C. PROLIFÉRATION ET BANALISATION DES ARMES CHIMIQUES

Alors que l'on estimait à cinq, au début des années 60, le nombre d'Etats disposant de l'arme chimique, une vingtaine d'Etats disposeraient aujourd'hui de stocks de substances toxiques susceptibles d'être transformés en armes chimiques. Dans cette prolifération accélérée, le facteur Nord-Sud joue un rôle qu'il importe de souligner. Notons aussi que la possibilité de double emploi, civil et militaire, de nombreuses composantes des armes chimiques est un élément majeur de la prolifération de celles-ci, et de la difficulté de connaître avec certitude, en l'absence de contrôle sur place, l'étendue réelle de la prolifération chimique.

1. D'indéniables facilités techniques et commerciales

La prolifération des armes chimiques a été facilitée par deux facteurs.

D'une part, les gaz de combat les moins élaborés (chlore, gaz moutarde et certains neurotoxiques) se trouvent à la portée d'industries chimiques élémentaires . D'autre part, en raison de la dualité civilo-militaire des composants de ces substances toxiques, les armes chimiques peuvent être fabriquées par des usines de pesticides, de colorants, de produits pharmaceutiques ou d'engrais : la dualité des composants de ces substances a donc pu encourager, sous couvert d' échanges commerciaux, la prolifération chimique.

Ainsi les mêmes produits peuvent-ils servir à la fabrication de gaz de combat et à celle de la bière. De même figure parmi les composantes du tristement célèbre gaz moutarde une substance comparable à l'antigel entrant dans la fabrication de l'encre des stylos à bille. Le phosgène est produit à partir des mêmes substances que les matières plastiques. Il a également été établi qu'un colorant, utilisé dans la fabrication de bonbons au goût de cerise, contient des éléments du gaz auquel ont recouru les Soviétiques en 1989 contre les émeutiers géorgiens.

Entre autres exemples, l'usine libyenne de Rabta, présentée comme destinée à la fabrication de produits pharmaceutiques, visait en fait à fabriquer des toxines de guerre. De même, le site irakien de Samarra était-il consacré, au lieu de pesticides, à la production de gaz moutarde, de tabun et de sarin.

La dualité des substances entrant dans la composition des gaz de combat contribue ainsi à expliquer -sans toutefois le justifier- le rôle du commerce international dans la prolifération chimique. Ainsi dans l'affaire de l'usine chimique de Rabta, en Libye, ont été impliquées, outre la Japan Steelworks, la firme allemande Imhausen-Chemie. Des firmes néerlandaises furent également impliquées, à l'issue de la guerre du Golfe, dans la fourniture à l'Irak de produits dits précurseurs, c'est-à-dire entrant dans la composition d'une arme chimique. Au début de 1991, plus de cinquante firmes allemandes étaient poursuivies en justice pour avoir contribué aux programmes d'armement chimique de l'Irak.

Les responsabilités des pays industrialisés dans la prolifération chimique sont donc réelles. Elles tiennent, pour l'essentiel, à l'absence d'instruments internationaux contraignants, jusqu'à l'entrée en vigueur de la Convention du 13 janvier 1993, en dépit des efforts mis en oeuvre au sein du "groupe australien". Créé en 1984, ce groupe d'exportateurs, soucieux de prévenir la prolifération chimique et biologique, a ainsi établi une liste de 44 produits précurseurs sensibles, dont l'exportation est subordonnée à l'accord du gouvernement du pays producteur. Notons toutefois que le groupe d'Australie compte parmi ses membres 11( * ) des pays dont des ressortissants ont pu fournir des produits toxiques ou des technologies chimiques sensibles à des proliférateurs du sud...

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