II. PRINCIPALES OBSERVATIONS

Le projet de budget de la culture pour 1998 se présente donc favorablement. Mais, s'il offre des motifs de satisfaction - et votre rapporteur en voit essentiellement trois -, certains points paraissent plus préoccupants, tandis que d'autres méritent que le ministre apporte les éclaircissements nécessaires.

Trois motifs de satisfaction

Le premier sujet de satisfaction de votre rapporteur est le rétablissement , parmi les priorités de l'action gouvernementale , de l'objectif du 1 % du budget affecté à la culture . Le projet de budget pour 1998 représente 0,95 % du budget de l'État contre 0,93 % en 1997 à structure constante. Il peut, à juste titre, être présenté, sinon comme un renversement de tendance, du moins comme un coup d'arrêt à la dégradation continue à laquelle on a assisté ces dernières années.

Cette augmentation des dotations est réconfortante, notamment pour tous ceux qui s'inquiéteraient de voir notre patrimoine, c'est-à-dire l'héritage de tous les français, régulièrement sacrifié aux dieux de la rigueur budgétaire.

Maintenant, il ne suffit pas de dépenser plus pour la culture, encore faut-il dépenser mieux. Aussi, est-ce avec une satisfaction vigilante que votre rapporteur accueille cette augmentation en attendant de connaître l'usage qui en sera fait.

Un deuxième sujet de satisfaction pour votre rapporteur a trait au retour en matière de patrimoine monumental à des dotations du même ordre que celles prévues par la loi programme 1994-1998 . Avec 1.616,52 millions de francs, les crédits affectés au patrimoine monumental sont en croissance de 39,27% par rapport à ceux inscrits dans la loi de finances pour 1997, qui étaient tombés à 1 160,75 millions de francs par suite des mesures de restriction budgétaire.

La situation créée par ces mesures était lourde de menaces pour le patrimoine monumental. Le rapport écrit donne la liste par région des opérations annulées ou reportées concernant les édifices appartenant à l'État. On note que les enveloppes de crédits déconcentrés ayant été aussi diminuées, des annulations ou reports de travaux ont affecté des opérations programmées en régions. Il faut signaler, à cet égard, que la défaillance de l'État a pu avoir un effet d'amplification en stoppant une opération financée également par les collectivités locales.

Mais, l'on ne doit pas oublier que derrière les pierres, il y a des emplois. Les marchés de travaux pour la restauration des monuments historiques se caractérisent, il faut le rappeler, par un taux de main d'œuvre particulièrement élevé, dépassant couramment les taux constatés dans le secteur du bâtiment : sur un million de francs investis, entre 60 et 85% va à l'emploi, ce qui correspond à trois emplois à temps plein sur une année.

Troisième motif de satisfaction : la priorité accordée au spectacle vivant : les dotations consacrées à ce domaine atteignent, comme on l'a vu, 4.240 millions de francs et sont en augmentation de 7 % par rapport à 1997.

L'an passé, votre rapporteur s'était déjà félicité de ce que l'on ait pu, en dépit de la dureté des temps, préserver la dotation allouée au spectacle vivant. Il y a là des activités dont la vitalité et donc la créativité supposent une certaine sérénité. Cette croissance laisse espérer un dynamisme accru de la part d'acteurs de la vie culturelle que des restrictions continues et surtout des coupes budgétaires à répétition avaient pu décourager.

Cet effort est particulièrement sensible pour le théâtre, dont les crédits augmentent de 11,9%, et, en particulier, pour la création.

Maintenant cette appréciation, dans l'ensemble favorable, n'empêche pas votre rapporteur d'être préoccupé par certains aspects de ce budget - il y en a trois - et de souhaiter de la part du ministre certains compléments d'information.

Trois sujets de préoccupation

Il n'est pas question d'un nouveau texte qui viendrait, au de là de 1998, prendre la suite de l'actuelle loi de programme sur le patrimoine monumental
. Il y a là un silence aussi regrettable qu'inquiétant.

Si, dans ce domaine comme dans d'autres, une loi de programmation n'est pas une protection absolue, au moins constitue-t-elle une sorte de contrat moral de la représentation nationale avec elle-même et peut-elle être conçue comme une limite qui, lorsqu'elle est franchie, déclenche un signal d'alarme.

La protection du patrimoine monumental doit s'inscrire dans la durée. L'état sanitaire de nos monuments historiques, sur lequel l'on peut trouver des informations dans le rapport écrit, justifie un effort de longue haleine. Le développement des quelque 1.100 entreprises spécialisées - qui, dans ce secteur, dépendent toutes, directement ou indirectement, de l'État - mérite d'être mis à l'abri des aléas budgétaires.

Ce qui pour certains doit être considéré comme une rigidité voire une contrainte est, selon votre rapporteur, le garant d'une bonne utilisation des crédits publics. Les " coups de frein" budgétaires non seulement déstabilisent un secteur économique par nature fragile, dans lequel les compétences s'acquièrent lentement et disparaissent facilement, mais encore sont source de gaspillages, car les chantiers qu'il faut abandonner, sont souvent à reprendre et les travaux qu'il faut interrompre, à refaire.

Le second point qui suscite une certaine inquiétude de la part de votre rapporteur, est la situation de la Réunion des Musées Nationaux , dont la crise financière lui interdit de contribuer, comme par le passé, à l'enrichissement des collections nationales.

Cet établissement, qui a pour objet de financer l'acquisition d'oeuvres d'art, d'organiser des expositions et de développer une activité commerciale et éditoriale a annoncé à la fin juillet un déficit de 86,1 millions de francs pour l'exercice 1996. Excédentaires en 1993 (+ 10 millions de francs), équilibrés en 1994, les comptes avaient dégagé un solde négatif de 39 millions de francs en 1995.

Le déficit est manifestement devenu structurel. D'abord, les ressources que la RMN tire des droits d'entrée, ont eu tendance à diminuer du fait du tassement de la fréquentation des musées (- 20 % en 1995, - 12 % en 1996) et de la transformation en établissements publics du Louvre et de Versailles, qui conservent dorénavant une part des recettes ; ensuite, les activités éditoriales et commerciales - cartes postales, catalogues, CD-ROM, "produits dérivés"- se révèlent moins rentables : ce secteur fait ainsi apparaître un déficit de 150 millions de francs pour près de 400 millions de francs de chiffre d'affaires.

Paradoxalement, au lieu de dégager des bénéfices de nature à venir conforter les missions de service public comme le montage d'exposition ou la publication de catalogues d'un intérêt scientifique certain mais au public restreint, le secteur commercial de la RMN absorbe en réalité des ressources qui auraient dû, soit contribuer aux opérations d'intérêt général, soit permettre l'acquisition d'oeuvres d'art.

Cette défaillance de la RMN est d'autant plus grave qu'elle intervient à un moment critique, celui où, du fait de la combinaison des dispositions de la loi du 31 décembre 1992 sur la circulation des oeuvres d'art et d'une jurisprudence défavorable, l'État se trouve privé des moyens juridiques et surtout financiers d'empêcher durablement la sortie de certains trésors nationaux. Il n'est pas sûr que les 29 % d'augmentation des crédits d'acquisition des affichés dans le présent budget, suffisent à faire face à la situation.

La discussion de ce budget devrait être l'occasion pour le ministre de préciser, à court terme, les mesures qui seront prises pour redresser un organisme qui constituait jusqu'à présent un bel exemple de dynamisme et, à moyen terme, le dispositif législatif que le Gouvernement entend mettre en place pour empêcher l'exode des trésors nationaux.

Bien que l'on ne puisse parler de crise comme pour la RMN, il convient d'appeler l'attention de la commission sur la situation des musées nationaux, telle qu'elle apparaît à la lumière du rapport de la Cour des comptes paru en février dernier. La Cour souligne un certain nombre de "dysfonctionnements". Vous trouverez une analyse des observations de la cour dans le rapport écrit. Aussi, se contentera-t-on ici de faire part des réflexions qu'inspire deux des principales critiques faites à cette occasion.

S'agissant des questions de personnel et de l'ouverture des salles, on peut simplement faire remarquer qu'il s'agit là de la conséquence d'une tendance générale à privilégier les dépenses d'investissement sur celles de fonctionnement, à créer de nouveaux musées ou à ouvrir de nouveaux espaces sans leur donner les moyens de fonctionner.

L'autre lacune importante soulignée par la cour, est l'insuffisance des inventaires, travail aussi ingrat que nécessaire. D'une part, les disparitions révélées par les magistrats doivent être remises dans leurs contextes historique et artistique : on ne peut se contenter, au vu du nombre d'oeuvres dont les musées ont la charge, d'une approche quantitative confondant l'oeuvre mineure avec ce qui est important, une disparition récente avec une oeuvre non vue depuis 1939...

Voilà, il importait à votre rapporteur spécial, de donner cet éclairage sur le travail de la Cour des comptes et de soutenir l'action des musées de France, qui font déjà beaucoup de choses avec les moyens de fonctionnement limités qui leur sont alloués.

Le dernier sujet de préoccupation du rapporteur est l'état de préparation des cérémonies de célébration de l'an 2.000 .

Il a fallu attendre la création, en décembre 1996, de la mission pour la célébration de l'an 2000 et la nomination de J.J. Aillagon, président du Centre George Pompidou, en qualité de président de cet organisme pour que la place et les moyens à consacrer à l'événement soient mieux définis.

A l'étranger, il semble que l'on ait, en revanche, agit très tôt et vu très grand. Tandis qu'en Italie, l'État et la ville de Rome joignent leurs efforts pour fêter le Jubilé du Vatican, la Grande-Bretagne a mis en place, dès 1995, par la voie de la loterie, un mécanisme de financement du "millenium". L'Allemagne, quant à elle, a programmé deux opérations d'envergure pour l'an 2.000, l'exposition universelle de Hanovre et le transfert de sa capitale de Bonn à Berlin.

A quelque 800 jours de l'événement, il convient de confirmer la liste des projets envisagés par la mission et surtout déterminer des modalités de financement.

D'après les informations communiquées à votre rapporteur, la mission s'est attachée à élaborer un programme comportant deux phases :

La première, intitulée "  mille jours pour inventer l'an 2000 ", a pour objectif de favoriser les initiatives dans les domaines de la création et de l'innovation, du savoir et de sa transmission, ainsi que de la solidarité. Engagé le 3 avril dernier à mille jours de l'an 2000, ce programme s'est traduit par le lancement d'un appel à projets par l'intermédiaire de la presse régionale ;

La seconde phase est constituée par la célébration de l'an 2000 elle-même : 200 manifestations réparties sur 100 sites sont ainsi prévues à Paris, en province et outre-mer. A chacun des sites français doit être associé un site à l'étranger de façon à bien marquer la nécessité pour la France de s'ouvrir sur le monde.

L'ensemble de ce programme s'inscrit dans une problématique d'ensemble exprimée dans la formule : " La France, l'Europe, le monde. Un nouveau souffle ".

Actuellement 120 projets sur les deux cents auraient déjà fait l'objet d'une évaluation complète. En outre, la mission a proposé que les sites soient fédérés par un site central, conçu, réalisé et aménagé pour la circonstance. Ce site, qui pourrait être élevé à la limite de Paris et d'Aubervilliers, devrait donner lieu à un " geste architectural significatif ". Cette " Cité de l'an 2000 " serait financée par des investisseurs privés qui prendraient ensuite possession du bâtiment pour l'exploiter à des fins commerciales. Elle accueillerait un espace multimédia et une série d'expositions dont la principale serait intitulée "  La France, un portrait, des portraits ".

L'appel à projets de son côté a été clos le 31 juillet. Il a permis d'identifier un millier de projets dignes d'intérêt, dont un certain nombre est pris en charge par la mission. Parmi les initiatives envisagées, on peut signaler : la matérialisation végétale de la méridienne de Paris à travers 334 communes, le voyage de 20 000 jeunes autour du monde et l'organisation d'une course autour du monde à la voile.

Le coût prévisionnel du programme des célébrations est évalué, hors dépenses de fonctionnement de la mission, à 1,135 milliard de francs. Le financement devrait en être assuré en grande partie par une contribution de la Française des jeux qui devrait être obtenue grâce au lancement de nouveaux jeux liés au thème de l'an 2000.

Il est apparu important pour votre rapporteur d'attirer l'attention du Sénat sur un projet dont le financement est des plus problématique.

En dernier lieu, votre rapporteur voudrait évoquer trois points sur lesquels il attend les précisions et les explications du ministre.

Trois points à préciser

Le ministre a indiqué dans sa présentation à la presse de son budget que " en 1997, hors établissements publics, 42% des crédits du ministère concernent Paris, 5% l'Île- de France et 53% la province ". Compte tenu du souci constamment manifesté par la commission de finances que l'effort de l'État soit mieux réparti sur l'ensemble du territoire, votre rapporteur aimerait que le ministre non seulement fournisse des chiffres prenant en compte les crédits des établissements publics mais indique également la façon dont il entend à l'avenir parvenir à un meilleur équilibre entre Paris et la Province . A cette occasion, le ministre pourra également expliciter certains de ses objectifs pour 1998, tels que " accroître l'offre culturelle en région " et développer " une politique de partenariat " avec les collectivités locales.

L'effort de rationalisation des structures administratives se manifeste par des projets de fusions de directions ou d'organismes sur les modalités desquelles le ministre pourra certainement apporter des informations utiles au Sénat :

D'abord, il faut mentionner une mesure importante de rationalisation consistant dans la création d'un établissement public chargé de la maîtrise d'ouvrage des grands équipements culturels de l'État . Ce nouvel organisme résultera de la fusion de l'Établissement public du Grand Louvre et de la Mission interministérielle des grands travaux. Cette restructuration a été présentée comme génératrice d'économies évaluées à 31 millions de francs.

Mais, il est surtout important que le ministre donne au Sénat des informations de nature à la rassurer sur la manière dont seront conduites deux opérations de fusion délicates et qui ne manqueront pas de susciter quelques inquiétudes.

La première réforme annoncée est le rapprochement des directions de l'Architecture et du patrimoine. Le directeur de l'architecture a été chargé de conduire l'opération. Également nommé directeur du patrimoine, celui-ci doit exercer les deux fonctions et proposer, avant la fin de l'année, à l'issue d'une large concertation, de nouvelles structures.

Il y a une logique dans une réforme qui, au delà des économies de gestion attendues, ne fait que revenir à la structure antérieure et qui tient compte de l'évolution du métier des architectes, qui doivent apprendre à s'intégrer dans des espaces désormais protégés.

Mais, il doit être clair que chacun des deux services doit pouvoir conserver ses caractères propres et être en mesure d'exercer pleinement les missions qui lui sont assignées.

Un autre projet moins avancé mérite d'être évoqué, la fusion des directions du théâtre et de la musique. Cette fusion ne manquera pas de susciter, elle aussi, de vives préoccupations de la part des intéressés qui y verront le risque d'une perte d'identité et d'une méconnaissance des problèmes propres à leur art. Le ministre doit impérativement les rassurer et rassurer par la même occasion tous ceux qui au Sénat pourraient s'inquiéter d'une réforme uniquement dictée par des considérations financières.

En dernier lieu, votre rapporteur voudrait attirer l'attention du ministre sur l'aide au cinéma distribuée par le Compte de soutien, dont il craint que le mode de fonctionnement ne soit désormais moins favorable au développement du cinéma français, notamment au niveau de la modernisation des salles.

A côté des aides sélectives pour les salles d'art et d'essai, par exemple, il existe des aides automatiques sous la forme de subventions de réinvestissement - 276 millions de francs en 1996 - qui, si l'on n'y prend garde, c'est à dire, si ce que l'on appelle " le taux de retour " n'est pas suffisamment modulé, pourraient favoriser l'expansion des " multiplexes ".

Il s'agit d'implantations commerciales comportant au moins dix salles, le plus souvent installées en périphérie des villes, qui, par leur type d'exploitation commerciale, sont un peu les têtes de pont en France des grosses productions hollywoodiennes. En 1996, on en comptait 23 en France, qui, avec 1% des emplacements représentaient 11% des entrées. Au premier semestre 1997, leur nombre est passé à 25 pour une part de marché de 16%.

Au moment où le cinéma français redresse la tête et retrouve sa part de marché de 1990, soit 37,5% - mais doit-on s'en satisfaire quand on songe que les films américains représentent presque 55% des entrées -, votre rapporteur souhaite interroger le ministre sur la politique qu'il compte mettre en œuvre pour éviter que les nouveaux modes de distribution ne finissent par marginaliser le cinéma français sur son propre territoire.

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