B. LES RÉSEAUX RADIOPHONIQUES COMMERCIAUX SE SONT PEU A PEU IMPOSÉS

1. L'évolution économique de la radio a nécessité de profondes adaptations de la réglementation

Le paysage radiophonique français n'est pas aussi diversifié que pourrait le laisser croire l'existence d'environ 1 800 stations.

La part de marché des radios locales indépendantes est faible (un peu plus de 2 %) et, de surcroît, celles-ci connaissent d'importantes difficultés financières. En revanche, les grands réseaux ont poursuivi l'extension de leur sphère d'influence dans les années qui ont suivi l'application de la loi du 1er février 1994. Les radios périphériques ont, pour leur part, opéré une transition réussie d'une gamme de fréquence - les grandes ondes - appelée à disparaître, à une autre - la modulation de fréquence -. Enfin, grâce à de nombreux programmes et une nouvelle chaîne thématique, France Info, qui rencontre un incontestable succès, le secteur public , avec Radio France, atteint une part de marché de 25 %, témoignant ainsi d'une incontestable bonne santé.

Audience (en %)

des différentes catégories de radios

 

Nov-Déc
1996

Nov-Déc
1995

Nov-Déc
1994

Radios publiques
(tous programmes offerts par Radio France et RFI)


29,2


24,2


22,6

Radios commerciales privées

69,3

69,4

70,4

Radios privées non commerciales

2,7

2,2

2,4

Autres stations
(par exemple radios étrangères)

_


4,1


4,6

Source : Enquête 75000 Médiamétrie

a) Les évolutions économiques et éditoriales de la radio

Un mouvement de concentration s'est opéré à un double niveau :

· rachat de réseaux par les radios périphériques

Europe Communication
a bénéficié, outre de la bonne implantation d'Europe 1, de la situation de fournisseur de programmes d'Europe 2. La CLT a acquis, en 1994, le réseau FUN, et a pris le contrôle, dans des conditions controversées, du réseau M 4O, connu désormais sous le nom de RTL 2. Le groupe RMC est confronté à la faiblesse relative de l'implantation de deux de ses trois réseaux, RMC et Radio Montmartre.

En revanche, le groupe NRJ est aujourd'hui à la recherche d'un troisième réseau, malgré sa très bonne implantation. Après avoir élargi son programme, Chérie FM a échoué dans sa tentative de reprise de RMC. Il n'a pu reprendre Radio-Montmartre, après avoir tenté en vain de racheter RFM et M 40 et après avoir manqué la prise de contrôle de Skyrock. NRJ a décidé de développer sa banque de programmes " Rires et chansons " pour contrer l'influence des grands opérateurs qui contrôlent chacun trois réseaux ; Europe 1, avec Europe 2 et RFM ; RTL, avec FUN Radio et RTL 2 ; RMC, avec Nostalgie et Montmartre FM.

· passage des radios commerciales locales indépendantes aux radios locales diffusant le programme d'un réseau thématique national

Afin de permettre ce développement, ainsi que l'équilibre entre les quatre principaux groupes radiophoniques, le CSA a précisé, dans un communiqué n° 319 du 15 décembre 1995, qu'il ne s'opposait plus au passage d'une radio de catégorie B en catégorie C. Il a cependant mis comme condition que les opérateurs concernés restituent leurs fréquences, en application de l'article 42-3, et qu'ils se présentent lors d'un nouvel appel à candidatures.

Cette obligation de restitution de la fréquence est violemment combattue par le groupe NRJ. Or, le CSA ne fait que respecter le droit en choisissant la voie de l'appel à candidatures, plutôt que celle de la légalité fragile du changement de catégorie en cours d'autorisation. En effet, lors d'un appel, les candidats se présentent pour une catégorie de services et un changement ultérieur est de nature à remettre en cause le principe d'égalité entre eux.

Cette application de la loi par le CSA a été validée par le Conseil d'Etat ( CE, 15 janvier 1997, Radio Sud-Vendée-Picton ) : une modification dans les organes dirigeants et les sources de financement sont de nature à remettre en cause l'équilibre du paysage radiophonique entre les différentes catégories de radios.

Les radios privées non commerciales et les radios privées commerciales indépendantes rencontrent des difficultés de financement importantes.

· les radios associatives , les plus nombreuses (43 % des radios privées et 27 % des fréquences) s'étiolent (manque de professionnalisme, essoufflement du bénévolat, problèmes de financement).

Elles ont un chiffre d'affaires faible et sont de plus en plus dépendantes du Fonds de Soutien à l'Expression Radiophonique. Plus de la moitié des radios (292 sur 498) ont un chiffre d'affaires compris entre 200 000 francs et 500 000 francs, mais 25 % environ de l'ensemble des radios ont un chiffre d'affaires inférieur à 200 000 francs.

· les radios commerciales indépendantes ont des coûts de fabrication élevés, car elles ne bénéficient pas de la notoriété qu'apporte un réseau thématique national et se heurtent à une forte concurrence des réseaux. Sur le plan publicitaire, leurs tentatives d'autonomisation (GIE Les indépendants) a fait long feu (contrôle d'Europe 1). Et, de plus en plus, leur format se rapproche de celui des réseaux (plus musical que généraliste).

· Enfin, l'abandon de l'indépendance des radios abonnées (catégorie C, radios locales diffusant le programme d'un réseau thématique national) a été reconnu par le CSA (communiqué 319 du 15 décembre 1995).

De plus, l'évolution des radios musicales pendant les années quatre-vingts, privilégiant les chansons anglo-saxonnes, fut une véritable menace pour la chanson française.

Face à ces évolutions, le législateur est régulièrement intervenu.

b) Les réactions du législateur

A trois reprises, il est intervenu en modifiant sensiblement la régulation du paysage radiophonique.

(1) assouplissement du dispositif anti-concentration

Dans sa version initiale, la loi du 30 septembre 1986 limitait à 15 millions d'habitants la desserte du deuxième réseau d'un groupe radiophonique exploitant déjà un réseau d'une couverture de 30 millions d'habitants. Un même groupe ne pouvait donc exploiter deux réseaux à vocation nationale.

L'article 15 de la loi du 1er février 1994 a modifié les règles de seuil posées aux articles 41 et 41-3 de la loi du 30 septembre 1986 en portant à 150 millions le nombre total d'habitants pouvant être desservis par un même groupe pour l'exploitation de plusieurs réseaux radiophoniques. Il a, par ailleurs, donné du réseau une définition fondée sur l'identité du programme diffusé (article 41-3) qui élimine une des voies de contournement utilisées antérieurement.

Le nouveau dispositif a eu pour objet de faciliter la constitution de grands groupes radiophoniques privés en France. Mais sa portée effective a été limitée par des considérations juridiques - notamment par le régime d'attribution des fréquences - et par la politique radiophonique du CSA.

La philosophie politique qui l'inspire est profondément différente des précédentes lois sur l'audiovisuel. En autorisant les groupes exploitant les réseaux à atteindre un seuil de 150 millions d'habitants, elle exprime une volonté qui va en sens inverse des textes antérieurs. Les lois de 1982 et 1986 entendaient favoriser le plus grand pluralisme possible dans le paysage radiophonique ; elles n'avaient ni prévu, ni souhaité le développement des réseaux des quatre grands groupes radiophoniques (Europe, CLT, NRJ, RMC).

(2) dispositif de financement public des radios privées non commerciales

Un fonds de soutien à l'expression radiophonique locale a permis le financement public des radios non commerciales.

Le principe d'une aide financière aux radios locales associatives non commerciales a été posé par les loi de 1982, puis 1986.

Le fonds est alimenté par une taxe parafiscale assise sur les recettes publicitaires des services de radiotélévision.

Sont éligibles au fonds d'aide les services titulaires d'autorisation " dont les ressources commerciales provenant de messages diffusés à l'antenne et présentant le caractère de publicité de marque ou de parrainage sont inférieures à 20 % de leur chiffre d'affaires ".

(3) instauration de quotas de chansons françaises

La loi du 1er février 1994 impose, depuis le 1er janvier 1996, de diffuser "un minimum de 40 % de chansons d'expression française, la moitié au moins provenant de nouveaux talents ou de nouvelles productions".

Les quotas de chansons appliqués sans exception à toutes les stations ont été très controversés mais leur application s'est effectuée de manière relativement réussie, malgré la désapprobation de certains réseaux musicaux.

2. Des difficultés croissantes de financement

La double contrainte d'un marché publicitaire étroit et de l'insuffisance de fréquences pour assurer à chaque réseau la couverture nationale à laquelle il prétend rend de plus en plus difficile la gestion du secteur radiophonique par le CSA.

· le développement des banques de programme et des régies publicitaires :

Ce double développement constitue une menace pour le pluralisme. Il révèle également les contradictions de la législation. La loi impose en effet au CSA de prendre en considération, lors de l'attribution de fréquences, non le contenu des programmes, mais des considérations économiques et capitalistiques.

Les banques de programme , fournissant une émission de complément destiné aux radios locales indépendantes ou associatives, encouragées à l'origine par le CSA, apparaissent désormais comme le faux-nez des réseaux :

- en habituant un public à un format, avant de le lancer sous forme de réseau,

- en permettant de fédérer des radios autour d'une régie publicitaire,

- en constituant un moyen d'empêcher la concurrence d'acquérir de nouvelles fréquences.

· les menaces pesant sur les radios indépendantes

Il n'est pas certain que les radios indépendantes soient toutes viables : elles sont trop nombreuses pour un marché publicitaire étroit.

Actuellement, les ressources du marché publicitaire local sont insuffisantes pour couvrir les besoins de financement des radios de catégorie B et C. Les radios de catégorie B sont, dès lors, tentées de passer accord avec une régie et un réseau ayant accès à la publicité nationale ainsi qu'à la diffusion locale de la publicité nationale. Pour un réseau, le seul mode de développement, dans un contexte de stagnation, voire de recul du marché publicitaire, est d'élargir sa couverture nationale.

C'est ainsi que les radios associatives sont toutes devenues dépendantes du soutien financier de l'Etat.

Le fonds de soutien continue à représenter la part la plus importante (plus de 50 % du budget pour 40 % des radios mais, pour 15 % d'entre elles, jusqu'à 70 % et plus de leurs ressources). La part de la publicité, globalement très minime, ne joue de rôle que pour une soixantaine de radios pour lesquelles elle dépasse 10 % du chiffre d'affaires.

Les autres ressources proviennent du fonds d'action sociale (principal bailleur public après le fonds de soutien), des subventions des collectivités locales, variables d'une région à l'autre ou d'un département à un autre, et souvent inégalement réparties entre les radios situées dans le ressort d'une même collectivité territoriale, enfin de cotisations et dons. Une mention particulière doit être faite du financement par les Églises ; en revanche, rares sont les radios massivement subventionnées par une municipalité.

3. Le problème des concentrations

La volonté des opérateurs s'est attachée à poursuivre le mouvement de concentration, ce qui, pour l'autorité de régulation, a augmenté les difficultés d'application de la loi de 1994.

En même temps qu'elle a autorisé les groupes à atteindre le seuil de 150 millions d'habitants, cette loi a figé le paysage radiophonique en introduisant le mécanisme de renouvellement simplifié des autorisations (article 28-1 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée).

a) Le marché des fréquences

Le dispositif anti-concentration pour le secteur de la radio

Dans sa version initiale, la loi du 30 septembre 1986 limitait à 15 millions d'habitants la desserte du deuxième réseau d'un groupe radiophonique exploitant déjà un réseau d'une couverture de 30 millions d'habitants. Un même groupe ne pouvait donc exploiter deux réseaux à vocation nationale .

L'article 15 de la loi du 1er février 1994 a modifié les règles de seuil posées aux articles 41 et 41-3 de la loi du 30 septembre 1986 en portant à 150 millions le nombre total d'habitants pouvant être desservis par un même groupe pour l'exploitation de plusieurs réseaux radiophoniques. Il a, donné du réseau une définition fondée sur l'identité du programme diffusé (article 41-3) qui élimine l'une des voies de contournement utilisées antérieurement.

Or, le CSA avait déjà, en 1994, procédé à la planification de la quasi-totalité du territoire français, en attribuant la quasi-totalité des fréquences disponibles.

Les réseaux sont donc confrontés à une situation paradoxale : ils peuvent juridiquement se développer, mais, en réalité, ils ne peuvent le faire rapidement sans quelques accommodements avec le droit ou avec la politique radiophonique de l'instance de régulation.

Dans ce contexte, la prise de conscience d'une relative pénurie de fréquences a exacerbé les conflits.

Politiquement sensible, ce dossier s'est révélé techniquement complexe.

Cette situation a entraîné un véritable marché noir des fréquences radiophoniques, que le CSA n'a pas été en mesure d'empêcher 56( * ) .

Une autorisation d'émettre, délivrée gratuitement à l'origine, pouvait, paraît-il, se négocier en sous-main entre 500 000 francs et 5 millions de francs, le " prix de marché " étant de 6 francs environ par auditeur.

Dans ces conditions, une remise en ordre apparaissait indispensable. Elle appelait une clarification de la législation.

b) L'affaire HFM

La fusion, en juin 1997, de Hachette Filipacchi presse et Filipacchi Médias fit monter la tension. En effet, Europe 1 Communication a hérité de deux réseaux supplémentaires Skyrock et Chante France, qui se sont ajoutés à ceux qu'elle possédait déjà : Europe 1, Europe 2 et RFM. Or avec cinq réseaux, le groupe Lagardère, qui contrôle à 65,9 % le nouvel ensemble dépasse, avec un total de 158 millions 57( * ) , le seuil de 150 millions d'habitants fixé par la loi tout en se trouvant loin devant ses concurrents 58( * ) .

Il est vrai qu'Europe 1 Communication a annoncé son intention de mettre sur le marché Chante France dont le potentiel est de 9,1 millions d'habitants, ce qui le ferait passer en dessous du seuil légal.

Mais, les problèmes n'en seraient pas résolus pour autant. D'une part, parce que se trouverait officialisée une pratique contraire à la loi disposant que les fréquences sont en principe incessibles. D'autre part, parce que la marge qu'espère trouver ainsi Europe 1 serait trop faible pour donner droit à l'attribution de nouvelles fréquences qu'elle estime nécessaire à son développement.

Très logiquement le CSA a fait savoir dans son communiqué n° 351 du 10 septembre 1997 que le groupe Lagardère devait se mettre en conformité avec la loi et " qu'en l'état actuel de la situation aucune fréquence supplémentaire ne peut lui être attribuée ".

Au début du mois d'octobre 1997, il était fait état d'un projet d'introduction en bourse de Skyrock, de façon à éloigner le groupe du seuil de concentration.

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