le 15 novembre 1995) avait voté, au scrutin public et à l'unanimité moins une voix, une proposition de loi dont votre rapporteur avait pris l'initiative et prévoyant le prolongement du mandat des présidents de 3 à 5 ans. Mais ni le Gouvernement de l'époque, ni l'Assemblée nationale n'y firent écho. Bel exemple d'irresponsabilité !

3. Le siège commun

Par un processus d'indiscrétion désormais classique, un journal du matin s'est procuré les 80 pages du relevé de constatations provisoires de la Cour des Comptes relatives à la construction du siège social commun de France 2 et France 3. Le nouvel immeuble est situé dans le XVe arrondissement près du parc André Citroën. Cette opération, souhaitée par M. Hervé Bourges en décembre 1992, a été mise en oeuvre par M. Jean-Pierre Elkabbach.

· Les points contestés

Dans le coût total (hors taxe) de l'opération, 1 738 millions , il faut distinguer :

1/ la construction proprement dite : 1 625 000 millions .

Cette somme se décompose en :

· 562 millions de charges foncières (terrain et charges d'aménagement)

· 133 millions de charges diverses (architecte, bureau d'étude)

· 218 millions d'aménagements techniques (régies, studios)

· 553 millions de constructions

· 124 millions d'aménagements intérieurs

· 35 millions de mobilier

et

2/ 113 millions de frais financiers (prévisions) 52( * ) .

Cette enveloppe ne devrait pas être entièrement consommée et devrait permettre de dégager une économie de 30 millions.

Le crédit bail a une durée de 20 ans pour évaluer la somme qui aura été versée au cours de cette période, il faut faire des hypothèses au niveau des taux d'intérêts.

Compte tenu des taux actuels et dans l'hypothèse où ceux-ci seraient maintenus au-delà des dix premières années, le montant total (capital et intérêts) peut être évalué à 2,9 milliards hors taxe . Pour la première année, l'annuité de remboursement se monte à 115 millions de francs. Selon les estimations fournies par France Télévision, si on ajoute à cette somme les charges locatives du nouvel immeuble, que l'on peut évaluer à 112 millions de francs, la dépense reste inférieure au montant des loyers payables en 1998 (108 millions hors taxe) sur les 16 implantations et aux charges locatives correspondantes (122 millions).

· Les réponses de France Télévision

Le dossier du siège social de France Télévision a été approuvé par les conseils d'administration de France 2 et France 3 en avril 1995. Il avait fait l'objet d'une étude préalable réalisée en liaison étroite avec les différents services des autorités de tutelle de l'audiovisuel public.

La délibération des conseils d'administration d'avril 1995 a été confirmée par une lettre signée par MM. les ministres du Budget, de l'Économie et des Finances et de la Communication, le 17 avril 1995 dans laquelle les cadres juridiques et financiers y étaient décrits. L'appel à candidature a été lancé en mars 1995 pour 33 lots. Les résultats de l'appel d'offres restant supérieur au coût d'objectif, une négociation a abouti à la désignation du contractant général s'engageant à réaliser avec les entreprises sélectionnées par France télévision, le bâtiment pour un montant forfaitaire et non révisable avec remise au 31 janvier 1998.

France Télévision souligne, qu'à quelques mois de la livraison prévue pour le début 1998, les engagements ont été effectués globalement dans le cadre budgétaire prévu en avril 1995 ; avec au début septembre, une enveloppe de 11 millions de francs pour les aléas de fin de chantier.

Votre rapporteur s'est enquis de savoir si les économies dégagées sur les loyers couvrent le crédit bail sur 20 ans, compte tenu de la nécessité de continuer à payer les loyers de régie finale de France 3 et certaines filiales de France Télévision comme France Espace.

Le plan de financement de ce projet trouvait son équilibre en regroupant dans le nouveau siège les services parisiens de France 2, de France 3 et de France Espace, à l'exception de leurs filiales ; les économies de loyers et de charges ainsi réalisées finançaient le remboursement du crédit bail contracté 53( * ) .

L'implantation actuelle confirme, selon France Télévision, cette hypothèse. Seule, la régie finale de France 3 54( * ) conserverait, pour l'instant, ses locaux actuels comme le prévoyait le plan de déménagement 1998 soumis aux conseils d'administration d'avril 1995. Les filiales du groupe sont maintenues dans leurs implantations actuelles.

Avant même la parution du prérapport de la Cour des Comptes, des informations sur d'éventuels surcoûts avaient conduit votre rapporteur à poser des questions sur les studios et la paroi moulée destinée à atténuer les vibrations causées par le passage d'une ligne RER. Voici la réponse de France Télévision.

" Ces deux postes étaient clairement identifiés et chiffrés lors de la présentation du budget général de cette opération aux conseils d'administration de France 2 et de France 3 en avril 1995. Ils n'apparaissent pas en surcoûts par rapport au budget initial.

Concernant la paroi moulée, avant la vente du terrain, un protocole d'accord avait été signé le 15 décembre 1994 entre les présidents de la SNCF et de France Télévision qui précisait notamment que la SNCF s'engageait à traiter les voies du RER de la ligne C pour atténuer, à la source, les vibrations apportées par le roulement des trains.

En mars 1995, la SNCF a fait part à France Télévision qu'elle n'était plus en mesure de tenir cet engagement. Pour maintenir la protection acoustique souhaitée par France Télévision, une étude technique préconisa alors, de déconnecter la construction du bâtiment de celle de la paroi moulée, la jonction entre ces deux ouvrages étant assurée par des boîtes à ressorts. Cette solution technique a été estimée à 23,5 millions de francs. Ce montant a été déduit du prix de vente du terrain SNCF qui a été ramené de 426,5 millions de francs à 403 millions de francs.

La réalisation des travaux a confirmé ce chiffrage, le gros oeuvre complémentaire a coûté 18,5 millions de francs et les boîtes à ressorts, 5 millions de francs.

Pour la construction des studios, il est plus délicat d'identifier dans le coût global du bâtiment le montant de cette prestation. Hors aménagements spécifiques et hors paroi moulée, le bâtiment revient en francs 1998 à 524 millions de francs pour 98 995 m² SHOB construits, soit un coût au mètre carré de 5 293 francs.

A qualité de prestations équivalentes, un bâtiment dont la destination aurait été uniquement tertiaire serait revenu à 4 800 francs au mètre carré. On en déduit que le surcoût résultant de la construction des studios peut être évalué à 39 millions de francs.

Cet écart, de 7,4 %, s'explique par la technique particulière qui a été retenue pour répondre aux contraintes acoustiques de tels locaux.

Pour isoler phonétiquement le studio du reste du bâtiment, on a recourt, généralement, à une construction dite de " la boîte dans la boîte ". Dans le cas présent, en s'inspirant de réalisations récentes faites par l'ARD en Allemagne, la technique retenue a été, pour la boîte intérieure, de réaliser une dalle flottante sur laquelle repose, par l'intermédiaire de boîtes à ressorts, une poutraison métallique revêtue de placostil, matériau économique.

Les studios sont en cours de finition. Pour vérifier le bien fondé de la solution retenue, une campagne de mesures acoustiques était prévue en septembre 1997. "


Au-delà de la question de principe, que pose la parution dans la presse du pré-rapport de la Cour des Comptes, cette affaire suscite les réflexions suivantes :

1. Évoquer, comme cela a été fait, le montant total des opérations, environ 3 milliards de francs, qui correspond au total des remboursements du crédit bail immobilier - intérêts et capital -, n'est pas une présentation habituelle. Dès lors que l'opération s'effectue couramment par voie d'emprunt et que celui-ci s'effectue au taux du marché, il est plus normal de citer le montant du capital emprunté ;

2. En revanche, quelle que soit la réponse définitive donnée par la Cour, le respect de l'enveloppe financière définie en accord avec la tutelle ne suffit pas à garantir la rationalité de l'opération. Mais cela ne dispense pas des comparaisons. Quelles autres implantations étaient possibles ?

3. Enfin, considérer que l'opération est positive parce que les frais de crédit bail sont à peu près identiques aux coûts de location des immeubles actuels n'est pas parfaitement satisfaisant dans la mesure où il faut s'assurer que les frais immobiliers étaient normaux au regard du chiffre d'affaires de l'entreprise. Au surplus, il semblerait que les baux des immeubles actuellement occupés par France 2, avenue Montaigne courent encore quelque temps et qu'il faille continuer à payer les loyers jusqu'en 2002. Bien qu'une solution de transaction soit sur le point d'être trouvée avec le propriétaire des locaux, il y a là une erreur de gestion qui manifeste une négligence grave dans le montage du dossier.

4. Les provisions pour dépréciation de programmes

La perte enregistrée par France 2 pour 1996, soit près de 200 millions, est largement due à la constitution d'importantes provisions pour la dépréciation de programmes.

L'avance de 235 millions de francs pour dépréciation a été d'autant plus remarquée qu'elle a été annoncée au moment où il était fait état du souhait de France 2 de recevoir un complément de 65 millions de francs.

Il faut rappeler à ce sujet que France 2, contrairement aux autres sociétés de télédiffusion n'utilise pas la technique des amortissements dérogatoires, ni aucun système d'amortissements linéaires de ses stocks, ce qui explique notamment l'importance relative de ces provisions pour dépréciation. Une modification des méthodes d'amortissements et d'évaluation des stocks de programmes est actuellement à l'étude en coordination avec France 3.

On remarque que la provision est supérieure de 100  millions au montant moyen depuis 1990 des stocks faisant l'objet de provisions pour dépréciation.

Provisions pour dépréciation des stocks de programmes

(en millions de francs)

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996*

Moyenne

205

120

200

93

105

95

235

135

*nette de reprise de provision

Il est légitime pour France 2 de ne pas conserver dans ses actifs des émissions non diffusables et donc de procéder à des dépréciations de stocks. Mais les critères appliqués semblent a priori un peu trop rigides et faire une trop grande place aux perspectives commerciales des émissions. En tout état de cause, comme l'annonce France Télévision, il conviendrait de réfléchir à de nouvelles règles d'amortissement plus proches des réalités.

Des provisions pour dépréciation sont constituées pour faire face aux risques d'abandon de projets et productions, ainsi qu'aux risques de non diffusion des programmes provenant de modifications de la grille, de raisons relatives à la qualité des produits, de préemption des droits ou de litiges juridiques. On note que les programmes non diffusés, dont les droits sont échus à la date de clôture, sont sortis de l'actif.

Les principes appliqués par France 2 sont les suivants.

Programmes inédits

a) Les provisions qui ont été constituées, portent sur des programmes qui sont considérés par la direction de l'entreprise comme non diffusables et cela de manière estimée très probablement irréversible. Les encours de production et les engagements signés n'ont pas fait l'objet d'une évaluation du risque les concernant.

b) Cette appréciation a été portée par la direction de l'entreprise en considérant ses options stratégiques de programmation dont la caractéristique principale réside dans un objectif moyen de part de marché d'audience de 25 %.

c) Les programmes dépréciés sont essentiellement ceux dont l'audience est estimée comme devant être sensiblement éloignée de cet objectif.

d) La provision constituée à la clôture de l'exercice ramène la valeur de ces stocks à zéro. Elle ne prend pas en compte une éventuelle valeur de cession des programmes ainsi dépréciés.

Programmes rediffusables

a) Les stocks de rediffusion font l'objet d'une provision dans les mêmes conditions que les inédits (eu égard essentiellement à un objectif d'audience) et en prenant en compte la capacité d'absorption de la grille ainsi que les échéances de droit.

b) La dépréciation des stocks de rediffusions est souvent le résultat d'une inadaptation de la méthode d'amortissement " 66/34 " qui ne prend pas en compte la performance de la première diffusion pour fixer la valeur que l'on peut donner à la seconde.

c) La provision constituée à la clôture ramène la valeur de ces stocks à zéro. Elle ne prend pas en compte une éventuelle valeur de cession de programmes ainsi dépréciés.

En fait, votre rapporteur aurait souhaité que l'on s'interrogeât sur les méthodes.

Sur le plan technique, il est clair que la méthode " 66-34 ", consistant à amortir forfaitairement 66 % d'une émission à la première diffusion, est inadaptée en ce qu'elle ne tient pas compte pour l'estimation de la valeur de rediffusion du potentiel réel de l'émission qui dépend de son audience initiale ;

Le problème est que ces dépréciations parfois importantes correspondent à des commandes d'une ancienne gestion, ce qui ne facilite pas la détermination des responsabilités.

5. La participation de France Télévision aux chaînes thématiques

Le secteur public veut se lancer dans l'aventure du numérique en participant à la création de chaînes thématiques. Il s'agit de mettre en valeur un stock de programmes et un capital de compétence.

La question, déjà évoquée, est de savoir si le secteur public a les moyens d'une politique dont la rentabilité n'est pas immédiate.

Deux chaînes sont déjà sur orbite. La chaîne Histoire et Festival ; deux autres sont en cours de montage ou de restructuration : fusion de France 3 et Supervision.

· Histoire et Festival

Le groupe France Télévision détient 56 % du capital de Festival et 25,5 % du capital de Histoire :

Histoire, dont il a déjà été question dans ce rapport, complète l'offre de programmes de découverte culturelle ;

Festival présente chaque jour depuis son lancement en juin 1996, le meilleur des films de télévision et de cinéma d'origine française et européenne, domaine dans lequel France Télévision occupe une place privilégiée. La chaîne joue donc un rôle très important dans la présentation de la mémoire télévisuelle, en permettant de retrouver les grandes fictions françaises du patrimoine télévisuel, mais aussi de découvrir son actualité : en effet, chaque semaine, Festival offre un film inédit réservé en avant-première aux seuls abonnés de la chaîne, avant toute diffusion sur une chaîne hertzienne généraliste. La diffusion s'organise de 10 heures du matin à minuit, selon les grands genres de la fiction (comédie, aventure, mystère, prestige, policier...).

Les deux chaînes font partie de l'offre payante des distributeurs (câblo-opérateurs et TPS) et sont rémunérées selon une redevance contractuelle fixée par mois et par abonné.

Festival compte aujourd'hui près de 350 000 abonnés, tandis que Histoire, lancée en juillet 1997, touche près de 300 000 abonnés. Pour les deux chaînes, l'année 1998 sera une année contrastée, dans la mesure où elles bénéficieront d'un côté de la croissance rapide de l'offre satellitaire TPS, mais devront s'adapter à la transformation de l'offre des opérateurs du câble qui numérisent leur réseau et restructurent leur offre. Selon les prévisions, elles devraient atteindre 650 000 abonnés (en moyenne annuelle en 1998).

Comme la plupart des chaînes thématiques, Festival et Histoire obéissent à une logique d'investissement. Selon leur plan d'affaires respectif retracé dans le tableau ci-après :

- Festival devrait atteindre le petit équilibre en l'an 2000 et le grand équilibre en 2003. Pour France Télévision, la participation au besoin de financement s'établit, à partir du 1er janvier 1998, à 12 millions de francs. Conformément à l'engagement des actionnaires, il reste à acquitter une somme supplémentaire pour la fin 1997, qui s'élève pour France Télévision à 5,6 millions de francs.

- Histoire devrait également atteindre le petit équilibre en 2000 et le grand équilibre en 2003. Pour France Télévision, la participation au besoin de financement s'établit, à partir du 1er janvier 1998, à 8 millions de francs.

 

Festival (1)

Histoire (2)

Participation de France Télévision au capital

56 %

25,2 % (3)

dont France 2

28 %

12,6 %

France 3

28 %

12,6 %

Évolution de la distribution (en nombre d'abonnés)

 
 

1997

350 000

300 000

1998

467 000

696 000

2000

992 000

1 302 000

2002

1 501 000

1 864 000

Date du petit équilibre

2000

2000

Date du grand équilibre

2003

2003

Besoin de financement (en millions de francs)

 
 

1997 : capital

-

-3,8

comptes courants

5,6

-

1998 : capital

-

-

comptes courants

7,7

4,7

1999 : capital

-

-

comptes courants

4,3

2,8

2000 : capital

-

-

comptes courants

-

0,6

2001 : capital

-

-

comptes courants

-

-

Totaux

17,6

11,9

(1) source : plan d'affaires (juin 1997)

(2) source : plan d'affaires de référence (avril 1997)

(3) France Télévision Numérique


Leur organigramme fait apparaître des fonctions comparables aux postes clés de l'entreprise : un président, un directeur général, un responsable des achats et des acquisitions, un responsable chargé de l'antenne et de sa continuité et une équipe chargée de la commercialisation. Pour des raisons d'économies d'échelle et de moyens, elles partagent leur régie de diffusion au 19, rue Cognac-Jay, au sein des structures de Cognac-Jay Images (TDF). Elles s'appuient, d'autre part, sur le savoir-faire des services de la présidence commune (Directions des Études et du Développement) pour renforcer la coordination et la synergie.

· Les perspectives de développement : France Supervision et Régions

Dans un univers concurrentiel qui va accroître le besoin de différenciation et rendre nécessaire une identité précise pour chaque chaîne, le groupe France Télévision doit insister sur l'aspect " mission de service public " de ces projets.

· La filialisation de France Supervision et la création d'une nouvelle identité

1998 sera l'occasion pour France Supervision, chaîne pionnière en matière de haute technologie, diffusée en 16/9, d'une profonde évolution. La chaîne, aujourd'hui un département de France 2, devrait s'ouvrir à des partenaires extérieurs pour présenter un projet de développement fondé sur le contenu, et non plus sur le format. Son programme, diffusé en 4/3 et en 16/9, sera centré sur la musique classique, l'opéra et la danse, et devrait permettre de satisfaire tous les passionnés et tous les amateurs.

· Le projet Régions de France 3

Il est présenté comme se situant au coeur même de la mission de France 3, " télévision de la curiosité et de la proximité ". Le programme, constitué d'informations et de magazines régionaux, présentera notamment sur des images déjà produites par les stations régionales. Son intérêt principal, la découverte de ce qui fait la richesse de la vie, de la culture et de l'actualité des différentes régions, a été confirmé par des études marketing réalisées par France Télévision et par des distributeurs auprès du public potentiel.

Initialement prévu pour faire partie de l'offre thématique de TPS dès son lancement, ce projet avait dû être reporté pour des raisons budgétaires. Porté à l'origine en totalité par France 3, il est aujourd'hui relancé avec la collaboration de partenaires extérieurs, notamment la presse quotidienne régionale. Sa place est toujours garantie dans l'offre de programmes thématiques de TPS.

Il est donc indispensable de définir une stratégie claire du secteur public face aux technologies numériques et lui en donner les moyens financiers.

6. La convention collective nationale unique des personnels de l'audiovisuel

a) Les mises en garde répétées n'ont pas été entendues

Votre Rapporteur a maintes fois attiré l'attention des pouvoirs publics sur l'urgence d'une renégociation de la convention collective de la communication et de la production audiovisuelle datant du 31 mars 1984.

Force est de constater que malgré ses appels, rien n'a été fait.

Les précédentes mises en garde de la commission des Finances

·
· dans le rapport sur le projet de loi de finances pour 1996 du 21 novembre 1995,

" ... Une évolution -concertée- ..en profondeur de la convention est devenue nécessaire et conditionne la modernisation des organisations du travail et des rapports sociaux dans les entreprises de l'audiovisuel public . Pour de nombreuses raisons, cette évolution est inséparable du problème plus vaste de l'organisation de la couverture conventionnelle dans l'ensemble de l'audiovisuel. "

·
· dans le rapport sur le projet de loi de finances pour 1997 du 21 novembre 1996 :

" Le maintien en l'état de la convention collective perpétue des classifications professionnelles dépassées par l'évolution technologique ; et freine le secteur public dans des investissements techniques permettant au secteur privé de prendre une avance croissante en matière de productivité et d'adaptation aux réalités du temps présent.

" A l'heure du numérique, le secteur public doit prendre conscience qu'il est désormais en compétition avec les diffuseurs, publics mais surtout privés, du monde entier . Si le secteur public ne veut pas être balayé dans les prochaines années, si les chaînes publiques ne veulent pas s'éteindre comme ce fut le cas des dinosaures, elles doivent s'adapter et moderniser leurs relations de travail, et, au premier chef, revoir cette convention.

" Les techniques numériques révolutionnent les métiers de l'audiovisuel. A l'ancienne distinction entre le journaliste et les techniciens se substitue désormais la profession de journaliste-reporter, qui filme, monte et conduit l'entretien.

" La convention handicape l'ensemble du secteur public . Les structures les plus dynamiques, La Cinquième, les opérateurs de l'audiovisuel extérieur, sont en dehors de son champ d'application. Les rigidités de la convention semblent, en effet, particulièrement inadaptées à l'action audiovisuelle extérieure. "

b) De lourdes menaces

Les trois chaînes ont en commun un fort taux de recours aux personnels temporaires : occasionnels, cachetiers, pigistes, intermittents ou intérimaires.

Les occasionnels se définissent par leur fonction de remplacement de personnes titulaires de contrats de travail à durée indéterminée, en congés maladie, maternité, ou pour convenances personnelles.

Les cachetiers recouvrent plusieurs catégories de spécialistes : réalisateurs TV, musiciens remplaçants, artistes, illustrateurs sonores, collaborateurs de productions de divertissement, animateurs notamment à la radio.

Ils sont employés temporairement ; ainsi, à Radio France, les cachetiers sont le plus souvent des animateurs embauchés à la saison ; ce sont eux qui donnent une certaine couleur à la chaîne.

Les pigistes sont des personnes affectées à la rédaction des chaînes ; ils sont rémunérés pour leur travail rédactionnel en fonction du nombre de pages écrites.

Enfin, les intérimaires sont mis à la disposition ponctuelle des sociétés par des sociétés d'intérim.

Les conventions collectives qui régissent le statut du personnel prévoient deux sortes d'avancement, automatique et au choix, et une prime d'ancienneté.

L'avancement automatique d'échelon s'effectue selon l'ancienneté. Il est échelonné sur 30 ans. Le passage d'échelon est annuel durant les trois premières années ; le troisième échelon dure trois ans, puis les échelons suivants quatre ans.

Une prime d'ancienneté est versée automatiquement aux salariés. Elle est proportionnelle au salaire de base de l'échelle et à l'ancienneté dans la société ; elle est fixée à 0,8 % jusqu'à 20 ans, puis à 0,5 % de 21 à 30 ans d'ancienneté.

Ces deux mesures avaient pour objet de traduire une reconnaissance de qualification acquise par l'ancienneté. Or, elles sont ressenties comme normales et faisant partie intégrantes de la rémunération plus que comme une reconnaissance de la qualification.

Par ailleurs, le passage d'échelon est assez lent, tous les quatre ans dans la majorité des cas, et peu rémunérateur.

La promotion reste relativement faible : elle peut se traduire par un avancement d'échelon au choix ou par une promotion dans l'échelle de qualification supérieure.

Concrètement pour le salarié, elle se traduit par une augmentation de 600 francs par mois pour un échelon moyen dans le cas de l'avancement d'échelon.

La promotion dans l'échelle supérieure est la plus motivante :

- l'augmentation est plus sensible et peut atteindre 7,5 % de l'indice de qualification, calculée après conversion du temps parcouru dans le niveau indiciaire de départ, selon une méthode de triangulation,

- le salarié repart dans des échelons inférieurs de la nouvelle échelle, ce qui lui promet un avancement plus rapide que dans l'ancien échelon.

Mais les promotions individuelles sont peu nombreuses et leur impact financier faiblement ressenti.

Les problèmes sociaux de France Télévision sont différents de ceux de Radio France parce que leurs métiers sont différents, mais les pesanteurs sont de même nature.

En fait, les rigidités liées à la convention collective nationale unique entraînent trois maux endémiques qui font planer de lourdes menaces sur l'équilibre du secteur public de l'audiovisuel.

· Les emplois temporaires

Il représentent : 540 emplois à France 2, 1 438 emplois à France 3 (équivalents temps plein, calculés avec certaines hypothèses simplificatrices). A titre de comparaison, ils atteignent 962 emplois à Radio France.

Les cachetiers relèvent du statut des intermittents du spectacle. De ce fait, pèse sur les sociétés une double menace :

- celle de voir les contrats temporaires qui occupent de façon récurrente des emplois permanents, requalifiés en contrat à durée indéterminée. Ce sont les cachetiers de Radio France qui ont demandé au tribunal de faire requalifier leur emploi en contrat à durée indéterminée.

- celle de voir les annexes 8 et 10 de la convention de l'UNEDIC, sur lesquelles reposent le faible niveau des cotisations et le fort niveau des indemnités de chômage des cachetiers, dénoncées en raison du déficit considérable de ce secteur.

· Le régime des heures supplémentaires

Les heures supplémentaires des personnels techniques et administratifs (en fait, essentiellement les personnels techniques, les personnels administratifs n'en effectuant pratiquement pas) bénéficient d'un régime relativement laxiste lié à l'application de la convention collective : sur un total d'heures constatées au cours d'une semaine donnée, les heures réputées normales sont celles qui auraient donné lieu au plus faible tarif (+ 25 %) si elles avaient été supplémentaires, et les premières heures supplémentaires sont celles qui bénéficient du prix le plus élevé (+ 125 %). On voit la déviation possible du système avec un exemple : les techniciens liés à l'actualité ont une pointe de charge le dimanche. Le dimanche est donc un jour normalement travaillé dans ce métier. Mais, malgré tout, ce sont les heures qu'ils font le dimanche qui seront comptées comme heures supplémentaires (dès lors que les 39 heures sont dépassées dans la semaine, évidemment). Or les heures supplémentaires de dimanche sont plus chères que celles de semaine... Si l'on ajoute qu'une équipe en tournage hors Paris est réputée travailler dix heures par jour, il est clair que le mécanisme est inflationniste en termes d'heures supplémentaires.

Cela représente 167 heures supplémentaires par agent en 1993, 180 en 1994 et 171 en 1995. On rappelle que le contingent réglementaire est de 130 heures supplémentaires par an pour un salarié. A France 2, 30 % des agents ayant fait des heures supplémentaires en ont effectué plus de 260 et une vingtaine d'agents plus de 450 (qui est le contingent maximal de la convention collective, lui-même déjà contraire au code du travail). Il y a donc là un problème grave de conformité avec la législation du travail.

Or, les compléments de rémunération que constituent les heures supplémentaires sont devenus des éléments essentiels de la rémunération de nombre de techniciens, ce qui rend le problème difficile à traiter au plan social. C'était d'ailleurs un frein au passage des techniciens au statut de cadres, promotion nécessaire pour permettre le dégagement des effectifs vers le haut et le recrutement de jeunes techniciens (la convention collective rend difficile le recrutement de techniciens expérimentés ; le recrutement n'est donc possible que par l'avancement, la promotion et les départs en retraite. Un blocage des promotions entraînerait donc un blocage du système). On a dû créer une catégorie de " Cadre spécialisé " (B21-1) dans la convention collective pour permettre à ces techniciens expérimentés de quitter les échelles de techniciens et de devenir cadres sans pour autant perdre le bénéfice des heures supplémentaires. La nouvelle législation en préparation, qui limitera encore plus drastiquement le recours aux heures supplémentaires, rend l'avenir plein d'incertitudes.

Ces problèmes sont directement liés à la convention collective de l'audiovisuel public. Outre son caractère inflationniste (on a parlé du V du GVT qui est de près de 40 % supérieur à celui de la fonction publique), le fait qu'elle comprenne une référence à ce quota de 450 heures supplémentaires par an n'est pas pour faciliter le dialogue social et, en ce domaine, il n'est pas certain que la meilleure des solutions soit d'attendre d'être condamné par un tribunal. La convention collective, qui fixe le contingent de 450 heures supplémentaires par an, a été signée en mars 1984 et c'est en juillet 1984 que la loi a fixé un contingent de 130 heures qui ne peut être modifié que par voie d'accord étendu. Or, la convention collective de l'audiovisuel public n'a pas le caractère d'un accord étendu et n'a pas vocation à l'avoir.

· Les disparités de traitement entre les sociétés

Le problème est plus aigu entre France 2 et France 3 parce que plane sur elles la menace de voir France Télévision qualifiée d'" Unité Économique et Sociale " par le tribunal de grande instance. Les critères retenus par les juges pour déclarer l'UES sont multiples :

- même siège social,

- activités identiques,

- dirigeants sociaux identiques,

- mêmes commissaires aux comptes,

- imprimés communs à double en-tête,

- apparence de groupe donnée aux yeux des tiers,

- communauté totale d'intérêts et de direction, même si les activités sont complémentaires.

La réalité du risque n'est donc pas à démontrer. Quelle est son ampleur ?

L'UES pourrait imposer la création d'un comité central d'entreprise, une complète circulation de l'information sur la gestion, les rémunérations, les classifications, etc., l'impossibilité de gérer un plan social dans une seule des deux entreprises et surtout un accroissement évident de l'impact d'un éventuel conflit social. Le siège commun sera un élément supplémentaire qui rendra d'autant plus nécessaire la solution de ce problème car il le rendra plus aigu. Il n'est pas admissible que ni les pouvoirs public (Gouvernements successifs), ni les états-majors successifs de France Télévision n'aient pas tenté de mettre fin à ces disparités.

Les données relatives aux rémunérations de France 2 et France 3 mettent en évidence le clivage existant, résultant de l'écart entre les rémunérations moyennes des deux sociétés. La rémunération moyenne du salarié permanent de France 2 est supérieure de plus de 15 % à celle du salarié de France 3. Et pourtant l'évolution de ces rémunérations moyennes dans le temps est assez parallèle dans les deux sociétés. Il semble que la population de France 3 étant plus âgée que celle de France 2, le V du GVT y soit plus faible puisque les échelles de la convention collective ont leur concavité dirigée vers le bas, ce qui laisse à la direction de France 3 une meilleure marge de manoeuvre pour une vraie politique salariale, dont on voit qu'elle porte essentiellement sur les journalistes : un journaliste de France 3 a un espoir de promotion triple de celui d'un journaliste de France 2.

· Un alignement potentiellement contenu

Il est clair que les salaires, comme les cachets ou les piges, sont moins élevés à France 3 qu'à France 2 et on n'a là rien que de très habituel, compte tenu du poids relatif des masses salariales dans les chiffres d'affaires des deux sociétés. Leur rapprochement au sein d'une UES pourrait coûter cher. En effet, l'alignement brutal du système de rémunération de France 3 sur celui de France 2 serait d'un prix exorbitant. La présidence de France Télévision l'aurait estimé à plus de deux cents millions de francs par an.

A cela il faut ajouter une série de conséquences indirectes.

La première est que Radio France ne resterait pas en marge d'une telle action, surtout si elle a été imposée par un tribunal ou si elle est le résultat d'une action comme une grève ou un mouvement social.

Enfin une telle politique de rattrapage aurait pour effet de pérenniser des organisations du travail obsolètes. Car une autre erreur de la convention collective nationale et unique est qu'elle décrit les métiers de l'audiovisuel avec précision et rigueur, mais... ce sont les métiers de 1984, bien différents de ce qu'ils sont aujourd'hui, compte tenu de l'évolution technique.

En définitive, une révision de la convention collective sera sans doute une opération coûteuse. Mais il faudra bien l'adapter à l'évolution technique, en tenant compte des engagements pris par les pouvoirs publics. En ce domaine, justice sociale et adaptation technique seront difficiles à concilier. Mais il faudra néanmoins le réaliser.

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